Art et publicité

Kurt Schwitters (1887-1948) ,qui s’inscrit dans le courant dadaïste, a baptisé en 1919 son travail du nom générique de “Merz”, qu’il a extrait par hasard du mot “Kommerzbank” donc il a découpé la syllabe centrale.
Il a désigné ainsi, toutes ses formes d’expression artistique, évoluant surtout vers le collage d’éléments de récupération.


Kurt Schwitters, composition (1914) Papiers de couleur découpés et collés sur papier
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Ces éléments sont souvent des fragments de réclames et d’emballages de produits. Mais comme l’artiste dans ces mêmes années va gagner sa vie comme typographe à Hanovre et qu’il édite sa propre revue “Merz”, on trouve par exemple dans le numéro 11 de sa revue une double page de “typo-reklame” pour les encres Pélican… Dans le même esprit constructiviste Schwitters brouille les frontières entre art et publicité.

3 – L’apport des avant-gardes, futurisme et constructivisme, la publicité se professionnalise (1920 -1930)

Parmi les futuristes italiens qui veulent révolutionner tous les domaines de la création, Fortunato Depero (1892-1960), est un précurseur de graphisme publicitaire moderne. Par exemple cette publicité pour Cicli Bianchi en 1924-1925.


Fortunato Depero, publicité pour Cicli Bianchi (1924-1925)
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… ou cet autre pour la firme Campari.


Fortunato Depero, publicité pour Campari, collage sur carton 71 x 96.5 cm
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Ce ne sont plus des femmes séduisantes pour vendre mais d’amusants mannequins aux formes anguleuses : un langage plastique très nouveau.
Voir d’autres publicités pour Campari.

Entre 1928 et 1930, Depero est allé à New York chercher de nouveaux commanditaires et a fait plusieurs couvertures pour Vanity Fair.


Fortunato Depero, couvertures pour Vanity Fair (1928-1930)
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À son retour en Italie, il a présenté un distributeur automatique de Campari et la maquette d’un pavillon publicitaire pour la marque en 1933.
Voir d’autres publicités de Fortunato Depero.

À la même époque, en URSS, les constructivistes développent un art de la propagande qui se veut efficace et populaire pour promouvoir les produits des usines d’État.
Alexandre Rodtchenko (1891-1956) et Vladimir Maïakovski (1893-1930), publicité pour la fabrique de caoutchouc Restina en 1923 qui fabrique des tétines pour biberon.


A. Rodtchenko et V. Maïakovski, publicité pour la fabrique de caoutchouc Restina (1923)
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Voir également :
– Publicité pour des crayons Mostpolygraphie Rodchenko
– Publicité pour des galoches Reginotrest 1923


A. Rodtchenko, publicité pour les livres (1925)
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Publicité pour les livres édition d’État de Leningrad 1925. Lettres capitales épaisses, caractères obliques et gras pour le mot Khingi (livre), idée de ferveur et d’énergie.

Au Bauhaus, à partir de 1925, la création publicitaire devient une filière d’enseignement : l’atelier de typographie et de publicité est dirigé par Herbert Bayer alors âgé de 25 ans. Il diffuse largement des publicités pour les événements et les productions du Bauhaus.

Mais à partir de 1930, à Berlin, Herbert Bayer crée sa propre agence de publicité ainsi qu’une revue de communication visuelle Die neue linie (La nouvelle ligne) dans laquelle la photographie prend de plus en plus de place.


Herbert Bayer, Revue Die neue linie (1930)
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En France, Cassandre (Adolphe Jean-Marie Mouron) (1901-1968), né en Ukraine de parents français, est venu à Paris en 1915, suivre les cours de dessin et de peinture à l’Académie Julian. Il s’intéresse très tôt au Bauhaus.

À partir de 1922, il est embauché dans un studio de création et prend le nom de Cassandre. Au début il considère cette activité comme purement alimentaire. “La peinture est un but en soi, l’affiche n’est qu’un moyen de communication entre le commerçant et le public”. Mais il a un tel succès en tant que graphiste publicitaire qu’il est récompensé en 1925 par le grand prix de l’exposition internationale des arts décoratifs. « L’affiche doit forcer le regard, elle doit être avoir une puissance d’appel brutale« .
Cassandre réalise ses dégradés à l’aérographe, une technique qui se répand dans les années 20.


Cassandre, publicité pour la compagnie des wagons-lits (1930)
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Voir d’autres publicités de Cassandre.

Après un séjour aux États-Unis dans les années 30 où il travaille pour Harper’s Bazaar, il abandonne la publicité pour se consacrer à la peinture. C’est à lui cependant à qui en 1961, on doit le logo de Yves Saint Laurent.

Raymond Savignac (1907-2002) est autodidacte. Il a commencé sa carrière d’afficheur en 1935 sous la tutelle de Cassandre. Lui aussi adopte un langage simple et efficace avec une touche d’humour. “L’affiche est un scandale visuel. On ne la regarde pas, on la voit. C’est la loi d’optique qui détermine sa forme ; sa lecture doit être instantanée”.


Raymond Savignac, Bic écriture souple (1956)
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Voir d’autres publicités de Raymond Savignac.

Victor Vasarely (1906-1997), la publicité a été son premier métier. Sa formation au Műhely de Budapest, (le Bauhaus hongrois), l’y avait préparé, et il avait même remporté un prix dans un concours d’affiches.

Dès son installation à Paris en 1930 à 24 ans, avec sa femme Claire, il est embauché par Havas, l’agence de publicité comme dessinateur-créateur puis par Draeger célèbre imprimeur. Il a exercé ce métier alimentaire et lucratif avec talent, efficacité et humour, jusqu’à la guerre et l’occupation.


Victor Vasarely, Toux (1934)
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Plastocoat (1934) comme un clin d’œil au style de Fernand Léger pour évoquer l’univers de la métallurgie.

Il réalise beaucoup de publicités pour des laboratoires pharmaceutiques.
A ce propos en 1947 il dira que “le dessinateur publicitaire doit mettre en sourdine sa personnalité, et au besoin la sacrifier ; le goût, le genre, la compréhension et le style de l’ œuvre publicitaire, varient selon la couche de population à laquelle elle s’adresse. Le problème est essentiellement différent, pour une affiche de football destinée à attirer la foule, et un encart pharmaceutique adressé aux médecins.”


Victor Vasarely, affiche Aix France, Amérique du sud (1947)
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L’affiche Air France, Amérique du Sud de 1947 illustre la reprise des liaisons Transatlantiques vers l’Amérique du Sud. L’avion se prépare à atterrir face au soleil qui se couche sur le célèbre pain de sucre et dont les rayons lumineux se reflètent dans la mer en traçant un long sillage.
En 1988, la sphère du trophée Lancôme (1988) renvoie à l’évolution de l’œuvre de Vasarely plasticien.

4 – Le cas Magritte

René Magritte (1898-1967) son cas est intéressant car comme beaucoup d’artistes il a été contraint d’exercer une activité professionnelle lucrative en plus de sa vocation artistique. Dès ses 20 ans c’est la publicité qui lui a offert ce complément de revenu et pour cela il avait fondé avec son frère Paul le studio Dongo, mais il détestait ce travail, parlant de ”travaux imbéciles, affirmant que la publicité et les arts appliqués tuent l’art pur”. Parfois ses propositions essuyaient des refus.


René Magritte, publicité pour Mme
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Pour le parfumeur Mem en 1946 un arbre s’ouvre en trois compartiments sur des flacons ; son idée a été refusée il en fera cependant le thème d’une de ses séries des plus célèbres : La voix du sang (1948).


René Magritte, publicité pour Sabena
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Quant à l’oiseau du ciel c’était une commande de la compagnie aérienne Sabena dont c’est devenu le logo type de la marque, entre 1966 et 1973, en plus d’être considérée comme une œuvre majeure du surréalisme.

Mais il y a un paradoxe, les œuvres de l’artiste qui n’aimait pas faire de la réclame, sont aujourd’hui les plus citées dans la publicité.
Les citations de Magritte sont plus ou moins littérales et adressent un clin d’œil aux connaisseurs, en reprenant les thèmes de ses tableaux précédents.


René Magritte, Les temps menaçants (1927), repris pour une publicité d’Air France (1976)
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Voir d’autres exemples :
Le modèle rouge (1936) repris pour Canada voyage 1975.
La condition humaine (1933), repris pour une publicité pour les peintures Berger.
Golconde de (1953) repris pour une publicité pour Nokia.
L’empire des Lumières repris pour une publicité pour Nescafé.

Voir l’influence des tableaux de Magritte sur la publicité.

Depuis les années 30 la publicité se professionnalise et se présente comme une nouvelle discipline, rigoureuse, plus technique : on voit naître des formations spécifiques qui mènent au métier de publicitaire. Ce qui n’empêche pas les professionnels de la publicité de puiser leur inspiration dans les œuvres des artistes, à la fois pour apporter une plus-value culturelle à leurs images, et pour établir un lien de complicité avec le grand public, d’où le choix le plus souvent d’œuvres iconiques très largement diffusées.

Pour les publicitaires, s’offrir directement les services d’un génie n’a pas de prix !

C’est ainsi que Salvador Dali (1904-1989) n’a eu aucun scrupule à monnayer ses talents.

Par exemple, il a extrait de son œuvre la persistance de la mémoire (1931) une montre molle pour servir de promontoire à la berline du constructeur Datsun.


Salvador Dali, publicité pour les collants Bryans (1948)
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Pour les collants Bryans en 1948 il a extrait des composants récurrents de ses peintures : plaine désertique, ailes déployées, femme fleur, corps déconstruits, qui ont servi de base pour des collages.

Mais en plus d’être un faiseur d’images inspiré, Dali a un sens aigu du commerce. En 1969, chargé de rajeunir le logo de Chupa Chups, son idée est de l’apposer au sommet de la sucette et non sur le côté, pour le rendre plus visible, et la marque a déboursé une somme colossale. Dali déclaré : « Je suis un artiste et j’adore faire de la réclame. Dès lors que vous me payez je fais tout ce que vous voulez ! » D’où le surnom « d’Avila dollar » trouvé par Breton.


Je suis fou du chocolat Lanvin !

Dans la mémorable séquence publicitaire pour les chocolats Lanvin, avec son accent catalan, ses yeux roulant et ses moustaches, il joue une version parodique de lui-même.

Comme le dira Warhol plus tard, Dali a utilisé sa propre image, pour vendre un produit. Pourtant il lance avec lucidité que “les médias sont les grands moyens modernes d’avilissement et de crétinisation des foules.” Son œuvre, comme celle de Magritte, fait souvent l’objet de citations, par exemple :
Perrier.
Volkswagen.

5 – Le pop art, brouillage des frontières entre art et publicité (1960-1970)

L’œuvre pionnière du genre est un collage de Richard Hamilton qui date de 1956 et s’intitule : « Qu’est-ce qui peut bien rendre nos foyers d’aujourd’hui si différents, si sympathiques ? » Avec humour, il a rassemblé des éléments de publicité découpés dans des magazines. Les pop-artistes des années 60, ne dénoncent jamais la présence envahissante de l’image publicitaire, au contraire, ils l’exaltent et participent à sa prolifération.

Andy Warhol (1928-1987), l’artiste qui aimait la pub. A ses débuts, s’était fait remarquer comme dessinateur publicitaire. Par la suite, ses liens avec son premier métier n’ont jamais été totalement rompus, car dans son esthétique pop, la mise en scène frontale, la répétition d’un objet détouré sur un fond uni coloré, rappellent les images commerciales, de même que la facture lisse qui donne à ses toiles, l’aspect du papier glacé des affiches ; de plus, ses sujets favoris, sont des marchandises de la société de consommation de l’après-guerre aux États-Unis.


Andy Warhol, Campbell’s Soup, (1962) acrylique et sérigraphie sur toile, 510×410 cm
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Voir également :
Bouteilles de Coca.
Lessive Brillo.
L’influence du pop art sur la publicité.

En 1985 il sérigraphie intégralement une page de publicité de Volkswagen des années 60.
Sa personnalité atypique et sa fascination pour les médias en font une égérie idéale. Il devient ambassadeur pour Pioneer, pour une marque d’ordinateur, des produits coiffant Vidal, Sassoon exploitant sa perruque blonde platinée et hirsute.

Avec Warhol le clivage entre art et publicité n’a plus de sens, il a poussé à son comble la confusion des deux registres avec un succès commercial et critique exceptionnel. « J’ai commencé comme un artiste commercial, et je veux finir comme un artiste d’affaires. Faire de l’argent est un art, travailler est un art, et le bon business est du grand art« .


Publicité pour école Civita (2010)
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En 2010 une école d’art privée (Civita Art School) fait porter à un enfant la perruque de Warhol (votre enfant sera comme Warhol).

Voir également :
Warhol et la publicité.

Autre pop artiste, Tom Wesselmann (1931-2004), met en scène les intérieurs américains, et la femme américaine, à grand renfort de symboles de la société de consommation. Véritable collages de publicités, ses toiles ont cependant la taille et le statut d’œuvres muséales.


Tom Wesselmann – Still life # 35 (1963) Peinture à l’huile, émail et polymère synthétique sur panneau de composition avec collage de publicités imprimées 304,80 x 487,68 cm
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Voir également
Style life # 30 (1963) Peinture à l’huile, émail et polymère synthétique sur panneau de composition avec collage de publicités imprimées, fleurs en plastique, porte de réfrigérateur, répliques en plastique de bouteilles 7-up, reproduction des couleurs vitrées et encadrées et métal estampé, (122 x 167,5 x 10 cm) MoMA.
Chambre peinture n°8 (1962) Technique mixte et collage 106 x 121 cm
– Voir d’autres oeuvres de Tom Wesselmann.

Juste retour des choses, les publicitaires s’emparent souvent de l’esthétique pop.


Publicité Pepsi, façon Warhol (1990)
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Dans le même registre :
Publicité de Beyonce pour Pepsi.
Publicité pour Chanel.
Publicité pour Ray-Ban.


Publicité Perrier, façon Lichtenstein (1990)
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Voir également :
– Art et publicité: les fines bulles de Perrier et le pop-art de Roy Lichtenstein
– Art et publicité: Roy Lichtenstein et le crocodile Lacoste.
– … et même un liquide vaisselle qui sèche les larmes d’une fille de Lichtenstein en pleurs !

6 – Postures critiques

Pendant la décennie Pop art, les artistes en France font oeuvre pour dénoncer, au contraire, l’invasion des images publicitaires. Les “Décollogistes” par exemple (qu’on associe aux nouveaux réalistes) arrachent sur les murs des pans entiers d’affiches lacérées.
Exemple Jacques Villeglé et les expose directement de la rue au musée.

Voir les décollages de Villeglé