L’art et la mode

Années 1946-1959 le New Look

Pendant la guerre, une soixantaine de maisons de couture parisiennes ont fermé ou se sont délocalisées. Quand Madame Grès drape ses modèles en bleu blanc rouge les Allemands l’obligent à fermer sa maison.

Christian Dior (1905-1957) veut redonner vie au chic parisien, en créant une silhouette nouvelle, épaules étroites, taille de guêpe, hauts ajustés, jupes amples au mollet, chaussures à talons-aiguille … silhouette qui implique des soutiens gorges rehausseurs qui font les seins pointus, utilisation à nouveau de gaines.


Christian Dior tailleur bar 1947
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Les critiques sont virulentes, mais pourtant cette mode se diffuse largement (les femmes en font réaliser des copies par leurs couturières). Le New Look de Dior est photographié par de grands photographes du noir et blanc comme Erwin Blumenfeld,


Christian Dior photo de Erwin Blumenfeld
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Irving Penn, Richard Avedon et Willy Maywald qui est l’un des premiers à photographier les modèles dans l’espace public.


The world of Monsieur Dior in his own words

Notons que dès 1951, la mode est photographiée aux Etats-Unis par Cecil Beaton devant des dripping de Pollock, et dès 1953 devant des Vasarely.

Cristobal Balenciaga (1895-1972) a fermé sa maison espagnole pour émigrer à Paris en 1936, où il ouvre avenue Georges V en 1937 une boutique avec un succès immédiat.
Il puisse son inspiration dans les tableaux de Velasquez et de Goya, mais aussi dans le flamenco, la corrida et les rituels de l’Église catholique en se renouvelant sans cesse.


Cristobal Balenciaga tailleur inspiré par les vêtements ecclésiastiques
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Cristóbal Balenciaga collection hiver 1961

Voir ses réalisations (musée Balanciaga).
En 1945, ce sont aussi les débuts de Pierre Balmain.

1957-1967 les années pop

C’est d’abord le succès populaire de l’op art et de ses lignes géométriques, qui envahissent la déco et la mode.


Victor Vasarely inspire les couturiers
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Voir d’autres exemples.

C’est aussi l’explosion d’une mode jeune et des sous-cultures (rockers, blousons noirs, yéyés). La bourgeoisie élégante cède la place à la femme-enfant aux allures naïves. Désormais il faut être jeune et sexy, et surtout se démarquer du style des mamans.

Mary Quant, est la première à lancer la mini-jupe. Elle est anglaise et propose une mode jeune et bon marché dès 1958. À partir de 1965, le « court » qui s’arrêtait au-dessus du genou, devient plus important et se répand comme phénomène mondial, avec toute l’ambiguïté voulue. La minijupe est à la fois l’expression d’une certaine liberté sexuelle, une provocation du désir masculin, donc une surexposition affichée de la femme-objet (cette même ambiguïté existe dans les représentations pop-artistes de la femme en peinture).


Mary Quant minijupe 1962
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Pour représenter ses modèles, elle crée des évènements scéniques et musicaux qui préfigurent les défilés contemporains. Le mannequin Twiggy a largement contribué, avec sa maigreur légendaire, (surnommée la brindille) à mettre tous les ados au régime.


Collection Wet de Mary Quant

André Courrèges (1923-2016), formé chez Balenciaga, ouvre sa maison en 1961 et fait de la minijupe la pièce phare de sa collection dès 1965 : robes-trapèze architecturées, bottes courtes, tissus secs blancs ou pastels. Les collants remplacent les bas, et parfois ses modèles ont une allure futuriste.


André Courrèges minijupe 1962
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Il équipe ses mannequins de perruques colorées, de lunettes blanches striées d’une meurtrière horizontale. Il habille Mireille Mathieu, Audrey Hepburn, et même Claude Pompidou, très attachée à l’art moderne. A nouveau les seins et la taille sont gommés…

Pierre Cardin (1922-2020), il s’est formé entre autres chez Dior. Il ouvre sa maison de couture en 1949, et en 1959, il est le premier à produire du prêt-à-porter. Il utilise des motifs empruntés au Pop Art et à l’Op art, il crée des robes percées de découpes circulaires.


Pierre Cardin mode futuriste années 60
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Pierre Cardin la mode du futur (Brooklyn museum).

En 1969, quand l’homme pose les pied sur la Lune, il crée la ligne unisexe « Cosmocorps ».


Pierre Cardin ligne Cosmocorps 1969
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Son « palais bulle » est bien une architecture futuriste à Théoule-sur-Mer. Construit en 1979 par Antti Lovag pour Pierre Bernard à l’origine et racheté ensuite par Cardin, couvre une surface de 1 200 mètres carrés.

Pierre Cardin fait défiler 70 ans de ses créations à Paris en 2016

Paco Rabanne né en 1934, originaire du pays basque espagnol, sa mère étant première main chez Balenciaga, lui a étudié l’architecture avant la mode. Depuis 1966, il expérimente de nouvelles matières, du non-tissé, des morceaux de plastique, du rhodoïd, et il a lancé les premiers vêtements métalliques, en facettes d’aluminium et rivets, inspiré dit-il par un mobile de Julio le Parc en 1962 (mobile lumaline sur noir).


Paco Rabanne ligne 1969
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Car il s’agit bien, avec ces matériaux nouveaux, de créer de la lumière et du mouvement, comme chez Vasarely et ses amis. Portée par Françoise Hardy cette robe et quelques autres ont été vues dans Salut les copains.


Paco Rabanne : l’avant-garde-robe

Julien Dosséna directeur artistique de la maison de Paco Rabanne depuis 2013 a voulu pour la collection printemps-été 2022, renouer avec l’inspiration Op art de Vasarely en créant un ensemble de tenues colorées et dynamiques qu’il a présenté sur la terrasse du Palais des Congrès de Monaco (décorée par l’œuvre hexa grâce de Vasarely en 1979).

Yves Saint Laurent (1936-2008), assistant de Dior à 19 ans, désigné pour lui succéder en 1957, il est devenu le plus jeune couturier du monde. Il ouvre sa propre maison en 1961 avec le soutien et les conseils financiers de son ami Pierre Bergé. En 1965 il est très stimulé par les nouvelles silhouettes proposées par Courrèges.

C’est ainsi qu’il crée en 1965 les robes chasubles avec motif Mondrian et Poliakoff, faisant le pari que le corps des femmes pourra s’accommoder de la rigueur géométrique des artistes (il ne s’agit pas d’imprimés, mais de jersey de laine incrusté de pièces, sans aucune couture apparente).


Yves Saint Laurent robes Mondrian
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Voir également la révolution Mondrian (musée Yves Saint Laurent).

Suivra une collection pop art (avec des silhouettes à la Tom Wesselmann).
Saint-Laurent et Warhol se sont rencontrés, (ils ont en commun leur goût pour la vie nocturne et la fête). Warhol a réalisé plusieurs portraits du couturier.


Jean-Loup Sieff Yves Saint Laurent 1971
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En 1971 le photographe Jean-Loup Sieff met en scène Yves Saint Laurent nu, pour le lancement de son parfum (photo assez contestée comme faisant l’apologie de la cause LGBT). Yves Saint Laurent lance la mode du smoking pour femme et Helmut Newton dans Vogue en accentue par ses mises en scène le caractère androgyne et sexy.

Par la suite, les collections Saint-Laurent ont été inspirées par les ballets Russes et l’orientalisme de Delacroix, par le surréalisme Les Yeux d’Elsa, par Georges Braque, par Matisse, par Van Gogh de très luxueuses vestes avec Iris et tournesol en broderies épaisses et perles. Là encore, jamais de motifs imprimés, mais des savoir-faire artisanaux incroyables.
Il y a même eu une collection inspirée par Claude Lalanne qui a réalisé à cette occasion des doigts-bijoux photo avec Catherine Deneuve et un sac.
Pierre Bergé, son compagnon et grand amateur d’art et collectionneur disait que « l’on n’est pas modéliste si on ne connaît pas Le Prado ni la Pinacothèque de Vienne« .

1968-1975 du Flower Power au punk

Le style ethnique des années 1968-70, puis le mouvement punk, vont développer une mode aux antipodes des conceptions bourgeoises. Les hippies et les babas cool aiment les tuniques indiennes et les peaux brodées, les punks ont un look agressif. L’envie de naturel est née à San Francisco, puis le slogan « Peace and love » a séduit toute la jeunesse européenne. Jeans brodés, pantalons pattes d’eph, chemises à fleurs … c’est unisex et doux.

Jean Bousquet (né en 1932), a créé dans ce contexte Cacharel, avec ses chemisiers en crépon aux couleurs fraîches, ses tissus liberty qui ont connu un grand succès.


Cacharel collection 1975
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Ses campagnes publicitaires ont été confiées à Sarah Moon, romantisme et douceur.

Kenzō Takada (1939-2020) est le premier styliste japonais à s’établir en Europe au début des années 1970. Lui aussi veut donner de la mode une image optimiste et épanouie. Dans son studio atelier, galerie Vivienne, il y a une grande reproduction murale du Douanier Rousseau, et sa marque au début s’intitulait jungle Jap en hommage à la Jungle du douanier.


Kenzo 1972
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Il a adapté à l’européenne la forme kimono, il aime les grands motifs floraux, les cotons rehaussés de broderies et les vestes jacquard courtes. Il s’est souvenu de la vague d’Hokusai et en parallèle il pratique la peinture. Sa marque a été vendue en 1999 à LVMH, Kenzo est mort du COVID, en octobre 2020.
Rétrospective Kenzo en 1999.

Vivienne Westwood née en 1941, représente le style punk, et développe un style anticonformiste qui trouve sa clientèle chez des groupes underground de l’époque. Il faut dire quelle est la compagne de Malcolm McLaren, le manager des Sex Pistols. Le style de Vivienne refuse toute idée de bon goût, c’est un esprit à la fois rock et glamour, qui ne manque pas d’humour et truffé de références historiques.


Vivienne Westwood mode punk
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Elle détourne le tartan, le kilt, elle propose des soutiens-gorge bustiers à porter par-dessus des sweats à capuche. En 1990, dans sa collection portrait, elle fait imprimer des scènes du berger contemplant une bergère endormie sur des bustiers (à partir du tableau de Boucher).

Voir Vivienne Westwood punk fashion.
Voir également une rétrospective

Son goût pour la provocation se retrouve aujourd’hui chez John Galliano, Alexander McQueen et Victor&Rolf.

Jean-Charles de Castelbajac né en 1949. A créé sa marque en 1978, passionné d’art et collectionneur, il veut abolir les frontières entre art et mode. Dans les années 80, il crée ses premières robes-tableau en invitant Hervé Di Rosa à peindre directement sur ses modèles.


Jean-Charles de Castelbajac robe peinte par Hervé Di Rosa
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Mais il a également invité, Keith Haring, Ben, Robert Combas. Ce sont des robes sac et des blousons nounours de style Annette Messager.
Voir Castelbajac avec les artistes.

La mode des années 70.

1976 à 1990 les années luxe et frime et les premiers défilés spectacle

Ce sont les années du consumérisme affiché, les logos et les griffes sont apparents, la mode devient un marqueur social ostentatoire.

Thierry Mugler né en 1948. Il crée l’image de la femme dominatrice épaules élargies, taille marquée, sanglée dans du cuir moulant ou futuriste dans des tissus argentés (cf les performances de Marico Mory). Mugler est un ancien danseur, et il invente une mode spectacle non surpassée à l’époque.
Tierry Mugler en 9 collections cultes.


Thierry Mugler, collection prêt-à-porter printemps-été 1989
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En 1984, dans le Zénith de Paris tout juste inauguré, 4 000 spectateurs viennent voir défiler 250 silhouettes extravagantes, Madone sans leur auréole où anges ailés en robes dorées. Voir rétrospective Thierry Mugler (Vogue).

En 1985 Jack Lang se fait huer dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale parce qu’il portait une veste à col mao, signée Thierry Mugler..

Mugler a créé les costumes de scène de nombreux artistes.

C’est dans ces mêmes années que Jack Lang a annoncé la création d’un musée des Arts de la mode au Pavillon de Marsan tout au bout du musée du Louvre, et une première exposition a eu lieu dans ce musée en janvier 1986 scénographiée par Alfredo Arias

Jean-Paul Gaultier né en 1952, a appris le métier chez Cardin et Patou. Il tourne en dérision les poncifs masculin-féminin, exagère les attributs de la sensualité, s’amuse des signes du pouvoir et de la religion.


Jean-Paul Gaultier, collection prêt-à-porter printemps-été 1989
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Dans les années 80, il crée des modèles avec des seins pleins de fantaisies, qui ont fait sa réputation lorsqu’ils ont été adoptés par Madonna. Il y a eu des tissus tatouages seconde peau, les jupes pour hommes, la réinterprétation de la marinière, son portrait par Pierre et Gilles, des collections gothiques avec des bustiers inspirés par Frida Kahlo.
Les créations mythiques de Jean Paul Gautier.
Une version sexy de la robe squelette de Schiaparelli, des collections angéliques, une mariée défilant avec un bébé, un chapeau cheveux, une tenue pour top model enceinte.

En 2004, lorsqu’il a été invité à exposer à la Fondation Cartier, tout le monde s’attendait à une exposition de ses créations de mode.


Exposition à la fondation Cartier 2005

Il a surpris, en transformant le sous-sol du musée en boulangerie, et en exposant des tenues entièrement réalisées avec du pain. Les médiatrices de l’exposition étaient en harmonie avec le reste.

Karl Lagerfeld (1933-2019) allemand, il a été formé chez Balma et Patou.
À partir de 1983 il a été appelé, en parallèle à sa propre maison, à moderniser la maison Chanel. Lui aussi a organisé des défilés grandioses. Au grand palais par exemple avec le décollage d’une fusée, avec l’espace transformé en supermarché en 2019.


Karl Lagerfeld : le best of de ses défilés Chanel depuis 2012

On est plus proche de l’installation d’art contemporain que de l’univers de la mode. Voir les défilés les plus emblématiques de Karl Lagarfed.

La mode venue du Japon, anti fashion une approche intellectuelle de la mode

Issey Miyake né en 1938 à Hiroshima, s’est installé à Paris en 1964.
Il a une prédilection pour le plissé, qu’il emprunte à la fois à la tradition de l’origami et à Mario Fortuny. Les vêtements de ses collections « Pleats please » sont d’abord coupés et cousus, puis pris en sandwich entre deux couches de papier, ils sont introduits dans des presses chaudes où ils se plissent. Il multiplie les innovations à chaque saison.
Ses défilés, comme les photos de ses modèles prises par Irving Penn sont dynamiques et mettent en évidence l’idée de souplesse et de mouvement. Août 2011, sa collection rendait hommage à l’Op art et à Vasarely.


Issey Miyake hommage à l’Op art 2011

Yoshi Yamamoto né en 1943 a présenté son premier défilé à Paris en 1981. Des vêtements volumineux, amples, qui tiennent autant de la sculpture que du vêtement. Le corps est le plus souvent caché, asexué. Les coupes sont savamment déstructurées, les tissus (noirs le plus souvent) sont de très belle qualité.


Défilé Yohji Yamamoto printemps-été 2021

Rei Kawakubo née en 1942, elle a créé “Comme des Garçons”, sa première collection à Paris date de 1981 (comme Yamamoto). Découpe ample et asymétrique, privilégiant au début le noir, et interprétant avec brio le misérabilisme : les pull troués, des tissus effrangés… Par ailleurs elle a créé des vêtements-sculpture dans lesquels les volumes sont indépendants de ceux du corps et font complètement abstraction de l’histoire occidentale du vêtement.


Rei Kawakubo présentée par le MeT en 2017

Elle aussi innove sans cesse dans le travail des textures. Sa collection a été un temps photographiée par Sarah Moon. Rei Kawakubo raffole d’art contemporain et outre ses nombreuses boutiques dans le monde, elle a ouvert à Tokyo une fondation dans laquelle elle invite des artistes. Ici par exemple Bernard Faucon un plasticien français qui met en scène des mannequins d’enfants, parfois accompagnés d’enfants réels, tous habillés dans une série intitulée « les grandes vacances » inspirée de ses souvenirs d’enfance.