Nous allons revenir sur les temps forts de cette Biennale dédiée aux femmes de toutes cultures et aux mondes imaginaires, afin pour ceux qui l’ont visitée d’approfondir leur compréhension des œuvres présentées, et pour ceux qui vont les découvrir par l’image, de partager nos émotions et nos questionnements.
Nous verrons également que nombre de Pavillons Nationaux ont choisi de confier leurs espaces à des artistes issus de l’immigration ou appartenant à des minorités autrefois méprisées, démontrant une fois encore que le monde de l’art ignore les frontières géopolitiques et mentales et fait preuve d’une salutaire ouverture d’esprit.
Intervenante : Agnès Ghenassia
Ce grand rendez-vous international rassemble 200 artistes originaires de 58 pays, et cette année, exceptionnellement, 80 % de femmes.
Cécilia Alemani, la commissaire d’exposition désignée pour cette édition, a choisi pour titre “le lait des songes”, par référence au livre de Leonora Carrington, artiste surréaliste britannique qui avait fui l’Europe pour le Mexique en 1942.
Voir une interview de Cecilia Alemani (en anglais)
Leonora Carrington avait illustré un livre de contes pour enfants, dont elle avait affiché les dessins sur les murs de sa maison mexicaine pour ses deux fils Pablo et Gabriel. Un monde de métamorphoses de chimères, de fusion entre hommes-animaux et hommes-nature (on retrouve encore beaucoup ces hybridations chez les artistes contemprains). Interrogé sur ce choix Cécilia Alemania a répondu qu’en effet le livre de Leonora Carrington invitait à privilégier le monde de l’imaginaire et des hybridations de toute nature, mais que la vie de Leonora renvoyait à la notion de résilience, de capacité à se redresser malgré les drames de l’existence. En effet, avant la guerre de 39-45, Léonora a été la compagne de Max Ernst et la muse des artistes et poètes surréalistes. Lorsque Max Ernst a été arrêté, Leonora désespérée, suicidaire, a été internée en psychiatrie, avant de s’enfuir avec l’aide d’une amie en Espagne puis au Mexique, où elle a poursuivi son œuvre de peintre, parmi d’autres artistes réfugiés comme elle.
Cécilia Alemani a donc sélectionné des artistes qui croient au pouvoir du merveilleux, mais aussi ceux qui, comme Leonora, mènent une réflexion sur la fragilité des hommes et du monde, et poursuivent leur travail même dans des conditions souvent difficiles ou douloureuses.
C’est ce que nous allons voir tout d’abord dans le pavillon central des Giardini.
Les Giardini
Katharina Fritsch, une artiste allemande née en 1956 très connue pour ses sculptures grandeur nature ou surdimensionnées réduites à une forme autonome par l’emploi de couleur monochromatique non réaliste, nous présente à l’entrée, une éléphante verte, elle nous précise que c’est bien une éléphante.
Biennale Arte 2022 – « Elefant / Elephant (1987) » by Katharina Fritsch
Voir également d’autres images d' »Elephant »
Elle est très connue pour ses sculptures grandeur nature ou surdimensionnées, qu’elle réduit à une forme autonome de sculpture par l’emploi des couleurs, qui sont monochromes et non réalistes.
Son œuvre la plus mémorable est « Rattenkönig » (le roi des rats) en 1993. C’était 16 rats attachés par leur queues nouées comme une grosse pelote.
Katharina Fritsch – Roi des rats, 1993 Résine polyester et peinture, 280 x 1300 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Les rats forment un cercle et on aperçoit qu’au centre, ils sont bloqués parce que leur queues ont été nouées ensemble en une grosse pelote.
Et « Tischgesellschaft« , une assemblée d’hommes, comme des clones face-à-face attablés.
Puis, passé l’éléphante, seule sur un mur, une gouache fraîche et naïve de Maria Primatchenko (1908-1997) une artiste ukrainienne, paysanne, atteinte de poliomyélite.
Elle n’avait guère quitté son village mais décorait sa maison et les maisons de ses voisins avec des figures imaginaires très colorées. Son talent avait été découvert et ses peintures ont été exposées en Pologne, en Bulgarie, au Canada. Plusieurs de ses peintures ont été détruites dans un musée, lors d’un incendie provoqué par les bombardements russe récemment.
Voir d’autres oeuvres de Maria Primachenko (Instagram).
Ensuite une salle réunit deux artistes :
Andra Ursuta (roumaine née en 1979 qui habite à New York), qui assemble des matériaux hétérogènes que l’on devine sous le verre qui les homogénéise. Mais les personnages sont quelquefois inquiétants.
Ce sont des corps hybrides, réalisés à la fois par moulage à la cire perdue et par scan 3D, donc des assemblages composites, dans lesquels a été coulé du verre, avec des pigments colorés. La cuisson lente à haute température permet d’obtenir des couleurs mouvantes fluidisées (comme pour les vases de Gallé ou de Daume)
Voir également d’autres oeuvres de Andra Ursita.
Sur les murs de cette salle, des monochromes et des abstractions géométriques, qui sont l’œuvre de
Rose-Marie Trockel (une artiste allemande née en 1952) connue pour ses performances et actions féministes et pleines d’humour.
Ici il s’agit de peintures au tricot ! Elle a tendu sur deux châssis des mailles de tricot réalisées industriellement : une façon ironique de tirer du côté du féminin l’histoire de l’abstraction géométrique et du monochrome, qui s’est écrite avec des hommes.
Voir un commentaire
Dans la salle suivante nous sommes face à trois grandes figures importantes, de 2,30 m de haut, qui sont l’œuvre de
Mrinalini Mukherjee (1949-2015 artiste indienne) une sculptrice dont les œuvres artisanales sont fortement inspirées des mythologies de l’hindouisme. Ici elle a travaillé avec une fibre qui est une corde naturelle indienne, proche du chanvre. C’est lourd et majestueux et les titres en sanskrit qui signifient “divinité de la terreur”, “divinité de la forêt” etc.
Elle s’inspire de la mythologie de l’hindouisme et des sculptures que l’on voit dans les temples hindous.
Voir d’autres images
Dans la même salle, deux peintres occupent les murs.
Cécilia Vicuña, (née en 1948 vit entre Santiago et New York). Poétesse peintre, performeuse et activiste, cette artiste a quitté le Chili après le coup d’État de Pinochet en 1973.
La peinture intitulée El Paro nationale (grève nationale) 1977-78, relate un souvenir de 1973 à Bogota, où les ouvriers se sont mis en grève. La police militaire a recruté de jeunes paysans pour réprimer les grévistes, qui ont répondu aux attaques en disséminant des clous pour crever les pneus des camions de la police. Les grévistes sont représentés comme des animaux sacrés persécutés, panthère, puma, bison accompagnés d’un squelette, d’une femme nu et d’un petit Lénine. Mais ils sont cernés par les militaires.
Cecilia Vicuña, Leoparda de Ojitos, 1976 Huile sur toile de coton 140,7 × 90,2 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
On retrouve l’un de ces animaux dans le léopard de Ojitos debout entre deux arbres, avec sa fourrure parsemée d’yeux, ses mains humaines et son sexe exposé. Symbole des chiliens opprimés par la dictature.
La comegente (1971-2019) peinture perdue et refaite, montre une déesse qui engloutit les humains pour fertiliser la terre. Ce thème s’inspire de la peinture du 16e siècle, réalisée par les artistes incas de Cusco au Pérou. D’autres peintures évoquent l’exil, et la nostalgie du pays abandonné (image coupée en deux entre souvenir et réalité).
Cet automne Cécilia Vicuña est invitée à occuper le hall de la Tate Modern à Londres.
Voir un commentaire.
L’autre peintre est :
Merikokeb Berhanu, née en 1977 en Ethiopie vit aux Etats-Unis.
Cette série de peinture acrylique s’intitule « Cellular Universe« , elle rend hommage à la composition cellulaire de nombreuses espèces et aux organes reproducteurs qui sont communes : embryon, gousses, cernes des arbres etc.
Voir un commentaire.
Biennale Arte 2022 – Merikokeb Berhanu
C’est très coloré, souvent abstrait. On comprend bien la thématique des cellules.
Voir un commentaire.
première capsule temporelle
La culla della strega (Le berceau de la sorcière)
On pénètre ensuite dans une première cellule temporelle conçues par Cécilia Alemani. Il s’agit de retours sur des artistes du début du 20e siècle qui ont été pionnières dans bien des domaines, et qui avaient des revendications que l’on retrouve chez les artistes contemporains. Les formats sont plus petits, l’ambiance est plus intimiste. Cette première cellule s’intitule “le berceau de la sorcière”. Ici sont regroupées des femmes-artistes qui ont usé de mascarades et de fantasmes pour échapper et déconstruire les stéréotypes masculins
On découvre par exemple :
Gertrude Arndt, (1903-2000) une artiste polonaise qui, avant Cindy Sherman, avait réalisé en 1930, 43 autoportraits photographiques dans lesquels elle incarnait les différents types de femmes de la République de Weimar.
Gertrude Arndt avait été formée en arts visuels au Bauhaus.
Voir un commentaire.
Claude Cahun (1894-1954) née Lucy Schwob, plasticienne, photographe liée depuis l’adolescence à Suzanne Malherbe, qui devient Marcel Moore. Persécutée pour sa judéité, elle a vécu clandestinement d’abord puis ouvertement sa liaison avec Marcel Moore. Elle a fait des études de lettres, côtoyé Michaud, Desnos… Tout son travail photographique porte sur l’identité et le genre. Arrêtée pour acte de résistance sur 1944, condamnée à mort puis sauvée, son œuvre est reconnue véritablement que depuis 1982.
Voir un commentaire.
Leonora Carrington (1917-2011) et ses peintures inspirées de mythes, pleines de figures féminines monstrueuses obéissant à des forces spirituelles.
Portrait de feu madame Partridge (1947) une femme au long cou, cheveux électrifiés, caresse un grand oiseau bleuté.
Portrait de madame Dupin (1949) la figure principale porte sur sa poitrine un être hybride entre homme et plante.
Voir un commentaire.
Ithell Colquhoun, (1906 Inde – 1988 Angleterre) née en Inde dans une famille de fonctionnaires britanniques, elle a réalisé des peintures peuplées de formes associant paysages et organes génitaux.
Voir un commentaire.
Ithell Colquhoun Gorgone (1948) huile sur toile 57.8 x 57.8 cm collection particulière
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Gorgone (1948) on peut voir une silhouette ambiguë avec des cheveux-serpents, protégeant sous ses ailes, un paysage, ou on peut voir un gros plan sur un fruit pourri, ou un utérus fantastique.