Dans le pavillon Suisse, le titre du film vidéo (Moving Backwards) signifie faire marche arrière. Les deux artistes Pauline Boudry et Renate Lorenz, se sont inspirées des femmes de la guérilla kurde, qui portaient les chaussures dans le mauvais sens pour tromper l’ennemi, avec leurs traces laissées dans la neige.
Pauline Boudry et Renate Lorenz Film de l’installation Moving Backwards, 2019
Leur vidéo conjugue danse contemporaine, et danse urbaine, avec des performeurs aux drôles de souliers. Les artistes veulent évoquer la situation politique actuelle, avec ses forces réactionnaires de fermeture, qu’elles perçoivent comme un retour en arrière, au niveau des droits et des libertés pour les minorités.
Alexandra Bircken, (née en 1967 à Cologne) dans le pavillon central nous a d’abord interpellé avec Angie,
Un carré textile rouge, dont les détails ont été rebrodés avec beaucoup de finesse. On l’a compris, il s’agit d’Angela Merkel, dont la position des mains sur sa veste est assez caractéristique. C’est une oeuvre d’Alexandra Bircken, allemande formée au stylisme à Londres (où elle enseigne). Son thème c’est le corps, et toute ses enveloppes, féministes et masculines. En prenant du recul, le geste d’Angie paraît plus sexué, lorsqu’il est placé dans l’axe de cette sculpture. Eva, un corps féminin stylisé, revêtu d’une peau de cuir.
Mais en face, c’est un autre type de peau plus viril : une tenue de motard accrochée au mur et dont la matière à gardé les volumes du corps qui l’a porté, devant une moto, découpée en deux. On le voit, Alexandra coupe, sépare, démembre, mais aussi elle coud, elle tisse, elle rassemble.
Enfin Mari Katayama, (née en 1987 au Japon) nous a touché par son d’identité si singulière. Cette jeune femme japonaise, est née avec une maladie congénitale rare (une hémilie tibiale), qui lui donnait des jambes difformes, et deux doigts seulement la main gauche. Elle a fait le choix, à l’âge de 9 ans, d’être amputée de ses jambes. Sa grand-mère l’a initié à la couture, et elle a créé pour ses membres absents, des cocons fantasmagoriques, qui transcendent sa condition d’handicapée, dans des autoportraits d’une grande beauté. Elle s’est créé des membres de tissus, de dentelles, de bijoux, de coquillages. L’invention d’une identité qui joue sur la beauté de l’étrange.
C’est aussi ce qui caractérise notre temps, et le nomadisme des artistes contemporains, était très perceptible tout au long du parcours de cette Biennale.
Jill Mulleady, (née en 1980 à Montevideo) est uruguayenne, elle vit à Los Angeles, où elle a grandi. Elle nous intrigue avec ses peintures, qui mettent en scène soit à l’extérieur, soit à l’intérieur, des personnages jeunes, qui semblent solitaires, même s’ils se côtoient dans le même espace.
Jill Mulleady, Erupted Citadel, 2018, huile sur toile, 167.5 x 152 cm
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L’artiste se dit inspirée par les oeuvres de Munch. Dans ces décors qui semblent familiers, surgit étrangeté, le fantastique, l’érotisme, l’ennui, l’anxiété, la solitude …
Michael Armitage, né en 1984 au Kenya, il vit et travaille entre Londres et Nairobi.
A 35 ans seulement, il nous a impressionné par son talent. Ses peintures, de grands formats, sont séduisantes par leur harmonie colorée et leur composition. Parfois on songe à Gauguin. Un regard plus approfondi permet de découvrir des personnages (ici en surimpression) et des scènes dynamiques, parfois même violentes qui se déroulent entre africains.
L’artiste retourne fréquemment au Kenya, et a travaillé à partir d’images de rassemblements politiques, à Nairobi en 2018. Mais ce qui rattache d’abord sa peinture à son pays d’origine, c’est le matériau, le support : il peint à la peinture à l’huile sur du Lubugo, un tissu d’écorse traditionnel ougandais, battu plusieurs jours durant, pour créer une surface, qui une fois tendue, présente des trous. Ses toiles étaient exposées à l’Arsenal, et dans le pavillon central, nous avons pu voir ses dessins, ses croquis préparatoires (au lavis brun) très maîtrisés eux aussi.
Voir ses oeuvres présentées à Venise.
L’autre artiste qui a fait l’unanimité, c’est Njideka Akunyili Crosby, 36 ans nigériane, qui vit à Los Angeles. Les scènes d’intérieur de grand format qu’elle peint sont très composées géométriquement, très douces et il s’en dégage une sensation de calme. Elle pratique une technique qui mixte la peinture, le collage, et les transferts photographiques, à partir de photocopies diluées à l’acétone.
Njideka Akunyili Crosby, Autoportrait, 2018, huile sur toile, collages
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Les images transférées, se réfèrent à la culture populaire nigériane (publicité, coupures de journaux), ou à des tissus africains traditionnels. Les scènes domestiques qu’elle montre sont celles de sa propre famille (elle est arrivée aux États-Unis à l’âge de 16 ans). Le calme de la composition, contraste avec l’effervescence, la saturation des images.
Cette jeune femme, diplômée de l’Académie des Arts de Pennsylvanie, puis de l’Université de Yale, associe un récit personnel à d’autres composantes culturelles liées à ses origines. Les peintures occupaient toute une salle du pavillon central, et à l’Arsenal, elle présentait un mur de portraits monochromes, déclinant dans toutes sortes de couleurs, des images de nigérians coiffés et accessoirisés de façon traditionnelle.
Henri Taylor est né aux États-Unis, d’une famille originaire d’Afrique de l’Ouest. Il est le 8e enfant de la famille, et s’amuse à dire qu’il est Henri VIII. Ce qu’il a peint à l’acrylique, c’est la réalité de la vie des Afro-Américains. Techniquement c’est simple, direct, et ce qui le caractérise, c’est l’empathie.
Henri Taylor, Triptyque (sans titre), 2018, huile sur toile, collages
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Le triptyque (sans titre) présenté à l’Arsenal, réunit trois scènes symboliques de l’histoire des afro-américains. La première à gauche c’est Toussaint Louverture (1791-1804) leader de la révolution à Haïti. Au centre c’est un texte d’un artiste conceptuel, qui a réécrit un discours révolutionnaire. A droite ce sont les funérailles de Carole Robertson l’une des quatre femmes victimes d’un attentat à la bombe, dans une église d’Alabama en 1963.
Henri Taylor, Hammons meats a hyena on holiday, 2016, acrylique sur toile, 152.4 × 214 × 7.6 cm
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Le tableau « Hammons meats a hyena on holiday » (Hammons mange une hyène en vacances), renvoie à des photos montrant David Hammons, à l’époque où il vendait des boules de neige dans les rues de New York. Taylor a rajouté des références au Père Noël, et une mosquée malienne, pour montrer avec irrévérence, le mélange culturel.
Another wrong c’est un homme blanc, arrêté devant une maison coloniale.
Voir ses oeuvres présentées à Venise.
Andra Ursuta (née en 1979) est roumaine, elle vit à New York.
Elle nous a amusé, au Pavillon Central, avec une installation qui, dit-elle, lui a permis de tourner la page après son divorce. Se sont des cages thoraciques à l’envers, qui servent de poubelles dans lesquelles sont entassés divers objets, utiles ou décoratifs, relatifs à sa vie passée.
Elle nous a moins convaincu à l’Arsenal avec ses corps réinventés en verre.
Voir ses oeuvres présentées à Venise.
A la Biennale de Lyon en 2015 on n’avait pas à oublié ses femmes roumaines en bronze vêtues de piécettes qu’elle avait réalisées, à partir d’une photo de presse montrant des femmes expulsées.
Tarek Atoui, est né à Beyrouth et vit à Paris. C’est un artiste électro acousticien libanais, qui associe sculptures et musique. S’inspirant de pratiques musicales qu’il a observé en Chine, il a fabriqué d’étranges instruments une platine sur laquelle tournent des disques en céramique, de textures variées, ou un vase, que vient caresser un balai de brindilles ect… Le tout produit des sons étonnamment inédits. Il a été invité au Mucem.
Tarek Atoui, Venise 2019
L’artiste plasticien, et cinéaste américain Arthur Jafa (né en 1960) a présenté, à partir d’images glanées sur le net, the White Album, qui montre des suprématistes américains blancs, au discours haineux, qui révèle toute la folie de la supposée supériorité de la race blanche.
Le montage du film est lié par des séquences sereines, où l’artiste a filmé ses amis, dont il se trouve que beaucoup sont des blancs.
Arthut Jafa – The with album (extraits)
Le film dure 50 minutes et c’est un questionnement sur l’idée même d’une race. un de ces films fait partie des collections du MoMA à New York, un autre à la fondation Luma à Arles
La Grande-Bretagne est représentée par Cathy Wilkes, une Irlandaise qui travaille en Écosse. L’artiste a failli refuser, tant elle est réfractaire au principe même de nation.
Elle a créé une installation très blanche, silencieuse, comme un huit clos, qui donne une vision fragile de l‘intime, en convoquant des thèmes universels, avec des moyens très simples : la vie, la mort, la maternité. Il n’y a pas de hiérarchie entre les sujets et les objets.
Dans une salle, une silhouette féminine, en robe verte sur laquelle sont collées de petites photos montrant en un enfant qui mange sa soupe. Ses bras détachés d’elle, saisissent à distance un tas de chiffon traînant au sol.
Pavillon de la Grande Bretagne Cathy Wilkes
Une image de l’une de ses installations passées qui lui avait valu le Turner Price.
Les États-Unis avaient sélectionné Martin Puryear, (artiste afro-américain né en 1941) peu connu chez nous. Cet artiste sculpteur, s’était d’abord formé en biologie à l’université de Washington, avant d’aller en Sierra Leone apprendre l’ébénisterie. Il a vécu ensuite en Suède et au Japon, et il s’est toujours intéressé aux différentes cultures. Son matériau préféré, c’est le bois. Il a appelé son installation Liberty. À l’entrée du pavillon, il a réalisé, allowed Sun (soleil avalé), c’est un écran fait d’un entrelac de bois clair figurant les rayons du soleil, comme un jubé d’église. De là, part une grosse larve noire enroulée (un tube métallique recouvert de tissu noir) qui avale la lumière du soleil. L’artiste se réfère à une légende, citée dans le Livre des Morts des Égyptiens anciens (lutte entre la lumière et les ténèbres).
A l’intérieur d’une première salle, un bonnet phrygien géant en bois peint (c’est du cèdre), qui fut porté dans l’Antiquité par les esclaves affranchis, mais aussi bien sûr pendant la Révolution française.
Puis dans la chapelle (car le pavillon américain, construit en 1930, a été conçu, sur le modèle de la résidence de Thomas Jefferson en Virginie), l’artiste à installé une colonne pour Sally Henning, hommage à cette esclave afro-américaine, qui appartenait à Jefferson, et à laquelle il avait fait cinq enfants. Une colonne cannelée blanche néoclassique dans laquelle est enfoncé un pieu métallique sombre, dont la tête suggère la condition de captive.
Martin Puryear, Hybernian Testosterone 2019 Installation Venise
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Une très amusante Hybernian Testosterone, squelette d’un grand élan Islandais, (espèce aujourd’hui disparue), qui paraît-il possédait un taux excessif de testostérone, ce qui selon les paléontologues, expliquerait la différence de taille entre son crâne et ses bois. Ici l’artiste symbolise la perte de signification de la puissance physique masculine.
Dans une autre salle, tabernacle est, à la fois la réplique en grand format du casque des soldats pendant la guerre de Sécession, et en même temps un canon. Là encore, vocabulaire catholique, le tabernacle est le meuble dans lequel on range les hosties, comme les armes qui, pour une partie des Américains, font l’objet d’un véritable culte.
Cloître refuge ou doute enfermé mêle des bois d’essences différentes et surtout de traitements différents pour abriter un “cœur” de bois clair symbolisant la spiritualité, ou la foi, dans un contexte brutal.