L’art et la mode

La mode, disait Yves Saint-Laurent, est «un métier qui n’est pas tout à fait un art, mais qui a besoin d’un artiste pour exister». Art et mode ont en effet beaucoup à partager, ainsi par exemple dans les années 60, la vague de l’Op Art initiée par Victor Vasarely a inspiré de talentueux couturiers et contribué à faire descendre l’art dans la rue.

Dès ses débuts, la Haute Couture a mis en place des collaborations avec des artistes, qui se poursuivent encore aujourd’hui, quand les grandes maisons de couture proposent à des plasticiens de bousculer leur image traditionnelle.

Enfin, alors que la tendance contemporaine est à l’effacement des frontières entre les arts, les défilés sont devenus de véritables performances et la mode inspire aussi les plasticiens.

Intervenante : Agnès Ghenassia

Charles Baudelaire (1821-1867), réfléchissant à la modernité, lui consacre des pages dans un essai intitulé « le beau, la mode et le bonheur ». Il écrit en 1859 : « C’est à travers la mode qu’il est possible de saisir la beauté particulière d’une époque, car la beauté absolue et éternelle n’existe pas« . Le premier chapitre de l’Art Romantique s’ouvre avec le beau, la mode et le bonheur. « L’art et la mode sont liés à la beauté de l’éphémère de l’air du temps et de la transformation du banal« . La mode est une manière privilégiée d’habiter le présent.

Jacques Doucet (1853-1929) a fondé une des premières maisons de haute couture qui habille les actrices et les femmes du monde : Réjane, Sarah Bernhardt… Les silhouettes étaient alors féminines, en courbes et en dentelles. Grâce à de nouveaux corsets, les fesses étaient projetées derrière, les reins très cambrés, la silhouette en S. Il n’y avait pas de défilé, c’est la cliente qui choisissait les modèles sur catalogue.


Jacques Doucet, Robe de soirée, v. 1910
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Voir également :
Robe de bal (1898-1900)
Robe de soirée (1920-1923)
Robe vers 1900.

Il fait construire un somptueux hôtel particulier (33 rue Saint-James, Neuilly-sur-Seine) en 1929 (aujourd’hui détruit).


Hôtel particulier de Jacques Doucet
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La fortune qu’il a gagné satisfait sa passion de collectionneur de Manet, Constantin Brancusi, Cézanne, Degas, Van Gogh, Henri Matisse, Pablo Picasso, Marie Laurencin, Joan Miro, Francis Picabia… Il a même été le premier propriétaire des Demoiselles d’Avignon, achetées lorsqu’elles traînaient roulées dans l’atelier de Picasso sur le Conseil du jeune André Breton.

Paul Poiret (1879-1944), a d’abord été dessinateur chez Doucet. Il pratique la peinture, (voir un autoportrait) et a ouvert sa maison de couture en 1903. Il a une nouvelle façon de penser la mode, dont il accélère le rythme, en proposant de saison en saison des silhouettes très différentes. Il est aussi le premier à briser le monopole des parfumeurs, en lançant son parfum Rosine (du nom de sa fille). En 1908, ses jupes s’arrêtent à 5 cm du sol et la taille sous la poitrine, rend inutile le port du corset, il suffit de hautes ceintures renforcées de baleines.


Paul Poiret silhouettes
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En 1909, avec le succès des ballets Russes et du spectacle Shéhérazade, il fait évoluer son inspiration vers l’orientalisme, avec des couleurs, des paillettes, des fils d’or et d’argent, des pantalons bouffants et des turbans à aigrettes.


Paul Poiret 1910
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Poiret, c’est aussi la première collaboration d’un couturier et d’un artiste : à partir de 1910, c’est Dufy qui décide les motifs de tissus, qui sont imprimés dans la « petite usine ». Cette collaboration s’est poursuivie jusqu’en 1928.


Paul Poiret Sorbet Robe de soirée 1912
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Entre 1911 et 1917, il a organisé de grandes fêtes restées célèbres, comme celle de 1912 « Les festes de Bacchus » à l’occasion de laquelle il a créé un costume de bacchante porté par sa femme Denise. Isadora Duncan a dansé sur les tables au milieu de 300 invités.

Voir d’autres créations de Paul Poiret.

Man Ray est entré en contact avec Paul Poiret en 1919 par l’intermédiaire de Picabia. Poiret le prend à l’essai en 1919 comme photographe. Le jeune homme photographie Denise Poiret devant l’oiseau de Brancusi qui leur appartenait. En 1924 il photographie Peggy Guggenheim dans une robe de soirée de Poiret. Mais déjà, la clientèle du couturier le délaisse, et en 1929 c’est la faillite.

Poiret avait fait construire en 1924-1925 à Mézy-sur-Seine Yvelines une villa dessinée par Robert Mallet-Stevens. Sa maison, rachetée par Elvire Popesco, puis abandonnée, est maintenant sauvée comme bâtiment moderniste historique.

Les Années Folles 1920 à 1929 Place aux femmes

Elles voient l’avènement des femmes dans la haute couture. Elles accompagnent la volonté d’émancipation et de libération de l’après-guerre, robes raccourcies, taille marquée, corset définitivement abandonné, petit chapeau cloche, cheveux courts.

Jeanne Lanvin (1867-1946) d’abord modiste, elle ouvre sa maison de couture qui va devenir un empire. Elle est d’abord appréciée de ses riches clientes parce qu’elle crée des robes assorties mère-fille. Elle aime les coupes épurées et les silhouettes longilignes.


Jeanne Lanvin Lesbos robe du soir en satin vert 1925
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Elle popularise (avec Coco Chanel) le look à la garconne, ligne dominante de 1923 à 1928, notamment grâce à la robe chemise pour le jour.


Jeanne Lanvin Robe chemise, taille basse, 1925
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Puis, dans les années 20, elle prend en compte le besoin de tenues d’allure sportive. Elle fréquente Vuillard, et collectionne Fragonard, Renoir et Degas. Comme elle aime les teintes raffinées, elle crée même sa propre usine de teinture dès 1923.

En savoir plus sur Jeanne Lanvin.

Gabrielle Chanel (1883-1971). Elle aussi modiste, puis à partir de 1921, elle s’installe au 31 rue Cambon et crée une silhouette inspirée de l’univers sportif et de la mode masculine. Elle créé en 1920, la fameuse « petite robe noire » : simplification et sobriété.


Coco Chanel Petite robe noire, 1920
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Nouveau tissu jersey (un tissu utilisé à l’époque pour la confection des sous-vêtements masculins)…

Dans les années 1950 et 1960, le tailleur Chanel en tweed voit le jour. Considéré comme l’archétype de la mode Chanel, il s’agit d’un tailleur sobre en tweed ou en tissu bouclé coloré. Composé d’une veste carrée sans col aux bords garnis d’une ganse tressée, il se ferme à l’aide de chaînettes ou de boutons dorés. Cette veste est portée avec une jupe de forme légèrement évasée à quatre lés et coupée juste en dessous de genou.


Coco Chanel tailleur Chanel, 1953
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En savoir plus sur Coco Chanel (Vanity fair).

Sa contribution aux arts plastiques se limite aux costumes pour la pièce Antigone de Jean Cocteau. Dans la peinture, la femme libre et indépendant des années 20 est celle que l’on voit dans les peintures de Tamara de Lempicka.

Pendant ce temps, à Moscou, des femmes peintres tenues par le régime à faire œuvre utile à tous, déclinent et produisent des tenues révolutionnaires pour le sport, tenues très influencées par l’esthétique suprématiste de Malevitch. Varvara Stepanova, par exemple, équipe les étudiantes russes pour le sport.


Varvara Stepanova : Artiste et précurseure du sportswear

Sonia Delaunay va oser, parallèlement à ses recherches de peintre, proposer à ses amis, puis à un plus large public de femmes, des tenues simultanées, avec des silhouettes simples et des motifs géométriques dynamiques, qui donnent l’image de femmes audacieuses et créatives.


Sonia Delaunay robe simultanée 1913
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Voir la mode simultanée de Sonia Delaunay.

Pendant ces années 20, Charles et Marie-Laure de Noailles reçoivent à Hyères, dans la grande villa dessinée par Mallet Steven, Picasso, Man Ray, Buñuel, et achètent en mécènes avertis, des Mondrian, des sculptures et peintures cubistes. Leur fêtes sont célèbres pour leur inventivité délirante. Ainsi Man Ray immortalise Marie-Laure de Noailles en Amphitrite, avec une passoire sur la tête c’était en 1929.


Man Ray Marie-Laure de Noailles
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La Villa Noailles est aujourd’hui un lieu d’accueil pour les jeunes stylistes.

Les années 30-38 glamour et surréalisme

Après le krach boursier de Wall Street en 1929, de nombreuses fortunes s’effondrent. Les vedettes symbolisent l’image de la nouvelle femme, qui peut désormais être bronzée, en rupture totale avec le look androgyne des années 20. Le glamour c’est Madeleine Vionnet (1876-1975). Étoffes fluides, silhouettes altières, taille fine. Michèle Morgan en robe Vionnet,


Michèle Morgan photographiée par Ernest Bachrach, robe Vionnet 1940
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Man Ray photographie le modèle Sonia Colmer dans une robe de Madeleine Vionnet assise dans une brouette dessinée par Oscar Dominguez en 1937.

Aux États-Unis deux grands magazines de mode ont l’œil sur ce qui se fait à Paris. C’est Harper’s Bazaar et Vogue, qui informent aussi leurs lectrices sur les expositions artistiques et la littérature.

Et le surréalisme c’est Elsa Schiaparelli (1890-1973) passionnée de beaux-arts, elle se lie avec Marcel Duchamp, Picabia, Stiglitz, et Man Ray bien sûr. Elle aime créer une mode ludique et excentrique.

Elsa Schiaparelli a été l’une des premières américaines en 1930 à porter la jupe-culotte en ville. Elle a créé un amusant pull avec un trompe l’œil de col-cravate et très vite, elle a séduit des femmes originales ici Greta Garbo en Schiaparelli.


Greta Garbo en Schiaparelli
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Man Ray la photographie en 1931 tenant un sac avec le même chapeau porté par Katherine Hepburn. Pour Harper’s Bazaar, il multiplie les cadrages originaux pour présenter ses modèles (robe de petit soir en crêpe imprimé de 1936).


Elsa Schiaparelli robe de petit soir 1936
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En 1936, elle rencontre Salvador Dali, c’est un coup de foudre pour le surréalisme ! Elle crée une cagoule pour les sports d’hiver. Elle pose devant l’objectif de Man Ray avec une main en bois, derrière un buste antique, avec Dali elle imagine un chapeau chaussures, un béret main, une coiffure homard, et… une célèbre robe homard, en 1937. Une simple robe du soir en organdi blanc, sur laquelle Dali a dessiné un grand homard rouge sang symbolique de son obsession sexuelle (« Comme les homards, les jeunes filles ont l’extérieur exquis et comme les homards elles rougissent quand on veut les rendre comestibles« ).


Elsa Schiaparelli robe homard 1937
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Cette robe a été portée par Wallis Simpson, la duchesse de Windsor, devant l’objectif de Cecil Beaton et cette photo parue dans Vogue en 1937 a dit-on, précipité l’abdication de son royal époux.

Dans l’esprit dalinien également, une robe squelette, un soutien-gorge mains,


Elsa Schiaparelli un soutien-gorge mains, 1938
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et aussi une ceinture main, des gants griffus (référence aux mains de Meret Oppenheim de 1936) et aussi une inspiration de Jean Cocteau, et en 1938 Giacometti a réalisé les boutons en bronze d’un tailleur.

Voir la collaboration d’Elsa Schiaparelli avec Dali et Cocteau.

Elsa Schiaparelli, qui a ouvert une maison de couture à Paris Place Vendôme, a créé un parfum Shocking dont le flacon reprend les mensurations de Mae West et qui plus tard inspirera Jean-Paul Gaultier.

Dali est très présent dans les magazines Harper’s Bazaar et Vogue, pour lesquels il réalise des couvertures. Ces deux magazines continuent à s’inspirer de l’art en fonction des expositions du moment. Ce sont de véritables acteurs des révolutions esthétiques exemple en 2008 pendant l’expo Dali au MoMA.