Hans Hartung et Anna-Eva Bergman

Mais à Minorque, la présence de ces deux étrangers dans cette drôle de maison, dérange, inquiète, suscite des rumeurs. On les soupçonne d’espionnage. La santé d’Anna Eva est fragile, elle attrape le typhus, ils souffrent de l’isolement et de nombreux problèmes d’argent.
C’est en grande partie par souci d’économie que Hartung met en place un système de report de ses esquisses sur toile (avec un agrandissement au carreau) qu’il va conserver jusqu’en 1959. Chaque peinture, apparemment spontanée, est la retranscription d’une ébauche au fusain ou à l’encre ou à l’aquarelle, une façon de se rassurer peut-être aussi, en associant une part de contrôle à ce qui relevait au départ d’une simple émotion. Ainsi T1934-2, huile sur toile 120 x 87 cm est précédé d’un dessin au crayon de 78 x 81 cm.


Hans Hartung, T1934-2 1934, huile sur toile 120 x 87 cm Fondation Hartung-Bergman
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En 1935 Hans Hartung connait une mauvaise passe. Anna-Eva a été hospitalisée à Berlin et il est interrogé et inquiété par la Gestapo, il s’installe donc seul à Paris, rue Daguerre, et il va rentrer en contact avec Kandinsky, Mondrian, Calder, Miró.
T1935-1 1935 huile sur toile 140 x 186 cm
T1936-2 1936 Huile sur toile, 142 X 186 cm


Hans Hartung, T1936-11, 1936 Huile sur toile, 97 X 146 cm Fondation Hartung-Bergman
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Un collectionneur américain lui achète une de ses toiles pour un musée de New York. Hartung expose à la Galerie Pierre. Anna Eva le rejoint un temps, puis elle part en convalescence avec sa mère à San Remo, d’où elle lui fait part de son désir de divorcer.

Voir d’autres oeuvres de l’année 1936.

Hartung rencontre le sculpteur Julio Gonzalez (celui qui avait appris à Picasso à souder le métal) et auprès de lui, il réalise l’unique sculpture de sa carrière, en fer 96 cm de haut qui est la matérialisation d’un graphisme, en volume, d’un geste dans l’espace.


Hans Hartung, Sculpture, 1938 Sculpture sur fer, 96 X 37 X 43 cm Fondation Hartung-Bergman
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Son divorce avec Anna Eva est prononcé en 1938, mais Hartung a le sentiment que sa carrière décolle, car il commence à être connu aux États-Unis. A Paris il expose au Salon des surindépendants. Mais les conditions de vie sont très dures ; désormais dans l’impossibilité de faire sortir de l’argent d’Allemagne, il en est réduit à dormir sur le canapé d’un ami, et de travailler dans l’atelier de Julio Gonzalez. Il expérimente différents supports :
T1938-19, 1938 Huile sur papier goudronné et sable marouflé sur toile, 78 X 100 cm
T1938-20, 1938 Huile sur papier goudronné et sable marouflé sur toile, 78 X 100 cm


Hans Hartung, Sans titre, 1938 Pastel, gouache et crayon sur carton, 59.50 X 80 cm
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Sans titre, 1938 Pastel et encre sur papier, 65 X 50 cm
Sans titre, 1938 Pastel sur papier de verre, 27.80 X 17.70 cm
Voir des oeuvres de Hans Hartung de 1938.

Julio Gonzalez a une fille Roberta, elle aussi peintre et sculptrice, et Hans va l’épouser en juillet 1939. Au cours de cet été, il va se faire recenser comme volontaire dans l’armée française.


Roberta González, Angoisse, 1936, huile sur toile, 81 x 57 cm, Fondation Hartung Bergman, Antibes
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Peinture de Roberta, réalisée en 1936 et intitulée angoisse.
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Le 3 septembre la guerre est déclarée, et le 4, des affiches placardées partout invitent les Allemands, considérés comme des ressortissants de puissance ennemie, à se rendre au stade de Colombes. Hartung il est retenu pendant 15 jours. Pour s’en extraire, il s’engage, en décembre dans la Légion étrangère. Il a dit : « J’aurais pu faire des compromis, créer des œuvres qui se seraient vendues, partir aux États-Unis, ou repartir en Allemagne et me soumettre au régime en place. J’ai choisi quel qu’en soit le prix de rester fidèle à mes convictions« .

En 1940 il est incorporé à Sidi Bel Abbès en Algérie dans une unité administrative du DCRE (Dépôt Commun des Résidents Etrangers). Là, il continue de peindre et de dessiner, en particulier des têtes dans le style de Picasso qui traduisent l’angoisse de l’époque.


Hans Hartung, Sans titre, 1939 Gouache et encre sur papier, 37.50 X 27.50 cm
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Voir d’autres oeuvres de l’année 1939.

Il est sans passeport depuis 1937, il dispose seulement d’un permis de séjour renouvelable.
Voir d’autres oeuvres de l’année 1941.

Son nom de légionnaire est Pierre Berton et son nom d’emprunt français sera Jean Gauthier.
Après la capitulation de la France, il se réfugie en zone libre, dans le Lot, auprès de son épouse Roberta et de ses beaux-parents.


Hans Hartung, Portrait de Julio Gonzales, 1941 Crayon sur papier, 31.60 X 23.90 cm
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Voir également :
Un autoportrait
Un portrait de Roberta


Hans Hartung, Sans titre, 1940 Huile et crayon sur papier, 31.50 X 21 cm Fondation Hartung-Bergman
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Là de 1941 à 1943 il fait des travaux agricoles pour survivre, et bien sûr il cesse de peindre. Julio Gonzalez meurt en 1942.

Voir d’autres oeuvres de l’année 1942.

En avril 1943 lorsque l’armée allemande envahit la zone libre, il prend la fuite en Espagne où est emprisonné pendant un mois et demi à Figueras sous le nom de Jean Gauthier, puis dans la prison franquiste de Gérone pendant un mois et enfin au camp de Miranda de Ebro. Après 6 mois de captivité, il est déplacé au Maroc. Il exprime alors son désir de combattre sous son véritable nom dans l’armée régulière française en Afrique du Nord. C’est ainsi qu’il est réintégré dans la Légion étrangère en tant qu’allemand engagé volontaire, et prend le nom de Pierre Berton.

Voir d’autres oeuvres de l’année 1943.

En 1944 il est envoyé en France pour le débarquement en Provence. Il débarque à Marseille le 1er octobre. mis novembre il faut reprendre Belfort aux Allemands, il participe aux combats comme brancardier, et là il reçoit un éclat d’obus. Le traitement approximatif qu’il reçoit au campement puis à l’hôpital de Dijon conduit à amputer sa jambe droite sous le genou. Mais peu après, une deuxième amputation au dessus du genou est nécessaire à l’hôpital Purpan à Toulouse.

En 1945, réformé, il reprend le travail à Paris dès la fin de l’année. Parallèlement, il cherche à retrouver une identité administrative en faisant changer son prénom Jean Hartung. Il obtiendra la nationalité française le 9 novembre 1946.
Le gouvernement le décore de la médaille militaire, de la croix de guerre et de la Légion d’honneur.

Il participe à de nombreuses expositions collectives en particulier chez Denise René. Ses toiles de 1945, 46, 47 sont toujours des agrandissements d’esquisses au crayon. Des lignes souvent rageuses, qui s’inscrivent sur des fonds colorés. Il gratte pour la première fois dans la peinture pour retrouver le blanc de la toile.


Hans Hartung, Sans titre, 1943 Gouache, pastel et crayon sur papier, 48.50 X 66.60 cm, Fondation Hartung-Bergman
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Sa première exposition personnelle se tient à Zurich, en 1946 sous le titre Jean Hartung suivi en 1947 d’une autre à Paris, galerie Lydia Conti. Le succès critique ne cesse de croître. Il fait la connaissance de Pierre Soulages il a 43 ans.

En 1947, Alain Resnais, alors étudiant à l’IDHEC, tourne un court-métrage sur Hartung dans son atelier d’Arcueil. Sans paroles 7 minutes 10. Ce sont les gestes et les outils qui sont filmés en gros plan (peinture gestuelle).


Hans Hartung (1904-1988) :in action 1947

Il est vrai que l’on parle beaucoup des peintres de l’abstraction gestuelle. Soulages en 1947, travaille avec du brou de noix, Gérard Schneider 1946, Suisse naturalisé français en 1948, Georges Mathieu qui peint avec des tubes de couleur directement pressés contre la toile, puis la peinture est écrasée avec les doigts et Wols né à Berlin, est français depuis 1949 (Alfred Otto Wolfgang Schulze). La concurrence est rude et Hartung constate avec amertume, qu’il est le seul à avoir été aussi meurtri par la guerre : “Je voulais bien jouer les héros mais non passer pour un imbécile”.

En 1948 un psychiatre allemand passionné d’art abstrait Ottomar Domnick (1907-1989) est venu à Paris en tant que commissaire d’une exposition, et il est fasciné par une toile d’Hartung et il se présente dans son atelier d’Arcueil. Il est fasciné aussi par l’homme, et lui donne une place de choix dans son exposition qui va bientôt circuler à Stuttgart, Munich, Düsseldorf, Hanovre, Hambourg, Francfort et Fribourg.
En 1949 il fait paraître la première monographie consacrée au peintre. Hartung lui semble exemplaire parce qu’il ne s’est pas compromis avec le nazisme et qu’il est resté à l’écart de tous les partis. Il insiste aussi sur la fonction cathartique à la fois individuelle et collective que la peinture assume après la guerre. Roberta Gonzalez déprime et elle va séjourner dans la clinique du docteur Domnick, qui posera également une nouvelle prothèse à Hans Hartung.


Hans Hartung, T1948-18, 1948 Huile sur toile, 97 x 146 cm Collection Domnick, Stuttgart
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Voir également :
P1950-10, 1950 Pastel sur papier, 48.5 x 73 cm
T1949-22, 1949 Huile sur toile, 116 x 89 cm


Hans Hartung, PU-18 1950 Encre et fusain et huile sur papier, 48.6 x 73.2 cm
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PU-18, 1950 Encre et fusain et huile sur papier, 48.6 x 73.2 cm
T1949-11, 1949 Huile sur toile, 81 x 100 cm

En 1949, des toiles de l’artiste atteignent des formats un peu plus grands. Il fait le réveillon de Noël en compagnie de Pierre et Colette Soulages, du peintre Pierre Schneider, et des artistes Fred Klein et Marie Raymond, accompagnés de leur fils le jeune Yves Klein


Hans Hartung, Composition T.54.15 1954 Huile sur toile 130 cm × 97 cm Musée d’Arts de Nantes
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Dans les peintures de 1950 à 1952 dominent les rythmes verticaux toujours précédés de dessin au crayon ou au fusain. Il a reçu la visite de Rothko, Michel Tapiè a organisé une exposition à Paris intitulée « véhémences confrontées » rassemblant des peintures de Hartung, Vols, Pollock, de Kooning et George Mathieu.


Hans Hartung, T1949-9, 1949 huile sur toile 89 x 162 cm Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf.
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T1954-15, 1954 Huile sur toile, 130 x 97 cm
T1955-3, 1955 Huile sur toile, 100 x 81 cm

Voir d’autres oeuvres des années 1950.

… et en 1952, il retrouve Anna Eva Bergman.

Qu’est-il arrivé à Anna Eva pendant ces 15 ans ?
Pendant la guerre, elle a fui dans les montagnes norvégiennes la réquisition des Allemands qui la réclamaient comme traductrice. En 1942 elle a rencontré un petit succès d’illustration avec son récit autobiographique Turid en Méditerranée élaboré à partir de ses souvenir de Minorque.


Anna Eva Bergman, Turid en Méditerranée 1942
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Elle a été très déçue, car elle avait écrit les textes et fait les illustrations, mais l’éditeur a préféré confier les textes à un autre auteur.

Elle a même publié un livre de recettes de cuisine.

Elle s’est inscrite aux Beaux-Arts d’Oslo et a fait la connaissance d’un vieil architecte, Christian Lange, spécialisé dans la rénovation des églises gothiques. Très cultivé, il l’a intéressé à l’utilisation du nombre d’or, considéré autrefois comme un don divin. Concrètement, ses réflexions débouchent sur toutes sortes de calculs mathématiques qui selon elle peuvent conduire à une harmonie parfaite dans son travail de peintre. Et c’est auprès de lui, qu’elle apprend à utiliser la feuille d’or, pratique qu’elle élargira par la suite à la feuille d’argent et de cuivre.
En 1946 elle a épousé le fils de Christian Lange, et pendant toutes ces années, elle n’a pas vraiment peint, elle a rempli des carnets (écritures et dessins) mêlant réflexions sur l’art, l’esthétique et la philosophie.

En 1947 elle revient à la peinture (elle dira qu’elle a mis longtemps avant d’abandonner ses tics d’illustratrice) et renoue avec Hans à travers une correspondance secrète, réceptionnée par Pierre Soulages, l’ami commun. Elle dira : »Revenir vers la peinture c’était automatiquement revenir vers Hans. »


Anna Eva Bergman, Maison, 1947, tempera sur panneau d’Isorel, 33 x 41 cm, Fondation Hartung-Bergman
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Les dernières toiles figuratives qu’elle peint datent de 1947. Maison représente le point de bascule : c’est son adieu au figuratif. Elle va peu à peu renier tout ce qu’elle a peint auparavant pour se consacrer exclusivement à l’abstraction.


Anna Eva Bergman, Quatre formes, 1955, huile sur toile, 81 x 100 cm Fondation, Fondation Hartung-Bergman
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En 1950, à 40 ans, elle fait un grand voyage dans l’extrême nord de la Norvège, là où dit-elle « plus rien n’a d’épaisseur« . C’est pour elle une révélation sensible, d’où elle tire pour sa peinture de nombreux motifs (pierres, montagnes, lune, barques) des motifs géographiques mais surtout atmosphériques.