Il est logé pour quelque temps à Isokon, dans un appartement voisin des Gropius.
Il a été un des tous premiers étudiants du Bauhaus, l’un des plus jeunes, l’un des plus doués aussi. Il est étudiant à Weimar entre 1920 et 1924. Theo van Doesburg et Gerrit Rietveld lui font connaitre au Bauhaus l’expérience de « de Stijl », qui marque le jeune Breuer, que voici photographié en 1926, sûr de son talent.
Il participe à la seule commande architecturale que reçoit le Bauhaus pendant la période de Weimar, la villa Sommerfeld, construite en bois de teck récupéré d’une épave de bateau.
Il travaille chez un architecte entre 1924 et 1925, dans ce vivier artistique qu’est Paris, où il fait connaissance avec Le Corbusier. Il revient à Dessau en 1925 pour prendre en charge l’atelier menuiserie. Il se voit aussi confier l’atelier métal par W. Gropius. Il lance la fabrication de meubles en tube d’acier. Le but consiste à produire des meubles simples, bon marché et fonctionnels.
L’année suivante, il crée la célébrissime chaise B3, ou chaise Wassily en hommage à Kandinsky. Il a 24 ans, il pose assis sur son œuvre, aujourd’hui rééditée ou copiée à l’infini.
Sa relation avec Walter Gropius reste forte ; il lui confie l’agencement des deux maisons construites à Weissenhof. Il quitte le Bauhaus en 1928 en même temps que son maitre, puis exerce à Berlin, comme architecte et designer de meubles tubulaires en métal jusqu’en 1931. Son ambition est de devenir architecte. Il obtient sa 1ère commande en 1932, la villa Harnischmacher à Wiesbaden, tandis qu’il travaille à Zürich dans un magasin qui vendait ses meubles.
J. Pritchard le présente à l’architecte F. R. S. Yorke ; ils forment une agence. Il quitte alors « the lawn road flats ». Il poursuit une double activité, designer pour Isokon et architecte. Ils réalisent quelques maisons individuelles comme Sea lane house.
Son expérience et sa renommée dans la réalisation de meubles en fait une recrue idéale pour Isokon, fabricant de meubles en contreplaqué cintré. C’est W. Gropius qui suggère à Pritchard de se consacrer entièrement à la fabrication de meubles et à Marcel Breuer d’adapter ses meubles métalliques à ce nouveau matériau. Il adapte une chaise longue en aluminium.
Dans une revue d’avant-garde : Circle : An international survey of constructive art (Une enquête internationale sur l’art dans la construction), Marcel Breuer se félicite du choix de ce matériau : le contreplaqué cintré réalise simultanément deux fonctions : il peut supporter le poids d’un homme et s’adapter aux formes conçues par le designer. Cette chaise connait un certain succès commercial.
La chaise de salle à manger (dining chair) est initialement formée de 2 pièces de contreplaqué : le siège, les pieds et le support du dossier sont formés à partir d’une seule feuille de contreplaqué. Ce modèle est breveté en 1936, mais doit être entièrement reconçue l’année suivante à la demande du fabricant. En 1937, il conçoit et livre le mobilier d’Isobar, que je vous ai déjà montré.
Il applique la même méthode pour créer des tables gigognes, aujourd’hui réédités.
Ces meubles sont majoritairement fabriqués par Luterma en Estonie. La seconde guerre mondiale et l’invasion soviétique de l’Estonie, suivie de la confiscation de la société Luterma, portent un coup fatal à la fabrication de meubles ISOKON. L’histoire de la famille Luther, industriels depuis 1877, illustre les contradictions et malheurs de l’Europe. Les clauses secrètes du pacte germano-soviétique prévoyaient de placer les états baltes sous influence soviétique. La bourgeoisie d’origine allemande, qui bénéficie d’une position dominante en Estonie et en Lettonie, reçoit la consigne de quitter les pays. Les usines sont saisies par les Soviétiques dès l’invasion de juin 1940. La famille Luther a quitté le pays, mais a fait le mauvais choix. Au lieu de la Finlande, où ils possèdent des usines, ils choisissent de se replier dans l’Allemagne nazie. A la déclaration de guerre, leurs usines britanniques sont confisquées. Ils ne possèdent plus rien.
Jack Pritchard souhaite créer un Bauhaus britannique, mais le projet n’aboutit pas. Sa volonté de confier la construction de nouveaux immeubles, à Londres, Manchester, Windsor et Birmingham n’aboutit pas non plus, faute de demande suffisante et de financement. Sans obtenir de grande commande publique et de poste stable dans les institutions britanniques, Walter Gropius accepte un poste de professeur à la Graduate School of Design de l’université Harvard, qu’il a le droit de combiner avec une agence d’architecture. Il émigre aux USA en mars 1937.
Un grand diner est organisé en son honneur, dont voici la liste des invités. Il est suivi presqu’aussitôt de Marcel Breuer et de László Moholy-Nagy. Jack Pritchard est atterré, à l’idée de devoir renoncer à toute coopération avec eux. Tous les anciens du Bauhaus de Dessau, quittent donc Isokon en 1937. L’immeuble reste occupé par des intellectuels de haut niveau, dont les activités n’ont rien à voir avec l’art ou l’architecture. J’ai réservé le plus original et le plus croustillant pour la fin.
Un nid d’espions
Jack Pritchard a appartenu à des cercles d ’étudiants progressistes. Dès 1930, il est en relation avec des communistes originaires d’Autriche. Il devient donc susceptible de jouer pour le Komintern un rôle bien plus utile que celui du simple compagnon de route. Ce rôle devient appréciable lorsque se réfugient en Grande-Bretagne, des Juifs, souvent communistes, pourchassés par les nazis, mais liées au NKVD.
7 personnes associes aux services secrets soviétiques ont habité aux lawn road flats entre 1934 et 1947. D’autres, jusqu’à 25 peut-être y sont passés et ont pu connaitre l’immeuble peint en gris pendant la guerre pour être moins repérable par la Luftwaffe.
On ne connait pas la raison de ce choix. On peut donc supposer qu’une rue anglaise traditionnelle, avec ses maisons alignées, ne permettent pas des rencontres discrètes. A l’inverse, les deux escaliers d’Isokon, les couloirs protégés par un parapet en béton, rendent toute filature plus difficile. Mais ce n’est qu’une partie de la réponse puisque d’autres espions habitent juste en face.
L’activité d’espionnage dans l’immeuble n’a été rendu publique qu’en 1997, lorsque le MI5 a déclassifié de nombreuses informations. Je vous emmène maintenant dans les appartements d’Isokon pour une véritable affaire d’espionnage, non pas un roman, mais une réalité historique.
Isokon et les espions
Je sors du domaine de l’histoire de l’architecture, pour aborder brièvement l’histoire du socialisme en Grande-Bretagne et ses liens avec la Russie.
Le comte Vladimir Tchertkov, une des principales figures du mouvement tolstoïen et éditeur du célèbre écrivain préfère s’exiler à Londres, plutôt qu’en Sibérie.
Au début, ce cercle garde l’esprit du mouvement tolstoïen, humaniste et chrétien, mais il attire des hommes de lettres socialistes et marxistes. Un petit groupe se forme à Tuckton House, avec en particulier le letton Alexandre Sirnis (dont je vous prie de retenir le nom), et le journaliste lituanien Theodore Rothstein. Tous deux appartiennent à l’aile bolchévique du POSDR et à l’éphémère parti socialiste britannique, qui éclate en 1916, entre partisans et adversaires de la guerre.
Theodore Rothstein est opposé à la guerre. Il quitte le BSP, mais craignant d’être expulsé comme citoyen étranger, il rejoint les services de renseignement britanniques comme lecteur de la presse étrangère, traducteur et interprète. Il participe à la création du PCGB, et assure pour le compte du Lénine les relations du pouvoir bolchévique avec l’extrême gauche britannique. Il sert d’intermédiaire officieux entre les gouvernements britannique et bolchévique.
Lloyd George, qui souhaite un accord commercial avec la Russie, protège Rothstein et lui évite l’expulsion.
Rothstein joue un rôle cocasse lorsqu’il s’agit de sauver le Daily Herald, (l’équivalent de l’Humanité) de la faillite financière et de l’ancrer dans l’aile gauche du Labour. Il reçoit de Litvinov établi à Copenhague, le futur ministre des affaires étrangères soviétique, des bijoux saisis en Russie, cachés dans des mottes de beurre, pour les revendre sur le marché noir britannique. Ce trafic est découvert, Rothstein rejoint la Russie en 1920, et se voit refuser le retour au Royaume-Uni.
Theodore Rothstein continue une carrière diplomatique et meurt dans son lit, à Moscou, en 1953.
Il laisse à son fils Andrew, qui achève ses études d’histoire à Oxford, un réseau apte à séduire des fils de famille aux idées socialisantes. Andrew est membre du comité central du PCGB, et de sa partie clandestine en charge d’apporter de l’argent soviétique pour les organisations communistes. De 1920 à 1945, il est officiellement correspondant de l’agence Tass (en 1925). Le PCGB vit alors une existence indépendante du Labour, qui a refusé de l’intégrer en son sein. Il a une organisation légale qui accepte de participer aux élections, avec des résultats bien modestes (0,3% des voix en 1931), et aussi une organisation clandestine, prête à agir sur ordre de Moscou.
Les photos ne sont pas de bonnes qualité, les espions préfèrent passer inaperçus.
Alexandre Sirnis, qui fréquentait Tuckton House, est marié à Gertrude; elle connait les Pritchard. Alexandre et Gertrude ont deux filles, Melita et Gerty.
Andrew Rothstein recrute Melita Sirnis, devenu Melita Norwood, pour le compte du NKVD. Elle travaille pour le bureau de recherche des métaux non-ferreux. Parmi ces métaux, il y a bien sur l’aluminium, mais aussi un autre, lourd, peu utile à cette époque, l’uranium. Le projet britannique de bombe atomique reçoit le nom de code « Tube Alloy ». La voici photographiée dans sa jeunesse ….
Son activité a été révélée suite à la la défection en 1992 d’un ancien agent soviétique, Mitrokhine, et la publication de ses archives. Une enquête LCI-Express, actuellement en cours utilise les archives de Mitrokhine ; elle fait réapparaitre Philippe Grumbach, ancien directeur de l’Express et agent soviétique depuis 1946.
Elle est alors âgée de 87 ans, l’URSS n’existe plus, elle n’est pas poursuivie. Son activité a été bien plus profitable à l’URSS, que les « cinq de Cambridge », définitivement démasqués en 1963. L’enquête a confirmé qu’elle n’a reçu aucune gratification de ses activités; elle a agi par conviction politique.
Melita a une sœur, Gerty, également agent soviétique. En septembre 1933, elle approche l’économiste Robert Kuczynski, qui vient de quitter Berlin par opposition au nazisme. Robert (ou René), sa femme Berta et leurs 4 filles emménagent dans une maison victorienne, au 12 lawn road, juste en face d’Isokon. Leur fils Jürgen les rejoint le 21 janvier 1936.
Jürgen Kuczynski (1904-1997) est un économiste né en Rhénanie, un universitaire aux nombreuses communications.
Jürgen a été interné en janvier 1940 pour avoir soutenu le pacte germano-soviétique. Cet universitaire de renom dispose de solides appuis jusque dans la famille royale. Il est libéré au bout de 3 mois, il emménage lui aussi à Isokon, appartement 6, où il reste un peu plus d’un an. Lorsque l’URSS est engagé aux côté des Américains et des Britanniques, son passé de propagandiste soviétique est oublié. Il est d’abord recruté par l’OSS, l’ancêtre de la CIA. Il est nommé colonel dans l’US Air Force en charge des bombardements stratégiques ; il a en effet une excellente connaissance de l’économie et de l’industrie nazie. Jack Pritchard, et d’autres intellectuels britanniques participent à l’effort de guerre comme fonctionnaires pour la défense, la censure militaire, l’approvisionnement. Certains habitent « the lawn road flats » ; il est certain que Jürgen Kuczynski laissait trainer ses oreilles à Isobar.
En 1941, le physicien Klaus Fuchs, collègue de Melita Norwood, apprend avec horreur que la Wehrmacht s’approche de Moscou.
Il propose à Jürgen Kuczynski qui anime le parti communiste allemand en exil, d’offrir ses services à l’URSS. Klaus Fuchs travaille lui aussi sur le programme « tube alloy ». Fuchs est un brillant physicien, il travaille sur la séparation des isotopes d’Uranium en phase gazeuse. Il se propose de transmettre un dossier détaillé concernant le développement d’une bombe atomique. Ces informations seront communiqués au GRU, le renseignement militaire soviétique. Elles permettront à Staline de rattraper son retard dans la mise au point d’une bombe atomique.
Jürgen Kuczynski le présente à sa sœur Ursula, a qui pour couverture un poste à LSE.
Elle devient « officier de liaison » de Klaus Fuchs, jusqu’à ce qu’il soit envoyé à Los Alamos dans la cadre du projet Manhattan. Ursula est également agent de liaison de Melita Norwood, qui participe elle aussi au projet « Tube alloy ». C’est elle qui informe Staline de la fusion des efforts américains et britanniques pour développer la bombe atomique. Staline et le NKVD ne croient pas à l’efficacité d’une telle arme.
Jürgen a une autre sœur Brigitte. Elle habite Isokon depuis son mariage en 1936 avec Anthony Gordon Lewis. Lewis, qui bien que membre du PCGB est en poste à la BBC. Il est un des premiers à emménager à Isikon. Brigitte travaille aussi pour le GRU. Il est vraisemblable que Gertrude Sirnis, la mère de Melita Norwood a facilité l’emménagement de Bridget Lewis à Isokon.
Klaus Fuchs a été démasqué en 1951 par le MI5. En étant jugé au Royaume-Uni, il a plus de chance que les Rosenberg. Il est condamné à 14 ans de prison ; après 9 ans, il est libéré et retourne en Allemagne de l’Est , où il a poursuivi une carrière universitaire de physicien. Jürgen et Ursula s’établissent à Berlin-Est quand Klaus Fuchs est arrêté. Ils meurent dans leur lit à Berlin, contrariés cependant par la triste réalité de leur ancien idéal communiste.
Nous quittons les Kuczynski, une famille de Juifs germano-polonais, impliqués dans les partis communistes soviétiques et allemand, d’un haut niveau intellectuel, pour un autre milieu, tout aussi bien éduqué, mais marqués par l’austro-marxisme, moins enclin à suivre le diktat de Staline. Cette flexibilité idéologique, alimentée par la pensée de Wilhelm Reich qui tente de réconcilier le marxisme avec la psychanalyse freudienne, est plus apte à séduire des intellectuels britanniques.
Arnold Deutsch quitte Vienne pour Londres en 1934. Il emménage l’année suivante dans l’appartement 7 de lawn road flats, à deux portes de Brigitte Kuczinski, ou Bridget Lewis.
Il est polyglotte ; il parle l’allemand, sa langue maternelle, l’anglais, le français, l’italien, le néerlandais et le russe. Il est titulaire de 2 doctorats, en philosophie et en chimie. Il adhère au parti communiste d’Autriche, passe en Union Soviétique en 1928. Il appartient au Komintern, qui le « détache » à la Guépéou. Sa mission consiste à cultiver des relations avec de jeunes intellectuels progressistes, formés dans les meilleures universités, avant d’entrer dans les grandes institutions britanniques. Il a ainsi recruté pour le compte du NKVD, successeur de la Guépéou, « les Cinq de Cambridge (ou Magnificent Five) », un groupe d’espionnage composé de cinq anciens de Cambridge (Old Court de Peterhouse). Le premier que recrute Arnold Deutsch n’est autre que Kim Philby.
En 1933, après ses études, Philby se rend à Vienne. Il assiste à l’écrasement de Vienne la rouge sous les canons d’Engelbert Dollfuss. Il aide des communistes autrichiens à fuir l’Autriche. Il épouse une militante du parti communiste autrichien clandestin, Alice Friedmann, dite Litzi. Ils rentrent à Londres en mai 1934. Edith Suschitzky, épouse Tudor-Hart (retenez ce nom), agent soviétique et amie de Litzi, le présente à celui qui l’a recrutée, Arnold Deutsch.
Arnold Deutsch recrute ensuite Guy Burgess, producteur à la BBC, Donald Maclean, Anthony Blunt et John Cairncross. Tous ont travaillé pour le compte de l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide. Après les avoir recruté, Arnold Deutsch a été leur « officier de liaison » ou « officier traitant » en 1934-1935. En 1935, il rentre en URSS et retourne à Londres entre 1936 et 1937, avec pour mission de constituer un groupe d’Oxford cette fois. Il est convoqué à Moscou, considéré comme suspect, radié du NKVD, mais il échappe aux purges. Quand l’URSS entre en guerre, la nouvelle direction du NKVD décide de l’envoyer en Amérique du sud. En 1942, il part pour l’Argentine. Il part sur le cargo Donbass (tout le monde connait maintenant ce nom), qui, selon une de mes sources est bombardé par la Luftwaffe. Il n’y aurait aucun survivant. Selon d’autres sources, le bateau est torpillé. Les survivants témoignent du courage d’Arnold Deutsch pour les sauver. En 1991, les archives du KGB, successeur du NKVD ont été temporairement accessibles à quelques historiens. C’est ainsi qu’on connait l’histoire d’Arnold Deutsch
Par quelle combine Arnold Deutsch se retrouve lui aussi à « The lawn road flats » ? Jack et Molly Pritchard ont depuis leurs études à Cambridge des relations avec des intellectuels d’extrême-gauche. Ce n’est pas tout. Je vous les ai montré en famille avec leurs deux garçons ; ils acceptent aussi des entorses à la morale victorienne. Molly a une liaison avec Wells Coates, ce qui permet d’atténuer les dissensions entre l’architecte et son commanditaire, lorsque les retards de livraison compromettent l’équilibre financier du projet.
Jack de son côté a pour maitresse une amie de Molly, Beatrix Tudor-Hart, avec laquelle il a une fille Jennifer. Leur liaison s’arrête lorsque Jack refuse de quitter le domicile conjugal une fois par semaine pour participer à l’éducation de Jennifer.
Beatrix est la belle sœur d’Edith Suschitzky, épouse d’Alex Tudor-Hart. Elle est photographe de renom, voici un autoportrait.
En 1927, elle a une liaison avec Arnold Deutsch, qui cesse lorsqu’il est muté à Moscou. Il lui offre un Rolleiflex comme cadeau d’adieu. En 1928, elle étudie la photographie au Bauhaus de Dessau. Elle publie des photographies dans des magazines socio-démocrates et antifascistes, comme der Kuckuck. Elle épouse Alex Tudor-Hart, qui l’aide à fuir Vienne en 1933. Mais elle est aussi agent soviétique depuis 1930, sous les ordres de son ancien amant, Arnold Deutsch.
Jack Pritchard demande à la belle-sœur de sa maitresse de faire des photos d’Isokon, alors en construction.
Elle prend des photos pendant les travaux, jusqu’au jour de l’inauguration, des photos de grande qualité artistique. Elle cherche à rendre l’interaction entre l’homme et le bâtiment.
Son studio se trouve à quelques pas de The lawn road flats. A l’automne 1935, elle présente Arnold Deutsch aux Pritchard. Il est parmi les premiers locataires de l’immeuble, appartement 1. Comme couverture, il poursuit jusqu’à la soutenance une thèse de doctorat à l’université de Londres. Sa femme Josephine, qui est opérateur radio, le rejoint en avril 1936. Ils déménagent pour l’appartement 7.
Arnold Deutsch est placé sous les ordres de Teodore Maly, qui a vraisemblablement très mal fini. Il contrôlait un autre agent, Bryan Goold-Verschoyle, un communiste irlandais, qui habite lawn road, non loin d’Isokon. Il a lui aussi très mal fini.
Les Kuczynski travaillent pour le GRU. Arnold Deutsch et ses recrues relèvent de l’OMS (initiales russes pour département de liaison internationale du Komintern), mutés par la suite à l’OGPU, devenu par la suite NKVD. A Moscou, ces services sont rivaux. Il est vraisemblable qu’Arnold Deutsch et son supérieur Teodore Maly, ignoraient l’activité de sa voisine de palier, Bridget Lewis, née Kuczynski, et celle de son voisin d’en face Jürgen Kuczynski.
Le 3ème réseau d’espionnage, sans couverture cette fois, est animé par Simon Davidovitch Kremer, secrétaire de l’attaché militaire à l’ambassade soviétique. C’est par lui, selon toute vraisemblance, que les dossiers fournis par Klaus Fuchs arrivent à Moscou.
Jürgen Kuczynski, qui coordonne les activités du KPD en Grande-Bretagne, ne cache pas ses liens avec l’ambassade soviétique. Il trouve, pour cet espion médaillé, l’appartement 1, celui qu’occupait Arnold Deutsch. Il y reste de 1936 à 1938. Ainsi se trouvent réunies les 3 branches de l’espionnage soviétique.
L’activité d’espionnage continue à Isokon bien au début de la guerre froide. Il est possible qu’Agatha Christie, qui a écrit un seul roman d’espionnage « N ou M ? » ait parlé à des voisins de palier, qui étaient des agents soviétiques. On peut toujours le penser, même si « N ou M ? » est plutôt conçu comme un roman policier.
Le coup d’essai de Wells Coates reste un coup de maitre. L’historien de l’architecture J.M. Richards, a écrit qu’Isokon est, bien plus que n’importe quel autre bâtiment conçu par Le Corbusier, une machine-à-habiter (en français dans le texte).
Il n’y a pas de réponse simple à la question qui a sous-tendu cet exposé : pourquoi un tel immeuble a attiré des universitaires de haut niveau, qui ne manquaient ni de charme, ni d’attirance intellectuelle : est-ce le gout de la modernité, quand Isokon est le seul bâtiment relevant du Mouvement Moderne, une certaine vie communautaire avec le club Isobar, la possibilité de vivre avec des personnes appartenant à la classe moyenne progressiste ? Pendant le Blitz, s’est formé une réelle entraide. Hampstead hébergeait déjà des artistes. C’est aussi le lieu de regroupement de l’émigration allemande, avec un nombre relativement important d’artistes ou intellectuels allemands antinazis.
Pour Arnold Deutsch, l’espion qui serait mort en héros, on peut imaginer qu’Isokon lui est un lieu familier. Il a sans doute connu les réalisation du Mouvement moderne à Berlin, il a vu l’écrasement des Karl-Marx Hof à Vienne. Il a réuni mentalement 3 monuments du Mouvement Moderne, 3 « machines à habiter ».
Les 80ème anniversaire d’Isokon
Pour aller plus loin l’histoire d’Isokon,