Le miroir dans l’art moderne et contemporain

Léo Whelan le miroir 1912


Léo Whelan le miroir 1912 huile sur toile collection particulière
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C’est un autoportrait face au miroir, mais devant le miroir, il y a, avec un rideau de velour, un ensemble de personnages sculptés qui représente une famille de paysans irlandais récoltant des pommes de terre. C’est donc un autoportrait à dimension sociale, dans lequel le peintre irlandais montre qu’il est sensible aux difficultés de ses compatriotes.

Voir également :
Constantin Andreevic Somov (russe) autoportrait dans un miroir 1928 pastel sur papier. Seule figure dans le tableau, une portion du miroir, sans doute ovale, qui a permis la réalisation de cet autoportrait.
– Géza Vörös (hongrois) autoportrait au miroir 1932. Le miroir au cadre ouvragé reflète, derrière le peintre, une portion de toile vierge posée sur un chevalet et un modèle nu. Il n’est pas en train de peindre, c’est avant.

Georges Grosz, moi et le miroir du bar 1937.


Georges Grosz, moi et le miroir du bar 1937 huile sur toile
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C’est ainsi que Grosz nous parle de son addiction à l’alcool, avec humour. Un partie de son visage apparaît au second plan à l’arrière.

Pierre Bonnard, autoportrait dans la glace du cabinet de toilette 1938.


Pierre Bonnard, autoportrait dans la glace du cabinet de toilette 1938 huile sur toile 73 x 51 cm centre Pompidou
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Un autoportrait à contre-jour, qui met dans l’ombre le visage de l’artiste. Voir un commentaire.

… et pour le plaisir, en marge de ce questionnement qui porte sur la peinture, Florence Henri, autoportrait 1928.


Florence Henri, autoportrait 1928 Epreuve gélatino-argentique 39 x 25 cm
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C’est une mise en scène photographique dans laquelle l’artiste, pionnière de la revendication de liberté en matière d’orientation sexuelle, se photographie dans un miroir, coiffée à la garçonne, et elle a posé devant le miroir, au sol, deux boules qui peuvent être interprétées comme un attribut masculin ou féminin (cette photo est exposé à la Biennale de Venise de 2022).

Norman Rockwell triple autoportrait 1960 illustration peinte à l’huile pour un numéro du Saturday Evening Post, le magazine qui publiait les premières pages de son autobiographie.


Norman Rockwell triple autoportrait 1960
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Il utilise la même mise en abyme que Johannes Grump, il se représente de dos, en train de se regarder dans un miroir pour peindre son autoportrait. On le voit donc sous trois aspects différents et même quatre car des croquis sont punaisés sur la toile (à gauche). Tous les détails sont intéressants :
– Le cadre doré du miroir est surmontée d’un aigle sculpté, symbole des États-Unis, et d’un blason aux couleurs du drapeau de son pays.
– Dans le miroir, il porte des lunettes, alors qu’il se dessine sans lunettes.
– Au-dessus du chevalet un casque de pompier rappelle que son atelier avait été dévasté par un incendie en 1943, de même que, de la poubelle métallique, s’échappe de la fumée.
– Sur sa toile, il a punaisé cinq croquis au fusain pour son autoportrait, et des reproductions de portraits de Durer, Rembrandt, Van-Gogh et Picasso, tous connus pour avoir peint de nombreux autoportraits.
Et puis il y a l’humour de la pause choisie, le verre en déséquilibre suit la même direction oblique que le peintre lui-même. Voir un commentaire.

Salvador Dali, Dali peignant Gala de dos éternisée par 6 cornes virtuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs 1972.


Dali peignant Gala de dos éternisée par 6 cornes virtuelles provisoirement réfléchies par six vrais miroirs 1972 huile sur toile 2 x (60,5 x 60,5 cm)
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Ce tableau correspond à une période ou Dali se passionnait pour les sciences. Ici il fait appel à la stéréoscopie, qui est le système appliqué aux cartes postales en relief : en regardant longuement les deux toiles en même temps, en regardant le milieu entre les deux, on finit, en principe, par voir une seule image en volume. Donc le jeu illusionniste de la peinture classique en perspective se double ici de la prise en compte physiologique de la vision binoculaire.

Une photo encore de Helmut Newton autoportrait avec femme et modèle 1981.


Helmut Newton autoportrait avec femme et modèle 1981 photographie
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Célèbre photos qui montre, dans un miroir, le photographe au travail derrière son modèle, tandis qu’à droite, sa femme, June, observe le modèle en vrai, dont nous ne voyons au premier plan qu’une silhouette fragmentée par le cadrage.

Paula Rego Border Patrol self-portrait with Lila, reflexion and Ana 2004.


Paula Rego, Border Patrol, selfportrait with Lila, réflexion and Ana, 2004 huile sur toile 100 x 80 cm collection particulière
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Le dispositif laisse penser que la femme assise, Lila, est vu de profil, de dos et de face. Mais le titre nous indique que Paula est présente dans le tableau, donc, dans le miroir que tient Ana, c’est Paula Rego que l’on voit.

7 – Des miroirs fantaisistes qui réfléchissent des images inattendues

Inutile d’attendre les surréalistes, par exemple chez le Tintoret Vénus découverte par Vulcain. Au premier plan, nous voyons Vulcain convoitant Vénus et soulevant son voile pour la contempler. Par contre, dans le miroir au fond, Vulcain est agenouillé sur Vénus, le miroir révèle ainsi la suite de l’histoire…

Frans van Mieris, jeune fille devant un miroir 1676.


Frans van Mieris, jeune fille devant un miroir 1676 huile et bois 42,9 x 31,6 cm Collection de peintures de l’État de Bavière
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Le reflet que la jeune fille contemple, c’est-elle même, richement vêtue : elle se projette dans un rêve d’avenir.

Paul Delvaux (surréaliste belge), le miroir, 1936.


Paul Delvaux, le miroir, 1936 huile sur toile 100 x 80 cm collection particulière
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La jeune femme de dos, dans une pièce assez délabrée (le papier peint est décollé), se voit dans le miroir nue, dans un paysage arboré, une image presque paradisiaque par rapport à son environnement.
Voir également du même artiste :
Femme devant le miroir 1936 Huile sur toile. 71 × 91,5 cm Musée National Thyssen-Bornemisza, Madrid. Le miroir est agrémenté d’une sorte d’écharpe en dentelle, mais qui ressemble à un serpent (Eve coupable !).

René Magritte Les Liaisons dangereuses 1926.


René Magritte Les Liaisons dangereuses 1926 huile sur toile 100 x 80 cm collection particulière
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Dans le miroir on voit de profil la jeune femme qui le tient.

Voir également du même artiste :
La reproduction interdite 1937 huile sur toile 79 × 65,5 cm
Musée Boijmans Van Beuningen, Rotterdam. Le miroir ne nous permet pas de voir de face le personnage.

Francis Bacon portrait de Georges Dyer dans un miroir 1968.


Francis Bacon portrait de George Dyer dans un miroir 1968 huile sur toile 198 x 147 cm Musée National Thyssen-Bornemisza, Madrid
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Le miroir donne à voir un profil de George Dyer déchiré en deux parties.

Les peintres hyperréalistes des années 70 ont beaucoup pris comme sujet des espaces urbains associant des jeux de vitres et de miroirs, afin de multiplier les jeux de reflets, afin de montrer la virtuosité des artistes. Par exemple :

Don Eddy, peintre classé dans la catégorie des photos réalistes.
news shoes for H 1976 acrylique sur toile 111,7 x 121,9 cm, musée de Cleveland. En fait de vitrine de chaussures, on y voit une superposition d’images de la rue qui se reflétant dans les vitres et qui se mêlent aux marchandises exposées.

De même Richard Estes, Teleflorist, 1974


Richard Estes, Teleflorist, 1974
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Une superposition de reflets.
ou la rue se reflétant sur un bus
Voir d’autres oeuvres de Richard Estes.


Philippe Ramette cerveau réfléchissant 2002
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Inattendu aussi, toujours humoristique Philippe Ramette cerveau réfléchissant 2002 pour le double sens.

et en 2003, objet à voir le chemin parcouru. Une étrange casquette de bois équipée de deux miroirs comme des rétroviseurs.


Giuseppe Penone, retourner ses propres yeux 1970
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Une pensée pour Giuseppe Penone, retourner ses propres yeux 1970, avec ses lentilles miroir, pensées pour que la nature se reflète dans ses yeux, et non pas l’inverse.

8 – Des miroirs brisés

On le sait, cela porte malheur. C’est ce qu’a dû éprouver en cassant son miroir la jeune fille de Greuze, le miroir brisé, 1763, qui peut s’attendre maintenant à une déception sans doute amoureuse.

Jacques Monory puise son inspiration dans les films policiers américains, qu’il a réinterprété avec une monochromie bleutée.
Pour sa série meurtre en 1968, il utilise des cadrage basculés, obliques, et intègre de faux miroirs avec de faux impacts de balles, en trompe l’œil, comme dans meurtre n°18.


Jacques Monory meurtre n°18 1968 acrylique sur toile
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Mais parfois il intègre un vrai miroir comme d’un meurtre 10/2 sur lequel il y a de vrais impacts de balles, créant une confusion assez troublante.

Barbara Kruger, you are not yourself 1982 utilise un effet de miroir brisé dans un collage photographique.


Barbara Kruger, you are not yourself 1982 photo, collage, 182.9 x 121.9 cm
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Elle a récupéré une image dans un magazine féminin et son message, façon lettre anonyme, cherche à dénoncer les manipulations des publicitaires qui véhiculent une identité de masse, source de mal-être pour beaucoup de femmes.

Michelangelo Pistoletto dans le cadre de la Biennale de Venise de 2009, il a brisé violemment 17 grands miroirs devant le public, le jour de vernissage à l’Arsenal, laissant ensuite sur place les débris que les visiteurs piétinaient. Comme le thème général de cette biennale était “construire des mondes” Pistoletto évoquait l’idée qu’il fallait détruire l’ancien monde pour en inventer un nouveau…

Erik Johansson, (artiste de 37 ans né en Suède, travaille à Prague). Il a utilisé dix sept mètres carrés de miroir pour réaliser en 2019, le lac au miroir. Sur cette image on peut le voir faire du paddle sur un lac qui est en train de se disloquer.


Eric Johansson, le lac aux miroirs, 2019
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Voir d’autres oeuvres de Erik Johansson.

9 – Des miroirs sans images

Parmi les assemblages “Merz” de Kurt Schwitters, composés de fragments de récupération en tout genre,


Kurt Schwitters, assemblage sur miroir à main, 1922-23 Assemblage, huile sur miroir cloué à une toile, 28,50 x 11 cm centre Pompidou
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Cet assemblage sur miroir à main ne risque pas de délivrer un reflet.

Balthus, japonaise au miroir noir.


Balthus, japonaise au miroir noir 1967 Caséine et détrempe sur toile 150,2 x 195,2 cm
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Dans la culture japonaise, le miroir noir renvoie à l’infini, il a une signification métaphysique positive.

Michelangelo Pistoletto un mètre cube d’infini 1966.


Michelangelo Pistoletto un mètre cube d’infini 1966 Miroir, ficelle en chanvre 120 x 120 x 120 cm centre Pompidou
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Une belle idée, ce volume cubique est composé de faces internes de miroirs qui ne reflètent qu’eux-mêmes. L’œuvre ne renvoie à aucune image de la réalité. Elle demande ainsi un effort de réflexion qui sollicite la capacité d’abstraction et le pouvoir d’invention du spectateur.

Roy Lichtenstein mirror 1977


Roy Lichtenstein mirror II 1977 Bronze peint et patiné, 151,8 x 76,2 x 30,5 cm collection particulière
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C’est seulement des reflets stylisées graphiquement. Lichtenstein était particulièrement fasciné par la manière abstraite dont les caricaturistes dessinaient des miroirs, en utilisant des lignes diagonales pour désigner une surface réfléchissante.

Bertrand Lavier Oscar 1987.


Bertrand Lavier Oscar 1987 acrylique sur miroir 80 x 68 cm
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Pendant les années 80, Bertrand Lavier a recouvert d’une couche de peinture « avec une touche Van Gogh » (c’est-à-dire des coups de pinceau apparents) toutes sortes d’objets. Le plus célèbre est un piano à queue, créant un nouvel objet hybride, entre sculpture, peinture et objet. Ici c’est un miroir, rendu hors d’usage, par un effet de peinture.

Philippe Ramette en 1994, a fabriqué non pas des miroirs déformants, mais des miroirs déformés.


Philippe Ramette, miroirs déformés, 1994
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Valérie Belin, sans titre, série Venise (1997). Photographe plasticienne qui excelle dans le noir et blanc. Elle a consacré une série à photographier à Murano des miroirs vénitiens ne reflétant que d’autres miroirs et objets de verre. Cette série met en abyme, cette série de reflets.

10 – La participation du spectateur s’introduire dans l’œuvre, perdre ses repères, jouer à produire l’œuvre

Édouard Manet le bar des Folies Bergères 1889


Édouard Manet le bar des Folies Bergères 1889 huile sur toile 96 × 130 cm Institut Courtauld, Londres
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Le dernier grand chef-d’œuvre de Manet, à la fois scène de genre, portrait et nature morte. Il montre une jeune et jolie serveuse derrière son comptoir, et derrière elle dans un grand miroir, se reflète la salle, avec la foule, les lumières. Si Manet a curieusement décalé sur la droite le reflet de la serveuse, que nous voyons de dos, en face d’un homme en haut de forme, c’est que pour nous spectateur, puissions nous adresser directement à la jeune femme, qui semble nous attendre … comme l’avait fait Velasquez dans les Ménines, Manet a pensé dans sa composition la place du spectateur, en prenant le risque de n’être pas du tout logique et réaliste dans sa mise en scène du reflet.

Michangelo Pistoletto a commencé dans les années 60 une série de “tableaux miroirs” qu’il continue encore aujourd’hui. Il s’agit de grands miroirs sans cadre posés au sol, sur lesquels sont sérigraphiés des personnages à l’échelle 1, de telle sorte que lorsque nous nous en approchons, nous faisons en quelque sorte partie du groupe.
voir un commentaire.


Michangelo Pistoletto Vietnam 1962
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Ainsi Vietnam 1962, invite le spectateur à se joindre à la manifestation contre la guerre du Vietnam.

Voir également :
La dessinatrice, qui est sur un tabouret, attend son modèle. C’est nous qui sommes invités à prendre la pose.
Ces migrants en transit vont nous regarder passer avec curiosité, voir également.
Cette jeune fille à l’air perdu, semble attendre d’entrer en contact avec nous, etc.

Douglas Gordon, self portrait of You and Me 2004-2006. Il a brûlé les yeux de portraits de différentes célébrités pour les remplacer par des miroirs.


Douglas Gordon Blind Star Series: Mirror, Greta Garbo 66 x 61 cm
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Voir également :
Douglas Gordon self portrait of You and Me, (Michael Jackson), 2007 Photographie brûlée et verre miroir, 63,2 × 53 cm
Douglas Gordon self portrait of You and Me, (Humphrey Bogart) , 2006 Photographie brûlée et verre miroir, 90,5 x 82,9 cm
Douglas Gordon self portrait of You and Me, (Simone Signoret), 2008 Photographie brûlée et verre miroir, 73,2 × 59 cm

Daniel Buren coin pour un espace au CAPC de Bordeaux. Il avait transformé l’espace du CAPC en installant dans la nef centrale de grands miroirs inclinés, dont les jeux de reflets rendaient instables tous les éléments de l’architecture et créaient pour les spectateurs visiteurs un sentiment de vertige.


Daniel Buren coin pour un espace 1991 CAPC Bordeaux
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Sherin Abedinirad est une artiste iranienne née en 1986 qui vit aux États-Unis connue pour ses installations de miroirs, après avoir fait des études de design graphique et de mode. Haven on earth est une installation qu’elle a réalisée en 2014 en Italie, à Trévise. Le ciel paraît toucher la terre, on imagine que marcher dessus n’est pas une expérience banale.

Philippe Ramette, lui, propose une toute autre expérience au spectateur, celle de “traverser le miroir” comme Alice de Lewis Carroll. Bien sûr, on risque d’être frustré, puisqu’il s’agit juste d’un miroir troué pour le passage des bras et d’une jambe !


Philippe Ramette, la traversée du miroir, 2011
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En ce moment au 104 à Paris, Leandro Erlich né en 1973 à Buenos Aires, propose un jeu participatif au public. Il suffit de prendre des poses sur des structures construites au sol pour apparaître grimpant sur une façade d’immeuble grâce à un grand miroir oblique.


Leandro Erlich au 104

Cet artiste argentin construit des dispositifs ludiques qui défient les lois de la gravité, qui invite les spectateurs qui construisent l’œuvre en même temps. Au 104, son intervention s’inscrit dans le cadre de la “foire foraine d’art contemporain”, qui jusqu’au 29 janvier 2023 se propose “de créer du désir et de la folie par le biais de l’art contemporain”. Une quarantaine d’artistes du monde entier se sont impliqués dans ce projet entièrement participatif, ce qui nous amène à notre dernier sujet de réflexion.

11 – Dispositifs labyrinthiques désorienter le spectateur par la perte de ses repères

Il en va de la survie des musées et les centres d’art aujourd’hui d’attirer des jeunes publics, par des dispositifs spectaculaires et ludiques, qui ne nécessitent pas de prérequis. Mais lorsque ces dispositifs consistent à immerger le public dans des espaces labyrinthiques parfois anxiogènes, ce dont ils témoignent c’est de l’instabilité du monde et du rejet de l’humanisme, parce que la non maîtrise des sens, c’est la perte d’identité face à la complexité du monde.
On va le voir avec quelques exemples :

Daniel Buren, lorsqu’il a commencé à complexifier avec des miroirs son dispositif bien connu des cabanes évidées, il a créé des kaléidoscopes associant des matières translucides, des couleurs et des miroirs, pour fabriquer des espaces inextricables. Par exemple en 2001, les couleurs mélangées, le village a été construit in situ au Kunsthaus de Bregenz en Autriche.


Daniel Buren, les couleurs mélangées, le village, 2001
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C’était neuf cabanes constituées de carrés de plexiglass opaques et transparents : bleu, rouge, jaune et blanc, mais également des miroirs dont les faces arrières sont opaques et noires. Les neuf cabanes étaient imbriquées les unes dans les autres, de telle sorte qu’en s’engageant à l’intérieur on était dans un labyrinthe d’où il était un peu compliqué de sortir.

L’artiste Carsten Höller, (artiste allemand né en 1961 qui vit et travaille à Stockholm) crée des dispositifs qui oscillent entre une critique et une célébration du monde du divertissement. Par exemple, son carrousel miroir (2005),


Carsten Höller: Golden Mirror Carousel

C’est un manège totalement recouvert de miroirs, posé sur un socle miroir, avec un plafond miroir, qui créent des distorsions de la perception pour affoler les sens. Le spectateur prend place sur les balancelles et puis il va vivre comme dans une foire, un jeu de manège qui va le conduire à un véritable étourdissement car son reflet est démultiplié de partout, entraînant d’après Michel Gautier, “une recherche d’étourdissement entraînant un degré zéro de la conscience”.

Du même artiste, les portes tournantes (revolving doors)


Carsten Höller, les portes tournantes (revolving doors) 2004 558 × 558 × 228 cm
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Elles sont constituées de cinq portes tournantes, elles même composées de trois battants en miroir. Leurs axes sont positionnés aux cinq points d’un pentagone. Lorsque le spectateur s’engage dans le mouvement rotatoire des portes à tambour, il est stupéfait par la variété infinie des reflets et il est plongé dans un état de désarroi, et de confusion totale dont il n’arrive pas à sortir. Voir un commentaire.

David Altmedj, (artiste canadien né en 1974) crée également des univers à la fois physiques et psychiques. Depuis 1999, il s’intéresse à la figure du loup garou, et il construit à l’aide de toute sorte de matériaux de grands personnages, qui sont à la fois impressionnants par leur taille et qui sont également fragiles car troués de toute part (stalactites, trous divers…). Avec ces dispositifs, dont celui-ci qu’il a présenté en 2014 au musée d’art moderne de Paris, il crée un dédale composé de miroirs et de structures de plexiglass entrelacées dans lesquelles on côtoie au passage quelque uns de ses personnages qui sont parfois sans tête, ou sans corps ou sans bras.


David Altmedj, the Flux and the Puddle, 2014
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Voir également :
D’autres oeuvres de David Altmedj

Yayoi Kusama, l’artiste japonaise, a construit son œuvre à partir des hallucinations dont elle souffre, et des traumatismes qu’elle a vécus. Ses salles avec des miroirs infinis, plongent les spectateurs dans des espaces où tous les repères s’effondrent.


Yayoi Kusama Infinity Mirrored Rooms, Love Forever, 1996
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Infinity Mirrored Rooms, Love Forever, 1996. C’est un miroir kaléidoscope, une boîte hexagonale tapissée de miroirs qui forment un dispositif de peep show que le spectateur à travers deux petites fenêtres plonge son regard dans l’espace dans lequel, il ne pénètre pas, vers une profondeur infinie qui est une métaphore des obsessions de l’artiste. De multiples ampoules colorées, qui alternent en cinq couleurs différentes, sont installées au plafond, clignotent en se réfléchissant à l’infini sur les parois de la boîte qui sont toutes en miroir.

Une autre de ses installations, beaucoup plus sombre, en 2000, nous transporte dans une sorte de nuit étoilée, bien que le titre évoque des lucioles sur l’eau. Nous sommes au milieu d’ampoules qui se dédoublent à perte de vue dans la pénombre d’une pièce en miroir.


Yayoi Kusama Fireflies on the Water, 2000
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Voilà ce qu’en dit l’artiste : “Ne sont-ce pas là, les images illusoires que nous nous faisons de ce monde fuyant, quand s’éteignent les lumières et que demeure l’obscurité, celle-ci invite notre âme à venir dans le silence noir de la mort.”
Ce que les dispositifs miroir de cet artiste expriment, et que les spectateurs vivent, soit comme un enchantement des sens, soit comme une perte de repère anxiogène, c’est le sentiment de dissolution du moi, dont elle souffre justement. Le sentiment de perte de son identité, de dissolution de son identité dans le monde. Voir son autoportrait.

Nous avons ainsi refermé la boucle sur Narcisse et cette perte d’identité qui conduit à la mort.

Je voudrais terminer avec cette phrase de Jean Cocteau dans le sang d’un poète :

les miroirs feraient bien de réfléchir un peu avant de renvoyer les images !