Max Ernst contre la barbarie du monde


Max Ernst Leonora dans la lumière du matin 1940 Huile sur toile 66 × 82.3 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Mais en 1939, Max est arrêté et interné au camp des Milles en même temps que Hans Bellmer en tant qu’étranger ennemi, ainsi que 10 000 prisonniers pour la plupart anti-nazis ayant fui le Reich. Rentré en France sans visa en 1922, avec la complicité de Breton et Éluard, il possédait un faux passeport fourni par Robert Desnos au nom de Gondolier.

Après quelques mois, Max Ernst est libéré grâce à une supplique que Paul Éluard a adressée au Président de la République. Au camp, il avait dessiné “les apatrides” et Hans Bellmer avait peint son portrait en brique. Libéré, Max retourne à Saint-Martin d’Ardèche auprès de Léonora. Marie-Berthe est devenue la compagne de Chaïm Soutine. Il peint dans ce contexte terrible 4 chefs-d’œuvre :


Max Ernst la toilette de la mariée 1940 Huile sur toile 66 × 82.3 cm musée Guggenheim à Venise
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

La toilette de la mariée, un étrange et somptueux rituel dans lequel Loplop est le serviteur. Le costume de la mariée fait d’elle une femme oiseau. Effet de tableau dans le tableau, enfermement dans un espace étouffant, présence d’un gnome vert pleurnichard en bas à droite.
Voir un commentaire.
On voit que la mariée est tour à tour une femme portant un vêtement de fourrure et une tête d’aigle, une femme nue dont la chevelure en éventail rappelle une aile d’oiseau et enfin, en bas à droite, un hermaphrodite à quatre seins et enceinte. La femme est donc représentée dans tous ses états possibles et le désir est à la fois un désir animal et un désir qui suscite le mystère, l’amour, la jalousie. La femme du désir est une femme inatteignable, une « reine de la nuit ». Voir un commentaire.
et deux toiles évoquant l’idée de l’exil.


Max Ernst – Marlène (1940) 23.8 x 19.5 cm Collection privée
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Marlène 1940. Femme avec ses enfants qui s’apprête à quitter l’Europe, idée de l’exil. Cette œuvre montre clairement la nouvelle procédure technique utilisée par l’artiste qu’il appelle décalcomanie et qui consiste à appliquer la peinture diluée sur une plaque de verre ou un autre support lisse et de les plaquer contre la toile le moment de l’arrachage révèle des effets mousseux très variés.


Max Ernst – Napoléon dans le désert (1941) 23.8 x 19.5 cm MoMA New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Napoléon dans le désert, colonne au centre, culture méditerranéenne. Napoléon dans le désert, c’est aussi l’adieu au paysage méditerranéen.


Max Ernst – L’Europe après la pluie (1942) 54 x 145,5 cm Wadsworth Atheneum, Hartford
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

et il commence “l’Europe après la pluie” 1940-1942 un paysage de désolation, de ruines, peuplé de quelques figures errantes humaines et animales. Là encore, maîtrise technique éblouissante. Voir un un commentaire.

Interné à nouveau sur la dénonciation d’un sourd et muet de Saint-Martin d’Ardèche, Max Ernst réussira après bien des péripéties à gagner la villa Air-Bel dans le quartier de la Pomme à Marseille, puis New York grâce à l’héroïsme de Varian Fry et à la complicité de Peggy Guggenheim, la milliardaire excentrique et collectionneuse qui a ouvert une galerie à Manhattan. Peggy propose à Max de l’épouser, il accepte en 1941. Léonora n’a pas supporté le choc des arrestations, elle a vendu la maison d’Ardèche, elle fuit avec des amis en Espagne et au Portugal où, à la suite d’épisodes psychotiques, elle est internée à la demande de sa famille. Elle en sortira et suivra un poète mexicain dans son pays.

Avec Peggy, Max retrouve à New York les surréalistes en exil. Il avait fait expédier à New York ses trois dernières grandes toiles. Il expérimente encore: “jour et nuit” le titre renvoie au morceau de jazz de Cole Porter “Day and Night”, l’image est faite de fragments composites dans lesquels le paysage s’éclaire, comme lors de la restauration des œuvres du passé.

En 1942, il a l’idée d’accrocher à une ficelle une boîte de conserve percée d’un trou contenant de la peinture et de l’agiter au-dessus de sa toile: il a inventé le dripping (l’égouttage en anglais) dont le nom sera associé sept ans plus tard à Jackson Pollock.
La planète affolée rassemble deux procédés : dripping et décalcomanie.
Jeune homme intrigué par le vol d’une mouche non euclidienne, le jeune homme a la tête de Loplop.


Max Ernst – Surréalisme et la peinture 1942 huile sur toile 195 x 233 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Surréalisme et la peinture (1940). L’artiste se nourrit de ses tripes.
Dans la grande toile intitulée Le surréalisme et la peinture, Loplop est occupé à deux choses en même temps. Il est penché sur lui-même ou sur sa progéniture ses enfants (qui se nourrissent de lui comme le pélican) et de l’autre côté, il tient délicatement avec une aile-tentacule un pinceau fin avec lequel il dessine à l’aveuglette un tracé automatique relevant du dripping.

En 1943 Max Ernst fait un séjour en Arizona où il découvre la civilisation des Indiens Hopi et il fait la connaissance de Dorothea Tanning, peintre et écrivaine. Il se sépare de Peggy, divorce en 1943, et s’installe avec Dorothea à Sedona en Arizona, dans une maison qu’il construit lui-même.
Voir :
Chess photographie de Bob Towers, 1948.

Il se consacre entre autres à la sculpture, à laquelle l’initié Giacometti. Il réalise des sculptures d’assemblage à partir d’objets quotidiens plâtrés.


Max Ernst Capricorne 1948 Bronze 245 x 207 x 157 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ainsi Capricorne est un ensemble composé d’un Minotaure-fauteuil muni d’un sceptre, tenant sur ses genoux un enfant et un chien. A ses côtés une femme à queue de poisson. Beaucoup d’autres figures amusantes qui seront ensuite coulées en bronze.


Max Ernst le roi jouant avec la reine 1944 Bronze, 103 x 53,8 x 88 cm, Centre Pompidou, Paris
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

La sculpture en bronze intitulée Le Roi jouant avec la reine (1944) offre aux pièces des rôles réinventés. La reine, habituellement la pièce la plus forte, est représentée plus petite que le roi, figure dominante mais aussi protectrice, dotée d’un buste et d’une tête carrée portant deux cornes.

Un ami empressé bronze.


Max Ernst frise Hopi 1951 Bronze
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il orne la maison de frises évoquant les danses masquées des Indiens Hopi.


Max Ernst la tentation de saint Antoine 1945 huile sur toile, 108 x 125 cm, Musée Wilhelm Lehmbruck, Duisburg
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Une étonnante tentation de Saint-Antoine, qui réinterprète celle de Mathias Grünewald dans le retable d’Issenheim.
Voir un commentaire.

En peinture encore un chef-d’œuvre l’œil du silence 1944-45 une huile sur toile procédant de la décalcomanie.


Max Ernst l’œil du silence 1944-45 huile sur toile, 143 x 110 cm, Musée d’art de Mildred Lane Quimper USA
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ce tableau est la représentation d’un monde étrange ; l’atmosphère est macabre. Le spectateur a l’impression d’un paysage constitué de matières diverses, un assemblage d’éléments minéraux et organiques. Le personnage, une femme, en bas à droite, a une position alanguie et un air pensif, triste. On dirait une sirène. On sent la présence d’une autre créature, qui nous observe : on peut discerner des yeux et des tentacules. Le peintre a su créer par sa peinture un univers surréaliste : est-ce une autre planète ? une autre dimension ? un rêve ou un cauchemar ?
Voir un commentaire.


Max Ernst Euclide 1945 huile sur toile 65 x 57 cm Menil Collection, Houston
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Et dans un style bien différent Euclide 1945 ou Loplop déguisé en femme. Opposition entre l’espace géométrique du fond et le monde organique en bas, avec entre autres des poissons… Et la version en anamorphose qu’il intitule le buveur de cocktail 1945, qui montre la version déformée du même personnage.

En 1948, Max Ernst obtient la nationalité américaine, mais en 1953 il revient s’installer en France avec Dorothea. En 1951 une rétrospective de son travail à Brühl dans sa ville natale n’a été appréciée que des connaisseurs, mais boudée par le public. Par contre en 1954, il reçoit le grand prix de la Biennale de Venise, et c’est la reconnaissance officielle qui lui manquait.

En 1955 il s’installe avec sa femme près de Chinon en Touraine à Huismes.


Maison de Max Ernst et Dorothea Tanning à Huismes

En 1958 il reçoit la nationalité française.


Max Ernst le jardin de la France 1962 huile sur toile 114 x 168 cm Centre Pompidou Paris
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il y peindra en 1962 “le jardin de la France” dans lequel il loge un corps féminin entre la Loire et l’Indre qu’il fait couler en sens inverse cachant dans les couches de terrain des têtes d’oiseaux. Il peint cette toile après avoir reproduit la Vénus d’Alexandre Cabanel puis en la recouvrant partiellement avec cette évocation de paysage.
Voir un commentaire.

En 1959 se tient une grande rétrospective de son œuvre au musée d’art moderne. En 1965 le couple s’installe dans le sud à Seillans dans le Var.


Max Ernst à l’hôtel de Caumont

Et lorsqu’on 1968 l’exploration de la Lune est d’actualité (premier vol habité autour de la lune), Max Ernst produit toute une série de paysages stratifiés dans lesquels un astre est l’élément dominant. Il continue là à explorer les procédés d’empreinte, de frottage, de grattage, de décalcomanie et de dripping qui ont contribué à enrichir les possibles pour des générations de peintres après lui.


Max Ernst rien de va plus 1973 huile sur toile 114 x 168 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
To morrow 1957 huile et grattage sur toile peinture 35,8 x 28 cm
Naissance d’une galaxie 1969 Huile sur toile 92.0 x 73.0 cm x 2 cm Fondation Beyeler, Bâle.

Il s’est éteint à Paris en 1976 peu avant son 85e anniversaire. Dorothea est repartie à New York et a vécu jusqu’en 2017. Georges Bataille qualifiait Max Ernst de « philosophe qui joue« . Nous avons vu en effet que c’était à la fois un cérébral capable de puiser dans quantité de références culturelles et un esprit facétieux, joueur, avant tout un esprit libre.


Max Ernst et la fable du monde

Voir d’autres oeuvres de Max Ernst