L’art moderne et le sacré

6 – Les grands thèmes réactivés : les mythes de la création et la crucifixion

Chacun connaît la création d’Adam par Michel-Ange, mais moins peut-être sa création du soleil et de la lune. Dieu sépare le soleil et la lune puis il s’éloigne pour aller un peu plus loin a créer les plantes (fesses à l’air, petite facétie de Michel-Ange). Est-ce ça qui a inspiré à Man Ray la prière 1920 ou plutôt la perfection des fesses de Lee Miller ?

En 1902, Auguste Rodin intitule l’une de ses sculptures, la main de Dieu ou la création. Cette œuvre rappelle le “non finito” des esclaves de Michel-Ange. La main ici concentre à elle seule toute la puissance du génie créateur et appartient à la fois à Dieu et au sculpteur.


Auguste Rodin la main de Dieu 1902 marbre 90 x 60 x 35 cm musée Rodin Paris
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Dans sa paume sont taillés Adam et Eve, deux corps lovés l’un contre l’autre. L’ensemble, la main et les deux petits corps, semblent se dégager du bloc de marbre informe, comme si le processus n’était pas achevé.
Dans la Bible, livre de la Genèse verset 7 chapitre 2 on lit « Alors Yahvé Dieu, modela l’homme avec la glaise du sol. Il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant« .

Giuseppe Penone, (né en 1947), aime s’inspirer des mythes. En 1978, il a réalisé Soffio, en travaillant dans une fabrique de grandes jarres de terre cuite, qui ressemblaient aux doliums de l’Antiquité, qui servaient de citerne à vin, à huile, ou à céréales. Mais le vase de Penone a été utilisé alors que l’argile était encore humide. Il a imprimé son corps debout sur l’argile, et son impact a creusé la matière, qui est venue se déplacer comme une écume sur les bords.


Giuseppe Penone Soffio 1978, terre cuite 158 x 75 x 79 cm Centre Pompidou
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L’œuvre est le fruit de ce corps à corps. Puis Penone a soufflé dans l’ouverture du vase. De ce travail, l’artiste dit ceci: “J’ai essayé de produire une forme comme si j’étais en train de respirer contre mon corps. L’haleine, le souffle, est équivalent de l’air qui pénètre le tourbillon du tour du potier, et l’haleine c’est l’équivalent de la parole« . Ce qui nous renvoie au souffle de Yahvé donneur de vie.

Anselm Kiefer (né en 1945), s’inspire de la Torah, l’Ancien Testament, et des kabbalistes.
La grande toile intitulée Tsimtsoun, évoque ceci : à l’origine, Dieu occupait tout l’espace. Il ne restait plus aucune place pour créer le monde. Alors Dieu s’est concentré, rétracté pour laisser un espace et faire que le monde puisse apparaitre.


Anselm Kiefer, Tsimtsoum, 1990 huile, émulsion, gomme, craie et cendre sur toile en plomb 380.3 x 560.1 cm National Gallery of Art, Washington D. C.
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Voir un commentaire.

Émanation (2000) huile, émulsion, schellack et plomb sur toile, 940 x 510 cm, renvoie au moment où Dieu se manifeste sous la forme d’une colonne de fumée.

On est très loin de ce manuscrit du 15e siècle où l’on voit Dieu en train de bénir la côte d’Adam pour faire apparaître Eve.

La crucifixion … une longue histoire

George Grosz (1893-1959), athée, communiste et pacifique, a produit en 1927, une caricature qui l’a conduit au tribunal : un soldat allemand (avec bottes et masque à gaz) crucifié avec, en dessous, le slogan « Ferme ta gueule et continue à servir ». Cette caricature antimilitariste dénonçait aussi l’attitude complaisante des Églises vis-à-vis des préparations à la guerre.


George Grosz Christ avec un masque à gaz 1927
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Chagall a peint en 1938 la crucifixion blanche.


Marc Chagall, crucifixion blanche 1938, huile sur toile 154,62 × 140 cm Art Institute of Chicago
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Peintre d’origine russe de culture juive, installé à Paris depuis 1923, il a été le témoin horrifié des persécutions contre les Juifs d’Allemagne et d’Europe de l’Est. Ici, la figure chrétienne du Crucifié est entourée d’éléments caractéristiques du judaïsme (châle de prière, chandelier, Thora). À gauche deux scènes de persécution en Russie (avec des drapeaux rouges), à droite la profanation d’une synagogue par un homme en chemise brune. Au pied de la croix, les Juifs s’enfuient, ce sont les survivants et les témoins. 1938 c’était l’année de la Nuit de cristal si terrible pour les juifs.
Le thème chrétien de la crucifixion est utilisé ici pour évoquer la souffrance infligée aux hommes au 20e siècle.

Picasso crucifixion 1930.


Pablo Picasso crucifixion 1930 huile sur toile 52 x 67 cm Musée Picasso Paris
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Depuis l’enterrement de Casagemas en 1901 où Picasso s’était inspiré du Greco (l’enterrement du comte d’Orgaz) pour évoquer l’envol de son ami dans l’espace céleste, le peintre n’avait pas abordé un thème chrétien.
Aux codes bien établis du Christ en croix, (légionnaire jouant aux dés, larrons), il a ajouté des figures personnelles: c’est un picador qui perce le flanc du Christ ; juché sur une échelle, un étrange personnage est occupé à clouer la main droite du Christ. Le Crucifié est masqué en grande partie par la figure dévorante de Marie. De part et d’autre de la Croix de grandes figures monstrueuses remplacent la lune à gauche, et le soleil à droite. Ici la crucifixion est un rituel sauvage, primitif, entre rêve et cauchemar, où Picasso exprime en même temps la crise personnelle qu’il traverse avec Olga (la Vierge a une tête menaçante). Cette peinture de petit format, n’était pas destinée à être exposée, elle est aujourd’hui au musée Picasso car il l’avait conservée.
Picasso a, au cours des années 30, travaillé la crucifixion dans des croquis à l’encre, très expressifs, et dans cet étrange assemblage osseux qu’il intitule aussi la crucifixion. Ces travaux sont contemporains des sculptures de Boisgeloup.

Par contre, en 1959, le crucifié réapparaît dans ses croquis, cette fois sous la forme d’un toréador puisqu’il a détaché son bras droit pour agiter son pagne comme une muleta.
Picasso, comme Bacon, ont réfléchi à la crucifixion et l’ont réinventée en la débarrassant du poncif dans lequel la religion l’a enfermée, pour la proposer à la génuflexion des fidèles. Pour ces artistes il s’agit d’une expérience personnelle pas seulement religieuse, qui nécessite l’invention d’autres choses.


La crucifixion Picasso et les autres

Francis Bacon (1909-1992), est aussi notoirement athée que Picasso. En 1933 Bacon a peint deux crucifixions, elles sont sobres et tragiques (on ne voit pas la tête du Christ).
En 1944, en pleine guerre, il revient sur ce thème religieux, sur le mode de l’expression de l’épouvante. Il peint son fameux triptyque trois études de figures à la base d’une crucifixion, qui fait scandale, et en même temps a établi sa réputation.


Francis Bacon Trois études de figures au pied d’une crucifixion 1944 Huile et pastel sur panneau de bois 95×73,5 + 73,5 + 73,5 cm Tate Londres
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Philippe Sollers écrit : «  Puissance de la peinture, elle peut faire la nuit, c’est à dire ouvrir le rouge vif du dedans des yeux pour laisser passer les Furies. Regardez-les donc, ces grosses poules hurlantes à long cou, ces bestioles dégoûtantes à bouches dentées nourries de sang. Bizarrement, elles sont en équilibre mal assuré, sur des tables, des tabourets, des trépieds. Elles sont malades, visqueuses, pythies à bout, n’ayant repris force, semble t-il, que pour crever« . (Les passions de Francis Bacon, Philippe Sollers)

Sur le mur de son atelier, parmi les photos dont il s’inspirait, il y avait ce portrait de Joseph Goebbels, bouche ouverte hurlant des imprécations (c’est cette bouche là qu’il a reproduite dans ses figures). Le titre du triptyque laisse songeur, Bacon envisageait de le considérer comme la prédelle d’une crucifixion qu’il peindrait ensuite !
Là encore ce ne sont ni des têtes ni des visages montés sur des ventre mais des bouches qui vocifèrent. Au centre, le regard est bandé … comme était bandé le regard du Christ dans le retable de Grünewald. Plus tard, Bacon dira qu’il avait pensé aux Euménides décrites par Eschyle : trois gorgones si dégoûtantes qu’on n’ose les approcher….

Six ans après, en 1950, Bacon peint fragment d’une crucifixion, un amas rose et pantelant de viscères, au milieu duquel s’ouvre une bouche ronde et hurlante. Dans le fond circulent des passants et des voitures.


Francis Bacon fragment d’une crucifixion 1950 Huile sur toile 140 x 108,5 cm, Van Abbemuseum, Eindhoven
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Et en 1988, seconde version du triptyque de 1944 plus grande, plus froide, plus implacable. Georges Bataille en 1930, avait écrit : “Dans les grandes occasions, la vie humaine se concentre encore plus bestialement dans la bouche, la colère fait grincer des dents, la terreur et la souffrance font de la bouche l’organe des cris déchirants”.

Entre-temps, en 1962 trois études pour une crucifixion, présente au centre un amas de chair souffrante sur un lit,


Francis Bacon Trois études pour une crucifixion, 1962 Huile sur toile 140 x 108,5 cm, Van Abbemuseum, Eindhoven
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A gauche des témoins (Bacon disait des attendants) et à droite la chair souffrante et pendue tête en bas comme à un crochet de boucher, et qui se tord sur elle-même. Bacon a dit avoir été frappé par les torsions du corps du Christ de Cimabue.

En 1965, crucifixion, il est question d’un corps sur un lit, il n’y a plus de passants, mais des figurants (que Bacon appel des attendants) sur le panneau gauche, comme des témoins de ce qui se passe dans la panneau central. Les ombres ont une qualité de présence étonnante (ombre blanche). Les panneaux sont encadrés et sous verre.
C’est le mode de représentation des triptyques du moyen âge.
Comme au Moyen Age, il a l’idée de faire figurer dans les panneaux latéraux des personnages qui sont en dehors de la scène centrale.
En 1965, crucifixion,


Francis Bacon crucifixion 1965 huile sur toile 197,5cm x 147cm. Bayerische Munich
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avec cette fois au centre ce corps suspendu, exposé, défiguré par la souffrance.

De façon plus attendue au regard de la tradition, dans les années 60, Antonio Saura (1930-1998) a peint de nombreuses crucifixions.


Antonio Saura Crucifixion 1961 huile sur toile
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Voir également :
Crucifixion huile sur toile 1959 Musée Guggenheim Bilbao
Crucifixion 1982 Encre, peinture acrylique et papiers déchirés collés sur papier 70 x 100 cm Centre Pompidou.
Crucifixion rouge 1963 Huile sur toile 130 x 162 cm Musée de Genève

et de Kooning (1904-1997), peintre expressionniste américain des Womens a réalisé au fusain des dessins de crucifiés, les yeux fermés, preuve s’il en était besoin que c’est une forme inscrite dans nos mémoires.


De Kooning, crucifixion les yeux fermés, 1966
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Pour aller plus loin, Crucifixions Bacon, Picasso, De Kooning par Philippe Sollers.

Ces dessins me semblent beaucoup plus émouvants que le corpus hypercubus peint par Dali en 1954 ou que son Christ de St Jean de la Croix en 1951…


Salvador Dali Christ de St Jean de la Croix en 1951 huile sur toile Musée Kelvingrove, Glasgow
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Parmi les innombrables crucifixions du moyen-âge et de la Renaissance, la plus retenue par de nombreux artistes modernes est celle du retable d’Issenheim de Matthias Grünewald peint en 1509 (au musée de Colmar). C’est un très grand polyptyque dont les multiples ouvertures révèlent des scènes éblouissantes (réalisé pour la Commanderie des Antonins dont la vocation était de soigner les malades atteints du mal des ardents une maladie provoquée par des farines contaminées). Mais c’est surtout la souffrance exprimée par le Crucifié qui a marqué les esprits.

Otto Dix (1891-1969) a combattu pendant la guerre de 1939-45 et a été prisonnier, il a été incarcéré à Colmar. C’est là en 1945, qu’il a vu le retable et s’en est inspiré. Ses travaux ont d’ailleurs été exposés au musée Unterlinden de Colmar en 2017. Le Christ devient pour lui le symbole de tous les hommes humiliés. Lui il l’a été doublement d’abord comme artiste dégénéré, puis comme soldat. Voir la conférence sur Otto Dix à Colmar.


Otto Dix La crucifixion lithographie
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Dix s’est inspiré de ces peintures religieuses pour créer La moquerie du Christ , La Crucifixion , et d’autres images sacrées pour la suite de 33 lithographies qu’il a réalisées pour L’Evangile de Matthieu.
Voir également :
Autoportrait derrière les barbelés 1946
Autoportrait en Christ aux épines
Annonciation
Flagellation
… et même en réponse à la tentation de Saint-Antoine de Grünewald de 1470, une tentation de Saint-Antoine.

Jasper Johns (né en 1930), américain, a vu à Colmar le retable de Grünewald et quelqu’un lui a offert par la suite un portfolio de détails très agrandis, de l’oeuvre. C’est ainsi qu’en 1982, dans la série intitulée périscope, on trouve la main, le bras du Christ,


Jasper John Le bout du monde 1979/1989 Pastel sur taille douce 104 x 74 cm

et dans Perilous nights, 3 bras tachetés de plaques colorées, comme les pustules des malades atteints du mal des ardents de la Tentation de saint Antoine de Grünewald.

Par ailleurs, et sans doute sans lien précis avec Grünewald, Bernard Buffet (1928-1999), avec son graphisme acétique, a peint dans les années 50 une grande crucifixion La Passion du Christ.


Bernard Buffet, la Passion du Christ, 1951 huile sur toile, 280 x 500 cm, Musée Bernard Buffe
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En 1946 après la mort de sa mère, il avait peint une déposition de croix qui faisait écho à sa propre douleur ainsi qu’une crucifixion en 1951.

Henri Matisse s’est intéressé au thème de la crucifixion à 76 ans, lorsqu’il s’est engagé dans le projet de la chapelle du Rosaire à Vence, qui a occupé les dernières années de sa vie. Finalement il avait fait le choix de la lumière et du blanc, et la Passion du Christ a été réalisée sur des carreaux de céramique blancs, avec un dessin presque schématique, chaque station portant le numéro. Les vitraux matissiens seuls, apportent la couleur à cet espace très épuré, ainsi que les chasubles dessinées par l’artiste. Matisse disait avoir essayé de “spiritualiser” l’espace.


Henri Matisse chapelle du Rosaire Vence
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Arnulf Rainer (né en 1929), autrichien a fait toute une série de peintures très expressionnistes sur des châssis découpés en forme de croix.


Arnulf Rainer peinture de croix, 1987 huile sur photographie 150 x 80 cm
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Le corps apparaît sous forme d’empreinte de main, mais surtout la force du geste restitue l’implication physique du corps et l’idée de violence.
Voir également :
Wine crucifix huile sur toile 168 x 103 cm Tate Londre

Même Robert Combas (né en 1957), s’est emparé du thème de la crucifixion avec ses coulures qui évoquent des pleurs.


Robert Combas le calvaire 1991 acrylique sur toile 450 x 407 cm
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ou, de façon plus cocasse, il s’est crucifié lui-même dans crucifié par des gueuleurs.

Voir la crucifixion dans l’art.

Jean-Michel Alberola (né en 1953) entre 1989 et 1992, après un voyage à Naples, il a lui aussi travaillé sur ce thème, en traitant le corps du Christ par fragments. Sa série intitulée étudier le corps du Christ, en associant peinture à l’huile d’aquarelle et de pastel, offre des jeux de transparence et de sur impression très délicats. L’accent est mis sur les pieds et les mains.


Jean-Michel Alberola Etudier le corps du Christ 1992, Gouache, mine graphite et aquarelle sur papier teint à l’aquarelle 18 x 13 cm Centre Pompidou
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Voir également
Etudier le corps du Christ (Centre Pompidou)
Etudier le corps du Christ (Centre Pompidou)
Etudier le corps du Christ IV (Centre Pompidou)
Il y a même une huile sur carte postale déchirée et agrafée, véritable mise en pièces de la crucifixion stéréotypée.

Adel Abdessemed (né en 1971), en 2012, il a réalisé des Christs en fil de fer barbelé qui ont été exposés au musée de Colmar à côté du retable.


Adel Abdessemed Christs 2011 fils de fer 4 éléments 210 x 174 x 41 cm
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C’est brutal et efficace, comme souvent chez cet artiste, qui a pris la violence comme fil conducteur de son travail.

Bien sûr il y a le Piss Christ de Andres Serrano dont on rappelle qu’il collectionne des objets pieux et ne cherchait pas à choquer (d’autant que l’urine et le sang sont des liquides du corps).


Andres Serrano Piss Christ 1987 Cibachrome monté sur plexiglas 1,52 m x 1,02 m
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Cette oeuvre a suscité de nombreuses polémiques.

En 2014, Pascal Convert (né en 1957), a transformé par une complexe opération de moulage et de combustion, un vulgaire vieux Christ en bois en un Christ en verre. L’opération de “Christallisation », implique sacrifice/sacrilège et sacré. Le Christ a été coffré dans un moule réfractaire puis enfourné à l’horizontal et étuvé à 120 degrés jusqu’à ce qu’il ne dégage plus de vapeur d’eau. Puis la température a été montée à 500 degrés. Dès que le bois est arrivé à combustion on a alimenté le moule avec du verre et attendu un mois et demi le refroidissement complet.


Pascal Convert “Christallisation », 2013 Verre, plâtre, métal, charbon de bois 135 cm x 90 cm x 25 cm
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Voir un commentaire.

7 – Le sacré et la chair

Dès le 16e siècle à Venise, l’art religieux prend des libertés avec le texte sacré. Par exemple, lorsque le Tintoret peint son immense crucifixion à la Scuola grande di San Rocco à Venise,


Le Tintoret, crucifixion 1565 huile sur toile 536 × 1224 cm Scuola grande di San Rocco à Venise
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Le Christ occupe bien la position centrale, mais tout le premier plan est occupé par des femmes et par l’expression des émotions. Marie est effondrée de douleur et on se presse autour d’elle pour la consoler. Alors que le texte sacré dit “Stabat mater” la mère était debout. Les peintres ne s’adressent plus à Dieu mais bien aux hommes au 16e siècle.

Entre 1545 et 1563 le concile de Trente, réunissant de nombreux dignitaires de l’Église avait réaffirmé le dogme de la Transfiguration, symbolisé par l’Eucharistie : “Par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain pour la substance du corps du Christ et de toute la substance du vin dans la substance de son sang”. Le concile qui cherchait à reprendre position face à la montée de l’Église réformée a confirmé le culte des saints et de la Vierge Marie. La fin du concile a coïncidé avec le début des guerres de religion.

Impossible d’évoquer la question de l’Eucharistie sans penser à la performance de Michel Journiac (1935-1995) “messe pour un corps” à la galerie Templon en 1969. Avant de se consacrer à l’art et à l’enseignement de l’art, Journiac a été séminariste. Lors de cette action, il a dit la messe en latin, puis a fait communier les invités avec de petites rondelles de boudin qu’il avait réalisées avec son propre sang.


Michel Journiac Messe pour un corps 1969 Galerie Templon
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Revenons au culte des saints et à l’opération séduction de l’Église catholique.

Le Bernin l’extase de sainte Thérèse dans la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome En 1652. Le Bernin est en relation étroite avec l’ordre des Jésuites, fortement engagé dans la Contre-Réforme. L’extase de sainte Thérèse est une représentation d’une expérience spirituelle. Thérèse d’Avila (1515-1582) était une sœur carmélite espagnole, elle a raconté avoir eu les entrailles transpercées par un ange. Elle a été canonisée juste après sa mort. Le récit de Sainte-Thérèse écrit une sensation douloureuse et délicieuse à la fois que les croyants interprètent comme l’Union intime avec le sacré mais qui peut aussi évoquer un orgasme.


L’Extase de Sainte Therese Le Bernin

C’est cette ambiguïté que Le Bernin a traduit dans sa sculpture, et dans sa mise en scène. En effet il s’agit d’une commande de la famille Cornaro. Le Bernin a conçu une sorte de théâtre. Sur la scène centrale, l’ange souriant, face à Sainte-Thérèse pâmée. Un faisceau de rayons dorés matérialise la présence divine d’autant plus lumineuses qu’il a fait découper une fenêtre à l’arrière. De part et d’autre, sur les côtés, dans des loges, les membres de la famille Cornaro surplombent et commentent la scène. Thérèse, bouche entrouverte, en extase, yeux mi-clos. Et tout concourt à suggérer le souffle de l’immatérialité et du miracle.

Au cours des 16e et 17e siècles baroques se sont multipliés les représentations de Marie-Madeleine, la prostituée repentie, justement parce qu’elle incarne à la fois l’érotisme et le sacré, la pécheresse et la sainteté. Le pardon de Jésus a restitué sa beauté et sa féminité.


Le Titien la Madeleine pénitente 1533 huile sur panneau de bois 84 × 69 cm Palais Pitti Florence
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– Guido Reni Marie-Madeleine pénitente 1627 huile sur toile 11.5 x 93 cm Musée des beaux arts de Quimper.
– Le Caravage Madeleine en extase 1606, huile sur toile 106 × 91 cm collection particulière.
– Le Titien Marie-Madeleine repentante 1565), huile sur toile, 119 × 98 cm, musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg.
– Georges de la Tour Marie-Madeleine repentante 1635, huile sur toile – 113 x 93 cm National Gallery of Art Washington.
La Vierge aussi fait l’objet de toutes les attentions, et la mort de la Vierge du Caravage au Louvre, avait à la fois bouleversé et choqué par son réalisme.


Le Caravage La mort de la Vierge

1 thoughts on “L’art moderne et le sacré

  1. Bonsoir Madame,
    tout d’abord je vous adresse mes meilleurs voeux à l’occasion de nouvelle année.
    Je suis un lecteur assidu de vos cours, et je tiens à vous remercier pour la richesse et la grande qualité de vos interventions. Passionné par l’art moderne et contemporain, je trouve enfin ce dont je souhaitais.
    Encore merci, et continuez, SVP, à nous enrichir intellectuellement.
    J.Fouré

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