Barnett Newman (1905- 1970) il rompt la monochromie par ses zip (verticales rigoureuses). Il a étudié l’art et la philosophie, et il a été influencé par les idées de Spinoza. Il était également très préoccupé par son identité juive, il avait cherché une voie pour peindre après les horreurs de l’holocauste. Il disait : « Quand Hitler ravageait l’Europe, pouvions-nous nous exprimer en peignant une jolie fille nue allongée sur un divan ?« . Il arrive alors, à une abstraction dépouillée quasi monochrome.
Les zips (fermeture éclaire en anglais) contribuent à une certaine puissance émotionnelle et à beaucoup de rigueur. Presque tous les titres renvoient au mysticisme de l’artiste.
Barnett Newman – Adam (1949) Huile sur toile, 242,9 x 202,9 cm Tate Londres
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Adam 1949 il rompt la monochromie par des verticales.
Voir également :
– Abraham huile sur toile 210 x 88 cm MoMA New York (c’est le prénom de son père).
– Commitment (Engagement) (1950) huile sur toile 220 x 190 cm
– The voice (1950) huile sur toile 244.1 x 268 cm MoMA New York.
– Cathedra (1951) huile sur toile 243 x 543 cm Stedelijk Museum Amsterdam.
Stations de la croix (1953) ensemble de toiles sur fond blanc avec des zips noirs. Voir le détail des toiles.
Un peu plus tard dans les années 1969-70, Barnett Newman réalise une série qu’il appel, : »Qui a peur du jaune du rouge et du bleu » une série de quatre peintures à grande échelle peintes entre 1966 et 1970, qui traitent de la combinaison et de la confrontation des trois couleurs primaires. A la suite d’une exposition des avants gardes russes, (Rodchenko), la peur du nihilisme généré par les monochromes a été exorcisée.
Barnett Newman – Qui a peur du jaune du rouge et du bleu ? (1969-70) huile sur toile 274 x 603 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Voir également :
– Qui a peur du jaune du rouge et du bleu ? II (1967) Acrylique sur toile 304.8 x 259.1 cm Barnett Newman Foundation
– Qui a peur du jaune du rouge et du bleu ? (1966-70) huile sur toie 224 x 544 cm Barnett Newman Foundation
Très grands formats qui produisent un effet d’immersion sur le spectateur.
Voir un commentaire (Barnett Newman à la Tate modern)
Mark Rothko (1903-1970)
Il joue avec des formes rectangulaires et des couleurs subtiles, qui semblent faites de lumière. Ce qui l’intéresse, c’est d’exprimer les émotions fondamentales de l’homme. Il voulait que ses toiles irradient sur des murs peu éclairés, et qu’elles soient disposées à une vingtaine de cm du sol.
Mark Rothko – Orange, Red, Yellow (1961) Acrylique sur toile 236,2 × 206,4 cm Collection privée
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Il réalise de très belles harmonies de couleurs.
Voir également :
– Violet, Black, Orange, Yellow on White and Red (1949) huile sur toile 168 m x 208 cm
Puis, il s’est approché du monochrome avec de moins en moins de contraste.
Mark Rothko – Red on Maroon (1959) Huile et acrylique sur toile et colle 266 x 238 cm Tate modern Londres
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Voir également :
– Black, on grey (1970) huile sur toile 203,3 × 175,5 cm Musée Thyssen-Bornemisza, Madrid
Il arrive à des quasi-monochromes.
Les artistes suivant, vont aller de manière encore plus radicale, vers le monochrome.
Ad Reinhardt (1913-1967) surnommé le moine noir.
Ad Reinhardt – Red abstract painting (1952) Huile sur toile 274.4 x 102 cm MoMA New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Il travaillait à d’imperceptibles variations d’une même teinte. Nuances dans le rouge, carrés qui modulent la couleur.
A partir de 1960, il réalise des toiles de plus en plus sombres, et il qualifie cet ensemble de toiles de « dernières peintures ».
Voir également :
– Peinture abstraite (1962) 153 x 153 cm
– Peinture noire (1968) 153 x 153 cm
Il arrive au monochrome après un long aboutissement. Il a voulu arriver à la peinture la plus pure la plus universelle, en la réduisant au silence, sans souffle, hors du temps, sans vie, sans fin.
Les Black Paintings sont l’expression de ce qu’il est encore possible de peindre une fois appliquées les Douze règles pour une nouvelle académie, règles qui définissent ce que n’est pas la peinture : une texture, un dessin, une couleur, une lumière, un espace, un temps, un objet, un sujet, de partie d’échec (clin d’œil à Marcel Duchamp)…
Alors que pour les artistes du color field, le monochrome est un aboutissement, d’autres ont commencé leur carrière, par le monochrome, un dépouillement volontaire, en quête d’absolu, et ils vont ensuite tout faire pour s’en libérer.
Robert Rauschenberg (1925-2008)
Robert Rauschenberg – White painting (1951) huile sur toile 183 x 274 cm MoMA New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Ces monochromes blancs servaient souvent d’écran pour les spectacles de Merce Cunningham.
En 1953, il efface un dessin qu’il avait demandé à son professeur au Black mountain college, De Kooning, pour l’exposer sous ce titre: I Erased De Kooning Drawing, exposé comme un monochrome (chargé du souvenir d’un dessin de De Koonig).
Robert Rauschenberg – Gold painting (1953) feuilles d’or, colle sur toile et bois 31.1 x 32.1 x 2.9 cm Musée Guggenheim New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Monochrome très chargé en matière voir un détail.
Voir également :
– Sans titre (1954) 179.7 × 121.9 cm huile, journaux colle sur toile. Objets très matériels, il veut montrer l’art et la vie. Par la suite il réalisera ses combi-painting qui sont à la fois peintures, objets, sculptures…
Jasper Johns (né en 1930)
Jasper Johns – Flag (1955) huile sur toile 107.3 x 153.8 cm MoMA New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Il était intéressé par la fusion du ready made et de la peinture. Les drapeaux est l’idée de faire coïncider, l’objet, l’image et la peinture. A première vue on voit un drapeau (les couleurs et le format correspondent), lorsque l’on s’approche ont voit que c’est une image peinte sur un collage de journaux.
Il a ensuite décliné son drapeau
– sur fond monochrome.
– sur un monochrome blanc, (white flag) 1955. Très « matiériste » dans le ton sur ton.
Jasper Johns – Target (1974) huile sur toile 88.8 × 69.9 cm cm MoMA New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Même démarche avec les cibles.
Voir également :
– Green target (1955) Encaustique sur journaux et tissus sur toile, 152.4 x 152.4 cm MoMA New York. Cible monochrome en mettant en évidence que la peinture.
Séries de numbers
Jasper Johns – Numbers in color (1958-59) Encaustique sur journaux sur toile, 189.23 x 144.78 x 9.21 cm Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Série de chiffres qui saturent en all-over.
Voir également :
– Numbers La matérialité de la peinture permet de lire les chiffres.
Ellsworth Kelly (1923- 2015 )
Il a commencé par des monochromes « sensibles ». Après avoir participé au débarquement en Normandie en 1945, il revient en France et il est enthousiasmé par les Nymphéas de Monet.
Ellsworth Kelly – Green painting Giverny (1952) huile sur toile 74 x 99.7 cm Art institute of Chicago
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Une allusion aux Nymphéas de Monet. Il restitue la transparence et la subtilité des nuances dans l’abstraction.
Il va affirmer le caractère d’objet du tableau (anti-illusionniste).
Il a réalisé un carré noir et un carré blanc, mais il les a encadrés
Ellsworth Kelly – Yellow Relief, (1954-55) huile sur toile 61 x 61 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Ce sont des tableaux entre peinture et objet souvent en relation avec l’architecture.
Voir d’autres oeuvres de Ellsworth Kelly
Ellsworth Kelly a également réalisé un Red, Yellow and Blue, 1965 en référence à Rodchenko.
Voir d’autres monochromes d’Ellsworth Kelly
Tous ces monochromes avaient une certaine aura, d’un argument théorique solide qui confirmait la pureté du concept. Mais à la fin des années 50, apparaissent des monochromes « impurs, triviaux ».
Pietro Manzoni (1933-1963), qui avait rencontré Yves Klein, a voulu prendre son contre pied.
Pietro Manzoni – Achrome, (1959) Kaolin sur toile plissée 140 x 120,5 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Série de toiles plissées plongées dans un mélange de colles et de plâtre. Son idée était de solliciter le toucher.
Voir d’autres Achromes.
Voir un commentaire.
Lucio Fontana (1899-1968), il fend ses toiles pour ouvrir l’espace (au delà de la surface plate de l’image) avec des trous assez organiques, assez sensuels.
Lucio Fontana – Concetti spaziali (1960) huile sur toile 65 x 54 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Voir d’autres Concetti spaziali
Voir un commentaire.
Le monochrome s’est vidé de tout engagement philosophique. C’est le cas d’Andy Warhol qui l’emploie comme faire valoir dans les deux sens du terme : faire valoir esthétique, décoratif et faire valoir au sens d’augmenter le prix.
Andy Warhol – Orange Disaster, (1963) acrylique sur toile 269.2 x 207 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Il associe au tableau qu’il vend, un autre monochrome, en diptyque red disaster, il double le prix.
Voir également sa chaise électrique.
Andy Warhol – Portrait de Liz Taylor, (1963) encre sérigraphique, acrylique et peinture en aérosol sur toile 2 tableaux 101.6 x 101.6 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Le premier tableau est un monochrome. Tous les portraits des célébrités de l’époque sont vendus avec un monochrome.
Dans la série des chaises électriques, avec la couleur de la sérigraphie, il arrive au quasi monochrome.
Andy Warhol – Chaise électrique (1968) acrylique sur toile 137,2 x 185,3 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Voir également :
– Chaise électrique
– Chaise électrique (presque monochrome).
D’autres artistes vont utiliser la monochromie comme territoire d’expérimentation pour l’acte pictural, pour la peinture pure.
C’est le cas notamment de Robert Ryman (né en 1930). C’est un autodidacte qui avait acquis sa formation en étant gardien au MoMA.
Il réalise des peintures blanches où il décline des pratiques d’exercice de style (en variant la texture, les outils, le geste etc.)
Robert Ryman – Sans titre (1961) huile sur lin non étiré 27.3 x 26 cm MoMA
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Voir un commentaire (centre Pompidou)
Voir d’autres oeuvres de Robert Ryman (MoMA)
Inventaire assez fascinant des pratiques de peindre (très intéressant à voir de près).
Le monochrome est devenu un genre de la peinture, que les artistes vont pouvoir utiliser quand ils veulent et plus comme un aboutissement de leurs pratiques.
Brice Marden (né en 1938) fait de la peinture abstraite, mais il peint régulièrement des monochromes dans la partie inférieure de ses tableaux, avec des teintes plus claires, moins chargées en matières et il laisse apparaître des coulures.
Dans les « back series »
Brice Marden – For Helen, 1967 et For Otis (Back séries), 1968
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
– For Helen, silhouette féminine qui se schématise progressivement. Il a utilisé pour ce diptyque le format de la carrure de sa compagne Hélène.
– For Otis 1968 il a été inspiré par la porte-fenêtre à Collioure de Matisse en 1914 ainsi que sa série des bronzes.
Gerhard Richter (né en 1932) de temps en temps peint des grilles avec des nuanciers de couleurs et également des monochromes gris.
Gerhard Richter – Sans titre, (1972) huile sur toile 50 x 50 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
La matière est très présente sur la toile.
Voir également :
– Sans titre monochrome « matériste »
– Nuages gris (1969) matière légère comme le ciel, texture très fine.
Il est un des rares à pratiquer le gris en peinture. Ses explications sont très diverses (toute la palette des possibles).
Pierre Soulage (né en 1919), depuis les années 80, il ne fait que des monochromes noirs, il est inspiré par les architectures romanes de la région du sud-ouest. Il dit à propos du noir : « J’aime le noir, j’aime l’autorité du noir, sa gravité, son évidence, sa radicalité. »
Exposition Pierre Soulage
Voir les monochromes de Pierre Soulage.
A côté de ces artistes qui sont très immergés dans l’acte de peindre, il y a ceux qui, à travers des monochromes, vont mettre en évidence des démarches d’ordre conceptuelles, que l’on peut qualifier de « duchampiennes ».
Ceux pour qui, l’idée prend le pas, sur la réalisation.