Max Ernst contre la barbarie du monde

Né allemand, compagnon des Surréalistes dans les années 20, naturalisé américain en 48, puis français, Max Ernst a souffert, comme nombre de ses compatriotes exilés, des désordres de l’histoire.
Envers et contre tout, son goût de l’expérimentation artistique, son imagination nourrie de culture littéraire et psychologique, son amour de la nature et des femmes l’ont sauvé et lui ont permis de construire une œuvre riche et subtile, mêlant le réel et les fantasmes, le hasard et la virtuosité, et d’occuper dans l’histoire de l’art moderne, par ses nombreuses inventions, une place essentielle.

Intervenante : Agnès Ghenassia

Max Ernst est un artiste aux multiples facettes, dont les œuvres sont parfois énigmatiques, et pourtant un artiste essentiel dans l’histoire de l’art moderne. Un homme attachant, dont le goût de la liberté et du bonheur s’est heurté au drame de l’histoire du 20e siècle.
Il est né à Brühl, près de Bonn, troisième enfant d’une famille nombreuse dont le père Philippe Ernst enseigne la langue des signes aux sourds et muets et pratique la peinture en amateur. Le père est un fervent catholique.

Lorsque Max avait 5 ans, il l’a représenté en enfant Jésus.
Après le bac, Max Ernst a commencé à l’université de Bonn, des études de lettre, de philosophie et d’histoire de l’art, de 1910 à 1914. Il dessine avec aisance, et peint d’après nature.


Max Ernst Ma sœur Loni, 1909
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Pendant la guerre, il est mobilisé dans l’artillerie et il fait la connaissance de Hans Arp.
En 1918, il est mobilisé, il épouse une amie d’enfance Luise Straus, historienne d’art (elle sera la première femme allemande à obtenir un doctorat).


Mariage avec Luise Strauss en 1918
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Ensemble ils auront un fils, Jimmy. Max et Luise vivent à Cologne. Ernst s’intéresse au mouvement Dada, né à Zurich pendant la guerre, et avec Baargedt un ami, il crée le mouvement Dada de Cologne, qui expose en 1920 dans la galerie de la brasserie Winter.


Max Ernst Aquis submersus, 1919, huile sur toile 54 x 45,8 cm The Städel Museum Francfort
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Il est influencé par Giorgio de Chirico, notamment avec “Acquis submersus” de 1919. « Aquis submersus » signifie littéralement « eau submergée » en latin, ce qui est approprié pour cette création, car elle présente des images énigmatiques et surréalistes. Voir un commentaire.
Les collages exposés sont baptisés « FaTaGaGa » (FAbrication de TAbleaux GArantis GAzométriques). C’est un scandale, l’exposition est fermée par la police pour trouble à l’ordre public, et Marx est brouillé avec son père.
Les dadaïstes rejettent les traditions académiques relevant de l’Ancien Monde qui ont conduit à la guerre. Il expose une petite gouache sur carton accompagnée de cette légende en allemand :


Max Ernst roches stratifiées, 1920 gouache 19 x 24 cm The MoMA New York
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Traduction du texte : “Roches stratifiées, don de la nature de gneiss, de lave, mousse d’Islande, deux sortes de choux pulmonaires deux sortes de coupe du périnée et du cœur, la même chose dans un coffret poli un peu plus cher”. (MOMA New York).


Max Ernst c’est le chapeau qui fait l’homme, le style c’est le tailleur, 1920 gouache, encre de Chine et crayon 35,2 × 45,1 cm MoMA New York
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C’est le chapeau qui fait l’homme, le style c’est le tailleur. Collage d’images empruntées à un catalogue de chapelier et aquarelle.


Max Ernst Dada Degas par Dada 1920-21 collages, gouache et encre sur papier 48 x 31 cm
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Dada Degas par Dada, Max Ernst tricoteur il a découpé dans un catalogue de modèles de tricot… et Degas était un artiste qui a peint notamment des chevaux de course. Il s’agit d’un collage qui combine des éléments de différentes images pour créer une composition surréaliste. Elle fait référence au travail de Degas, mais elle est également une critique du monde de l’art traditionnel et de la société en général. La signification de cette œuvre est donc complexe et multiple, reflétant les préoccupations et les idéaux du mouvement Dada.
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Max Ernst La bicyclette graminée … 1920-21 gouache et encre sur papier 74.3 x 99.7 cm MoMA New York
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La bicyclette graminée garnie de grelots des Grisons grivelés et des échinodermes courbant l’échine pour quêter des caresses 1920. (Le plaisir des allitérations comme chez Marcel Duchamp).
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En 1921, il rencontre Paul Éluard et Gala, et tous les trois passent les vacances avec Sophie Tauber Arp et Tristan Tzara. Une exposition Max Ernst est organisée à Paris dans la galerie au sans pareil. Sur la photo Max a la tête en bas. Le succès remporté le conduit à s’installer à Paris chez le couple Éluard-Gala.
Des collages toujours, et une peinture collage célèbre intitulée “la puberté proche où les Pléiades” (gouache et huile sur papier plus collage photo 24,5 x 16,5 cm).


Max Ernst la puberté proche où les Pléiades 1921 collages fragments de photographies retouchées gouache et huile sur papier 24,5 x 16,5 cm collection particulière
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L’ensemble, énigmatique, renvoie une sensation de légèreté, d’apesanteur. En retournant l’image, il est facile de constater qu’il s’agissait au départ d’une femme allongée sur un canapé. L’absence de visage, le bras traversant un astre, la présence d’un rocher qui seul semble soumis à la loi de la gravité contribuent à nous plonger dans un espace irrationnel. Le texte en bas est en français “la puberté proche n’a pas encore enlevé la grâce tenue de nos Pléiades, le regard de nos yeux plein d’ombre est dirigé vers un pavé qui va tomber la gravitation des ondulations n’existe pas encore” . Dans le chant du Maldoror, Lautréamont écrivait “la pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur impassible”.
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Le collage a été en quelque sorte inventé par Lautréamont (Maldoror avec sa phrase “beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie”). Le titre vient d’une comptine allemande un peu obscène qui commence par: « l’éléphant des Célèbres qui a du jaune à son derrière« .
Et il commence à transférer en peinture le principe même du collage.


Max Ernst l’éléphant de Célèbes 1921 huile sur toile 125,4 × 107,9 cm Tate Londres
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Max Ernst est parfaitement intégré au groupe des poètes et artistes rassemblés autour d’André Breton et qui vont composer le groupe des surréalistes.


Max Ernst Au rendez-vous des amis, 1922 huile sur toile 129,5 x 193 cm Musée Ludwig Cologne
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Il peint le groupe au rendez-vous des amis 1922 en intégrant des anachronismes lui-même, en costume vert, est assis sur les genoux de Dostoïevski. à l’arrière-plan, proche du Soleil Noir on reconnaît Raphaël.
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Les surréalistes sont contre la guerre, contre l’idée de patriotisme, ils sont anticléricaux et ont le sens de l’humour. Par rapport aux dadaïstes, ils renouent avec la fiction. Breton et Aragon qui ont tous deux renoncé à leur diplôme de médecine, ont rencontré Sigmund Freud et ils prônent la libération de l’inconscient et l’intervention du hasard dans le processus de création. Leurs maîtres mots sont: libertés, poésie et amour.

Dans les peintures et collages de Max Ernst à partir de 1921-1922 apparaissent des oiseaux, qui deviendront un motif récurrent dans son œuvre. Dans les éléments de biographie, qu’il a rédigés en 1962 sous le titre « tissu de vérité et de mensonges« , il raconte que lorsqu’il avait 15 ans, son perroquet chéri est mort la nuit même où naissait sa jeune sœur Léonie, et il explique qu’il a depuis toujours considéré cette substitution comme une forme de réincarnation et associé l’oiseau à la femme et à l’humain en général.

Dans l’une de ces peintures collage, le corps nu féminin est celui de la Eve dans une gravure de Dürer.

La peinture intitulée La Belle Jardinière (photo noir et blanc) a disparu après avoir été confisquée par les nazis pendant la guerre c’était une grande toile de 196 cm de haut.


Max Ernst la chute de l’ange, 1923 collage 44 x 34 cm Collection particulière
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La chute de l’ange est un collage sur carton ondulé dont l’élément supérieur est emprunté à la chute d’Icare de Brueghel.

La préparation de la colle d’os, collage à partir de gravure de 19e siècle suggère que cette jeune femme expérimente une machine à extraire de l’os pour fabriquer une colle … humour noir.


Max Ernst Œdipus Rex (1922) collage 44 x 34 cm Musée Ludwig Cologne
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Œdipus Rex (1922) est une huile sur toile très célèbre. Sur une estrade, évoquant le monde en perspective de Chirico, des trous sont percés pour laisser apparaître deux têtes d’oiseaux qui, étrangement, ont des yeux humains (l’œil chez les surréalistes est la serrure des rêves). Ils sont immobilisés également par une barrière. Le mâle est retenu par du fil accroché à ses cornes. Ils représentent le couple d’amants fautifs, Jocaste et Œdipe (cf le mythe grec d’Œdipe) qui sont enfermés dans la culpabilité. La main surdimensionnée qui sort d’une fenêtre trop petite semble une force occulte qui manipule le couple. La noix évoque une boîte crânienne (les études de Freud sur le complexe d’Œdipe) et en même temps la flèche qui transperce la noix évoque l’acte d’automutilation d’Œdipe qui s’est crevé les yeux. Dans le ciel, une petite montgolfière confirme que tout ceci est un rêve. (L’instrument qui transperce le doigt est un outil qui sert à marquer les poussins).
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Max Ernst Les hommes n’en sauront rien 1923 huile sur toile 80,5 x 64 cm Tate Londres
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Les hommes n’en sauront rien 1923 huile sur toile 80,5 x 64 cm, est une toile que Max Ernst a offert et dédiée à André Breton. Là encore les fragments de corps féminins écartelés de façon assez érotique sont mis en relation avec l’espace, le ciel, la lune, avec un effet d’équilibre fragile (le réseau de fils reliés à un sifflet en bas). Un espace onirique et profondément irrationnel.
Voir l’inscription et la dédicace au os.


Max Ernst femme chancelante 1923 huile sur toile 130,5 x 97,5 cm)
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Equilibre instable aussi avec la “femme chancelante” 1923 (130,5 x 97,5 cm), qui fait allusion à la déesse du bonheur Fortuna. Là encore sur une estrade, apparait une femme dont les deux bras cherchent l’équilibre entre deux colonnes lisses. La femme poupée articulée, immobile et aveugle (Fortuna) est retenue prisonnière par une machinerie que Max Ersnt a trouvé dans un journal à la fin du 19e siècle qui était présentée comme une invention pour égaliser les vagues par gros temps. Les jets d’huile qui devaient en jaillir deviennent ici des tiges métalliques. La femme, les cheveux dressés, semble pousser un cri avant de disparaître dans la fosse. Une vision onirique et quelque peu sadique donc…
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Max Ernst, au cours de ces dernières années, a séjourné chez Éluard et Gala à Eaubonne au nord de Paris. Pour les remercier de leur hospitalité, il a peint toutes les pièces de la maison et les portes avec un cycle d’images.