L’art moderne et le sacré

Les origines de l’art, dans toutes les cultures, sont profondément liées aux dieux ou à Dieu. Qu’en est-il de ce rapport au sacré dans le contexte désenchanté de l’art moderne et contemporain ? Les artistes doivent inventer de nouvelles formes de commerce avec l’invisible, avec l’idée même de transcendance. Quelles traces subsistent de la connivence avec la religion qui avait porté l’art depuis des siècles ?
Intervenante : Agnès Ghenassia

Selon les dictionnaires, le sacré, c’est ce qui appartient à un domaine séparé, interdit et inviolable, (par opposition à ce qui est profane), et fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse. Marcel Mauss, sociologue et anthropologue, précisait que ”La notion de sacré est une notion sociale, c’est-à-dire un produit de l’activité collective”.
Enfin, comme Daniel Abadie, historien d’art, il faut se demander si l’art ne possède pas intrinsèquement une dimension “sacrée” qui serait, de permanence et de transgression à la fois, cette “charge inexplicable qui s’impose devant certaines œuvres« . Pour en savoir plus.

Nous allons donc parcourir l’histoire de l’art sacré au service de la religion, mais aussi des démarches modernes et contemporaines d’artistes, croyants ou non, qui possèdent ce sens du sacré, et nous interpellent sur le plan métaphysique.

1 – A l’origine, l’art est fait pour les dieux, dans toutes les cultures


Une statue égyptienne d’Horus
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Une statue égyptienne d’Horus : rappelons que tout l’art égyptien antique traite du rapport entre les hommes et les dieux. Voir l’art de l’égypte antique.


Vénus de Milo Vers 150-130 av. J.-C 202 cm Musée du Louvre
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Aphrodite, dite Vénus de Milo, vers 150 avant Jésus-Christ, est un mélange d’idéal et de naturalisme, une divinité accessible par sa sensualité, et distante par sa perfection esthétique, et par sa taille (2 m).

Les Moaïs de l’île de Pâques étaient sans doute des divinités érigées en rempart protecteur.

Le masque à l’oiseau Yohouré, en provenance de Côte d’Ivoire, était utilisé et porté par le Conseil des Anciens (il y en avait 7), lors de cérémonies d’initiation et de funérailles : il intercédait entre le monde des hommes et celui des dieux en rétablissant l’ordre perturbé par les bouleversements.

2 – La querelle des iconoclastes et des iconodoules

Mais nous allons nous concentrer sur l’art occidental et le monde chrétien en particulier.
Le rôle des images, comme médiation sacrée et vénérée, a d’abord été sujette à la méfiance, et a fait l’objet d’un vaste débat. Les iconoclastes, étaient les empereurs byzantins qui pendant 100 ans entre 726 et 843 ont interdit le culte des icônes et ordonné la destruction systématique des images représentant le Christ ou les Saints, de crainte que leur adoration ne s’apparente au paganisme.


Psautier Chludov
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Psautier Chludov, miniature du 9e siècle, montrant la destruction de l’image du Christ.

Cette période a pris fin lorsque l’impératrice Théodora réuni en 843 un synode qui autorise la production d’icônes et d’autres images saintes, mais sous des conditions très strictes de fidélité à des modèles bien définis.
Le Christ doit être conforme au Mandylion. La légende veut que ce soit la première image du Christ apparue miraculeusement. Voici l’origine de cette histoire : Le prince d’Edesse, Abgar V, malade, aurait voulu que le Christ se rendît auprès de lui afin de le guérir. Il envoya son serviteur Hannan, également artiste, en le chargeant de faire au moins le portrait du Christ, si celui-ci ne pouvait se rendre à son chevet. Hannan essaya, en vain, de fixer les traits du Christ, ne pouvant pas peindre « sa gloire indicible ». Alors, Jésus se fit donner de l’eau, lava son visage et l’essuya avec un linge sur lequel ses traits restèrent miraculeusement fixés. Hannan s’en retourna avec ce linge à Edesse et le prince Abgar fut guéri.


Mandylion
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Quant à la Vierge, elle doit être voilée de sombre. C’est une figure maternelle mais mise à distance. Dans tous les cas, les fonds d’or sont le signe de l’espace divin. Les saintes images russes, les icônes, sont aujourd’hui encore ancrées dans cette tradition.

En Italie au Moyen-âge gothique, Duccio (1255-1318) est l’un des plus grands peintres siennois. Sa Vierge en majesté parmi les anges (1290-1295) est encore tributaire de la tradition byzantine.


Duccio Maestà, Vierge en majesté entre 1288 et 1300 tempera sur bois 31,5 x 22,5 cm Musée de Sienne
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Andy Warhol (1928-1987), de son vrai nom Andrew Warhola, était né de parents ruthènes (au nord est de l’actuel Slovaquie). Aux États-Unis, son enfance a baigné dans l’iconographie byzantine, car sa famille très pratiquante, était membre de l’Église grecque catholique ruthène. C’est là qu’il a puisé son sens de l’image, en croisant les vanités et les icônes, dont il avait saisi le pouvoir de fascination.


Andy Warhol Gold Marilyn, 1964
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On retrouve le fond d’or des icones, voir un commentaire.

À sa mort, en 1987, l’éloge funèbre prononcé à la cathédrale Saint-Patrick de New York disait ceci “J’aimerais rappeler un aspect de sa personnalité qu’il dissimulait à tous, sauf à ses amis les plus proches, sa spiritualité. Elle était la clé de son esprit”.

Georges Rouault (1871-1958) était profondément catholique. Il avait été formé, comme Matisse, dans l’atelier de Gustave Moreau, qui disait : “Vous aimez un art grave et sobre et dans son essence religieux, et tout ce que vous faites sera marqué par ce sceau.
En effet, même cette tête de clown 1920, a quelque chose de christique !


Georges Rouault tête de clown, 1920 Huile et gouache sur papier marouflé sur toile de lin 64,8 × 49,5 cm Musée d’art d’Indianapolis
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Rouault a peint de très nombreuses fois le Christ, de façon presque obsessionnelle.

En 1946, il réalise les vitraux de l’église Notre-Dame de toutes les grâces du Plateau d’Assy voir le vitrail Véronique.

Jawlensky (1864-1941), compagnon de Kandinsky à Munich dans le groupe du Cavalier Bleu, était, comme lui, d’origine russe. Tête mystique 1918.


Alexej von Jawlensky tête mystique, tête de jeune fille, 1918 Huile sur carton 64,8 × 49,5 cm collection particulière
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En 1938, 3 ans avant sa mort, il avait écrit : “J’éprouvais le besoin de trouver une forme pour le visage, car j’avais compris que la grande peinture n’était possible qu’en ayant un sentiment religieux, et ceci, je ne pouvais le rendre que par le visage humain. J’avais compris que le peintre devait restituer par la forme et la couleur ce qu’il y avait de sacré en lui.”
Voir également :
Sauveur de la face huile sur toile 1921 Musée de Wiesbaden.
Méduse 1923 huile sur carton 42 x 31 cm Musée des beaux arts de Lyon, voir un commentaire.
Méditation 1936, huile sur carton Kaiserslautern
Ce sont de petit formats extrêmement efficaces dans leur stylisation, le visage étant réduit à un signe (exposé récemment au musée Cantini)

3 – La question de la Renaissance : comment rendre visible l’infigurable ?

En Italie, au début de la Renaissance, les artistes continuent à recevoir majoritairement des commandes de l’Eglise. Les règles héritées de l’art byzantin sont toujours présentes, mais les personnages ont des silhouettes plus souples, moins hiératiques. Simone Martini (1284-1344), peintre siennois, réalise l’annonciation en 1333, c’est un grand tableau d’autel en bois sculpté dans un style gothique.


Simone Martini l’annonciation, 1333 Tempera sur bois, 184 x 210 cm galerie des offices Florence
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L’ange Gabriel, à gauche, tient une branche d’olivier et s’adresse à Marie qui abandonne sa lecture avec un geste de surprise et de léger recul. Entre les deux, un vase de lys symbolise sa virginité. Les mots qui sortent de la bouche de l’ange sont gravés dans le fond d’or (“Ave Maria gratia plena”) le message de Dieu est parole, et ne peut être représenté autrement, le peintre ne cherche nullement le réalisme. Il signale par le fond d’or que l’on est dans une scène sacrée. Voir un commentaire.

En 1425 à Florence, Brunelleschi, l’architecte, a démontré l’efficacité de la perspective pour construire des images proches de la réalité. Tous les peintres se sont emparés de cette découverte, mais elle pose un problème de taille pour représenter les scènes sacrées. Comment concilier un espace réaliste et un message mystique ?
Fra Angelico (1400-1455), moine dominicain au couvent San Marco, est un peintre dévot et érudit. Il va mettre la perspective au service des thèmes traditionnels de la peinture religieuse.


Fra Angelico l’annonciation, 1442 Fresque, 230 x 312,5 cm Couvent San Marco Florence
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Dans l’Annonciation, l’espace de la loggia est parfaitement mis en perspective (donc réaliste). Plus de fond d’or, donc l’illusion d’un espace profond. À la place du message divin, une petite fenêtre désigne un point plus éloigné. Or cette petite fenêtre se situe au niveau du point de fuite des lignes de perspective (les fuyantes) donc désigne l’infini et c’est la place de Dieu. Voir un commentaire.

Il en est ainsi dans toutes les Annonciations que Fra Angelico a peintes à San Marco. Et dans l’une d’elles, peinte dans la cellule d’un moine, le point de fuite n’est même pas matérialisé, il se situe dans le blanc central, invisible. C’est une façon intellectuelle de désigner Dieu.


Fra Angelico la madone des ombres 1440 Fresque, Couvent San Marco Florence
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Autre retrouvaille de Fra Angelico. Dans une fresque intitulée la madone des ombres on a longtemps pensé que les 4 panneaux en dessous étaient des trompes l’œil de marbre à but uniquement décoratif, jusqu’à ce que, en 1990 Georges Didi-Huberman découvre qu’il s’agissait pour le peintre d’exprimer le mystère de l’Incarnation. Par-delà la représentation, la figuration exprimait le mystère de l’incarnation. Ainsi Fra Angelico, imprégné du mystère de Dieu et grand lecteur de saint Thomas d’Aquin, a distingué la figuration de la scène principale et la “zone de dissemblance” qui exprime ce que l’on ne peut figurer.


Fra Angelico, couronnement de la Vierge tempera sur bois 209 × 206 cm Musée du Louvre
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Dans le couronnement de la Vierge qui est au musée du Louvre, les faux marbre sont intégrés à la scène représentés sur les marches que Marie vient de gravir. Ainsi la non-figuration rend le sens du mystère, du sacré.

4 – La dimension spirituelle de la peinture abstraite

Les pionniers de l’abstraction au XXéme siècle, ont souvent insisté sur sa dimension spirituelle, en mettant en évidence le détachement des choses matérielles, le renoncement à décrire le monde. C’était en partie (entre autres) le sens du carré noir de Malevitch en 1915, placé dans l’angle du plafond à l’emplacement des icônes dans les maisons russes. Ce carré noir qui l’a suivi jusqu’à sa mort.
On se souvient aussi que Kandinsky, alors même qu’il envisageait de renoncer au paysage pour la peinture abstraite, avait écrit « Du spirituel dans l’art » pour préciser que l’abstraction, sans véritable « nécessité intérieure », ne saurait tête que vainement décorative.

La tradition chrétienne n’est pas seule concernée, l’oeuvre de l’américain Barnett Newman (1905-1970), à première vue purement plastique, au sens défini par Clément Greenberg (le théoricien des expressionnistes abstraits), est liée à la pensée juive et en particulier à la lecture de la Kabbale (il était le fils d’un couple d’immigrés juifs polonais). La quête, c’est l’expression du sublime, une notion philosophique non religieuse, liée aux sentiments d’inaccessibilité et de transcendance, qui inspirent crainte et respect, et favorisent l’éveil moral.
Les titres de Newman sont parlants


Barnett Newman, vir heroicus sublimis 1951 huile sur toile 242,2 x 541,7 cm MoMA New York
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Voir un commentaire (MoMA)
Voir également :
Abraham 1949 huile sur toile 210,2 x 87,7 cm MoMA New York
Convenant (engagement) 1948 huile sur toile
The Voice 1950. Détrempe à l’œuf et émail sur toile, 244,1 x 268 cm MoMA New York
The promise 1949 huile sur toile 130,8 × 173 cm Whitney museum New York
Ce sont tous de très grands formats à la fois somptueux et austères, et tous présentent ce fameux zip vertical, qui pour l’artiste renvoie dans la Genèse, au geste créateur de Dieu, séparation des ténèbres et de la lumière, de la terre et des eaux.

Mark Rothko (1903-1970) né Marcus Rothkowitz, est issu d’une famille juive venue de Russie (aujourd’hui en Lettonie). Sa peinture, qui a émergé à partir des années 50, est méditative. Avec ses surfaces aux bordures indécises, il atteint par l’effacement de soi, une dimension spirituelle particulièrement sensible. Il disait : “Je ne suis pas un artiste abstrait, je ne m’intéresse pas au rapport entre la couleur et la forme, la seule chose qui m’intéresse c’est d’exprimer des sentiments humains fondamentaux. Les gens font avec mes tableaux la même expérience religieuse que celle que j’ai faite en les peignant”.


Mark Rothko – Orange, Red, Yellow (1961) Acrylique sur toile 236,2 × 206,4 cm Collection particulière
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Voir la chapelle Rothko à Houston.


Mark Rothko – L’humaniste abstrait

Rothko s’est donné la mort en 1970 car il souffrait d’un anévrisme qui l’empêchait de peindre. Dans ces mêmes années, en France, deux peintres appartenant à l’école de Paris pratiquent un art abstrait dicté par leur foi.

Voir également : Comment les scientifiques ont découvert le puissant effet de l’art abstrait sur l’esprit.

Pour Alfred Manessier (1911-1993), les thèmes religieux prennent corps chez lui, dans les événements naturels.


Alfred Manessier, Magnificat des moissons
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Voir un commentaire (musée de Dijon)
Voir également :
Alléluia des champs 1974. Huile sur toile (130 × 162 cm), il explicite cette signification, il dit : “Quand j’aurai exprimé Pâques à la fois comme allégresse spirituelle et comme renaissance panthéiste, j’aurais gagné.”
En 1943 il avait fait un séjour à la trappe, où l’audition du chant des moines avait orienté ses aspirations. « J’ai profondément ressenti le lien cosmique entre ce chant sacré et cette nature tout autour”.
Ce sont de grandes toiles abstraites avec des titres religieux :
Résurrection 1961 huile sur toile 230 x 200 cm Centre Pompidou
Apaisé 1952 huile sur toile 92 x 50,2 cm Le Havre, musée d’art moderne André Malraux
Salve Régina 1945 huile sur toile 195 x 114 cm, Musée des beaux-arts, Nantes,
Recueillement nocturne huile sur toile 200 x 150 cm centre Pompidou.


La symphonie de Pâques d’Alfred Manessier

Manessier, quelques années plus tard, a conçu les vitraux de l’église du Saint-Sépulcre à Abbeville et ceux de Saint-Pierre de Trinquetaille à Arles.

Jean Bazaine (1904-2001), auquel on le compare souvent, a lui aussi travaillé pour des édifices religieux, à Audincourt dans le Doubs (le baptistère) notamment, des mosaïques et des vitraux et en 1965 les vitraux de Saint-Séverin à Paris


Jean Bazaine, 1954 mosaïque église du Sacré Cœur d’Audincourt
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Voir un détail.

Yves Klein (1928-1962) est l’un des artistes qui a le mieux “ritualisé” sa vie.
Ses trois couleurs fétiches, le bleu, le rose et l’or réunies dans l’ex-voto à Sainte-Rita 1961, sont pour lui les couleurs de l’immatériel (et il les a puisées chez Giotto).


Yves Klein, ex-voto à Sainte-Rita 1961 Pigment pur, feuilles d’or, lingots d’or et manuscrit dans plexiglass 14 x 21 x 3 cm
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Voir un commentaire.

Klein faisait partie de la confrérie des chevaliers archers de l’ordre de Saint-Sébastien, qui date du 9e siècle, il avait été adoubé en 1956. C’est dans son costume d’apparat qu’il a épousé en 1962 Rotraut Uecker. Voir une photo du tableau de mariage peint par Yves Klein et Christo, une ritualisation à l’état pur
Les monochromes bleus d’Yves Klein, dont aucune photo de peut rendre compte de leur texture, irradient d’une lumière particulière, qui ne doit rien à ses conditions matérielles de réalisation, ils irradient parce qu’ils sont la projection de la sensibilité de l’artiste à penser l’immatériel.


Yves Klein, monochrome bleu IKB 3, 1960 Pigment pur et résine synthétique sur toile marouflée sur bois 199 x 153 cm Centre Pompidou
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C’est d’ailleurs ainsi, qu’à l’issue de l’exposition du vide chez Iris Clert en 1959, il avait vendu des « zones de sensibilité picturale immatérielle » contre 20 grammes d’or fin. Avec ses acheteurs, il se rendait au bord de la Seine, et le rituel consistait à jeter dans l’eau la moitié de l’or (l’autre moitié de l’or était recyclée par Yves Klein dans ses monogold), et de bruler le reçu, preuve du renoncement aux choses matérielles et amour du rite.

5 – La dimension « sacrée » d’une œuvre ne dépend pas de son sujet

L’œuvre Albert Gleizes (1880-1953) en est un parfait exemple. Peintre cubiste, Gleizes s’était tourné à partir des années 30 vers ce qu’il voulait être la peinture sacrée. En 1927, il avait créé au Sablon en Isère une communauté d’artistes dans un ancien couvent désaffecté (Moly-Sabata) au bord du Rhône. La vie y était monastique, sans confort et en autarcie, et l’objectif était de réunir l’art, la vie, et la foi en Dieu.


Albert Gleizes, Vierge à l’Enfant 1938 huile sur toile 166 x 105 cm musée Calvet Avignon
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Voir également :
Crucifixion 1927 Peinture à la colle sur toile 213 x 175 cm Centre Pompidou.
Transfiguration 1939-41 gouache 55 cm × 38,5 cm musée d’art moderne de la ville de Paris
Pour la contemplation 1942 huile sur toile 216,5 x 131 cm musée de Valence.
Autorité spirituelle et pouvoir temporel 1946 huile sur toile, 336 x 203 cm Musée des beaux art de Lyon.
Cependant devant ces tableaux, on ne ressent rien de comparable à ce que l’on peut ressentir devant un monochrome d’Yves Klein ou de Rothko.

En 1941 il a illustré de gravures les Pensées de Pascal.
Ses peintures sont des illustrations cubistes de thèmes religieux, mais rien en elles ne nous permet de “décoller” et de le suivre dans son rêve sacré.

Alors qu’au même moment (justement pendant la deuxième guerre mondiale), lorsque Georges Braque (1882-1963), peint les poissons noirs, on soupçonne qu’il ne s’agit pas de montrer la pêche du jour, mais d’une subtile évocation du christianisme.


Georges Braque les poissons noirs 1942 huile sur toile 33 x 55 cm Centre Pompidou
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Comme chez Velasquez, le Christ dans la maison de Marthe et Marie, où coexistent deux scènes, l’une dans la cuisine (4 poissons, deux œufs, de l’ail, deux servantes) où l’on confectionne peut-être un aïoli, et l’autre à l’arrière-plan qui évoque un épisode des évangiles.


Velasquèz le Christ dans la maison de Marthe et Marie 1618 huile sur toile 63 cm x 1,04 m National gallery Londres
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Ou même chez Vermeer (1632-1675), où la femme à la balance qui pèse des pièces d’or et des perles, juste devant un tableau qui représente un jugement dernier, donc la pesée des âmes.


Vermeer la femme à la balance 1662-1663 huile sur toile 42,5 × 38 cm National Gallery of Art, Washington
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L’idée de Braque, comme celle de Vélasquez ou de Vermeer, c’est de montrer que dans le monde naturel quotidien, peut se manifester quelque chose de différent, qui est de l’ordre du sacré.
De même, quand Matisse peint en 1911 la conversation, un grand tableau aux couleurs saturées, ce qui est montré objectivement c’est lui et sa femme en pyjama, séparés par une fenêtre donnant sur un jardin, et au fond du jardin, l’atelier du peintre.


Henri Matisse la conversation 1908 huile sur toile 177 × 217 cm Musée de l’Hermitage St Pétersbourg
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Mais ce qui apparaît en même temps, c’est une Annonciation laïque, dans laquelle la fenêtre ne désigne plus la place de Dieu à l’infini, mais la peinture. C’est ce que me Mircea Eliade, historien des religions, appelle une “hierophanie”, une manifestation du sacré hors du religieux. Quand on demandait à Matisse s’il croyait en Dieu il répondait “Oui quand je travaille, mon travail c’est l’art, et l’art est sacré”.

Alberto Giacometti (1900-1966) dont l’œuvre tout entière, dessin, peinture, sculpture, s’est concentrée sur « l’expression de l’humain ramené à un regard avec un peu de chair autour » (c’était son expression), invite lui aussi a une réflexion métaphysique, alors que son sujet n’est pas religieux.
Voir les expositions :
Alberto Giacometti / Le Réel Merveilleux (fondation Giacometti 1970)
Alberto Giacometti : l’être humain et les corps magnifiés (Québec 2018)
Oeuvres de Giacometti

Peu d’artistes ont ainsi ramené leur modèle à l’essentiel, à quelque chose de l’être, qui transcende les apparences, à quelque chose qui dit à la fois la vie et la mort.


Alberto Giacometti 2010 sculptures Fondation Maeght St Paul de Vence
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Voir d’autres oeuvres d’Alberto Giacometti (Musée Guggenheim Bilbao).

One thought on “L’art moderne et le sacré

  1. Bonsoir Madame,
    tout d’abord je vous adresse mes meilleurs voeux à l’occasion de nouvelle année.
    Je suis un lecteur assidu de vos cours, et je tiens à vous remercier pour la richesse et la grande qualité de vos interventions. Passionné par l’art moderne et contemporain, je trouve enfin ce dont je souhaitais.
    Encore merci, et continuez, SVP, à nous enrichir intellectuellement.
    J.Fouré

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