Les animaux dans l’art contemporain (deuxième partie)

Nicolas Darrot, né en 1972 au Havre, a déjà exposé dans de nombreux lieux de prestigieux, il est notamment collectionné depuis des années, par Antoine de Galbert (la Maison Rouge).
Pour ce passionné de sciences, (il a pourtant été l’élève d’Alberola aux Beaux-Arts de Paris), l’hybridation des animaux se fait avec des prothèses métalliques. Ce qui l’intéresse, c’est le rapport entre le vivant et la machine.


Nicolas Darrot – C3PO, 2005, Matériaux divers et servo moteur 60 x 40 x 40 cm
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Une biche (sa tête) présentée traditionnellement comme un trophée de chasse, s’anime brusquement, ouvre les mâchoires… et parle. Comme c’est réalisé à partir de la technologie des robots, on découvre à l’intérieur de la gueule ouverte de l’animal, un petit robot de Star Wars (C3PO)
C’est d’ailleurs le titre de cette œuvre en 2005.

En 2006 à la Maison Rouge, il a investi le Patio du passage au noir avec un étonnant dispositif : Un ballon sonde blanc, guidé par une gaine métallique et un système de crémaillères faisait le tour du patio et déclenchait l’animation et les croassement de 15 corbeaux, plus grands que nature, rassemblés sur leur perchoir.


Nicolas Darrot – Dronecast 2008-2009
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2008-2009 dronecast ce sont des insectes morts, auxquels il a greffé des prothèses métalliques. De près cela fait d’eux presque des guerriers, comme ceux déjà imaginés par Jérôme Bosch.

Dans Curiosae justement, Darrot met en scène des combats, des confrontations sadiques entre insectes robotisés.


Nicolas Darrot – Misty Lamb, 2016
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Plus récemment en 2016, Misty lamp s’inspire du retable de l’adoration de l’Agneau mystique des frères Van Eyck en 1432, qui évoque un agneau et le sang du mystère de la transsubstantiation. Donc là, un agneau allongé devant un rideau d’or voit peu à peu se lever un paysage de brume blanche qui lui tient lieu de laine bouclée. Elle est produite par des ultrasons, qui nébulisent de l’eau à température ambiante. La science se substitue à la croyance.


Nicolas Darrot, Règne Analogue, La Maison Rouge – Paris septembre 2016

Pour règne analogue, la vision de Saint-Eustache, il a filmé un cerf, dans la forêt de Rambouillet, et il a inséré entre ses bois une onde lumineuse. la légende, Le Cerf de Saint-Eustache avait une croix brillante entre ses bois, ce qui avait provoqué la conversion d’Eustache au christianisme.

Nicolas Darrot La Vision de saint Eustache

La vision de Saint-Eustache vue par Pisanello 1438
La vision de Saint-Eustache vitraux et manuscrits médiévaux.

On peut dire que Nicolas Darrot introduit des technologies très contemporaines, en incluant une dimension poétique à ses projets.

Trevor Gould, né en 1951 à Johannesburg, il vit au Canada. Lui aussi a été invité par le musée Gassendi de Digne, à installer une œuvre sur le parcours transfrontalier de « le VIAPAC« , entre Digne-les-bains et Caraglio en Italie..


Trevor Gould – Les pas d’Hannibal 2014
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Les pas d’Hannibal est un éléphant grandeur nature, qui sert de monture, à un étrange personnage, coiffé des oreilles de Mickey. Cette installation permanente, fait référence au passage épique d’Hannibal, général carthaginois, dans sa marche sur Rome. Mais l’autre référence, c’est “Lou Passavous”, dans la tradition de la transhumance, la migration saisonnière des moutons, depuis la côte méditerranéenne jusqu’aux zones alpines élevées.
Donc les deux récits s’articulent. Quant au personnage aux oreilles de Mickey, c’est le baron Alexander von Humbolt, un célèbre naturaliste, voyageur allemand entre le 18è et le 19e siècle, que l’artiste a coiffé d’un casque de Mickey, en l’imaginant intervenant dans l’Amérique d’aujourd’hui. Voir un commentaire.

En 2012, il avait été accueilli en résidence à la non maison, rue pavillon, et il y a réalisé sur place, une sculpture intitulée Peiresc et ses amis, qui est installée à l’angle des rue Pavillon et Saint-Joseph. C’est un hommage à Nicolas Claude Fabri de Peiresc (1580 1637) qui était astronome et collectionneur. Peiresc, qui s’était installé à Aix, avait mené une carrière à la fois politique, et scientifique (il possédait un cabinet de curiosité très riche).


Trevor Gould – Peiresc et ses amis 2012 Aix en Provence
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L’homme est représenté avec un chimpanzé albinos, et c’est un éléphant qui le soutient, comme en héraldique, des éléphants supportent des constructions (référence aux oratoires aixois avec la Vierge à l’Enfant).

Huang Yong Ping (1954 – 2019). En 2015 il a réalisé, lui aussi, un assemblage hybride, qui est la vision concentrée d’une légende. L’arc de Saint-Gilles.


Huang Yong Ping – L’arc de Saint-Gilles (2015) Bois, fer, fibre de verre, poils de chien, poils de lapin,feuille d’or 156 x 448 x 70 cm
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Gilles L’Ermite, qui vivait au 7e siècle dans le sud de la France, entouré de bêtes sauvages, sauva une biche de la flèche tirée par le roi Flavius. Dans la légende, la main du saint fut transpercé par la flèche. Ici la biche est coupée en deux, et les deux moitiés sont réunies par un arc. L’intérieur de son corps est recouvert d’or, pour lui donner un caractère mystique.

Giulia Cenci italienne, est née en 1988. Dans le cadre de la Biennale de Lyon en 2019, elle a été remarquée à l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne, par une installation : Un paysage désolé, apocalyptique, sur un sol terreux, composé de débris, à la fois industriels, naturels et organiques.


Giulia Cenci – « Mud », IAC de Villeurbanne, 2019-2020
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Les sculptures ont été a modelées, puis recouvertes d’une matière visqueuse, fait de résine de silicone, et de poussière, comme une peau souillée.

Ce sont les fantômes d’une vie disparue où les hommes, les animaux, et les choses se trouvaient à égalité. Voir un commentaire.

L’animal objet

Cela commence avec les surréalistes. En 1936, Victor Brauner, a fabriqué un loup-table (dont un des pieds a un mouvement de pattes).


Victor Brauner – Loup table 1939, Bois et éléments de renard naturalisé 54 x 57 x 28,5 cm Centre Pompidou
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Voir un commentaire (Centre Pompidou)

Il avait eu cette idée, d’abord peinture (espace psychologique et fascination).

Bien sûr il y a le célèbre téléphone homard de Dali de 1936.

Mais plus proche de nous Claude et François-Xavier Lalanne ont produit de célèbres moutons qui servent de sièges (et dont il existe pour l’extérieur un équivalent moins laineux).


Claude et François-Xavier Lalanne
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Voir également :
– Un bélier et deux brebis (de la série des nouveaux moutons), 1994
Voir d’autres oeuvres de Claude et François-Xavier Lalanne.

C’est tantôt pop, tantôt baroque, mais ça ne manque pas d’humour et de poésie.

Iris Schieferstein est une styliste plasticienne allemande, qui conçoit des chaussures animalières, à partir des pattes et des sabots, d’animaux morts. Elles sont exposées en ce moment au Musée des Arts Décoratifs Paris dans le cadre de l’exposition “marche et démarche”.

Des œuvres contestées

Eduardo Kac, né en 1962, est un artiste brésilien, qui mêle art et science. Il présente son lapin Alba, génétiquement modifié, pour devenir fluo dans l’obscurité, sous éclairage ultraviolet. À l’époque la polémique était double.


Eduardo Kac – Alba 2000
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D’abord les associations de défense des animaux l’ont sommé de prouver, que l’animal ne souffrait pas, et était bien traité.
Ensuite parce que ce sont les chercheurs de l’INRA qui avaient conçu de lapin à des fins purement scientifiques, et l’avaient confié à l’artiste, à l’occasion d’un débat, sur les rapports entre science et l’art, et l’artiste avait mis Alba, dans le catalogue de ses oeuvres.

Huang Yong Ping en 1993 avait exposé le théâtre du monde au Centre Pompidou.


Huang Yong Ping – Théâtre du monde (1993) métal, bois, insectes, lézards, scorpions, serpents, 66 x 295 x 175 cm
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Dans « théâtre du monde » il expose sauterelles, cafards, tarentules, mille-pattes, lézards, scinques et scorpions, sous un dôme en forme de carapace de tortue.
C’est une structure vitrée, en forme de tortue stylisée, (les tortues dans les tombeaux Ming sont symbole de longévité) qui contient des sauterelles, des cafards, des tarentules, des lézards, et des Scorpions … qui bien sûr s’entre tuent sous les yeux du public. Il s’agit pour lui de créer un « microcosme des conflits mondiaux, destiné à faire réfléchir les gens aux dynamiques du pouvoir dans les sociétés contemporaines« .
L’oeuvre a été retirée du Centre Pompidou pour cruauté envers les animaux, puis d’une galerie de Vancouver pour les mêmes raisons.

Il a également réalisé Théâtre du monde et Pont.

Voir également Le vivarium de Huang Yong-Ping nuit blanche 2013.

Xu Bing chinois né en 1955, a été censuré pour d’autres motifs. En 1994 il avait tourné un film vidéo intitulé une « étude de cas de transfert« , dans lequel on voit deux cochons tatoués copuler en direct, devant un groupe de spectateurs.


Xu Bing – Etude de cas de transfert 1994 Performance

La peau de l’un est imprimé avec des mots anglais absurdes, l’autre avec des mots chinois fantaisistes. Lorsque le musée Guggenheim de New York a décidé de montrer ce film dans l’exposition “Art et Chine après 89, théâtre du monde”, ils ont reçu des menaces de violences explicites, et ont dû retirer l’oeuvre.

Damien Hirst, né en 1965, il a eu des problèmes avec l’œuvre intitulée « In and out of love » 1991 à la Tate galerie.


Damien Hirst – In and out of love 1991
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9 000 papillons vivants, lâchés dans une pièce close, qu’il fallait régulièrement renouveler, parce qu’ils mouraient rapidement. Voir un commentaire.

Par contre, Hirst n’avait pas été contesté pour tous les animaux coupés en deux, présentés dans des caissons remplis de formol, au début des années 90, et dont les spectateurs venaient nombreux contempler les carcasses.


Damien Hirst – The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living, 1991 217 x 542 x 180 cm verre, métal peint, silicone, requin, formol… 251 x 428 x 214 cm
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The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living – L’impossibilité physique de la mort dans l’esprit de quelqu’un vivant 1991. Requin immergé dans du formol.

Jan Fabre né en 1958 est un artiste vedette dans son pays, et dans sa ville, Anvers.
Mais en 2013 pour le tournage d’un film, il avait, avec l’accord de la mairie d’Anvers, réalisé un lancer de chats dans les escaliers de l’hôtel de ville. Aucun chat n’est mort, mais tous ont crié. L’adjoint au maire, alerté a arrêté le tournage, mais plusieurs images ont circulé sur internet. Résultat en réaction, il reçu 20 000 mails de menaces. L’artiste s’est excusé publiquement, auprès des amis des chats, regrettant vivement que ces chats soient mal retombés. Malgré cela il a été agressé physiquement, par sept hommes munis de matraques, dans un parc de la ville. Son lancer de chats était un hommage à la photo de Philippe Halsman avec Dali en 1968.


Jan Fabre – Le ciel des délices 2002 Salle des glaces palais royale de Bruxelles
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Il réalise en 2002, Le ciel des délices pour la salle des glaces du palais royal de Bruxelles. Au plafond devait être peint une allégorie de la conquête de Congo, qui n’avait jamais été réalisée. En poursuivant dans la lignée de son oeuvre, l’artiste est intervenu en appliquant dans les espaces prévus, près d’un million et demi de carapaces de scarabées. Ce sont les animaux vivants qui font réagir très vite le public, alors que les scarabées que Jean Fabre utilise dans son travail sont unanimement admirés.

En 2017, il a été invité à faire dialoguer ses oeuvres, avec les chef-d’œuvre du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, comme il l’avait fait au Louvre peu avant. Mais dans la dernière salle, intitulée le carnaval des animaux il a suspendu au plafond des taxidermies de chiens, affublés de petits chapeaux de fête, au milieu de serpentins. Cette salle a suscité l’indignation, parce que la mort était ridiculisée.

Marco Evaristti, danois est né en 1963. En 2003 il a exposé au Danemark un ensemble de mixeurs Moulinex dans lesquels il avait mis des poissons rouges vivants. Ces appareils étaient branchés, avec la permission, pour les spectateurs, d’appuyer sur “le bouton de la mort”.


Marco Evaristti – Helena y el Pescador, 2003 Installation
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Dès le vernissage, 2 personnes ont appuyé et 2 poissons sont morts.
L’artiste a été jugé et acquitté par la Cour, car plusieurs experts ont témoigné, que la mort avait si rapide, que les poissons n’avaient pas eu le temps de souffrir. L’artiste interprète le poisson rouge, comme l’un des symboles du voyeurisme moral, transparence totale de l’aquarium, pas de refuge, vision à 360°. Son œuvre lui a permis d’observer chez les spectateurs trois groupes : l’idiot sadique qui appuie sur le bouton, le voyeur qui prend plaisir à observer, et le moraliste.
Son œuvre à alimenté la polémique éthique, liée à la mort d’un être vivant. Même procès en 2006 en Autriche, (où il a été acquitté également) mais pas de problème au Brésil, ni en Argentine, ni au Chili.
Considérée comme barbare, immorale, cette installation/performance a, en tout cas, eu un grand effet sur les foules. Systématiquement, Marco Evaristti tente de susciter chez son spectateur, une réaction forte, de le provoquer, pour étudier son comportement et le cheminement de sa pensée. Il fait de lui un acteur, et non plus un simple visiteur.

Guillermo Vargas, connu aussi sous le nom « Habacuc » est né en 1975 au Costa Rica. En 2007 il a laissé mourir de faim un chien trouvé, attaché au mur d’une galerie, mur sur lequel, en hauteur, il y avait inscrit en lettres fait de croquettes pour chien Eres lo que lees (vous êtes ce que vous lisez). Ce geste a déclenché une polémique planétaire 2,5 million de signatures. L’indignation est proportionnelle selon le type d’animal – 2000 signatures seulement pour les poissons rouges d’Évaristti.


Guillermo Vargas, « Exposición No.1, » 2007 Galería Códice, Managua, Nicaragua
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La galeriste a assuré que le chien n’était attaché qu’aux heures d’ouverture de la galerie, et que le reste du temps, il était libre et nourri.
L’artiste, lui, a affirmé que ce qui avait motivé son initiative, c’était d’avoir assisté à une scène de rue, dans laquelle un homme avait été mis en pièces par deux bouledogues, sous le regard de passants, et de policiers municipaux qui n’étaient pas intervenus.

En 2008, il a déclaré : “Je ne sais plus ce qu’est devenu le chien, sachant que j’ai entrepris toute cette «démarche artistique», dans le seul but de montrer les conditions de vie des chiens errants.”

Adel Abdessemed né en 1971 à Constantine lors de sa rétrospective au Mac de Lyon en 2017, avait exposé une vidéo, à l’échelle des murs, sur laquelle on voyait un alignement de poulets, pendus contre un mur, et qui semblaient prendre feu.


Adel Abdessemed « Printemps » Mac de Lyon, 2017

… qui semblaient car il s’agissait d’un trucage, d’une surimpression de flammes, sur l’image des poulets. L’oeuvre avait suscité une telle indignation sur les réseaux sociaux qu’en accord avec le musée, il avait accepté de retirer le film.
D’après l’artiste il avait réalisé cette installation, baptisée « Printemps », comme « une allégorie de toutes les violences.. »

Notre sensibilité au monde animal est en pleine évolution depuis quelques années, et explique la multiplicité, et la variété des pratiques artistiques dans lesquelles l’animal est central. On l’a vu, les plus récentes de ces interventions artistiques, déstabilisent les catégories traditionnelles acquises.
Et si l’art est souvent extrême, l’utilisation de l’animal dans l’art, est plus moralisé qu’avant, et en tout cas il est sous contrôle, surtout des réseaux sociaux.
Le public réagit rapidement, et souvent de manière épidermique, avant même de comprendre la démarche.