Max Ernst contre la barbarie du monde


Max Ernst au premier mot limpide 1923 huile sur toile
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Le tableau “au premier mot limpide” (titre emprunté un vers d’Eluard) a été décollé et entoilé, mais c’était l’une de ses fresques murales (232 x 167 cm) dans une pièce inspirée des fresques de Pompéi. Là encore, une main passant par une fenêtre croise étrangement les doigts, comme une femme croise les jambes, pour tenir une boule rouge accrochée à une fine cordelette. Une sauterelle grimpe à gauche : elle est suspendue au fil qui entre deux clous forme un M (Max). Si les doigts lâchaient la boule, la sauterelle tomberait.
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Peinture sur une porte à Eaubonne.


Max Ernst deux enfants sont menacés par un rossignol 1924 huile sur bois collage divers 69.9 × 57.2 × 11.4 cm MoMA New York
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En 1924 “deux enfants sont menacés par un rossignol” titre inscrit à l’intérieur du cadre, est un tableau-assemblage avec des éléments en bois. Il s’agit là aussi de la transcription d’un rêve. L’attitude des enfants n’est pas explicable par la présence du rossignol. Voir un détail.
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Les surréalistes se réunissaient régulièrement autour d’André Breton afin de libérer leur inconscient en racontant leurs rêves.


Max Ernst Piéta, ou la révolution de la nuit 1924 huile sur toile 116 x 89 cm Tate Londres
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Ainsi le père de Max apparaît dans Pietà ou “la révolution de la nuit” dans le rôle de la Vierge tenant dans ses bras son fils. La figure à la tête bandée à droite pourrait être Freud ou Apollinaire.


Max Ernst femme vieil homme et fleur 1924 huile sur toile 130 x 96 cm MoMA New York
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Et c’est le père encore qui est présent dans “femme vieil homme et fleur” avec un visage simiesque et des mains démesurées. Son corps creux enferme une silhouette féminine allongée. A droite au premier plan, une grande forme de femme mi-transparente aux fesses nues portant sur la tête un éventail ouvert.

Jusqu’ici Max Ernst s’est en quelque sorte inscrit dans le programme surréaliste. A partir de 1925, d’autres horizons s’ouvrent à lui. Le 10 août, en vacances en Bretagne dans une auberge un soir de pluie, il a eu l’idée de poser des feuilles de papier sur les lattes du vieux plancher éraflé et de les frotter au crayon. Il avait inventé le frottage. Aussitôt conscient des possibilités visuelles offertes par ce procédé, il a poursuivi l’expérience avec des feuilles nervurées, des lambeaux de lin etc. Entre contrôle et non contrôle. L’ensemble de ses travaux obtenus par frottage a été publié dans un recueil intitulé “Histoire naturelle”.


Max Ernst frottage

Comment transposer en peinture les effets du frottage ? En procédant par grattage par exemple comme pour “les mains aux oiseaux” 1925.


Max Ernst la Vierge corrigeant l’Enfant-Jésus devant trois témoins : Breton Éluard et Ernst 1926 huile sur toile 196 × 130 cm Museum Ludwig Cologne
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En 1926, Max peint une toile qui a choqué l’Eglise “la Vierge corrigeant l’Enfant-Jésus devant trois témoins : Breton, Éluard et Ernst”. Sa Vierge a des proportions d’une vierge maniériste et la violence de cette fessée fait tomber l’auréole de la tête de l’enfant. Peut-être connaissait il cette gravure du 18e siècle qui montre l’amour châtié par sa mère (Vénus).
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Max Ernst le chaste Joseph 1928 huile sur toile 162 x 130 cm collection particulière
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De même, le chaste Joseph en 1928 montre Joseph et Marie avec des têtes d’oiseaux, devant une silhouette aux ailes déployées qui pourrait être le Saint-Esprit.

En 1927 Max Ernst, dont le divorce avec Luise Straus a été prononcé en 1925, épouse Marie Berthe Aurenche sœur du cinéaste Jean Aurenche.

Plusieurs toiles de 1927 évoquent le couple et l’amour en empruntant leur mise en scène à l’iconographie chrétienne.


Max Ernst le baiser 1927 Huile sur Toile 129 x 161,2 cm Musée Peggy Guggenheim Venise
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Par exemple “le baiser” montre un enchevêtrement de silhouettes prises dans un réseau de ligne sinueuses. Max Ernst a jeté sur sa toile des ficelles, qui ont dessiné ces lignes de façon aléatoire. Il a ensuite construit sa peinture en pensant à la Sainte Anne de Léonard de Vinci (dans laquelle les corps de Sainte-Anne et de Marie sont imbriqués l’un dans l’autre). Cette œuvre avait fait l’objet d’une étude de Sigmund Freud en 1910, « un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci« , qui voyait un oiseau, un Milan ou un vautour, dans la forme bleue du drapé. Dans la peinture de Max Ernst, l’oiseau bleu est bien présent.
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De la même année datent plusieurs toiles intitulées monument aux oiseaux qui toutes associent des corps d’oiseaux à des fragments de corps féminin. Celles présentées à l’hôtel de Caumont évoquent clairement une assomption.


Max Ernst Monument aux oiseaux, 1927, huile sur toile 81 x 65 cm
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Voir également :
Monument aux oiseaux, 1927, huile sur toile, 162 x 130 cm, Musée Cantini, Marseille.
Monument aux oiseaux, 1927, huile sur toile, 146 × 97 cm.

Parallèlement, Max Ernst peint une grande série de forêts, devenue très célèbre. Un mur vertical de bois, d’arbres, un astre dans le ciel, et un ou des oiseaux nichés dans la forêt.


Max Ernst forêt grise 1926 huile sur toile
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Max Ernst La Forêt, 1927-28, huile sur toile, 96.3 x 129.5 cm, Musée Guggenheim Venise
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Ces tableaux à l’huile sont réalisés par grattage : il pose plusieurs couches de peinture, dont les dernières sont grattées et raclées pour révéler les couches du dessous. Ces forêts renvoient à la tradition littéraire et artistique allemande, et notamment au peintre romantique Caspar David Friedrich qui déjà faisait l’éloge d’une vision intérieure : “ferme l’œil de ton corps afin de voir avant toute chose ta propre image par l’œil de l’Esprit”. L’une d’elle porte un titre surprenant : vision provoquée par l’aspect nocturne de la porte Saint-Denis”.


Max Ernst, Forêt et soleil (Paysage de nuit), 1928

Et parallèlement, parfois, les arbres se tordent et deviennent des hordes menaçantes en prenant des formes anthropomorphes.


Max Ernst la horde, 1927, huile sur toile 127.5 x 158.5 cm Stedlijk Museum Amsterdam
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Pour certains, on voit clairement que l’artiste a utilisé le procédé des ficelles jetées sur la toile. Là aussi, certains sous-titres sont surprenants « jeunes gens qui piétinent leur mère » 1927.

Sur une photo de l’époque, Marx et Marie Berthe et en dessous Lee Miller et Man Ray.

En 1929, Max Ernst réalise un premier roman collage intitulé “La femme 100 têtes” : c’est un livre de collages publié en 1 000 exemplaires. En neuf chapitres, 147 collages réalisés à partir de gravures sur bois et issus d’encyclopédies, de revues scientifiques et populaires du 19e siècle.


Max Ernst la femme 100 têtes, l’immaculée conception manquée 1929, gravure sur bois
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C’est un univers onirique, amusant et anticlérical : “l’Immaculée Conception”, “un homme complet”. Parfois une référence artistique ici à Seurat (“les hivernants de la Grande Jatte”) ou une allusion et la guerre (“les fantômes de la repopulation”). En 1930 Max Ernst joue un petit rôle dans le film de Buñuel l’âge d’or.

Dans ce roman, était apparu pour la première fois un étrange volatil que Max Ernst appelle Loplop.

Loplop la porte ouverte

Loplop devient l’alter ego de l’artiste, qui en fait le personnage de plusieurs peintures où il est une sorte d’impresario présentant un tableau dans le tableau. “Loplop présente Loplop”, “Loplop présente une jeune fille”.
Werner Spies, grand historien d’art spécialiste de Max Ernst lui a consacré un ouvrage.


Max Ernst Loplop présente Loplop, 1930 huile et divers matériaux sur bois, 100 x 180 cm Menil Collection, Houston
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En 1934 publication d’un nouveau roman collage intitulé une semaine de bonté. Cette fois, les femmes sont souvent dans des situations difficiles. Max Ernst empreinte aussi bien à Sade qu’à Gustave Doré ou même à Fantômas.


Une Semaine de Bonté Max Ernst

Voir d’autres gravures d’une semaine de bonté.

En 1935-1936 la menace fasciste pèse sur l’Europe. Les œuvres de Max Ernst traduisent cette inquiétude.


Max Ernst La ville entière, 1935-36 Huile sur toile, 50 x 61 cm, 1934, Tate modern, Londres
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La ville entière, est un paysage urbain pétrifié dans lequel la nature reprend ses droits (en deux versions). Les éléments de la ville sont déformés et combinés de manière fantastique, créant une atmosphère étrange et énigmatique.


Max Ernst La joie de vivre, 1936-37 Huile sur toile, 73.50 x 93.00 cm Munich, Pinakothek der Modern
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La joie de vivre”, n’a rien de joyeux. Une végétation tropicale paradisiaque, gorgée de fruits mais en état de putréfaction, avec une Ève verdâtre et sans force la tête posée sur celle d’un homme.


Max Ernst les barbares, marchant vers l’ouest 1937 Huile sur papier 24 x 33 cm collection particulière
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En 1937 “les barbares, barbares marchant vers l’ouest”, Loplop surveille leur progressions et ne peut réagir.


Max Ernst l’ange du foyer 1937 Huile sur toile 114 × 146 cm
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et les deux versions célèbres de “l’ange du foyer”, un titre bien ironique pour désigner cette bête immonde et menaçante qui bondit poursuivie par Loplop impuissant.
On a dit que les bras et les jambes des monstres à tête d’oiseau formaient une croix gammée.
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En 1937 Max a rencontré lors d’une exposition surréaliste à Londres Léonora Carrington. C’est un coup de foudre ! Elle a 19 ans et lui 45. Léonora est la fille d’un riche industriel du textile, et elle a fait son entrée dans le grand monde comme débutante au palais de Buckingham. Elle est peintre, Max est célèbre … et marié. Elle va le suivre, contre l’avis de ses parents. Marie Berthe Aurenche les harcèle et menace de se suicider. Max et Léonora quittent Paris pour Saint-Martin d’Ardèche, dans une vieille bâtisse qu’ils rénovent et que Max décor des grandes figures de ciment, reconstituant l’univers de Licornes et de sirènes qui est celui de Léonora. Ils sont bien acceptés par les villageois, ils reçoivent leurs amis artistes et galeristes. Max peint “Leonora dans la lumière du matin”.