Le troisième âge, les seniors, les vieux … comment apparaissent ils dans l’histoire de l’art ?
Entre beaux vieillards et vieilles avares, les deux sexes sont-ils traités de la même manière ?
Depuis quand le rôle de grands-parents est-il un sujet pour les peintres ?
Quels artistes ont pris pour thème leur propre vieillissement?

Intervenante : Agnès Ghenassia

Quand basculons nous dans le troisième âge, chez les vieux, les seniors, les ancêtres ?

J’ai employé le verbe basculer, parce que dans toutes les représentations traditionnelles des âges de la vie, on descend à partir de 60 ans.

Ainsi dans cette planche de 1817 qui appartient au MUCEM, sont représentés non seulement les transformations physiques du couple mais aussi les rôles qui leur incombent à chaque classe d’âge. Par exemple à 30 ans c’est « âge viril« , il faut procréer, à 40 ans on paraît ravi, vêtus à la mode du second empire, mais c’est « l’âge de la discrétion« , qui précède à 50 ans, « l’âge de la maturité« . Ensuite viens « l’âge déclinant« , puis « l’âge de la décadence » où l’on porte encore des vêtements de l’ancien régime, et à 80 et 90 ans c’est « l’âge caduc« , étymologie latine caducus en train de choir et « l’âge de décrépitude« . Sous l’arche figure un jugement dernier, qui rappelle que le destin des hommes est dans la main de Dieu.
Cette représentation est largement partagée au XVIIème et XIXème siècle.
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Cette représentation très stéréotypée ne prévoyait pas que Pierre Soulage continuerait à peindre jusqu’à 101 ans et Louise Bourgeois jusqu’à 99 ans.

Aujourd’hui la notion d’âge dépasse le simple calcul des années vécues par un individu et se fonde surtout sur la vitalité physique et sur l’apparence. La jeunesse dure plus longtemps qu’à l’époque de la femme de 30 ans de Balzac. Les arts visuels ont contribué à populariser le motif des âges de la vie surtout entre le 16e et 17e siècle.

Giorgione (1477-1510) les trois âges de la vie.

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Le Titien (1488-1576) les trois âges de l’homme 1512.

Au premier plan à gauche, un couple d’amoureux, devant un fond d’arbre bien dense, à droite de jeunes enfants et un amour ailé, et au fond, un vieil homme seul, penché sur deux crânes devant un décor automnal.
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Hans Baldung (1484-1545) les trois âges de la femme et la mort 1541

Représentation beaucoup plus cruelle, peintre flamand disciple de Dürer et très préoccupé par la question du vieillissement et de la mort. Ici au premier plan, un bébé, puis à gauche une jeune femme sensuelle à la peau claire qui voile sa nudité très légèrement dans un geste de pudeur. A côté, une femme âgée maigre, à la peau fripée, aux seins relâchés, qui tente elle aussi de se couvrir partiellement d’un voile, mais qui donne le bras à la mort avec son sablier. Tout en bas un oiseau, entre chouette et corbeau, de mauvais augure.
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Quelques années plus tard, Hans Badlung (1484-1545) peint les sept âges de la femme de façon beaucoup plus positive.

Le découpage en 7 permet à la femme de rester beaucoup plus longtemps désirable, même si son ventre est moins plat.
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Caspard David Friedrich (1774-1840) les étapes de la vie 1834, qui sont représentées de façon très métaphorique, Friedrich compare la vie à un voyage.

Au premier plan, de dos, c’est lui qui invite ainsi le spectateur à s’identifier à lui et il regarde au loin deux voiliers qui vont disparaître à l’horizon. Au centre, il y a un homme une femme et deux enfants. Les bateaux des enfants sont encore sur la berge, et le voilier des parents vogue en pleine mer.
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Gustav Klimt (1862-1918) les trois âges de la femme 1905.

Dans cette belle composition géométrique, le peintre inscrit une figure féminine jeune, tenant dans ses bras un enfant, et à gauche une figure de femme âgée dont les seins et le ventre se rejoignent, voûtée, qui cache son visage dans sa main. Au-dessus de la jeune mère, il y a un jeu de motifs colorés qui évoquent la vie (peut-être des cellules ?). La vieillesse est montrée comme la perte de la fécondité, une idée largement répandue dans la société. Aujourd’hui encore, pour les femmes publiques, souvent l’âge de la ménopause est considéré comme l’effacement de la vie sociale dans certaines professions.
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Il existe aussi un découpage des âges en 4, lorsqu’il est assimilé aux quatre saisons. Ainsi chez Arcimboldo (1527-1593) le printemps 1563 est un jeune homme,

… et l’hiver un vieil homme 1564.
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C’est bien vu et c’est une comparaison qui perdure encore de temps en temps, par exemple lorsque Serge Reggiani dans « Il suffirait de presque rien » chanta :” elle est jolie, comment peut-il encore lui plaire elle au printemps lui en hiver ,” (1968).
Il dit aussi “nul ne repasse par sa jeunesse”. Pourtant longtemps a subsisté la superstition suivant laquelle certaines eaux miraculeuses pouvaient nous rendre la jeunesse.

Il y a à Berlin à la Gemäldegalderie une peinture très amusante de Lucas Cranach (1472-1553) la fontaine de jouvence 1546.

On voit à gauche des personnes âgées et qui arrivent en charrette, en brouette, en brancard. On les aide à se déshabiller, ils sont examinés par un médecin, puis on les retrouve dans un grand bassin central où peu à peu elles se transforment en jeunes gens. Là, un homme élégant les invite à pénétrer sous une tente où on va les habiller. À la sortie aussitôt ils s’accouplent, et vont pouvoir profiter de tous les plaisirs de la vie, par exemple festoyer et danser. L’eau miraculeuse de la Fontaine non seulement les rajeunit mais change leur statut social !
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Dans la même veine, voir également la publicité d’Evian Baby & Me de 2013.

Voir Les âges de la vie et leur représentation artistique

Avec le temps va tout s’en va …

J’ai regroupé sous cette rubrique et les portraits objectifs de femmes et d’hommes âgés qui décrivent bien les caractéristiques physiques de l’âge.

Giorgione (1477-1510) la vieille 1506.

C’est sans doute un portrait de la mère de l’artiste représentée de 3/4 comme une allégorie du temps qui passe. Elle regarde le spectateur avec intensité, et tient dans sa main un papier sur lequel est écrit : “avec le temps”. Elle porte une sorte de coiffe molle qui dissimule ses mèches grises elle a la bouche entr’ouverte, et semble nous dire : ”Voilà ce que je suis devenue”.
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Bruegel l’ancien (1525-1569) tête de paysanne 1554

Elle porte aussi une coiffe, qui dissimule entièrement ses cheveux. Son visage est osseux, le nez affirmé, le menton fuyant.

Jacob Jordaens (1593-1678) têtes de vieilles femmes de 1620.

Elles ont aussi la tête couverte. Il souligne les marques de la vieillesse dans la peau, la chair, les cheveux, la bouche que l’on devine édentée et traduit le sentiment de la vieillesse dans l’expression désabusée, fatiguée de la femme aux yeux levés.
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Rembrandt (1607-1669) portrait d’une femme de 62 ans.

– Rembrandt portrait d’Aechje Claesdr à 83 ans 1634 National gallery Londres. Il peint deux ans plus tard le portrait d’une vieille femme, tête couverte, posture pensive, presque accablée.
– Rembrandt tête d’une vieille femme 1654 musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg. La vieille femme représentée est banale mais son aspect crée une attirance irrésistible. La bouche s’est effacée. La tête inclinée, les épaules basses, les bras humblement croisés. Voir un commentaire.

Posture de méditation, les traits du visage ont fait l’objet d’une grande attention.
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Voir également :
– Rembrandt Vieillard à la barbe 1630 huile sur bois 18 x 17,5 cm. Voir un commentaire.
– Rembrandt Le Vieil Homme à la chaîne d’or 1632 huile sur bois 59,3 x 49,3 cm Musée de Kassel. Les cheveux ont perdu de leur épaisseur.

On remarque que toutes les femmes ont la tête couverte, contrainte qui n’est pas imposée aux hommes.

Bernhard Keil (1624-1696) peintre danois, élève de Rembrandt à Amsterdam puis installé en Italie. L’hiver est le titre donné à un vieil homme en 1654.

… et un autre s’intitule allégorie de l’hiver.

Pierre Paul Rubens (1577-1640) a aimé lui aussi peindre des portraits de tous âges. Etude de trois têtes de vieillard, trois portraits du même homme, sous des angles différents, chevelu et bouclé.

… et de nombreuses têtes d’hommes âgés, qu’il devait projeter d’insérer en tant que personnages bibliques ou mythologiques dans ses grandes compositions.
– Rubens Tête de vieil homme 1612
– Rubens Saint Paul 1615 huile sur bois 65.5 x 48.5 cm

Cette tête de vieille femme est beaucoup plus réaliste, tête couverte, tenue modeste, on sent la fatigue sur ce visage.
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Cette tête de vieille femme avec un enfant est pleine de vie. La composition confronte le visage frais de l’enfant et le visage ridé de la femme âgée, qui tous deux sont éclairés et rougis par la chaleur de la flamme de la bougie.

Carlo Maratti (1625-1712) portrait de femme.

A l’opposé ce portrait de femme de Carlo Maratti peintre italien du 17e siècle dit la solitude, ou le deuil peut-être.

Romana Arregui (1875-1932) portrait de vieille femme basque. Elle a consacré toute sa carrière à peindre ses compatriotes basques.

Cette femme couverte d’un fichu noué, est probablement édentée, avec une verrue sur le menton, elle respire la joie de vivre et l’ouverture aux autres. L’artiste est basque, elle a vécu à Bilbao et a travaillé quelques temps à Paris. Elle s’était spécialisée dans les personnages typiques du pays basque.

Henri de Toulouse-Lautrec (1864-1901), portrait d’une vieille femme.

Portrait traité dans un style très enlevé, avec de grosses touches apparentes qui donnent de la vie à l’ensemble.

Edouard Manet (1832-1883) Monsieur et Madame Auguste Manet vu par leur fils Édouard 1860, portrait très différent.

Lui s’appuyant sur sa canne, elle plongeant la main dans sa corbeille à ouvrage. C’est une œuvre de jeunesse du peintre. On devine que ses parents appartiennent à la bourgeoisie son père était un haut fonctionnaire du ministère de la Justice et sa mère était la fille d’un diplomate.

Suzanne Valadon (1865-1938) portrait de Maurice Utrillo et sa grand-mère, 1912.

Alors que dans portrait de Suzanne Valadon de Maurice Utrillo, son fils et sa grand-mère 1912, on pressant qu’il s’agit d’un milieu populaire. En effet la mère de Suzanne Valadon était blanchisseuse. Elle a posé là avec son petit-fils et son chien qui a mis sa patte sur son tablier.

Otto Dix (1891-1969), dont les parents étaient ouvriers, il les a peints deux fois l’une en 1921 ; les parents de l’artiste,

… l’autre en 1924 avec le même titre, et c’est celle-ci qui a tellement impressionné Baselitz. En effet le couple est représenté dans la même position, mains sur les genoux, de face, et a gagné en dignité et on ressent leur complicité.

À la même période, Jean Fautrier (1898-1964) peint trois vieilles femmes dans la même tenue, voûtées toutes les trois, seul leur visage les différencie.

Ce sont des patientes de la Salpêtrière, l’accent est mis sur les traits des visages et les mains surdimensionnées, apportant ainsi de la sévérité et de la profondeur à ces portraits.

En sculpture, on se souvient du traitement très réaliste de Rodin pour celle qui fut la belle Heaulmière, 1885-87 avec sa peau parcheminée et de l’interprétation qu’on avait fait Camille Claudel comme Clotho 1893 une Parque enchevêtrée dans un écheveau de fils et de cordes.

Plus près de nous le sculpteur hyperréaliste Ron Mueck (né en 1958) a réalisé en 2000 vieille femme dans un lit.

Dissimulée sous un drap et une couverture cette vieille femme est une très petite sculpture, très sous dimensionnée alors qu’elle est d’un réalisme saisissant.
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En photographie Philippe Bazin (né en 1954) a réalisé en très gros plan entre 1985 et 1986 une série de portraits de vieillards intitulée « face« .

Voir d’autres photographies. Voir un commentaire.
Bazin est d’abord docteur en médecine, puis il a étudié la photo à l’École Normale Supérieure de la Photographie d’Arles. Il enseigne aujourd’hui à l’école d’art de Dijon.
Pendant 20 ans, il a réalisé 22 séries de photographies, en gros plan de gens, qui tous ont été pris dans des lieux institutionnels, ici dans un EHPAD. Par la suite, il a abordé d’autres sujets au Chili, à Istanbul, en Bulgarie, au Caire, en Pologne, partout où s’élaborent des dispositifs de protestation et de contestation.

De 2010 à 2013, JR (né en 1983) avait affiché dans les vieux quartiers de différentes villes du monde, des gros plans de personnes âgées nées là-bas et témoins des transformations de leur cité. Cette série s’intitulait « les rides (the winkles)« .

Voir également :
– JR, The wrinkles à Los Angeles 2012
– JR, the Wrinkles, à Cuba 2012
– JR, the Winklers à Shanghai 2010
– JR, the Winklers à Istanbul 2015

Enfin il n’est pas indispensable de montrer de façon figurative les traces de l’âge, puisque Georg Baselitz (né en 1938) s’attache à exprimer, depuis 2015 la fragilité de son corps vieillissant et de celui de sa femme Elke par différents procédés :
… parfois un mélange de couleurs

Arrivare con cenere, 2019 (Arriver avec des cendres, 2019)

Georg Baselitz Ankunft demnächst, 2017 (Bientôt arrivé)
… parfois un mélange de matières comme broyées confusément, parfois un graphisme noir très fin vient griffer la couleur peau, parfois c’est un nuage rosé qui tente d’effacer les figures, où c’est l’ensemble qui est flouté par une brume blanchâtre, et enfin des empreintes de corps noirs dans un espace d’or. Le parcours de disparition progressive des silhouettes, en très grand format, est particulièrement fort plastiquement, donc émouvant.

Voir la vieillesse dans la peinture.