New York et ses musées, prise de pouvoir

En 1937, les musées américains s’exportent à Paris, au musée du Jeu de Paume, avec une exposition intitulée 3 siècles d’art aux États-Unis, qui reçoit un accueil très négatif de la critique et très indifférent du public, l’art américain en général paraissant très en retard au regard des courants européens.
A New York est fondée la Society of American Abstract Artists par l’un d’eux George L.K. Morris. Les nombreux artistes abstraits s’estiment trop peu représentés et cette association vise à les faire reconnaître, mais on constate que beaucoup sont sous influence du néoplasticisme de Mondrian comme :

Harry Holtzman, (1912-1987)


Harry Holtzman Square Volume with Green 1936–1937 huile sur bois 60.3 × 60.3 cm
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Burgoyne Diller, (1906-1965)


Burgoyne Diller, composition 10 1934 tempera sur bois 30.2 x 24.7 x 6.3 cm
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Fritz Glarner, (1899-1972)


Fritz Glarner Relational Painting N° 59 huile sur toile 91.4 x 68.6 cm
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ou influencé par Paul Klee, comme :

Ilya Bolotowsky, (1907-1981)


Ilya Bolotowsky Umber, 1938-39 huile sur toile 111.8 × 167.6 cm
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ou sous influence des sous-cubistes de l’école de Paris, comme :
Carl Holty, (1900-1973)


Carl Holty composition 1936 huile sur isorel 51.4 X 67.9 cm
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Stuart Davis (1892-1964)


Stuart Davis Egg Beater No. 4, 1927-28, huile sur toile, 68.9 x 97.1 cm
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Ces artistes distribuent en 1940 à l’entrée du MoMA un feuillet de protestation. “En quoi est moderne le musée d’art moderne ? Est-ce le musée du business ? … ” Le nouveau MoMA vient d’être inauguré en 1939 et l’un des 7 membres fondateurs Paul Sachs (petit-fils du fondateur de la banque Goldman Sachs) déclare que le MoMA a un devoir vis-à-vis du grand public, car en servant l’élite, il atteindra le public dans son ensemble.

Les grosses fortunes américaines entrent dans la danse. En effet en 1939, le pacte germano-soviétique, l’invasion de la Pologne, l’entrée en guerre de la France et de l’Angleterre suivie par l’invasion de la Finlande par l’Union soviétique tout cela trouble les esprits et les États-Unis veulent apparaître comme le dernier grand pays démocratique. Mais il fallait d’urgence évincer les marchands d’art parisiens qui contrôlaient complètement le marché de la peinture. Les galeristes parisiens, installés à New York, décourageaient leur clientèle américaine d’acheter les œuvres des artistes américains.
La chute de Paris, la ville lumière aux mains des nazis, fut vécue comme la victoire de la barbarie sur la démocratie.

Harry Truman estime que le rôle des États-Unis est de sauver la civilisation et les politiciens acceptent d’emblée l’idée que l’art allait jouer un rôle central. En 1940 fut organisée une Buy American Week une semaine dans tout le pays pour acheter de l’art américain.


Buy American Week
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1 600 expositions, 32 000 artistes y participèrent. Par exemple à San Francisco dans un immeuble dans un immense hangar au Golden Park les artistes ont travaillé en direct devant le public pendant une semaine, puis ont ensuite vendu leurs oeuvres.


L’art en action, au Golden Park de San Francisco, 1940
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La photo a été prise depuis l’échafaudage de Diego Rivera qui peignait une fresque intitulée ”l’unité panaméricaine”.

Cependant, pour supplanter l’art européen, les artistes américains manquent encore d’originalité, de singularité, personne encore n’émerge.
Ce constat amer, c’est Clément Greenberg le critique d’art le plus influent qui le fait en publiant un ouvrage intitulé Avant garde et kitsch. Pour lui, tout art qui n’a pas le courage d’être à l’avant-garde, donc d’abord incompris, est voué à chercher à complaire au public et à rester médiocre, c’est ce qu’il appelle kitsch, et il déplore que les États-Unis n’aient pas inventé une avant-garde capable de bousculer les esprits.
Samuel Kootz ouvre sa galerie à New York pour défendre les artistes américains d’avant-garde. Il a repéré à ses débuts Robert Motherwell, (1915-1991)


Robert Motherwell sans titre 1943 collage encre sur papier japonais 48.3 x 38.1 cm
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Une abstraction qui n’est pas sous influence d’oeuvres européennes.

Il expose également Hans Hofmann (artiste allemand qui vit à New York depuis les années 30 qui a ouvert une école de peinture) et à partir de 1947, Kootz devient le vendeur exclusif de Picasso aux États-Unis.


Hans Hofmann, effervescence 1940 huile, encre de Chine, 1942 caséine et émail sur panneau de contreplaqué, 54 x 34 cm
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Il introduit également Soulages à New York.

1941- 42 : Les Surréalistes, fuyant le nazisme, sont en exil à New-York

En 1941-42 les surréalistes fuyant le nazisme se sont exilés à New York (Breton, Matta, Ernst, Dali, Masson …) entrent aussitôt en contact avec les jeunes avant-gardistes américains : Pollock, de Kooning, Rothko..

Peggy Guggenheim (1898-1979) qui leur ouvre sa fortune et ses relations, contribue à les aider à quitter l’Europe. Elle crée sa galerie Art of this Century (où les tableaux ne sont pas accrochés aux murs, mais flottent dans l’espace). Elle y accueille Max Ernst qu’elle épouse. Elle a acheté ses belles peintures : Marlène et la toilette de la mariée. Elle montre les tous derniers Mondrian, de New York, où il est enthousiasmé par la ville.


Mondrian, New York City , 1942 huile sur toile 119,3 x 114,2 cm
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et Broadway boogie-woogie,


Mondrian, Broadway Boogie Woogie, 1942-43 huile sur toile 127 × 127 cm
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Voir un commentaire (MoMA)

Les artistes américains ont eu un moment l’idée de s’inspirer des mythes antiques afin de pouvoir être exporté hors des Etats-Unis.
C’est le cas d’Adolph Gottlieb, (1903-1974) qui utilise le rapt de Perséphone.


Adolf Gottlieb, le rapt de Perséphone, 1943 huile sur toile 86.8 × 66.4 cm
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et les œuvres de Marc Rothko inspirées par le surréalisme, comme le présage de l’aigle,


Marc Rothko le présage de l’aigle 1942 huile sur toile 72 x 52 cm
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Voir également :
Le sacrifice d’Iphigénie
Slow Swirl at the Edge of the Sea

Les Pollock surréalistes comme Mask,


Jackson Pollock, Mask,1941 huile sur toile 42.5 x 52 cm
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La femme lune coupe le cercle,


Jackson Pollock – Blue Moby Dick 1943 huile sur toile 47 x 60.7 cm
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Jackson Pollock – Pasiphaé 1943 huile sur toile 142.6 × 243.8 cm
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Voir le mythe de Pasiphaé. Effet de brouillage, nous avons du mal à retrouver les personnages. W. Rubin a découvert que le titre originale était Moby Dick, c’est Peggy Guguenheim qui après avoir vu une série de Masson sur Pasiphaé lui suggère ce titre.

Comme Peggy Guggenheim est proche des responsables du MoMA, elle fait acheter par le musée la Louve de Pollock, une consécration. (Il évoque la louve de Rome, figuration brouillée par toutes les traces de peinture, traité en écriture automatique.)

D’où vient cette inspiration surréaliste aux artistes américains ? De leurs contacts et échanges avec les Français André Breton, Max Ernst, André Masson, Roberto Matta, mais aussi de leurs lectures de Freud et de Jung qui parlent de l’inconscient, de l’écriture automatique, des pulsions érotiques etc.

En 1943, Peggy Guggenheim commande (sur le conseil de Marcel Duchamp) à Pollock un très grand mural décoratif. Faute de temps pour trouver une autre idée, dit Pollock, il réalise au pinceau un très grand « all lover », c’est-à-dire une surface régulièrement animée de signes, sans centre, sans hiérarchie entre les parties. C’est une révolution, mais elle n’intéresse pour l’instant que les milieux de l’art les mieux informés.


Jackson Pollock Mural 1943 huile sur toile 242.9 x 603.9 cm
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Toujours soucieux de promouvoir l’art américain, le département d’État organise une exposition itinérante : “l’art américain en marche”, destinée à voyager en Amérique latine et en Europe pour une tournée de 5 ans.


1946, exposition itinérante organisée par le Département d’État «l’art américain en marche»
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Elle a été présentée au MET, puis à Paris et à Prague, mais dès l’année suivante elle a été arrêtée, à la suite des critiques formulées par les conservateurs américains du Sénat. Ces 79 peintures seraient anti-américaines, subversives, selon le Congrès et le président Truman (qui affiche en public son mépris pour l’art moderne). Qui étaient les artistes sélectionnés pour cette exposition ? Il y avait entre autre :
Romare Bearden afro-américain,
Jacob Lawrence afro-américain
Ben Shahn né en Russie,
Stuart Davis, soupçonné d’être communiste.
Edward Hopper,
Arthur Dove, …
– Deux femmes Loren Maclver et
Georgia O’Keeffe, soupçonnée d’avoir des idées de gauche.
Beaucoup étaient des immigrants ou avaient des tendances de gauche, or le Congrès est en pleine guerre froide avec l’Union soviétique. Donc cette exposition prévue pour célébrer la liberté d’expression dont jouissait les artistes dans une démocratie a été censurée. Les œuvres rappelées par le secrétaire Marshall ont été vendues pour moins de 100 dollars par l’administration et acquises par des universités et des galeristes contents de l’aubaine.

En 1946 ouverture de la galerie Betty Parsons.


1946, ouverture de la Galerie Betty Parsons
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Désireuse de contribuer à l’émergence d’une avant-garde, elle consacre sa première exposition à des peintures indiennes de la côte nord-ouest, en pensant que ceci pourrait contribuer à dynamiser la scène artistique newyorkaise.


Northwest Coast Indian Painting
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