Le Corbusier à Weißenhofsiedlung

Le Corbusier

Il n’est pas dans mon intention de faire un exposé complet sur la vie et l’œuvre de cet architecte le plus médiatisé du XXème siècle. Je vais résumer les principales étapes de sa formation, ses premières réalisations et son œuvre théorique jusqu’en 1927.

Charles Édouard Jeanneret-Gris, né à La Chaux-de-Fonds, capitale de l’industrie horlogère suisse en 1887. Il est encore de nationalité helvétique lorsqu’il est sélectionné pour die Wohnung, puisqu’il n’obtient la nationalité française qu’en 1930. Il signe pour la première fois ses écrits de son pseudonyme en 1920, (puis l’utilise dans la vie courante après 1928). C’est une adaptation du nom d’un de ses ancêtres du côté maternel.
De 1907 à 1916, (sur les indications de son professeur, Charles L’Eplattenier), il parcourt l’Italie, la Grèce et la Turquie ; ses carnets de croquis et de dessins montrent qu’il s’intéresse plus au jeu des formes et de la lumière qu’aux styles antiques.
L’Acropole d’Athènes lui inspire l’une des clés de son œuvre : l’architecture est perçue comme « le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière ».


Le Corbusier l’architecture est perçue comme « le jeu savant, correct et magnifique des volumes assemblés sous la lumière ».
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Il rencontre l’architecte et urbaniste Tony Garnier (1869-1948), que doivent connaître les aficionados du ballon rond (l’architecte du stade Gerland à Lyon).

Il séjourne brièvement dans l’agence d’Auguste Perret (1874-1954), le « magicien du béton ». Ici l’immeuble du 51 rue Raynouard, où il habitait.


Auguste Perret immeuble du 51 rue Raynouard Paris
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Alors qu’il est étudiant à l’école d’art de la Chaux-de-Fonds, il entreprend un voyage en Allemagne.

Il rencontre Peter Behrens (1868-1940), architecte, peintre, graveur, designer, typographe et depuis peu conseiller artistique de la société AEG. Il « admire des centrales électriques qui sont une création architecturale intégrale de notre époque ». Je vous présente une photographie prise vers 1910 de AEG Turbinenfabrik à Berlin Moabit, mais le bâtiment existe encore.


AEG Turbinenfabrik à Berlin Moabit vers 1910
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Le Corbusier souligne dans son mémoire que le résultat aurait été tout autre si on avait fait appel à un autre membre du Werkbund, Josef-Maria Olbrich, alors chef de file d’une école artistique à Darmstadt ; il le qualifie « d’ornemaniste ». Mathildenhöhe est le centre de gravité de cette école artistique.


Joseph Maria Olbrich – Darmstadt

Il destine sa première œuvre d’architecte indépendant à ses parents, la villa Jeanneret-Perret 1912. Il achève sa période suisse par la construction de la villa Schwob (La Chaux-de-Fonds, 1916-17) où, dans un style influencé par Perret, il applique pour la première fois le principe constructif DOM-INO dont il est l’inventeur.
L’ossature DOM-INO est constituée de planchers portés par des poteaux carrés en béton armé permettant le plan libre, la façade libre et de grandes ouvertures. Les éléments sont standardisés pour une fabrication en série ; l’industrialisation reste à l’état de projet.


Le Corbusier principe constructif DOM-INO
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Il continue de plaider pour une architecture rationnelle et industrialisable où, selon l’un de ses formules, la maison est « une machine à habiter». La formule est lancée en 1921, dans sa revue l’Esprit Nouveau. Elle est reprise dans un livre, « Vers une architecture » paru en 1923, qui regroupe les articles concernant l’architecture parus dans Esprit Nouveau. Ce livre marque plus que tout autre l’histoire de l’architecture moderne.

Il est traduit en allemand en 1926.

En 1922, il propose au salon d’automne une maison économique Citrohan, appelée ainsi en hommage à l’effort de rationalisation industrielle développée par André Citroën : «Simplification des sources lumineuses, une seule grande baie à chaque extrémité ; deux murs portants latéraux ; un toit plat dessus ; une véritable boîte qui peut être utilement une maison».


Le Corbusier maquette du pavillon Cintrohan 1922
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Une adaptation de cette maison sera construite à Weissenhof cinq plus tard.

Il développe son projet et l’expose dans le pavillon de l’Esprit nouveau à l’exposition des Arts décoratifs de Paris en 1925.


Le Corbusier Pavillon esprit nouveau 1925
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En savoir plus sur le Pavillon esprit nouveau

Il reprend encore son projet en 1927, cherchant à optimiser l’espace et les moyens. Cette «machine à habiter», modulable, évolutive, à l’instar d’une voiture Citroën est à l’opposé de la maison traditionnelle, fondée sur la transmission familiale, les racines culturelles, l’immobilité. Le plan suivant représente bien sa conception de l’espace à vivre : une forme rectangulaire, de larges fenêtres aux dimensions standardisées, des rangements incrustés dans l’entrée ou à côté des escaliers du rez-de-chaussée.


Le Corbusier plan du pavillon Cintrohan 1922
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Il reste de la place pour les loisirs culturels avec un piano à queue dans le living room, par exemple. Ce projet théorique, auquel s’ajoutent un certain nombre de réalisations plus élitistes : villa Ozenfant, Maison La Roche, (qui abrite aujourd’hui la Fondation Le Corbusier), marque suffisamment ses confrères, à tel point qu’il est sélectionné pour « die Wohnung ».

Cette année 1927, il finalise son concept d’une architecture rationnelle et industrialisable dans l’énoncé des Cinq Points pour une architecture moderne, qu’il a la possibilité de mettre en œuvre, avec son cousin et collaborateur Pierre Jeanneret à Weissenhof.

Les cinq points pour une architecture moderne
Nous allons les passer en revue :

1 – Les pilotis
Les pilotis. Le rez-de-chaussée est un espace dégagé destiné aux circulations, les locaux obscurs et humides sont supprimés, le garage peut être intégré comme à la villa Savoye.


Le Corbusier les pilotis
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2 – Le toit-terrasse
Le toit-terrasse, par le renoncement au toit traditionnel en pente. Le toit-terrasse n’est pas uniquement une exigence esthétique ; il est rendu accessible et cette surface supplémentaire dans un environnement urbain dense sert de solarium, de terrain de sport ou de jardin. L’hygiénisme reste une forte motivation.


Le Corbusier Le toit-terrasse
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3 – Le plan libre
Le plan libre, grâce à la suppression des murs porteurs, qui est rendue possible en utilisant des structures faites de poteaux en acier ou en béton armé portant des dalles. Le plan intérieur est ainsi rendu indépendant de la structure. Il permet à l’architecte imaginatif de supprimer les couloirs et d’établir une parfaite continuité spatiale ou « promenade architecturale ». Le Corbusier cherche à éviter la place perdue. Le couloir qui mène aux toilettes a 60cm de large, comme dans un train.


Le Corbusier Le plan libre
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4 – La fenêtre-bandeau
La fenêtre-bandeau est, elle aussi, rendue possible par les structures poteaux-dalles supprimant la contrainte des linteaux.


Le Corbusier La fenêtre-bandeau
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5 – La façade libre
La façade libre. Les poteaux sont placés en retrait des façades, le plancher est donc en porte-à-faux au niveau de la façade, qui devient une peau mince de murs légers et de baies placées indépendamment de la structure.


Le Corbusier La façade libre
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En 1914, le Werkbund organise une exposition à Cologne avec le soutien actif du maire de la ville, Konrad Adenauer.
Bruno Taut (1880-1938) y présente son utopique Glashaus ;


Bruno Taut Glashaus (pavillon de verre) 1914
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Walter Gropius, qui sera directeur du Bauhaus, (ses partenaires Adolf Meyer, Henry Van de Velde, Peter Behrens) présentent d’autres édifices bâtis ou en maquettes. L’exposition ferme ses portes le 6 août 1914. Les bâtiments sont détruits en 1922

Après la première guerre mondiale, le Werkbund reprend ses activités dans un contexte politique et économique difficile. Les réparations exigées par les vainqueurs étranglent l’économie allemande. Mais en 1924, l’hyper inflation est jugulée, la situation politique stabilisée. Suite au plan Dawes, qui doit faciliter le paiement des réparations de guerre, des milliards d’emprunts obligataires , auxquels s’ajoutent les investissements directs des entreprises américaines, relancent l’économie allemande. Certaines municipalités dirigées par le SPD en profitent pour investir dans l’habitat social.
Plus de 10 manifestations d’importance sont organisées à Stuttgart cette année. Un mois après une exposition consacrée à la construction, Bauaustellung ,
Le Werkbund organise une autre exposition à Stuttgart, die Form, qui expose divers objets en céramique, métalliques, issus de l’industrie et destinés à l’habitat…. Die Form est par ailleurs le nom de la revue du Werkbund de 1925 à 1934.


Exposition die form 1924
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Le Bauhaus expose les objets de l’atelier métal, montrant au public un design radicalement nouveau. L’architecte Mies van der Rohe (1886-1969), qui sera directeur du Bauhaus, rend visite aux responsables de l’exposition Die Form, et on échafaude des plans pour l’avenir.