La danse de l’ère industrielle à nos jours

Le XIXe siècle, marqué par la révolution industrielle, oppose la rigueur académique à la dynamique moderne qui phagocyte le rythme naturel de l’homme en lui imposant une cadence infernale.

Intervenante : Viviane Cirillo

Nous allons examiner l’évolution de la danse en lien avec l’évolution de la société sur les plans économique, sociologique, culturel et politique.

1 – Révolution industrielle Romantisme anticapitaliste

À partir de l’ère industrielle au milieu du 19e siècle un mouvement romantisme anti-capitaliste va se développer, et il va avoir une influence essentielle sur l’évolution de la danse et de la chorégraphie.
Bien plus qu’un mouvement littéraire du XIXe siècle, le romantisme est une vision du monde, une protestation culturelle contre la civilisation capitaliste et une critique radicale des dégâts infligés par l’industrialisation.

À cette époque, l’avènement des chemins de fer va raccourcir l’espace et accélérer le temps.


Claude Monet Arrivée d’un train gare St Lazare 1877 huile sur toile 82 x 101 cm Harvard Art Museums
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Dans le même temps le développement de l’industrie, qui produit une augmentation des biens disponibles, développe également une autre manière de concevoir le geste avec le fordisme et le taylorisme. On est dans le découpage du geste qui va créer ce qu’on appelle une « cadence infernale ». On n’écoute plus le corps dans son propre rythme de respiration. On s’aperçoit alors que la société est en mutation.
Le rythme naturel était le symbole du monde originel, la relation entre le corps et l’esprit ne peut être respectée que si le rythme naturel est respecté.
Certains philosophes et penseurs (Nietzsche, Bergson, Klages) envisagent une représentation du monde qui permettrait éventuellement de prendre en compte cette cadence infernale morbide, et de faire rentrer le corps dans une espèce de régénération.
Pour retrouver cette harmonie du corps, on va retrouver un modèle qui oppose l’ordre, la mesure, la maîtrise de soi, qui était en vigueur à l’époque (vision de la Grèce apollinienne Néoclassique) et un retour à l’Antiquité sauvage (l’expérience dionysiaque) avec une mise en réseau sensoriel des cinq sens, qui va donner naissance à un sixième sens, le sens de l’intuition.

Face à la décadence de l’homme moderne, on va se demander quelle est la place de l’homme dans l’univers. L’univers n’est plus géo centré, il se compose du cosmos et de l’ensemble des planètes et des galaxies. C’est un monde sans Dieu et sans maître. Démocrite dans l’Antiquité grecque avait déjà envisagé ce type d’univers matérialiste, pour lui, la nature est composée de vide et d’atomes, particules matérielles indivisibles, éternelles et invariables.

Au XIXéme et au début du XXéme siècle, les connaissances humaines vont faire des avancées considérables dans la découverte de la nature, notamment à travers :
La gravitation universelle
La relativité générale
L’électromagnétisme
La mécanique quantique
Ceci conduit à envisager d’une une autre manière la relation spatio-temporelle. Ces lois sont là pour créer de l’harmonie dans l’univers. Il y a un principe créateur de ces forces de la nature. C’est ce qui crée le rythme et l’unité primordiale (cycle des saisons, cycle des repas, cycle du sommeil etc.). Ce principe, si on en tient compte, permet de garder un équilibre et une harmonie des corps. Mais avec la révolution industrielle on s’aperçoit que cette harmonie est mise à mal.
Ludwig Klages, va privilégier l’unité du rythme avec cette prise en compte de soi. De nouveaux mouvements vont apparaître comme le yoga, des méthodes psychosomatiques, pour raccorder le corps à l’esprit et pour réenchanter le monde, en réponse aux cadences infernales morbides dictées par la révolution industrielle.

On redécouvre une harmonie entre l’homme et l’univers à travers notamment la manière différente d’envisager la danse.

On retrouve ce courant dans plusieurs pays notamment en Allemagne avec :

Nietzsche qui va écrire ainsi parlait Zarathoustra. Zarathoustra le héros du livre est un danseur, qui incarne l’homme nouveau et qui va pratiquer la triade : poésie – danse – musique, dans un rééquilibrage dans le monde. Le danseur n’est pas là pour apprendre la danse, comme la danse classique à l’époque, mais être dans une harmonie des corps avec sa respiration personnelle. On est dans un monde nouveau qui prend en compte le soi, le soi par rapport au monde, et le soi par rapport aux autres (au service des autres). Pour Nietzsche, l’art n’est pas l’imitation de la nature, mais un complément métaphysique qui rend possible la transcendance de la nature elle-même. L’art est l’activité métaphysique fondamentale de l’homme, l’art est la forme suprême de l’activité humaine. «Le monde est une œuvre d’art qui donne naissance à lui-même.

Les peintres, avant les danseurs donnent corps au rêve nietzschéen notamment à travers les impressionnistes.

Charly Chaplin montre de manière magistrale l’aliénation au monde industriel.


De Charlot à Chaplin – Les Temps Modernes

2 – Etat des lieux : la danse début XXe siècle

Le romantisme, apparu à la fin du XVIIIe siècle en Allemagne (Gœthe et Schiller) et en Grande-Bretagne (Walter Scott et Lord Byron), se répand dans toute l’Europe au début du XIXe siècle et touche la France sous la Restauration, avec des auteurs comme Madame de Staël, Châteaubriand ou Lamartine. En musique, Beethoven est l’un de ses pionniers.

La danse du début du XXéme siècle est surtout représentée par le ballet classique, une forme de danse qui a vu le jour en France au XVIIe siècle. Il se caractérise par une technique rigoureuse et des mouvements précis, exécutés en musique. La danse classique se pratique à partir de positions et de mouvements de base, comme les pliés, demi-pliés et la révérence.
Il est symbolisé par Gisèlle.


Giselle à l’opéra de Paris

Le ballet romantique apparaît au début du XIXème siècle (période romantique), il abandonne progressivement les mythes de la Grèce antique pour se tourner vers la mythologie nordique peuplée d’elfes, d’ondines, de trolls. C’est le règne de la danseuse pâle et éthérée, incarnant la nostalgie et le spleen, habillée de mousselines vaporeuses et couronnée de fleurs des champs.

Marius Petipa, chorégraphe et pédagogue français, qui a passé la plus grande partie de sa vie en Russie, est considéré comme le représentant du Ballet Académique.
Sa conception et ses innovations, donnent les caractéristiques du Ballet académique :
– Le ballet organisé autour des étoiles féminines.
– Les œuvres plus faciles et plus fastueuses que dans le ballet romantique. Grandes dimensions (3 ou 4 actes), mises en scènes imposantes, grand nombre d’interprètes.
– Petipa intègre dans ses ballets des épisodes hors sujets, leur donnant un côté « revue à grand spectacle ».
– Variété des danses : pantomime, danse pure, danse de caractère.
– La dynamique du ballet est réglée très précisément avec un savant dosage entre variations des étoiles, pas de deux, ensembles, et corps de ballet qui a une grande présence…. Les pas sont poussés à l’extrémité de leur beauté. Les chorégraphies ont plusieurs niveaux de lecture (la «symphonisation» selon Petipa)
– Danse expressive (héritage romantique français) et virtuose (héritage italien). Importance du tutu et des pointes. .
– Ballet en action mais avec sujets féériques ou fantastiques qui sont de simples prétexte à de la belle danse.

Parmi ses créations, on peut citer le lac des cygnes :


Le lac des cygnes

Voir l’histoire de la danse classique.
A la fin du XIXème siècle on note une désaffection pour ce type de danse, due à l’évolution des styles artistiques : Le début du XXe siècle a été marqué par un bouleversement des courants artistiques et culturels. Les artistes cherchaient à se libérer des traditions établies et à explorer de nouvelles formes d’expression. Cela a conduit à l’émergence de mouvements artistiques tels que le modernisme, le cubisme et le surréalisme, qui étaient en rupture avec les anciennes conventions.

En danse, en réaction aux codes académiques, on assiste au rejet des carcans, (corset, chaussons pointes, tutu, gestes codifiés, narration naïves, histoires, légendes, danseur et danseuse étoiles, corps de ballet – tout le monde est pareil, le corps sujet est évacué – nous avons un corps objectif).

On rejoint l’approche phénoménologique de Husserl qui apparaît comme une tentative pour dépasser les limites de l’approche scientifique traditionnelle des processus vitaux et psychiques. Il les intègre dans une approche globale fondée sur la primauté de la conscience, dans la constitution des phénomènes vécus. La conscience du soi, va devenir un des principes essentiels de la danse moderne. Pour rendre le corps intelligible dans une logique de sens.

Deux grandes danseuses, Loïe Fuller et Isadora Duncan, qui toutes deux sont américaines, et qui n’ont pas vécu la danse classique, pratiquent une danse plus naturelle qui va bouleverser les pratiques.

Loïe Fuller au départ dansait dans des cabarets de manière un peu improvisée, elle utilise des « effets spéciaux » (bâtons, voiles, lumière) afin de rendre sa danse plus spectaculaire.


Loïe Fuller dans La danse Serpentine (rejoué avec une autre artiste)

Isadora Ducan va s’inspirer de l’ouvrage de Nietzche « Ainsi parlait Zarathoustra« . Elle dira : « Nietzche est mon maître de ballet« . La matière est en harmonie avec le cosmos. Elle ne va pas représenter l’arbre, le feu, l’eau, la terre elle va être l’arbre, l’eau, le feu, la terre dans ses chorégraphies.
C’est la première qui va danser en solo sur scène, elle danse pieds nus, voire totalement nue, et à l’extérieur. Elle est également l’une des premières à s’affranchir de la musique et à trouver sa propre musicalité.


Isadora Duncan, danser la liberté

3 – Les Ballets Russes en France une modernité avortée

Les Ballets russes sont une célèbre compagnie d’opéra et de ballets créée en 1907 par Serge de Diaghilev, avec les meilleurs éléments du théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg.
Approche très moderniste pour l’époque, avec Nijinski, le danseur étoile qui se détourne de l’approche classique. Il s’intéresse également à l’antiquité grecque dionysiaque, (petits sauts, danse « en dedans ») pour essayer de retrouver l’organicité du mouvement et être en harmonie avec la nature.


Nijinski, trop haut, trop tôt, trop vite

Nijinski, fait un emprunt aux oeuvres du passé, car il va s’exprimer à travers des oeuvres antiques, mais il va également être influencé par d’autres chorographies car au théâtre Mariinsky il va voir des danseuses cambodgiennes, et Isadora Duncan. Ces nouvelles danses l’interrogent et lorsqu’il va renter dans les ballets russes, il va rencontre Rodin, qui est lui aussi dans cette idée de retour aux sources. Il séjourne une semaine chez Rodin et va ensuite créer « l’après midi d’un faune », en 1912, qui a créé un scandale à l’époque. En 1913, « Le Sacre du printemps », chorégraphié par le même Nijinski, provoquera un scandale encore plus grand.


Nijinsky 1912-L’Après-midi d’un Faune

Rodin dira : « Nous n’aimons tant Loïe Fuller, Isadora Duncan et Nijinski que parce qu’ils ont recouvré la liberté de l’instinct et retrouvé le sens d’une tradition fondée sur le respect de la nature. »
Rodin va également côtoyer dans son hôtel de Biron outre des danseurs, des plasticiens (Matisse), des écrivains (Cocteau),
Il sera dans ses dessins et ses sculpture, dans une recherche du mouvement la plus épurée possible et privilégie le rythme et le mouvement du corps sans se soucier des détails.


Isadora Duncan dessinée par Rodin
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Rodin était un maître de la sculpture expressive, capturant souvent les mouvements et les émotions avec une grande sensibilité.