Arts plastiques et musique


Pablo Picasso, mandoline et clarinette (1919)
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… jusqu’à mandoline et clarinette de 1919, en bois et le violon de 1915 en tôle découpée, pliée et peinte et fil de fer.
Son adieu au cubisme se fait, en 1915, avec les 3 musiciens et le thème des arlequins musiciens jusqu’en 1918 … que l’on peut comparer, avec en 1971, cet autoportrait en mousquetaire guitariste. Picasso se cache derrière la figure de l’Arlequin et celle du mousquetaire.
Voir les musiques de Picasso (exposition à la philharmonie de Paris).


Henri Matisse intérieur au violon (1918) Huile sur toile 116 x 89 cm Statens Museum for Kunst, Copenhague
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Matisse intérieur au violon 1918, voir un commentaire.


Raoul Dufy nature morte au violon, hommage à Bach, (1952) Huile sur toile 81 x 100 cm Centre Pompidou Paris
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Dufy nature morte au violon, hommage à Bach, 1952, voir un commentaire.

Voir également de R. Dufy :
Hommage à Mozart (1945) huile sur toile Musée d’Art moderne de Paris
Hommage à Debussy (1952) huile sur toile 60,5 x 73 cm MuMa Le Havre
Le Violon rouge (1948-1949) huile sur toile 22,5 x 27,5 cm MuMa Le Havre
… sans oublier la célèbre main du violoniste de Giacomo Bella (1912) huile sur toile 52 x 75 cm, Londres, Tate Gallery.


Joseph Beuys, infiltration homogène pour piano à queue (1966) Centre Pompidou Paris
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Joseph Beuys, infiltration homogène pour piano à queue (1966) qui fait partie des collections du Centre Pompidou, ne cesse d’interpeller le public. Un piano à queue réduit au silence par une « peau » de feutre qui lui donne l’aspect d’un pachyderme. On sait le rôle de ce matériaux, le feutre, dans l’œuvre de Beuys et dans sa mythologie personnelle. Il a été sauvé de ses graves brûlures pendant la guerre par des Tatars en Crimée, qui l’ont enduit de graisse et enveloppé dans du feutre pendant de longs mois. La Croix-Rouge évoque ici l’idée d’ambulance, de secours. Les jeunes interprètent spontanément cette œuvre comme une métaphore de la guerre (plus de musique, si importante dans la culture allemande, besoin de se calfeutrer). L’oeuvre est souvent présentée avec une peau de rechange accrochée à un porte manteau.


Joseph Beuys, Plight (1985) Feutre, laine, bois verni, métal, bois peint, verre, mercure 310 x 890 x 1813 cm Centre Pompidou Paris
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Plight est une installation qui date de 1985. La salle est insonorisée par 284 rouleaux de feutre. On y pénètre par une ouverture basse qui oblige à se baisser. Au centre, un piano à queue, et sur le dessus, un tableau noir avec des portées et un thermomètre médical. Le feutre emmagasine la chaleur et amortit les sons. Le spectateur, là encore, est confronté à une expérience de silence très particulière, à l’abri de tout le reste de l’environnement muséal.

Bertrand Lavier, artiste français né en 1949 aime jouer avec les catégories et mélanger les genres.


Bertrand Lavier, Gaveau (2008) Peinture acrylique sur piano 90 x 150 x 180 cm
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Gaveau par exemple c’est toujours un piano, mais il est traité comme une peinture. Alors que le piano est censé être lisse et brillant, il est repeint avec une épaisse couche de noir acrylique, avec des traces de pinceau et des empâtements. Il dérange nos habitudes de perception.

Rebecca Horn, artiste allemande née en 1944 à réalisé des installations à la fois poétiques et brutales.


Rebecca Horn, concert pour l’anarchie (1990)
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Dans concert pour l’anarchie en 1990 un piano est suspendu au plafond, à l’envers et de façon sporadique expulse ses touches, en produisant un bruit violent, puis elles se rétractent en silence.

Stéphane Guiran né en 1968 exposé tout récemment à la Fondation villa Datris à L’Isle-sur-la-Sorgue (exposition recyclage sur cyclage) l’humus des jours, un piano renversé retrouvant la vie du bois dans lequel il a été fabriqué en 2000.


L’humus des jours, Stéphane Guiran 2020

Parallèlement, au Centre d’Art Campredon, il présentait une installation les poussières d’Ivoire fait de milliers de touches de piano oscillant doucement au bout de fines tiges souples. Égaré au milieu de ce “champ”, un piano à queue, sur lequel un pianiste vient jouer quelques notes. Installation méditative et minimaliste.

5 – Musiques et abstraction

On a évoqué, au moment du cubisme analytique, l’hypothèse d’une volonté d’immatérialité qui rapprocherait la peinture de la musique. Cette idée agace beaucoup Picasso, qui affirmait : “Au fond, quand on parle d’art abstrait, on dit toujours que c’est de la musique. Tout devient musique… Je crois que c’est pour ça que je n’aime pas la musique”.
On l’a vu, Chagall, Braque, Matisse pratiquaient la musique, mais Kupka, Kandinsky, Delaunay, Klee se sont interrogés sur les effets de synesthésie, les sensations simultanées visuelles auditives.


František Kupka, nocturne (1911) Huile sur toile 66 x 66 cm Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig Vienne
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Kupka, dans nocturne 1911, recouvre la toile de touches verticales répétées en bandes rectangulaires superposées de façon dynamique. « Le rythme respiratoire doit correspondre autant que possible au rythme de l’acte même de dessiner« . Nocturne se réfère à la musique de Chopin. Voir un commentaire.
En 1913, il écrit « Je tâtonne toujours dans le noir, mais je crois pouvoir trouver quelque chose entre la vue et l’ouïe. Je pense créer une figure en couleurs comme Bach l’a fait en musique« .
Voir également :
La primitive, 1913 huile sur toile 100 x 72,5 cm Centre Pompidou Paris.
Autour d’un point 1920 huile sur toile 194,5 x 200 cm Centre Pompidou Paris. Cercles et demi-cercles s’agencent dans une composition dynamique, déterminée par un point infime. Ce dispositif formel constitue pour Kupka autant la synthèse plastique du mouvement que la pulsion énergétique de la vie organique.
Cette promiscuité entre les deux arts, c’est Kandinsky qui l’a le plus précisément théorisée ; il jouait lui-même du piano et du violoncelle. Kandinsky a retenu la leçon de Goethe quand il écrit « Du spirituel dans l’art » en 1910, alors qu’il était encore à ses premiers essais de peinture non figurative. Il parle de “vibration dans l’âme humaine” de “résonance intérieure” et pour justifier l’évolution de la peinture vers l’abstraction il se réfère à la musique, qui ne cherche pas à copier la nature, mais peut exprimer des impressions et des sensations. “La musique échappe à la nature, libérée de la nécessité de puiser dans le monde extérieur des formes extérieures à son langage”.


Vassily Kandisnky, impression III concert (1910) Huile sur toile 78,5 x 100,5 cm Musée Lenbachhaus, Munich
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En janvier 1910 Kandisnky assiste à un concert au cours duquel sont interprétées des œuvres de Schönberg. Il transpose aussitôt son impression en peinture dans une toile intitulée impression III concert et les questions qu’il se pose l’incitent à écrire au compositeur. Voir un commentaire.

Dans les années 1910 à 1916, il illustre ses théories dans des œuvre qu’il désigne par des termes musicaux :
Composition VII 1913 huile sur toile 200 x 300 cm Galerie Tretiakov, Moscou
Les improvisations (1909-1913).
Improvisation fugue 1914 huile sur toile 129,5 x 129,5 cm Fondation Beyeler Bâle.
A une voix inconnue 1916 huile sur toile 23,7 x 15,8 cm Centre Pompidou Paris.
Composition VIII 1923 huile sur toile 140 x 201 cm Musée Guggenheim Bilbao.
Il va même jusqu’à défendre une véritable audition colorée, pour décrire le pouvoir expressif des couleurs.
Exemple
Le jaune : “Peut-être amené à une force et un niveau insoutenable pour l’œil et l’esprit. À ce niveau il sonne comme une trompette, jouée dans des aigus de plus en plus forts, ou comme le son éclatant d’une fanfare”.
Le bleu : “Musicalement le bleu clair s’apparente à la flûte, le foncé au violoncelle, s’il fonce encore, à la sonorité somptueuse de la contrebasse. Dans ses tons les plus profonds, les plus majestueux, le bleu est comparable où son grave d’un orgue”…
Le vert : “La sonorité tranquille et méditative du violon”.
Le rouge carmin : « L’ampleur des sons moyens et graves du violoncelle
L’orangé : “Une cloche de ton moyen une puissante voix de contralto.”
Le violet : “Les vibrations sourdes du corps anglais”.
etc.
Mais il prend la précaution d’indiquer que toutes ces correspondances sont relatives…

Paul Klee exprime des idées similaires. Dans son ouvrage de 1925 « Théorie de l’art moderne« , il reprend et développe la théorie des couleurs et des formes de Kandinsky. Il produit de nombreuses aquarelles sur les thèmes du rythme, de la polyphonie exemple :


Paul Klee, fugue en rouge (1921) aquarelle collection privée, en dépôt au Zentrum Paul Klee
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Fugue en rouge (1921). Voir un commentaire.


Paul Klee, Harmonie antique (1925) Impression lithographique d’un tableau Kunstmuseum de Bâle
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Harmonie antique (1925). Voir un commentaire.
Voir également :
Nouvelle harmonie 1936 huile sur toile, 93,6 x 66,3 cm Musée Guggenheim New York.
Polyphonies de Paul Klee : peinture et musique au diapason

Paul Klee aurait pu faire une carrière de violoniste, il a une approche intime de la musique. Voir Paul Klee et la musique.

Pierre Boulez dans son ouvrage “Le pays fertile, Paul Klee”, paru en 1989, écrit « Si Klee a pris la fugue pour modèle, ce n’est sûrement pas pour composer graphiquement une fugue au sens musical du terme, mais plutôt pour retrouver dans un tableau un certain type de retours, de répétitions et de variations qui sont à la base du langage fugué”.
Il voit dans « Rythme 1930 » une façon, par la composition modulaire, d’introduire le temps dans l’espace immobile du tableau ; et à la fin du livre, Boulez évoque ses relations compositionnelles avec l’aquarelle de Klee « Monument à la limite du pays fertile » 1929, alors qu’il réfléchissait sur l’écriture de structures pour deux pianos en 1950-52. « Ce qui m’a frappé alors, c’était la rigueur, la sévérité de ce partage de l’espace en sections à peu près égales, mais qui venait très légèrement varier une invention subtile et riche, quoique réduite à un minimum de dispersion grâce à une discipline visible. Cela coïncidait avec les préoccupations qui étaient les miennes à cette époque-là« .
On le voit, les créateurs s’apportent mutuellement.


Giselher Klebe La machine à gazouiller

Ainsi, la machine à gazouiller de 1925 a inspiré en 1951 au compositeur allemand Giselher Klebe une œuvre musicale.

Piet Mondrian, en 1940, il s’embarque pour New York. Il y trouve une ville en correspondance avec son art, par son plan orthogonal, mais aussi par son rythme. Depuis longtemps passionné de jazz, il réalise Broadway boogie-woogie New York City, qui évoque le rythme syncopé de la musique.


Piet Mondrian, Broadway boogie-woogie (1956) huile sur toile 156 × 156 cm MoMA
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L’abstraction géométrique de Vasarely a pu, elle aussi, être analysée dans ses rapprochements avec des formes musicales.


Victor Vasarely, Arny (1965-74) Collage sur contreplaqué 252 x 252 cm
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Frédéric Rossille, en 2007 à explicité la nature de ces corrélations. Ainsi, lorsque Vasarely a conçu son alphabet plastique permettant de combiner quelques formes géométriques et 30 couleurs, il envisage une forme de programmation, comme les orchestrations successives d’un même thème musical de départ. Par ailleurs, les principes de répétition et de symétrie peuvent être comparés aux constructions musicales de Bach, mais aussi à celles de la musique sérielle. On peut parler chez Vasarely de solfège plastique. Il n’est pas surprenant donc que son art ait figuré sur des pochettes de disques par exemple David Bowie et Xenakis.

Parallèlement, les partitions des musiciens d’avant-garde deviennent graphiques.

6 – La musique et les performances

Si l’art de la performance s’est généralisé dans les années 60, il y a eu des prédécesseurs au début du XX siècle chez les artistes futuristes, qui cherchaient la rencontre directe avec le public au risque du scandale parfois.
Ainsi Luigi Russolo, peintre passionné de musique a peint une toile intitulée La Musica en 1911, dans laquelle un pianiste est au centre d’un ruban coloré qui se propage dans l’espace, reliant une communauté de gens.


Luigi Russolo, la musica (1911) huile sur toile 220 × 140 cm Estorick Collection of Modern Italian Art, Londres
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En 1913, il a publié un manifeste sur la musique futuriste l’art des bruits, dans lequel il explique que la musique doit intégrer les bruits de la ville, les sons de la vie.


Luigi Russolo, Intonarumori, 1913

Et la même année, il conçoit l’intonarumori, des caisses rectangulaires en bois, munies d’amplificateurs en forme d’entonnoir, renfermant une famille de bruits associant le son des tramways, des moteurs, des trains et des foules. Il a donné ainsi un premier concert à Milan, puis à Londres. En 1920, le « russolophone » est un orgue à bruit comportant des bruits de robinets, des ronflements, des rires, des sanglots et toutes sortes de sons expérimentaux. En 1921, il a donné un concert au Théâtre des Champs-Élysées, avec dans la salle, Paul Claudel, Manuel de Falla,, Mondrian, Ravel, Stravinsky et Tzara puis, il est tombé dans l’oubli, alors que ses expériences, très proche de celle de la musique concrète électroacoustique ont eu une influence majeure sur Pierre Henry, Edgar-Varèse et John Cage…. L’intonarumori a été présenté en 2012 à Lisbonne.

Un autre futuriste, russe lui, a réalisé en 1917 le piano optophonique c’est Vladimir Baranov-Rossiné.


Vladimir Baranov-Rossiné, le piano optophonique (1917) (Reconstitution par Jean Schifrine, 1971) Caisse en bois, amplificateur mono, dispositif de projection avec disque en plexiglas et écran (2 à 4 m²) 239 x 120 x 164 cm Poids : 490 kg Centre Pompidou Paris
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L’équipement d’origine de Baranoff-Rossiné comportait un dispositif mécanique composé de disques de verre, dessinés et peints par l’artiste, pouvant être actionnés manuellement et reliés aux touches du clavier, des prismes, des lentilles, d’une source lumineuse et d’un écran de projection. L’artiste cubo-futuriste donne des concerts colorés qui annoncent la transformation de la musique en art visuel et créent « une peinture vivante dans le temps et non pas sourde-muette« .


Piano Optophonic

Depuis la fin des années 50, Yves Klein, avait l’art de concevoir des événements autour de son travail. Klein avait rencontré le compositeur Pierre-Henry et lui avait demandé de composer un son qui soit un équivalent conceptuel de la monochromie picturale. Le compositeur a conçu un son électronique, plat, ténu, monotone, sans rythme ni mélodie, qui durait 40 minutes.

Yves Klein avait envie d’une version orchestrale de ce son. Il a consulté Stockhausen, puis John Cage, qui réfléchissait à la place du silence dans la réception de la musique. C’était ainsi que Klein a choisi la Symphonie Monoton-Silence, d’une durée de 5 à 7 minutes, suivi d’un silence absolu de 44 secondes, interprétée par trois violons, 3 violoncelles et 3 choristes en tenue de soirée, le jour de la présentation de l’Antropométrie en public le 9 mars 1960, à la galerie internationale d’art contemporain à Paris.


Yves Klein : Symphonie Monoton-Silence Anthropométrie 9 mars 1960

Yves Klein appréciait la qualité de ce silence intériorisé, affectif, absolu, pendant lequel la sensibilité du public atteignait un niveau d’intensité maximal.

Arman, dans son travail, multipliait les objets dans ses accumulations, et les détruisait dans ses Colères. Les premières Colères ont été exécutées en public lors du premier festival du Nouveau Réalisme en 1961 à Paris.

Il s’agissait de l’agression d’un instrument de musique, symbole d’harmonie et de culture, dont les morceaux épars étaient ensuite aussitôt rassemblés à la façon d’un collage cubiste. Le plus célèbre, au titre ironique est Chopin’s Waterloo Centre Pompidou qui mesure 186 sur 302 cm et pèse 400 kg. Cette action a été réalisée à coup de masse à la galerie Saqqarah à Gstaad en Suisse. Plus tard, en 1965, il y a eu des combustions auxquelles appartient par exemple ce piano brûlé sur fond blanc.


Arman, piano brûlé sur fond blanc (1965) combustion 200 x 300 cm
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Pendant les mêmes année 60, aux États-Unis :

Nam June Paik le pionnier de la vidéo détournait, lui aussi, l’image traditionnelle du piano. Paik avait fait à Tokyo des études d’histoire de l’art et de musique (il a écrit une thèse sur Schönberg) avant, en Allemagne, de côtoyer Stockhausen, puis à New York de rencontrer John Cage et de s’intégrer dans le mouvement Fluxus. On comprend pourquoi ses plus célèbres performances sont en lien avec la musique.


Nam June Paik, Piano intégral

Piano intégral est un piano encombré d’objets divers : des photos, des coquilles, des sonnettes de vélo, un aspirateur, et un poste de radio sont placés entre les cordes de l’instrument. L’artiste défend l’idée de sons générés par le hasard, et cherche aussi, bien sûr, à démonter le piano bourgeois, comme John Cage son ami.

Plus tard en 1993 sans titre (MoMA) se compose d’un piano droit, surmonté de 13 postes de télévision. De petites caméras connectées à ces ensembles en circuit fermé sont entraînées par le mécanisme du piano. Lorsque le piano, sans musicien, joue du ragtime, son fonctionnement précis apparaît sur les écrans.


Nam June Paik sans titre 1993 MoMA

Dans les années 60, les actions Fluxus auxquelles participaient les spectateurs, martyrisaient les pianos.

La Monte Young Artiste (compositeur américain virtuose de saxophone alto) composition numéro 1 a fait du piano un objet silencieux.


La Monte Young, Composition n°1, 1960
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Lors d’une performance, il a donné du foin et de l’eau au piano, pour qu’il puisse manger et boire. La pièce ne se termine que lorsque le piano a tout avalé. L’exécutant a le choix entre nourrir le piano lui-même ou le laisser se nourrir seul. La monte young voulait ainsi créer la pièce la plus longue de Fluxus.

Voir d’autres oeuvres de Monte Young

Y a-t-il chez nos contemporains un prolongement de ces attitudes de Fluxus ? Oui, par exemple Christian Marclay, né en 1955 compositeur, musicien et plasticien, a en 1984 martyrisé des disques de vinyle en les frottant les uns contre les autres pour en tirer des sons inédits.
Guitare drag 1999 est une vidéo conservant les traces d’une performance d’une guitare électrique attachée par une corde à l’arrière d’un véhicule et traînant sur le sol d’un désert américain au Texas.


Guitar Drag – Christian Marclay (1999)

Elle est reliée à un ampli puissant placé à l’arrière du véhicule et émet des sons plaintifs, violents, douloureux qui sont provoqués par la vibration et les chocs sur le sol. Marclay voulait ici rendre hommage à l’engagement physique de grands guitaristes comme Jimi Hendrix, mais également rappeler la souffrance des Noirs américains victimes de racisme (c’est en même temps un plasticien doué, voir la Biennale de Venise en 2019).

Patrick Bernatchez (canadien né en 1972) est un autre héritier de John Cage. Depuis 2010, le Goldberg expérienced ghost chorus est une curieuse expérience sonore. L’artiste réalise l’enregistrement à Berlin des variations de Goldberg de Jean-Sébastien Bach, avec le pianiste new-yorkais David Kaplan.

Il a modifié l’instrument 30 fois (en concordance avec les 30 variations écrites par Bach). Par des obstacles posées sur le clavier ou sur la table d’harmonie du piano. Un film de 2011 illustre l’étendue des libertés que se donne Bernatchez pour explorer la malléabilité de la musique.


Patrick Bernatchez Goldberg expérienced ghost chorus

Dans une salle de concert de Montréal, La Sonate pour piano de Guillaume Lekeu est interprétée par David Caplan. La partition a été écrite à l’envers les notes sont jouées de la fin au début.


Patrick Bernatchez Extrait du film 180o et du « making of »

Le pianiste et son instrument sont suspendus dans le vide au-dessus de la scène … retournement inédit de l’espace et écoute insolite … retracé dans un court-métrage de 10 minutes Bernatchez parallèlement, expose son travail de dessinateur dans le cycle chrysalides où le film, le dessin, la peinture et le son sont transmutés avec une grande beauté dans un paysage imaginaire intemporel.

Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla sont un duo d’artistes visuels qui vivent et travaillent à Porto Rico, nés en 1971 et en 1974. En 2008 pour leurs variations sur l’hymne à la joie pour piano préparé, ils ont percé la table d’harmonie d’un piano à queue d’une ouverture circulaire, par laquelle le musicien peut se glisser pour jouer, à l’opposé de clavier, … ici la musique de Beethoven.


Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla variations sur l’hymne à la joie

Par ailleurs, en plasticiens, ils ont réalisé avec de la boue, Hope hypo, une sculpture d’hippopotame grandeur nature, sur laquelle un performeur lit le journal, en actionnant de temps en temps un sifflet.


Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, Hope Hypo

L’hippopotame, fragile, sert de tour de guet pour dénoncer les menaces qui pèsent sur les animaux.

Apotoé pour le Festival d’Automne à Paris en 2012, ils ont exploré les collections du Muséum d’histoire naturelle et découvert le cas exceptionnel de Hans et Parkie, deux éléphants arrivés au Muséum en 1798 comme prise de guerre. Les investigations menées par Allora et Calzadilla leur ont permis de découvrir qu’un concert avait été donné au Jardin des Plantes, en mai de la même année, à l’intention exclusive des éléphants, pour mesurer scientifiquement les effets de la musique sur les animaux..


Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla, Apotoé
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Les artistes ont reconduit cette expérience en préparant un concert à partir des pièces musicales de cette époque et on demandant à Tim Storms, l’homme reconnu pour avoir la voix la plus grave du monde, de chanter en présence des squelettes de Hans et Parki. (Ils invoquent l’idée que cette voix qui descend 8 octaves en dessous du son le plus grave d’un piano, seuls les animaux de la taille des éléphants peuvent en jouir).

Sarkis né en 1938 à Istanbul lui aussi est un plasticien passionné par le son.

Balade litanie pour la baleine. À l’origine, cette musique de 1982 de John Cage s’établit autour d’un récitatif et de 32 réponses chantées par deux voix. Là, (dans le quai des sous-marins des docks de Rotterdam), il est transposé et joué sur un clavier complexe par un carillonneur qui fait vibrer 43 cloches de bronze réparties sur une immense culture de bois circulaire, à 18 mètres sous le sol. La musique est destinée à se propager dans les fonds sous-marins et attirer peut-être, les baleines.


Sarkis, Ballads, litanie pour la baleine, de John Cage Rotterdam 2012
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Partenariat entre le port de Rotterdam et le musée. Les visiteurs pouvaient parcourir les quais des sous-marins sur des vélos mis à leur disposition.

Tarek Atoui the grande (2019). L’artiste né au Liban et qui travaille à Paris avait présenté pendant la Biennale de Venise 2019 une belle installation d’instruments de fortune, bricolés avec toutes sortes de matériaux naturels, qui en même temps, offrait aux visiteurs la liberté d’expérimenter eux-mêmes les sons inédits et variés.


Tarek Atoui the grande Biennale Venise 2019

Achetée par François Pinault, cette installation figure en ce moment au sous-sol de son nouveau musée à la bourse de Paris.

Ces artistes qui travaillent au croisement des arts visuels et de la musique, ont tous emprunté des chemins différents, mais ont en commun de traiter la musique comme substance malléable, un matériau sculptural modelé dans le contexte d’une performance, une matière anthropologique, capable de recevoir le visuel et de concourir à la mise en œuvre de la pensée..

Pour conclure paisiblement
Vincent Bioulès, que nous aimons tous, est né en 1938 dans une famille où tout le monde est musicien. Lui-même joue du violon et organise régulièrement chez lui à Montpellier, avec quelques amis, des soirées de musique. Il dit « J’aime les couleurs comme j’aime les instruments de musique. Si j’avais écrit de la musique, sûrement j’aurais écrit des quatuors à cordes, mais j’aurais aimé écrire de grandes pièces très colorées, parce que je suis passionné par le son. Mais je me suis intéressé très tôt à la peinture, pour échapper à la musique. »


Vincent Bioulès, les idées heureuses (1977) Huile sur toile 160 x 190 cm combustion 200 x 300 cm FRAC Auvergne
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Ressource complémentaire : Le son et la lumière dans la sculpture contemporaine