Les Pavillons Nationaux des Giardini
Nous quittons le pavillon central, j’ai laissé de côté une bonne dizaine de salles, et nous allons toujours dans les Giardini explorer quelques-uns de ces pavillons nationaux ; là ce n’est plus Cécilia Alemanni, c’est chaque pays qui a sélectionné un artiste.
On remarque tout de suite le pavillon des États-Unis qui est immédiatement reconnaissable. Il a été métamorphosé par
Simone Leigh (née en 1968 à Chicago de parents jamaïcains) et transformé en cadre africain. Elle est sculpteur et elle fétichise le corps féminin noir en stylisant certaines caractéristiques physiques, qui à la fois, le caractérisent et le stigmatisent.
Ici monumentale mais sans visage les seins nus.
Voir le site de présentation du pavillon.
Là, une femme de bronze habillée d’une jupe en raphia, la fibre massivement utilisée au Congo et au Gabon.
Là une femme penchée, lave du linge sur un sol miroir évoquant un plan d’eau, est inspirée d’une photographie prise en Jamaïque en 1879.
Simone Leigh «Martinique» (2022), grès émaillé 154,9 x 104,1 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)
Celle-ci, bleue, a des hanches surdimensionnées et pas de tête.
Voir également :
D’autres sculptures de Simone Leigh dans le pavillon américain.
En 2019 l’une de ses sculptures, dont le corps imite les dômes des maisons construites par les populations du Togo et du Tchad, a été installée au-dessus de Manhattan, sur la High Line (c’était un pied de nez de New York à Donald Trump afin de montrer qu’elle n’était pas raciste).
Simone Leigh est aussi une femme engagée très active dans la défense des droits des femmes afro-américaines. En 2014, elle s’était fait remarquer en concevant à Brooklyn un vrai projet de terrain : free people’s medical clinic inspiré par une société secrète créée par les infirmières noires pendant la période esclavagiste. Pendant un mois, elle a converti un ancien manoir en un espace de soins pour personnes de couleur (infirmerie, yoga, acupuncture, spectacle de musique et de danse). Tous les soins étaient prodigués gratuitement par des spécialistes noirs habillés comme au 19e siècle. Un espace hybride entre clinique, lieu d’exposition, et centre d’accueil social. Leigh voulait alerter sur les difficultés d’accès aux soins gratuits pour les Américains noirs, et offrait une réponse civile destinée à encourager les décisions politiques,
Elle a reçu le Lion d’or de la meilleure participante.
Le pavillon de la Grande-Bretagne a reçu le Lion d’or du meilleur pavillon.
L’artiste Sonia Boyce (née à Londres en 1962) est afro-caribéenne. Dans les années 80, elle a été révélée par ses dessins et collages dans le mouvement du Black British art. Dans les années 90 elle a ajouté la photo, le film, l’installation à sa pratique et depuis quelques années la voix. Ici, dans “feeling her way”, elle a recouvert les murs de papier peint patchwork d’images géométrisées auxquelles sont accrochés des écrans couverts de filtres colorés. On y voit les visages de 5 chanteuses noires britanniques, auxquelles l’artiste a demandé d’improviser des mélodies. Le résultat est un parcours à la fois visuel et sonore, parfois harmonieux, parfois non. L’ensemble a été filmé dans les célèbres studio d’enregistrement Abbey Road studios. Plus une peinture des années 80 où elle parlait de son parcours d’artiste afro-carribéenne.
Sonia Boyce: Feeling Her Way / British Pavilion at Venice Art Biennale 2022
Commentaire sur Simone Leigh et Sonia Boyce.
Le pavillon de la France a été confié à
Zineb Sedira, née en 1963 de parents algériens et vivant à Londres. Elle a grandi à Gennevilliers avant de s’installer en Angleterre en 1986. A partir de cette identité plurielle (France, Algérie, Angleterre), elle développe un travail visant à se réapproprier l’héritage familial algérien.
Formée à Londres au Saint Martin collège, son médium préféré est la vidéo. Dans son installation “les rêves non pas de titre”, elle a reconstitué un décor de cinéma inspiré des films des années 70, pour parler des liens cinématographique entre la France, l’Algérie et l’Italie, dans la période de post-décolonisation. Dans une autre salle, elle montre aussi un film qu’elle a réalisé et dans lequel elle joue, qui raconte des souvenirs personnels, et les moments puisés dans des archives. Donc il est question de l’histoire intime au sein de la grande histoire. On est beaucoup dans la nostalgie.
La plasticienne Zineb Sedira, représentante de la France à la Biennale d’art de Venise
Pavillon des pays nordiques
Le Pavillon des pays nordiques a été confié à 3 artistes du peuple Sami. Les Samis sont une population autochtone minoritaire, qui vit dans le Grand Nord entre Suède, Norvège, Finlande et Russie en Antarctique et compte environ 80 0000 personnes, qui revendiquent aujourd’hui le droit d’avoir une culture propre.
Artistes : Pauliina Feodoroff, Máret Ánne Sara et Anders Sunna
On y voit des installations, des sculptures en peau et en panses de rennes, des peintures racontant des épisodes historiques et quotidiens de la vie de ce peuple longtemps rejeté et méprisé.
Voir également :
– Máret Ánne Sara, Pile o´ Sápmi (2017).
– Vue générale.
Le pavillon de la Pologne est une petite merveille.
On y voit une formidable installation textile de
Malgorzata Mirga-Tas, une artiste rom née en Pologne en 1978. C’est un patchwork figuratif, qui revisite les signes du zodiaque et rend hommage à son peuple. L’artiste a repris la partition horizontale des fresques du Palazzo Schifanoia à Ferrare (du 14e siècle) ainsi que l’idée de figurer verticalement tout autour de la pièce les 12 mois de l’année, séparés par des pilastres en trompe l’œil. Mais ici en haut c’est l’épopée des Roms vers l’Europe au centre se sont les signes du zodiaque revisités et en bas, c’est la vie quotidienne mois après mois au fil des saisons le tout en couture, en tissu : la couture justement, la lessive, la préparation du poulet, ect. Voir des détails.
Malgorzata Mirga-Tas à la biennale de Venise 2022
Voir d’autres oeuvres de Malgorzata Mirga-Tas.
Contraste dans le pavillon du Danemark,
Uffe Isolotto, (né en 1976), l’artiste choisi est un plasticien danois de 46 ans, qui a imaginé un monde dystopique qui fait cohabiter l’espace rural et la science-fiction. Sur le modèle d’une ferme danoise traditionnelle, il a disséminé partout des tas de fumier, et recouvert les murs de peintures terreuses et violacées. Dans l’une des salles, un centaure hyperréaliste est pendu au plafond par le cou, dans la salle d’en face, une centauresse est allongée sur le sol, alors que de son ventre sort un nouvel être hybride, englué dans un placenta bleuté. Taxidermies, vraies peaux de chevaux, silicone de bustes humains pour raconter une fable inquiétante.
En fait le centaure s’est pendu, car il ne supporte pas de donner naissance à un enfant dans le monde actuel.
Uffe Isolotto – We Walked The Earth (Denmark) – Venise Biennale 2022
Contraste encore avec le pavillon de la Belgique occupé par
Francis Alÿs (né en 1959 à Anvers qui vit à Mexico depuis 36 ans). Il est connu pour ses performances et ses vidéos mettant en rapport l’humain et son territoire.
Ici, son projet s’intitule “the nature of game » montre, sur différents écrans, une collection d’enfants filmés en train de jouer en plein air dans plusieurs régions du monde (ils jouent sans jouet, avec les moyens du bord). L’artiste avait commencé cette collecte en 1999, en voyant un garçon en train de faire rouler une bouteille de soda d’un bout à l’autre d’une rue en pente de Mexico. Il faut prendre le temps d’observer l’inépuisable inventivité des enfants, pour jouer sans jouets, sur tous les continents.
Dans une salle, de très petites peintures réalisées entre 1994 et 2021 d’après des scènes observées à Kaboul, à Ciudad Juarez, à Jérusalem, à Shanghai, et dans les camps de réfugiés.
Francis Alÿs: The Nature of the Game Venise Biennale 2022
L’artiste a une formation d’architecte, et en 1986, c’est en tant qu’architecte ingénieur qu’il avait participé à un projet de secours du gouvernement belge pour reconstruire la capitale Mexico, détruite par un tremblement de terre. Voici comment il se fait connaître par quelques actions plutôt dadaïstes :
– En 1991, il a tracté avec une laisse un mini véhicule aimanté à roulettes pour y agréger tous les éléments métalliques rencontrés dans les rues de Mexico.
– En 1997, il a poussé un bloc de glace au soleil pendant 9h jusqu’à le réduire à l’état de glaçon.
– En 2001, invité à la Biennale de Venise il a envoyé à sa place “the ambassador”, un paon qui paradait avec fierté dans Venise, désignée comme foire aux vanités. L’animal était accompagné d’un garde et filmé.
– En 2005, il a invité 500 étudiants péruviens à déplacer une dune près de Lima à force de coups de pelle, pour illustrer l’expression biblique “la foi peut soulever des montagnes”.
– En 2008, à Tarifa en Espagne et à Tanger au Maroc des deux côté du détroit de Gibraltar, avec Don’t Cross the Bridge Before You Get to the River , il a invité des dizaines d’enfants de ces deux villes à avancer en file indienne dans la Méditerranée, tenant chacun dans la main une chaussure transformée en voilier miniature, afin de dessiner une ligne qui relie les deux continents. Derrière ce moment ludique, il évoquait la tragique réalité des migrants africains rejetés à la frontière de l’Europe.
L’Arsenal
Nous allons maintenant visiter l’Arsenal confié à Cécilia Alemanni et à ses choix.
Là, nous sommes accueillis par la sculpture de Simone Leigh qui a été exposée à Manhattan.
Ensuite, coup de foudre pour la salle consacrée à
Belkis Ayón (1967-1999 Cuba) cette artiste, qui s’est donnée la mort à 32 ans, alors qu’elle avait connu de succès dès l’âge de 20 ans, est graveur. Elle utilise la technique de la collagraphie, une approche de type collage et gravure de matériaux et des formes peintes, amassés sur une plaque recouverte de gesso ou de colle pour créer une composition. Le support de l’oeuvre, toile la plupart du temps, est posée dessus et l’ensemble est mis sous presse.
Belkis Ayón La consagración (1991) triptyque, partie II, monotype sur papier, 2,3 × 3 m.
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Voir également ;
– D’autres oeuvres de Belkis Ayón.
– Un commentaire
Bien qu’athée, Ayón a consacré son œuvre à montrer les codes, les symboles et les contes des Abakuá, une société fraternelle secrète afro-cubaine, dont le mythe fondateur est basé sur l’acte de trahison d’une femme. Cette société est interdite aux femmes. L’artiste a imaginé une princesse, Sikan, généralement représentée sans traits de visage, mais avec des yeux, présente dans diverses scènes et dans des scénarios mystérieux, évoquant sa propre vie, et celle du mythe de cette socièté. Elle était diplômée de l’Académie des Beaux-Arts et de l’Institut d’Art de la Havane.
Outre coup de cœur, avec les peintures de
Portia Zvavahera, (née en 1985 au Zimbabwe). Elle dit travailler à partir de ses rêves, en mêlant des croyances de son peuple, le culte pentecôtiste de son éducation, et des représentations de sa propre famille. Elle utilise des pochoirs pour enrichir certaines surfaces peintes.
Voir également :
– D’autres oeuvres de Portia Zvavahera
– Un commentaire
Dans la salle d’en face, un homme,
Gabriel Chaile (né en 1999 en Argentine). Il a réalisé un groupe de grandes sculptures en terre cuite à la fois traditionnelles et anthropomorphes.
Les sculptures de Gabriel Chaile se réfèrent à la théorie de la « généalogie des formes ».
Chaque sculpture représente une personne de la famille de l’artiste.
Sebastiana Martinez est sa grand mère.
Voir également :
– D’autres oeuvres de Gabriel Chaile.
« The milk of dreams ». Venise Biennale 2022 avec Belkis Ayon, Simone Leigh, Portia Zvavahera, Gabriel Chaile …
Et un autre peintre,
Ficre Ghebreyesus (né en 1962 en Erythrée et décédé en 2012 aux États-Unis). Ce sont des peintures aux couleurs exubérantes, relatives à son enfance en Afrique de l’Est et à sa vie en diaspora. Il est né dans une famille copte au début de la guerre d’indépendance de 30 ans de son pays contre l’Éthiopie. Adolescent, il est parti avec ses frères en tant que réfugié et il s’est retrouvé dans le Connecticut. Là, avec ses frères, ils ont ouvert un restaurant de spécialités africaines, puis il a passé son bac et s’est inscrit à Yale pour étudier l’art. Ses peintures n’ont jamais été exposées avant sa mort en 2012, sauf sur les murs du restaurant.
“Ville entourée d’une rivière”, (2011) c’est un paysage urbain construit à partir d’un damier orange, et qui ressemble à une broderie traditionnelle érythréenne.
Ficre Ghebreyesus City with a River Running Through 2011 Acrylique sur toile non tendue
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“Nu avec arbre à bouteilles” 2011 un personnage se tient devant un arbre à bouteilles, une ancienne coutume congolaise qui consiste à orner les branches avec les récipients pour éloigner les mauvais esprits. A droite une autre figure tient des instruments de musique.
Voir également :
– D’autres oeuvres de Ficre Ghebreyesus
– Un commentaire.
Rosana Paulino (née en 1967 à Sao Paulo, Brésil). C’est une artiste pluridisciplinaire. Ici la série de dessins aquarellés montre le rôle des esclaves noirs allaitant les enfants de leurs maîtres, les seins douloureux, le sang…
C’est l’histoire de l’héritage persistant de l’esclavage au Brésil.
Voir également :
– D’autres oeuvres de Rosana Paulino.
– Un commentaire.
Britta Marakatt-Labba, artiste Sami née en 1951, nous a époustouflé. Née dans une famille d’éleveurs de rennes, elle réalise des broderies en laine très fines et en soie sur des fonds de tissus blancs.
C’est composé comme des paysages, entièrement brodé. Les Samis portent des chapeaux avec une corne rouge ou noire.
Et dans un détail, on peut voir une opération de déforestation qui oblige les Samis à se déplacer.
Voir également :
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Capsule temporelle
Una foglia una zucca. Un guscio una rete una borsa. (Une feuille une citrouille. Une coque, un filet, un sac)
Dans une capsule temporelle on fait retour sur les artistes qui ont exploré la relation homme/nature, comme par exemple :
Aletta Jacobs (1854-1925 Pays-Bas). Elle était la première femme admise dans une université néerlandaise, puis la seule femme médecin aux Pays bas. C’était aussi une militante féministe, qui avait ouvert la première clinique de contrôle des naissances, tenté d’abolir à la prostitution et de demander le droit de vote. En 1840, elle avait fait fabriquer des boîtes en papier mâché pour enseigner à ses étudiants l’évolution du foetus.
Aletta Jacobs, Womb Models par les Ateliers Auzoux, 1840. Modèle en papier mâché, 25 × 25 × 25 cm
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Voir également :
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A côté,
Bridget Tichenor (1917 Paris – 1990 Mexique) peignait des créatures fantaisistes à visage humain vivant à l’intérieur de coquillages ou de coquilles.
Biennale Arte 2022 – « Various Works » by Bridget Tichenor
Voir également :
– Un commentaire.
Tecla Tofano (1927 Naples – 1995 Vénézuela), était céramiste et luttait pour la reconnaissance des homosexuels.
Ici, “sur le chemin de la Libération” (1975), montre une femme enceinte qui porte dans son ventre un serpent enroulé autour d’un symbole féminin inversé, et d’une croix. Ici la maternité est évoquée de façon critique, comme un acte de soumission au sein de la société. La femme a des ailes dans le dos, et elle fait fi de tout celà..
Tecla Tofano, Sur le chemin de la libération 1975 céramique, 30 x 20 x 12 cm
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Voir également :
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Retour au parcours précédent
Frantz Zephirin, né en 1968 à Haïti, il évoque la colonisation et l’esclavage dans des peintures à la fois narratives et fantastiques :
“The slave ship Brooks” (2007) montre le navire négrier qui a amené dans les Caraïbes des milliers d’Africains réduits en esclavage. Les esclavagistes sont représentés avec des têtes d’animaux. Les esclaves africains ne peuvent que regarder depuis les cales du bateau. Enchaînés à l’intérieur du navire, ce sont des rebelles, les précurseurs de ceux qui mèneront, plus tard, la Révolution haïtienne.
Frantz Zephirin, The slave ship Brooks 2007 céramique, 30 x 20 x 12 cm
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“L’esprit indien en face de la colonisation” (2000) montre une sirène, fière, et au loin un navire espagnol.
Frantz Zephirin, L’esprit indien en face de la colonisation 2000
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Zephirin est adepte du culte vaudou, il vit et travaille dans un temple dans les montagnes à l’extérieur de Port-au-Prince.
Voir également :
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