ISOKON

ISOKON est à la fois le nom d’un immeuble achevé en 1934 et une marque de meubles en contreplaqué cintré, tous deux se rattachant au Mouvement Moderne. Cet immeuble se trouve à Hampstead, un quartier de Londres fréquenté par de nombreux artistes, peintres, sculpteurs comme Henry Moore, photographes, architectes.

Les commanditaires, Jack et Molly Pritchard, et l’architecte Wells Coates, ont fait auparavant le voyage au Bauhaus de Dessau. Quelques années après, fuyant les persécutions nazies, des architectes et designers du Bauhaus sont accueillis dans l’immeuble ISOKON ; un moment important dans la diffusion de la modernité outre-Manche. Cette conférence, se poursuit avec la vie surprenante des premiers locataires, intellectuels, écrivains, artistes, mais aussi espions.

Intervenant : Marc ISCH-WALL


Le Corbusier à Weissenhof
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

La maison double de Le Corbusier, ce n’est pas le sujet du jour ; il n’est pas nécessaire d’avoir assisté à mon exposé sur Le Corbusier à Weissenhof, un exemple du Mouvement Moderne. Je rappelle que ce terme désigne un regroupement d’architectes et urbanistes.
Le Mouvement Moderne se structure entre 1928 et 1959 autour du Congrès International de l’Architecture Moderne (CIAM). Comme les autres arts, cette composante du Modernisme s’oppose aux traditions diverses. Comme la peinture, la sculpture, les arts décoratifs, il participe au bouillonnement intellectuel lancé par les Avant-Gardes en Europe au début du XXème siècle. Jusqu’en 1930, la Grande-Bretagne ignore le Mouvement Moderne. Le terme n’est employé en anglais que tardivement, en particulier par Nikolaus Pevsner en 1974 « Pioneers of the modern movement : from William Morris to Walter Gropius« . « International style« , employé depuis 1932 aux USA, désignerait plutôt le prolongement du Mouvement Moderne, dont le foyer se trouve aux Etats-Unis.

Nous allons traverser la Manche, nous rendre à Londres et plus précisément à Hampstead, où se trouve un des exemples du « Mouvement Moderne » en Angleterre.


Immeuble ISOKON Londres
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Comme le titre de cette conférence le laisse attendre, cet immeuble est le 1er immeuble moderniste (ou relevant du Mouvement Moderne) au Royaume-Uni. La première partie de mon exposé concernera ce projet architectural, son architecte et ses commanditaires, la genèse du projet, sa lente dégradation, suivie d’une restauration exemplaire dans l’esprit des fondateurs. Un immeuble, c’est aussi un agencement intérieur, des meubles, des équipements. J’en parlerai en détail.

Cette étude de l’immeuble appelé Isokon, qui relève de l’histoire de l’art et de l’architecture entre 1930 et 1935 est suivie d’une deuxième partie, qui s’intéresse à ceux qui ont habité les « flats ». Elle est constituée de petits récits biographiques ; entre 1935 et 1947, des écrivains célèbres, des artistes, des architectes, en enfin des espions ont habité «the lawn road flats», l’autre nom de ce bâtiment.
Deux personnalités traversent toute la présentation, le commanditaire qui habite l’immeuble, Jack Pritchard, l’architecte, Wells Coates. Je vous présenterai dès le début les principales étapes de leur vie, avant et après la construction de l’immeuble. 3 anciens du Bauhaus traversent également cet exposé ; ils séjournent dans cet immeuble, coopèrent avec son commanditaire et ont un rôle capital dans la diffusion du Mouvement Moderne au Royaume-Uni : Walter Gropius, Marcel Breuer et László Moholy-Nagy. Ils ont le droit eux aussi à une biographie plus renseignée.

Tout commence à Marseille

En décembre 2018. Ma femme et moi visitons les jardins de la villa Magalone à Marseille.

Nous traversons le boulevard Michelet pour revoir la cité radieuse.


La cité radieuse Marseille
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Nous nous promenons dans la « rue » du 3ème étage ; dans l’ancien supermarché se tient une exposition …. « Luther, Isokon & the Bauhaus« . Il ne s’agit pas du réformateur Martin Luther, mais d’Alexandre Martin Luther, un industriel estonien d’origine allemande. Il a fondé en 1877 à Talinn une société de fabrication de meubles. Elle prend le nom de « A. M. Luther », ou « Luterma« . Elle a déposé le 1er brevet d’une colle hydrofuge pour réaliser le contreplaqué destiné initialement à l’emballage. L’exposition présente les plans d’un immeuble moderniste, appelé Isokon, qui a servi de refuge à des enseignants du Bauhaus fuyant le nazisme.


Exposition Luther, Isokon & the Bauhaus Marseille
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Cette chaise longue design de Marcel Breuer de 1937, est fabriquée en Estonie

Ce meuble bas est conçu en 1963, et fabriqué en Angleterre, après l’annexion de l’Estonie par l’URSS. Tout cela, dont je parlerai plus en détail, est réuni à Marseille dans l’immeuble emblématique de Le Corbusier.

On arrive à Hampstead, à environ 6 km au nord-ouest de Trafalgar Square.


Quartier d’Hampstead à Londres
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Isokon se trouve le quartier de Belsize Park, qui appartenait à l’ancien village de Hampstead. J’emploie le mot village, comme on dit que le baron Haussmann a englobé dans Paris les villages de Passy et d’Auteuil. Ce style de « village », autrefois au milieu des champs, bien relié au centre de Londres par le métro et le train en ont fait une banlieue huppée, habitée aujourd’hui par des personnes instruites et fortunées. Elles ont voté à 75% contre le Brexit. L’arrondissement (c’est ainsi que je traduis « borough ») de Hampstead a été inclus dans l’arrondissement de Camden (London Borough of Camden) en 1965.

Les commanditaires de l’immeuble Isokon ont su profité de la station de métro Belsize park, et de la proximité du plus grand parc de Londres, Hampstead Heath. Ce parc « culmine » à 94 mètres et offre une vue grandiose sur la City.
Hampstead Heath a été peint de nombreuses fois par John Constable, qui y avait sa maison.


John Constable Hampstead Heath 1820, huile sur toile 54 x 76 cm Fitzwilliam Museum de Cambridge
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Dans les années 30, Hampstead est un quartier de Londres, avec des loyers encore accessibles. Deux pôles d’artistes se forment où se côtoient des britanniques et des réfugiés fuyant le nazisme.

Un pôle surréaliste, autour de Downshire Hill, donc plus près du parc Hampstead Heath, le centre du surréalisme londonien.

Je ne peux les citer tous, voici notamment :
Roland Penrose (1900-1984),


Roland Pernrose Camera Obscura 1937 huile sur toile 75.7 × 101.2 cm Art insitut of Chicago
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

John Heartfield, (1891-1968) pseudonyme de Helmut Herzfeld, auteur de collages qui lui valent une profonde haine des nazis.


John Heartfield collage
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Lee Miller, (1907-1977) photographe


Lee Miller Portrait of Space, 1937
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

On peut imaginer qu’ils se retrouvent dans la maison construite au 2 Willow road, par l’architecte Ernö Goldfinger, un autre représentant du mouvement moderne, qui a fait ses études aux Beaux-Arts entre 1923 et 1929. A Paris, il a connu Auguste Perret et Le Corbusier.


Immeuble, 2 Willow road
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le deuxième cercle, autour de Parkhill road et Lawn road, peut être appelé cercle de l’abstraction, avec Piet Mondrian, que je ne présente pas, les sculpteurs Henry Moore et Naum Gabo, dont je reparlerai,

Fred Uhlman, (1901-1985) qui n’est pas vraiment abstrait et que je connais comme écrivain, auteur de « l’ami retrouvé ».


Sir Kyffin Williams Portrait of Fred Uhlman
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ben Nicholspn, (1894-1982).


Ben Nicholson Relief, 1937, Tate Modern
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Paul Nash (1889-1946).


Paul Nash Avebury 1937 Musée de Nouvelle-Zélande
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ce paysage Avebury, est à la limite de l’abstraction. Il va d’ailleurs revenir à une peinture figurative comme peintre officiel de la guerre.

Enfin celui qui n’est ni surréaliste, ni abstrait, ni même expressionniste, Oskar Kokoschka (1886-1980), que je ne présente pas non plus.

Isokon, le 1er immeuble du Mouvement Moderne au Royaume-Uni

Pourquoi un tel nom ?

Quelques années après la livraison des appartements, les dirigeants de la société ont expliqué avoir eu l’idée de ce nom en reprenant les premières syllabes de Isometric unit Construction.

Isometric, parce que l’architecte Wells Coates utilisait la perspective isométrique pour ses dessins.


Immeuble ISOKON
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Unit pour souligner la conception modulaire de l’immeuble, comme le fera Le Corbusier à Marseille

Construction écrit avec un « K » comme dans Konstruktivismus, un mouvement artistique qui s’est développé en Allemagne et surtout en Russie soviétique.

Le tout raccourci en ISOKON. Isokon désigne à la fois un immeuble et une entreprise qui avait la double mission de gérer l’immeuble et de concevoir et commercialiser en Grande-Bretagne des meubles en contreplaqué cintré fabriqués en Estonie. L’immeuble Isokon, situé sur lawn road, est également appelé « the lawn road flats », dans de nombreuses publications britanniques. Je le reprends comme synonyme d’Isokon.

Les commanditaires

Jack et Molly Pritchard forment un couple issu de la classe moyenne britannique qui entend s’affranchir des strictes codes sociaux d’une Grande-Bretagne impériale et conservatrice. Jack Pritchard a étudié à Cambridge ; il a obtenu un mastère d’ingénieur et d’économiste. Il y a fréquenté le cercle d’étudiants progressistes animé par Maurice Dobb, le même que celui fréquenté par l’espion Kim Philby quelques années plus tard. Jack et Molly se marient en 1924.

L’année suivante, Jack rejoint Venesta Plywood Company. La compagnie, qui l’emploie comme directeur du marketing, est la filiale de la société estonienne Luterma. Venesta est la contraction de veneer (placage) et Estonia. Le commerce du thé se fait alors dans des emballages hydrofuges produits après 1900 au Royaume-Uni par Venesta.
Molly a également reçu une bourse pour étudier à Cambridge la chimie, la biologie (natural science) et la pratique médicale (Medical training).
Quand la crise économique atteint le Royaume-Uni, des économistes, des industriels et des banquiers, dont le gouverneur de la banque d’Angleterre, créent le Political and Economic Planning (PEP) pour « suggérer de nouvelles idées », « proposer une nouvelle société ». Jack Pritchard se rapproche de ce groupe de réflexion, proche de John Maynard Keynes. Il s’intéresse à des méthodes innovantes de construction. Il est donc logique que les habitations de Lawn Road Flats reflètent un esprit d’avant-garde, en mettant en scène une architecture innovante au profit d ’une expérimentation sociale.
En 1931, Jack Pritchard fonde une entreprise, avec une participation financière de Venesta.


Jack et Molly Pritchard et leurs enfants en 1934
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

En 1935, il crée sa propre société destinée à la conception et la vente de meubles en contreplaqué. C’est son activité à plein temps jusqu’à la déclaration de guerre.

Nous voyons ici Jack Pritchard, plus âgé confortablement assis


Jack dans un fauteuil conçu par Marcel Breuer,
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

dans un fauteuil conçu par Marcel Breuer, exposé à Marseille. Il a à ses pieds un porte-revues «Penguin Donkey bookcase», conçu pour qu’il s’adapte à la taille des Penguin books, tout en ayant en son centre un espace pour les magazines.


Penguin Donkey bookcase modèle 1939
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voici le modèle 1939, conçu avec Egon Riss, architecte et designer, tout juste arrivé de Tchécoslovaquie, autrefois proche du Bauhaus, de V. Kandinsky et P. Klee. Jack Pritchard l’accueille dans l’immeuble Isokon et comme designer dans son entreprise. La guerre interrompt la production de ce produit sur lequel Isokon fondait de grands espoirs.


Penguin Donkey bookcase modèle 1963
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voici le modèle de 1963, qui est sur la photographie à côté de J. Pritchard. Ce « Penguin Donkey bookcase » version sixties, conçu par le designer Ernest Race était exposé lui aussi à Marseille.

Jack Pritchard un homme au vaste réseau relationnel

Jack Pritchard a su développer un vaste réseau de personnalités dans le domaine des sciences, des arts, de l’économie, de la politique, de la publicité ; certaines d’entre elles ont été parmi les premiers locataires de l’immeuble : Marcel Breuer,


Ise et Walter Gropius fêtent le 1er anniversaires d’Isokon avec d’autres invités
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il a accueilli de nombreux autres réfugiés, des architectes, des juristes. Il les recommandait à des confrères britanniques pour leur trouver un emploi.
Son rôle dans la diffusion en Grande-Bretagne de ce que nous appelons en France le Mouvement Moderne a été reconnu, certes tardivement, par de nombreuses distinctions honorifiques.

Je sors maintenant du cadre chronologique 1930-1947 que je m’étais imposé pour mieux vous faire connaitre l’attachante personnalité de Jack Pritchard.
De 1949 à 1963, il directeur de « Furniture Development Council« , organisation professionnelle de l’industrie du meuble, qui avait un rôle notable dans la recherche.
A 64 ans, Jack Pritchard relance Isokon. Des dépliants publicitaires comme celui-ci sont introduits dans les Penguin books, avec le soutien de la maison d’édition.


Publicité pour Furniture Development Council
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Dans toute son histoire, avant ou après-guerre, la fabrication de meubles par Isokon n’a jamais été rentable. La société et son fondateur ont cependant marqué l’histoire du design au Royaume-Uni ; ces meubles en contreplaqué ont aujourd’hui l’honneur d’être exposés dans le prestigieux Victoria and Albert Museum.

En 1981, Jack Pritchard cède la licence de fabrication des meubles à l’architecte Chris McCourt, qui effectue quelques légères retouches sur les meubles de Marcel Breuer. La fabrication continue jusqu’en 1996. A cette date, deux étudiants du Royal College of Art insistent pour proposer leurs services : Edward Barber et Jay Osgerby. Après quelques tergiversations, Chris McCourt leur confie de nouvelles créations en contreplaqué cintré, comme la table-boucle (loop table). Il ajoute aussi à son catalogue le canapé Ventris, conçu par Marcel Breuer, mais réalisé en un seul exemplaire en 1936. Il crée la marque Isokon-plus en 1998.


Table basse Loop par Barber Osgerby
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

L’architecte


Wells Coates (1895-1958)
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Wells Coates a grandi au Japon, servi dans la Royal Air Force pendant la 1ère guerre mondiale, fait des études de mécanique à l’université de Colombie Britannique. Il passe son doctorat d’ingénieur en Angleterre et vit quelques années comme journaliste, … puis il est designer pour l’agencement des magasins de soie Crysede.

Le directeur général, Tom Heron, quitte Crysede pour fonder sa propre chaine de magasins : Cresta. Il fait encore appel à Wells Coates. Ses créations font l’objet d’articles dans des revues dont « the Architectural Review ».

Ainsi Jack Pritchard entend parler d’un jeune architecte qui utilise le contreplaqué d’une manière particulièrement innovante, correspondant exactement au type d’usage qu’il essaie de promouvoir auprès des architectes. C’est lui qui introduit Wells Coates dans « The XXth century Group », auquel appartiennent, Raymond Mc Grawth, Serge Chermayeff, et Frederic Etchells, (le traducteur de « Vers une architecture » de Le Corbusier).
Raymond Mc Grawth, Serge Chermayeff et Wells Coates, surnommés le trois mousquetaires reçoivent la commande pour l’aménagement intérieur de l’immeuble de la BBC (architecte Val Myer). Wells Coates, qui a une formation d’ingénieur se voit confier le pupitre de contrôle de radio.


Wells Coates BBC le pupitre de contrôle de radio 1930
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il est alors ce qu’on appelle aujourd’hui un « designer ». Il conçoit en 1932 le poste de radio AD65 EKCO, qui est aujourd’hui exposé au Victoria and Albert Museum.


Wells Coates poste de radio AD65 EKCO 1932
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Lorsque Jack et Molly Pritchard achètent un terrain à construire en 1929, ils font d’abord appel à la sœur de Molly et à leur beau-frère comme architecte. Leur projet ne leur convient pas. Jack et Molly entendent parler de Wells Coates qui aménage des magasins en utilisant des matériaux modernes comme le contreplaqué. Ils confient leur projet à Wells Coates pour concevoir et construire leur logement. A ce moment, Wells Coates n’a alors pas de véritable formation d’architecte.

Wells Coates après Isokon

Par la suite et très brièvement pour garder mon cadre chronologique, il fonde une agence en coopération avec David Pleydell-Bouverie. Ils montrent à Ideal Home Exhibition de 1934, une maison sur 2 niveaux : Sunspan House. Il reprend l’idée que Le Corbusier n’a pu mener à bien avec Citrohan, il réussit à ce que plusieurs soient construites, souvent altérées depuis.

Ils livrent en 1935 un immeuble de 11 étages à Brighton en bord de mer, Embassy Court.


Wells Coates embassy court Brighton 1935
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il redevient ingénieur pour le développement d’avions de combat pendant la seconde guerre mondiale. En 1955, il enseigne à Harvard. Il meurt d’une crise cardiaque en 1958 à Vancouver.

La genèse d’un projet

Jack et Molly Pritchard souhaitent visiter nombre de projets modernistes sur le continent.
En avril 1930, Jack Pritchard et Wells Coates sont à Weissenhofsiedlung, près de Stuttgart, un ensemble de bâtiments d’architecture moderne auquel Mies Van der Rohe, Walter Gropius, Le Corbusier et d’autres ont collaboré en 1927.

Leurs premières intentions, en juillet 1930, donc juste après leur visite à Weissenhof, concernaient deux maisons individuelles, une pour Jack et Molly Pritchard, l’autre pour Wells Coates. L’architecte dessine une villa en forme de L.
En septembre 1930, Pritchard et Coates s’associent pour fonder une société de conseil en ingénierie et économie du bâtiment. Coates, n’a jusqu’à présent qu’agencé des magasins.

Ils voulaient innover en proposant des logements modulaires, baptisés Isotypes, susceptibles d’être produits en série à partir d’éléments préfabriqués.


Wells Coates projet de logements
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ils reprennent ainsi un projet de Le Corbusier, Citrohan, une « machine à habiter », modulable, évolutive. Ces principes généraux sont en plein accord avec le CIAM II, qui s’est tenu à Francfort en 1929. Wells Coates, alors totalement inconnu, n’est pas sur la liste des participants, mais il est plus que probable qu’il en a lu les publications. Isotypes n’ont jamais vu le jour

En mars 1931, ils se rendent à Berlin, accompagnés cette fois d’un architecte reconnu, Serge Chermayeff, qui organise une rencontre avec le célèbre architecte Erich Mendelsohn. Les historiens de l’architecture le présentent comme proche de l’architecture organique ; ses principales réalisations se trouvent en Silésie et en Israël. C’est lui qui a réalisé l’observatoire astronomique, la tour Einstein. Il est co-fondateur en 1926 de « der Ring », avec Walter Gropius et Ludwig Mies van der Rohe. Il leur montre Siemensstadt , un projet mené par de nombreux architectes, dont W. Gropius, Hans Scharoun, Hugo Häring (connu pour ses écrits sur l’architecture organique), et d’autres.

Le trio visite aussi Hufeisensiedlung (la cité en fer à cheval) construite par Bruno Taut entre 1925 et 1933.


Village de Khufayzen (village « Horseshoe »)
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ils vont, comme en pèlerinage, au Bauhaus à Dessau, l’année qui suit l’arrivée de Mies van der Rohe comme directeur. Walter Gropius a quitté son poste de directeur 3 ans auparavant ; de plus l’école est vide lorsqu’ils la visite. Après ces visites, ils se demandent si il est opportun de se réserver un grand terrain, alors que sévit la crise du logement.
En fin de cette même année 1931 (octobre ou décembre selon les sources), après avoir vu tout ce que réalisait le Bauhaus au service de l’habitat (meubles, tissus, objets métalliques, …), la société de conseil de Pritchard et Coates, qui a pris le nom d’ISOKON, se destine également à la fabrication des meubles en contreplaqué plié.

Lorsque Jack Pritchard et Wells Coates reviennent de leur voyage en Allemagne, ils publient un compte-rendu dans « the Architectural Review ». Ni le Bauhaus, ni le mouvement moderne ne sont vraiment connus au Royaume-Uni.

Un seul article sur les « architectes allemands » était paru dans Architectural Review d’avril 1924.

La 1ère session du Congrès international d’architecture moderne (CIAM) se teint à la Sarraz en Suisse, un an après l’exposition « die Wohnung » à Weissenhof.


Congrès international d’architecture moderne (CIAM) à la Sarraz en Suisse
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Elle réunit 28 architectes européens, dont Le Corbusier (encadré en jaune), qui y a joué un rôle important. Aucun architecte britannique n’est présent. Seul l’éphémère « The XXth century Group » entend promouvoir le programme du CIAM en Grande-Bretagne.

En 1929, Jack Pritchard visite le salon d’automne ; il est impressionné par l’appartement fonctionnel conçu par Le Corbusier, en collaboration avec Pierre Jeanneret et Charlotte Perriand. L’année suivante, il leur commande le stand de Venesta Plywood Company pour la « Building Trades Exhibition » qui s’est tenue à l’Olympia de Londres en septembre 1930.


Stand de Venesta Plywood Company
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

L’Olympia de Londres n’est pas un music-hall, mais une halle d’exposition. C’est sans doute Charlotte Perriand qui a réalisé le travail (selon Dayblege et Englund).
Ce n’est qu’en 1933, après de nombreuses tentatives infructueuses, qu’émerge « The Modern Architectural ReSearch Group ou MA« .

A l’été 1931, après en avoir discuté avec Molly, le projet de Jack et Wells change du tout au tout. Ils décident de construire 20 « minimum flats », des appartements de superficie minimale, en accord avec les conclusions du second congrès du CIAM. Les personnes auquel l’immeuble est destiné appartiennent à la classe moyenne dont le revenu n’excède pas 500 £. Chaque appartement sera proposé à la location avec des services. La clientèle visée est constituée « des hommes et des femmes en activité n’ayant pas de temps à consacrer aux contraintes domestiques« . Une large gamme de services, comprenant la fourniture des repas ou l’entretien des chaussures des occupants, est proposée et incluse au loyer. Une buanderie collective est proposée. Le prix de construction envisagé s’élève à 5 000 £ (la conversion en € n’est pas aisée. Un facteur multiplicatif de 85 est assez représentatif).

Wells Coates fait remarquer que ce montant de 5 000 £ est irréaliste. Il propose de construire un plus grand nombre de logements sur un plus grand nombre de niveaux. Il présente un 1er projet à l’exposition « the British Industrial Art exhibition », qui se tient à Dorland Hall sur Regent street en juin 1933 ; Il s’agit d’un immeuble sur 4 niveaux. Il expose un prototype du « minimun flat ». L’accueil de « the Architecturlal review » est élogieux. Jack Pritchard réussit à placer 12 réservations d’appartements, faisant valoir que les futurs « Lawn Road Flats » sont situés tout près de la station de métro Belsize park.

Welles Coates présente le projet définitif d’un immeuble sur 4+1 niveaux. Le niveau ajouté correspond à un appartement-terrasse (penthouse), que les Pritchard se sont attribué.


Projet définitif
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le financement

Le budget initial s’élève à 12 500 £. Un tel projet nécessite un financement. Après quelques tâtonnements, Pritchard qui est novice dans ce domaine, opte, sur les conseils du directeur général des transports londoniens, pour un prêt bancaire couvert par une hypothèque. Les banques prêtent ainsi 10 000 £. Le coût final du projet s’élève à 14 850 £ nécessaires à la construction.

Le complément est financé par les premiers clients, le commanditaire, et l’architecte. Il devient urgent de trouver d’autres locataires. Une grande campagne de publicité est lancée.


Présentation du projet
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le loyer annuel envisagé, charges et services incluant le nettoyage, les repas, blanchisserie est compris entre 104 et 170 £ (soit entre 740 € et 1 200 € par mois).

Analyse du projet

La construction de ce bâtiment s’étale de la fin de l‘année 1933 au 26 juin 1934.


La construction
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il est inauguré en présence du député de la circonscription, une femme appartenant au parti conservateur, le 9 juillet 1934.


L’inauguration 9 juillet 1934
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Molly fait un discours commençant par : « Ce bâtiment est peut-être le plus moderne réalisé en Angleterre« . Molly prétend être à l’origine du concept ISOKON, ce que réfute bien sûr l’architecte Wells Coates. Comme dans tout projet, les budgets ont été dépassés. Jack Pritchard le reproche à l’architecte, qui met en cause certaines finitions luxueuses demandées par le client. J’ai eu l’occasion de voir les placards dans la chambre de Jack Pritchard, les boiseries sont abondantes, mais n’expliquent pas tous les surcoûts. Les relations entre les deux hommes ne s’amélioreront qu’après 1955, lorsque Wells Coates reçoit enfin l’hommage qu’il attendait à l’occasion du 21ème anniversaire d’Isokon.