Hans Hartung et Anna-Eva Bergman

Allemand, il avait choisi la nationalité française, elle était franco-norvégienne, ils ont partagé une vie tumultueuse faite de rencontres et de séparations.
Leurs œuvres ne se ressemblent pas mais se complètent.
Par-delà le simple qualificatif de «peinture gestuelle», la pratique de Hartung est faite de constantes innovations, indifférente aux modes. Celle de Bergman, silencieuse et méditative, garde le souvenir des lumières du nord de son pays natal.
Une grande exposition a été consacrée à Hans Hartung au Musée d’Art Moderne en 2019, et au printemps 2023 ce même musée exposera Anna-Eva Bergman.
La Fondation Hartung-Bergman près d’Antibes permet aujourd’hui de les voir réunis dans la maison atelier qu’ils ont occupée pendant seize ans.

Intervenante : Agnès Ghenassia

Hans Hartung (1904, Leipzig – 1989, Antibes), comme son nom ne l’indique pas, est un artiste français dont l’œuvre prolifique retient l’attention par sa variété, au-delà du simple qualificatif de « peinture gestuelle ». Cet artiste est né en Allemagne en 1904, et il avait choisi la France dès 1935. Sa vie a été tumultueuse, et pendant des années douloureuse, ce qui rend particulièrement admirable son acharnement au travail et sa posture de recherche permanente.
Parce que son œuvre est liée à l’histoire du 20e siècle, c’est de façon chronologique que je vais en montrer l’évolution et les temps forts, ainsi que l’évolution et les temps forts de celle qui a partagé une grande partie de sa vie Anna Eva Bergman.

Hartung est né à Leipzig en 1904, dans une famille de médecins cultivés, il a grandi imprégné de peinture et de musique, son père est muté en 1915 à l’hôpital militaire de Dresde, et c’est là qu’il passe ses années de jeunesse. Très tôt, à l’âge de 10 ans, il est fasciné par l’observation du ciel, et en particulier par les orages. Sur des cahiers d’écoliers, il cherche à saisir dans l’urgence, “à la vitesse de l’éclair”, les zigzags des éclairs dans le ciel avant l’arrivée du tonnerre. Ils m’ont donné dit-il “le sens de la vitesse du trait”. Son père appelait ces cahiers des “Blitzbücher” (livres des éclairs). Adolescent, il se bricole un télescope avec un appareil photo rudimentaire pour photographier la lune.
Il dessine avec aisance


Hans Hartung, autoportrait 1920 Sanguine sur papier, 35,40 X 27,80 cm
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Autoportrait à la sanguine, 1920, il a 16 ans.

Il réalise des aquarelles sur motif 1921,


Hans Hartung, paysage 1921 aquarelle sur papier 24 X 17 cm
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Voir également :
D’autres aquarelles de cette période

des fusains (forêt)


Hans Hartung, sans titre 1921 Fusain sur papier, 35 X 24.80 cm
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Voir également :
D’autres Craie noire, crayon, pastel en 1921

Il admire Rembrandt, et il réalise un apôtre d’après Rembrandt 1922


Hans Hartung, un apôtre d’après Rembrandt 1922 Fusain sur papier 42.80 X 32.20 cm
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Mais aussi Goya dont il reprend de façon très synthétique le Très de Mayo.


Hans Hartung, D’après le 3 mai de Goya I, 1921 Huile sur carton, 24.50 X 33.50 cm
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… qu’il retravaille peu après à l’encre noire sur papier (13 x 17 cm) de façon extrêmement dynamique.
Voir également :
D’après le 3 mai de Goya III, 1921 Huile sur carton, 23 X 33.50 cm. Geste du condamné, dessin très dynamique.


Hans Hartung, autoportrait 1922 huile sur carton 60,5 x 40,5 cm
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L’autoportrait de 1922 (60 x 40 cm), est une huile sur carton (il a 18 ans) et s’accompagne d’autres autoportraits plus gestuels, où il essaye de saisir son visage de façon ultra rapide à la sanguine, à l’aquarelle, à l’encre, sur les cahiers d’écolier. Un camarade de classe.

A l’encre aussi, une série sur l’autel de l’église royale de Dresde (28 x 18 cm),


Hans Hartung, l’autel de l’église royale de Dresde II, 1922 Encre sur papier, 27.90 X 18.40 cm
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Voir également :
L’Autel de l’église royale de Dresde I, 1922 encre sur papier, 28 X 18.50 cm
La Cène d’après Rembrandt Encre sur papier,


Hans Hartung, Une femme assise, 1922 Encre sur papier, 15.60 X 9.80 cm
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Une femme donnant à manger aux poules,


Hans Hartung, Femme triste, 1922 Encre sur papier, 15.50 X 9.80 cm
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Élisabeth jouant du violon (c’est sa sœur).
Voir d’autres encres sur papier de l’année 1922.


Hans Hartung, Le peintre vu de dos dans un paysage, 1922 Aquarelle sur papier, 17.50 X 25 cm
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En peinture, le peintre vu de dos dans un paysage, les taches colorées sont griffées de lignes crayonnées … et de très nombreuses taches de couleurs. Se sont de petites compositions abstraites qui rappellent un peu les improvisations psychiques de Kandinsky 8 ans avant (mais il ne les connait pas).
Voir d’autres oeuvres de l’année 1922.


Hans Hartung, Autoportrait, 1923 Aquarelle sur papier, 17.50 X 25 cm
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L’année suivante, il réalise de nouveaux autoportraits en peinture et au fusain, et des peintures de petit format exécutées à partir de peintres qui l’intéressent somme : Kokoschka, Franz Hals, et Emil Nolde.


Hans Hartung, Vache, 1923 Aquarelle sur papier, 29.50 X 22.70 cm
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Une vache à l’aquarelle, et des portraits de proches au fusain, au la sanguine, et à la craie noire sur papier, des gestes abstraits, rapides, dynamiques.
Voir d’autres oeuvres de l’année 1923

En 1924, il intègre l’Académie des Beaux-Arts de Leipzig : “Mon père m’avait fortement recommandé d’aller faire des études sérieuses, parce qu’il voyait mes taches, alors je suis allé en même temps à l’université pour l’histoire de l’art, et la philosophie, et aux Beaux-Arts. Un jour, on annonce une conférence d’un certain Monsieur Kandinsky à l’université de Leipzig. Un très respectable professeur était là, devant son pupitre avec un verre d’eau, et sur un grand écran, il nous montre ses tableaux et nous explique tout. Et alors d’un côté, je me disais tiens tiens tiens je ne suis pas le seul à faire des taches. Il y a des gens sérieux qui le font, c’était un certain réconfort, et d’un autre côté c’était une certaine déception parce que je me croyais être le seul« .

Au cours de cette année 1924, sa mère est décédée et sur son journal il note Mutti ! Mutti ! Mutti !
Voir d’autres oeuvres de l’année 1924.

L’année suivante il rentre à Dresde et s’inscrit à l’école des Beaux-Arts. Kandinsky leur avait parlé du Bauhaus et de l’enseignement qui y était dispensé, mais Hartung dit ne pas avoir été tenté de théoriser l’abstraction. A Dresde, il découvre à l’occasion de l’Exposition internationale, la peinture française, le fauvisme, le cubisme. Il fait des essais dans cet esprit : femme assise 1925.


Hans Hartung, Femme assise, 1925 Huile sur panneau de bois, 36 X 27.50 cm
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Pendant l’été, il voyage à bicyclette en Italie, et en France, et à l’automne, s’inscrit à Paris à l’académie André Lothe, où il va rester 2 ans. À côté des exercices d’études, il continue à pratiquer très librement l’encre noire. Lorsqu’on lui demandera plus tard, s’il a été influencé par la calligraphie orientale, il affirmera que non, que son goût pour l’écriture gestuelle lui est venu des lavis Rembrandt, voir femme endormie de Rembrandt détail.

Voir d’autres oeuvres de l’année 1925.

À l’été 1927, il séjourne sur la plage de Leucate près de Perpignan et il réalise des peintures à caractère cubiste et des paysages.


Hans Hartung, Sans titre, 1927 Encre sur papier, 5 X 6 cm
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Il essaye toute sortes de choses à partir de ce qu’il a étudié.
Voir d’autres oeuvres de l’année 1927.

En 1928 il s’inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de Munich, puis regagne Paris où il rencontre Anna-Eva Bergman, une artiste norvégienne. Ils passent l’été 1929 à Leucate et ils se marient à Dresde en septembre 1929.


Hans Hartung, Leucate 2, 1927 Huile sur panneau de bois, 38 X 46 cm
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Voir d’autres oeuvres de l’année 1928.

Anna Eva Bergman (1909 à Stockholm – 1987 à Grasse) est née à Stockholm en 1909 mais elle a pris la nationalité norvégienne suite au divorce de ses parents. Elle a été élevée par la branche maternelle de sa famille, en Norvège, « elle a grandi dans la peur » dit-elle. Elle est très douée pour le dessin, elle a fait des études aux Beaux-Arts d’Oslo, puis à la célèbre école des arts appliqués de Vienne. Là elle est tombée malade, elle a été longuement hospitalisée pour des problèmes de vésicule biliaire, elle aura toute sa vie des soucis de santé. Elle s’installe ensuite à Paris et s’inscrit également dans l’atelier d’André Lothe en 1929, c’est là qu’elle a rencontré Hans Hartung. Elle a 20 ans, lui 25. Il est timide mais il accepte une invitation à un bal scandinave. Elle parle couramment l’allemand et c’est un coup de foudre mutuel. Ils voyagent ensemble et leurs échanges artistiques sont fructueux, mais leurs problèmes d’argent sont nombreux car Hans ne vend rien. Elle gagne un peu leur vie comme illustratrice de presse, elle fait des caricatures en 1920-1930. 31 sont publiées dans des journaux viennois (voir d’autres caricatures).


Anna-Eva Bergman, Sans titre, 1929, encre de Chine sur papier, 32.4 x 25.1 cm et Kokkepiken, 1929, huile sur toile, 27.5 x 22 cm, Fondation Hartung-Bergman
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En savoir plus sur Anna Eva Bergman.

Ses dessins sont présentés en 1932 lors de sa première exposition personnelle à la galerie Heinrich Kühl à Dresde, puis en Norvège à la célèbre galerie Blomqvist d’Oslo, certains de ses dessins seront publiés dans des périodiques viennois.

En 1931, une galerie expose, son œuvre figurative et quelques pièces abstraites, et en 1932 le couple part en Norvège car tous les deux sont exposés à Oslo, dans une galerie.

En 1932 le père de Hartung meurt, et ce décès provoque chez Hans une grande angoisse, car il va se retrouver sans aide financière. Le couple retourne à Paris, où Hartung prend contact avec les galeristes Rosenberg et Kahnweiler, puis ils s’installent, sur les conseils de leurs amis, aux Baléares, sur l’île de Minorque, dans une maison atelier très sobre, qu’ils ont fait construire selon leurs plans grâce à l’aide financière de la famille d’Anna Eva.


Anna-Eva Bergman, rue 1934 huile sur toile, Fondation Hartung-Bergman
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Anna-Eva Bergman, El generalissimo, 1935, mine de plomb sur papier, 43.8 x 33.8 cm, Fondation Hartung-Bergman
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Là Hartung renonce à ses recherches cubistes pour retrouver une écriture très spontanée, instinctive. Voir un autoportrait photographique.