Espace lumière et son dans les pratiques artistiques contemporaines

Espace lumière et son dans les pratiques artistiques contemporaines

Sommaire : Les oeuvres transportables – Celles qui ne le sont pas – L’espace et le temps – Les vertiges de la lenteur – La durée de vie est programmée le temps de l’exposition – Le temps différé – Les installations sonores

Cours d’Agnès Ghenassia

Comment définit-on une installation ? C’est un oeuvre d’art généralement provisoire constituée d’objets rassemblés dans un même espace (petit Robert) – Une oeuvre d’art visuelle en trois dimensions souvent créée pour un lieu spécifique, et conçue pour modifier la perception de l’espace.
Le mot espace en art et souvent employé espace pictural à propos d’un tableau gestion d’espace dans un dessin. Mais si on se concentre sur l’espace physique on rencontre un problème car l’espace réel d’une œuvre a souvent du mal à cohabiter avec les autres œuvres qui l’entourent.
Lorsqu’il s’agit d’un tableau classique le cadre a pour fonction d’isoler la peinture et de concentrer le regard sur le tableau.
Exemple : Tableau de Corneille de Lyon


Corneille de Lyon – Homme au béret noir tenant une paire de gants (Vers 1530) Huile sur bois (24,1, 18,5, 0,4 cm) Musée des beaux arts de Lyon
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S’agissant de grands format il faut leur concevoir des espaces spécifiques pour les présenter comme par exemple le musée de l’orangerie avec les nympheas


Musée de l’orangerie – Les nymphéas de Claude Monet (1914-1926)
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Chapelle Rothko à Houston ambiance propice au recueillement.


Chapelle Rothko à Houston
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Voir la chapelle Rothko (site officiel)

Lorsque l’on n’est plus dans la peinture quelques artistes ont envisagé des dispositifs autonomes qui génèrent leur propre espace.
De nombreuses installations aujourd’hui impliquent la totalité des sens. Si certaines relèvent d’une grande complexité technologique, d’autres sont au croisement du bricolage et de la poésie. Toutes ont pour ambition d’enrichir le champ de nos perceptions, nous entraînant à l’écart de celles que le monde réel nous propose quotidiennement.

Les oeuvres qui peuvent être transposées dans plusieurs lieux

Le pionnier fut M. Duchamp qui dès 1946 a conçu une installation dont le titre était : Étant donné 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage ironie vis à vis des concepts scientifiques (le titre se présente comme l’énoncé d’un problème). L’oeuvre comporte une vieille porte ramenée de Cadaquès de chez Dali, et de deux trous au niveau du regard, à travers lesquels on découvre une femme nue, les jambes écartées, qui tient un bec de gaz de son bras gauche.


Marcel Duchamp – Étant donné 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage (1946) Dimensions (H × L × l) : 153 × 111 × 300 cm Musée d’art de Philadelphie
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Duchamp, qui n’avait pas réalisé cette œuvre, et qui a été découverte à sa mort, a rédigé un cahier des charges très détaillé afin que l’on puisse la remonter. Il faut commencer l’installation par la pose au sol d’un damier rappelle un échiquier et en même temps la base à partir de laquelle les artistes à partir de la Renaissance construisaient leur perspective (voir une maquette).
Cette oeuvre peut-être démontée et remontée dans n’importe quel musée, et le contexte de son lieu d’exposition n’a aucune importance. C’est un espace d’illusions complètement autonome.

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Duchamp avait le sens de l’installation. En 1938 lors de l’exposition internationale du surréalisme, il accrocha 1200 sacs de charbon au plafond. Il avait installé au sol des feuilles sèches ainsi qu’un bassin où flottaient des nénuphars. Les salles étaient plongées dans le noir et les visiteurs étaient munis à l’entrée de lampes électriques, afin de les immerger dans des environnements déroutants.
Il avait également demandé aux artistes d’habiller des mannequins qui étaient disposés dans une rue surréaliste.

Dans cette exposition Salvador Dali avait exposé le taxi pluvieux.


Salvador Dali – Taxi pluvieux (1938) Exposition internationale du surréalisme
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Un taxi noir Cadillac, est conduit par un chauffeur avec un chapeau-requin, alors qu’une femme en robe de soirée est assise à l’arrière, dans une ambiance détrempée où poussent des laitues, des chicorées, et où prolifèrent des escargots de Bourgogne. L’ensemble est arrosé par une pluie tombant à l’intérieur de la voiture, générée par un ingénieux système de tuyauteries,

Voir un commentaire sur l’exposition de 1938.

Illya Kabakov l’homme qui s’est envolé dans l’espace depuis son appartement (1985).
Oeuvre conçue en l’URSS avant que l’artiste n’émigre en Occident.
Elle se compose d’une pièce fermée par des planches qui reproduit un appartement communautaire en URSS. Dans le vestibule sur les murs on peut lire des documents montrant qu’une enquête a eu lieu après la disparition de l’occupant de l’appartement.


Illya Kabakov – L’homme qui s’est envolé dans l’espace depuis son appartement (1985)
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Dans la pièce suivante on découvre, des meubles pauvres, des murs tapissés d’affiches et de dessins, des gravas, la catapulte, le trou dans le plafond et sur le côté, une maquette imaginaire d’une ville idéale. On comprend que l’occupant de cet appartement a réalisé le rêve utopique de tout russe de s’évader du régime totalitaire.


Histoire d’une installation : l’homme qui s’est envolé dans l’espace …

Lorsque les installations ne sont pas conçues comme des espaces autonomes, elles nécessitent souvent d’occuper une salle à elle seule dans le musée pour ne pas interférer avec d’autres oeuvres.

Richard Baquié Amore mio (1985)


Richard Baquié – Amoré mio (1985)
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Il s’agit d’une automobile une Plymouth découpée en quatre fragments auxquels s’ajoute des fragments en métal et en bois, des chansons des années 60 et de la vapeur. Chaque morceau de la voiture pointe une direction des points cardinaux. L’avant pointe au Sud (la voiture file vers le Sud). Sur le capot une bouilloire produit de la vapeur. Sur la largeur du capot sont encastrés deux blocs de métal dans lesquels ont été découpé les lettres de Amoré mio.

Au Nord, l’arrière de la voiture est prolongé par un cylindre de métal qui traverse les sièges et qui se termine par un ventilateur, qui souffle de l’air froid. Un autoradio diffuse la chanson « Amoré mio ».

La portière Est, occultée de noir, est située devant une grande roue en vinyle qui tourne en présentant un diaporama de divers paysages avec la Plymouth (en rose).

La portière Ouest est supportée par une cage rouillée dans laquelle se trouve un moteur. Une flèche blanche couverte de glace indique le Nord.

Cette installation évoque de manière métaphorique le voyage en délaissant le Nord glacé, la voiture file vers le sud à travers du vent au son d’une musique populaire. Pour que le spectateur s’approprie cette dimension à la fois ludique et poétique de l’oeuvre, il faut qu’elle occupe une salle spécifique.

De la même manière lorsque Daniel Buren organise dans les années 80 ses cabanes éclatées.


Daniel Buren – Cabane éclatée n°6 : les damiers (1985) Bois, toile de coton à rayures blanches et jaune d’or alternées et verticales de 8,7 cm chacune (+/-0,3), toile de coton blanche, peinture acrylique blanche, colle
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Structures de bois démontables, l’oeuvre a besoin des quatre murs de la salle pour que le spectateur s’approprie les effets d’optique. Dans une certaine position du regardeur, les fragments sur les murs vont combler les vides de la structure.
Cette oeuvre peut être démontée et réinstaller dans n’importe quelle salle. Rien ne doit interférer avec l’oeuvre.

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Les oeuvres qui ne sont pas transposables dans un autre lieu

On appelle oeuvre in situ, celles qui ne sont conçues que pour un espace spécifique.

Buren a inventé ce terme et en a développé le concept.


Daniel Buren – Arguments Topiques Dominant-Dominé (1991) CAPC Bordeaux
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Il a réussi à métamorphoser le bâtiment en un espace baroque, instable, mouvant. Il a installé dans la nef centrale un faux-plancher oblique qu’il a recouvert de miroirs. Il a souligné l’épaisseur des arcades avec ses rayures sérigraphiques.

Voir d’autres vues (site de D. Buren)

Cette oeuvre n’est pas transposable dans autre lieu.

Penone à Avignon en 2000 présente « Respirare l’ombra« . La commande était de faire une allusion aux amours platoniques de Laure et de Pétrarque.
C’est dans une pièce d’architecture gothique, les murs sont tapissés de 180 cages métalliques remplies de feuilles de laurier, très odorantes.


Guiseppe Penone – Respirare l’umbra (2000) Avignon
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Une cage thoracique dont les poumons sont composés de feuilles de laurier en bronze est accrochée à une des cages métalliques.

Guiseppe Penone avec cette œuvre met en éveil les sens chez le visiteur. Le laurier rappelle le nom de Laure. L’ombre était suggérée au centre de la pièce par la présence d’une petite sculpture gréco-romaine intitulée Hypnos (le sommeil). La Pythie en Grèce, en état d’hypnose, mâchait du laurier.

Cette installation avec ces nombreuses références a connu un grand succès.
Cette oeuvre a été réinstallée au centre Pompidou, dans une salle blanche, le laurier n’est plus odorant, plus de statue gréco-romaine, l’émotion n’est plus la même.

C’est dans leur contexte que bien souvent, les installations prennent tout leur sens. L’espace joue un rôle primordial. Rien ne remplace l’émotion du direct à vivre dans une installation qui est conçue pour que l’on s’y déplace.

Autre exemple au Grand Palais en 2010 Christian Boltanski, invité dans le cadre de l’exposition monumenta a occupé la nef du Grand Palais avec une installation appelée « Personnes« .


Christian Boltanski au Grand Palais en 2010

Cette installation renvoie à la mémoire de la Shoah.

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Voir une interview de Christian Boltanski

Ron Mueck à la biennale de Venise en 2001 présente un boy au regard inquiet.


Ron Mueck – Boy (2001) Venise 490 x 490 x 250 cm
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Cette installation située à l’entrée de l’arsenal joue sur l’effet de surprise.
L’installation déplacée dans un autre lieu avec un plafond plus haut n’a pas le même impact.

Comme les installations sont difficiles à photographier, une artiste américaine née en 1946, Sandy Skoglund présente des installations montrées que sous la forme d’une unique photographie.


Sandy Skoglund – Revenge of the gold fish (1981) 88 x 68 cm
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Revenge of the gold fish (La revanche du poisson d’or). Elle a peint l’espace, elle a réalisé les poissons en terre cuite, qu’elle a ensuite disposés dans l’installation avant d’en faire une photographie.
Elle a choisi de présenter ses installations que sous la forme d’une photographie (comme Cindy Sherman).


Sandy Skoglund – Fox game (1989) 116 x cm Série lost and found
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Fox game (jeux de renards) Renards rouges qui envahissent une salle de restaurant.

Voir d’autres images (site de Sandy Skoglund)