La danse et les arts plastiques

Dans les années 20 en Allemagne, Rudolf Von Laban Tchécoslovaque, danseur chorégraphe et enseignant d’origine hongroise, développe toute une réflexion sur les mouvements de la danse. Il devra fuir l’Allemagne pour l’Angleterre en 1937. Son « Labanotation » est un volume à facettes enserrant toutes les possibilités de mouvement du corps. Plus généralement chez lui, le corps en mouvement se déploie dans un espace géométrique, la kinésphère (qui dessine les trajets du corps dans l’espace), et à l’opposé, lorsqu’il y a un contenu émotif qui dynamise les mouvements, se déploie alors une dynamosphère (qui se perçoit à travers l’expressivité du danseur). Laban dessine l’espace généré par la danse d’une manière qui se voulait assez scientifique..


Rudolf von Laban labanotation
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Mary Wigman (1884-1973) est la plus célèbre danseuse allemande de l’entre-deux-guerres. Disciple de Rudolf Von Laban elle a retenu de son enseignement la liberté de mouvement et la danse sans musique. Elle est la principale représentante de la danse expressionniste. On connaît l’un de ses solo « la danse de la sorcière » en 1914 où elle danse assise au sol, sur fond de percussion, en s’inspirant des danses océaniennes.


La danse de la sorcière, Mary Wigman 1914

Elle a créé une école de danse et ses recherches la rapprocheront des dadaïstes et de Émil Nolde, qui devient son amie et la peint à plusieurs reprises.


Emil Nolde, Le danseur (Marie Wigman) 1920 aquarelle
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– Emil Nolde : Portrait de Mary Wigman 1320, aquarelle 48,3 × 35,5 cm Art institut Chicago.
– Exposition La danse, expression de la vie 2011, Centre Pompidou.

Ludwig Kirchner fondateur de mouvement Die Brücke a peint lui aussi Mary Wigman en 1926, directement inspiré par l’une de ses chorégraphies.


Ludwig Kirchner Totentanz der Mary Wigman, 1926-1928 Huile sur toile – 110 x 149 cm Berne, Galerie Henze & Ketterer & Triebold
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Elle est poursuivie par une horde d’esprits maléfiques.
Kirschner fréquentait les cabarets, les spectacles de variétés, et les premières revues nègres qui lui fournissaient des modèles vivants. Il avait rencontré Mary Wigman en 1926 et écrivait à propos de ses chorégraphies : « Il est infiniment stimulant et attirant de dessiner les mouvements de ce corps. Je vais en faire de grands tableaux, oui l’art nouveau est là ! »

La danse expressionniste sera exploré notamment par Pina Bausch.
À l’opposé, en Allemagne, d’autres explorent la tendance abstraite du mouvement et du corps mécanisé.

Kandinsky stylise les mouvements de la danseuse acrobate Gret Palucca, une élève de Mary Wigman et qui en 1926 faisait quelques interventions au Bauhaus.

Oskar Schlemmer (1888-1943) dirige au Bauhaus, la classe de la scène, un creuset où se mêlaient toutes les disciplines. Le ballet triadique, conçu en 1926, est devenu mythique. Les corps humains à sont si transformés par les costumes qu’ils génèrent des mouvements relevant d’une abstraction organique.


Oskar Schlemmer Le ballet triadique

Il n’y avait pas de danseurs professionnels, tout était expérimental avec les élèves et les professeurs. L’idée est que le corps entre en résonance avec l’ère de la machine.

La danse aux bâtons en 1928, fait la démonstration de l’effet produit par le corps dans l’espace grâce à de longs bâtons qui prolongent les proportions des membres.


La danse aux bâtons de 1928 rejouée en 2008

La danse métallique en 1929 qui ne dure qu’une minute et demie, fait du matériel de scène et des éclairages, un élément actif de la chorégraphie, c’est le professeur de sport du Bauhaus qui l’exécutait.


Oskar Schlemmer La danse métallique
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En 1998, Luc Petton chorégraphe français né en 1956, rend hommage à Oskar Schlemmer et à sa danse au bâton dans une chorégraphie intitulée Oscar.

En peinture, on retrouve le corps machine chez Francis Picabia,


Francis Picabia, danseuse étoile sur un transatlantique 1913 aquarelle encre de chine 75 x 55,5 cm
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Voir également :
Udnie, 1913 huile sur toile 290 x 300 cm centre Pompidou
je revois en souvenir ma chère Udnie 1913 Huile sur toile, 250 x 198 cm MoMA New York.
Il est difficile dans ces peintures de repérer le corps de la danseuse. Il a été inspiré par un spectacle de danse donné par une l’actrice d’origine polonaise, Stacia Napierkowska, sur le bateau qui a emmené Picabia vers New York. Udnie est le nom qui apparaissait dans un ouvrage qu’il avait lu et qui disait que la peinture devait traduire de façon abstraite les émotions produites par le réel.

Picabia s’implique en tant que décorateur et scénographe pour les ballets suédois, qui étaient les concurrents des Ballets russes.
Relâche, 1924 (Francis Picabia, Erik Satie, et Jean Börlin). Le décor de scène se compose de disques métalliques.


Francis Picabia, décor pour Relache 1924 théâtre des Champs-Elysées
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Le décor se compose de disques métalliques avec un jeu de reflets suivant les éclairages.

Picabia a dessiné pour les danseurs des costumes à pois.

Fernand Léger a aussi réalisé pour les ballets suédois les décors et les costumes de la création du monde, en 1923 avec une esthétique d’inspiration africaine.


Fernand Léger, la création du monde 1923 théâtre des Champs Elysées
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Voir également :
Le rideau de scène conçu pour le spectacle.
– Les dessins des costumes imaginés par Fernand Léger.

Dans les années 20, Joséphine Baker (1906-1975) venue des États-Unis, se produit en France dans la revue nègre au Théâtre des Champs-Élysées. C’est l’époque de l’émergence du jazz, on danse le charleston, il y a un véritable engouement qu’on appel à l’époque, “la folie noire”.
C’est Fernand Léger qui avait suggéré de créer un spectacle entièrement joué et dansé par des noirs. 12 musiciens sont recrutés (dont Sidney Bechet) et 8 choristes et danseurs (dont Joséphine Baker). La première a lieu en 1925, avec dans la salle Robert Desnos, Francis Picabia, Blaise Cendrars


Josephine Baker danse le charleston original (1925)

C’est un succès ! Joséphine danse quasiment nue, vêtue d’un pagne composé de fausses bananes, elle danse le charleston dans un décor de savane au rythme des tambours. Elle interprète avec humour un tableau intitulé, la danse sauvage qui se moque des blancs et de leur façon de gérer leurs colonies.

Après 100 représentations en France et à l’étranger, elle a signé en 1927 un contrat avec le théâtre des Folies Bergères. Dans ses spectacles aux Folies Bergères et au Casino de Paris, elle porte des plumes roses, elle est accompagnée d’un guépard qui terrorise l’orchestre et fait frémir le public. Elle a été l’égérie des artistes et a beaucoup contribué à l’enthousiasme des Parisiens pour le jazz. Elle avait engagé Georges Simenon comme secrétaire !

Son portrait par Van Dongen, sa silhouette par Calder. En 1950 Matisse se souviendra d’elle pour
la danseuse créole Papiers gouachés, découpés, collés sur papier Canson blanc, marouflé sur toile 205 x 120 cm Musée Matisse Nice,
– et en 1952 la negresse Papiers gouachés, découpés, collés sur papier Canson blanc, 453.9 cm × 623.3 cm National Gallery of Art, Washington, D.C.
– voir la négresse dans son atelier.

De 1931 à 1933 Matisse a reçu la commande d’un décor en trois panneaux pour la fondation du docteur Barnes à Merion (près de Philadelphie) aux États-Unis. Il a fait le voyage pour constater que ce décor allait se situer au-dessus d’un mur couvert de chefs-d’œuvres de la peinture, qu’il s’agissait de ne pas concurrencer. Premier projet donc : une danse aux couleurs très discrètes et qu’il a jugé trop peu décorative justement.


Henri Matisse La Danse inachevée (1930-1931), premier projet
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Deuxième projet : Matisse dessine avec un fusain planté à l’extrémité d’un bambou pour trouver le rythme et être à distance de son sujet. Il dispose ensuite des papiers découpés de couleur, qu’il épingle pour faire des essayages : la géométrie vient contraster avec les courbes des corps. Plus encore que dans la danse de 1909, il resserre le cadrage pour ne montrer que des fragments de corps.


Henri Matisse La Danse MNAM, Paris, 1932
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Il repart aux États-Unis avec la peinture. Les dimensions ne sont pas bonnes, il faut recommencer. C’est cette première version qui appartient au musée d’art moderne. La version définitive est à Mérion.

Aux États-Unis dans les années 30, Martha Graham (1894-1991) est la première chorégraphe à rompre avec les codes classiques de la danse. En 1930, lamentations, est une chorégraphie expressive qui magnifie le corps de la femme, tout en le dissimulant dans un tissu extrêmement élastique qui geometrise chaque mouvement.


Martha Graham lamentations 1930

Elle a formé de nombreux élèves notamment Alwin Nikolais, (danseur chorégraphe américain d’origine russe et allemande). Il a d’abord été subjugué par une représentation de Mary Wigman, puis a rencontré Martha Graham et suivi certains de ses cours.
Avec Noumenon, en 1953, il reprend l’idée de Martha Graham avec des effets lumineux qui transforment les corps en formes abstraites.


Alwin Nikolais Noumenon 1953

Nous sommes ici dans la continuité de Loie Fuller.

Pour Masks, Props and Mobiles (1953) les interprètes dansent avec des élastiques tendus par leurs mains et leurs pieds.


Alwin Nikolais Masks, Props and Mobiles (1953)
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Pour kaléidoscope, en 1956 les costumes extensibles géométrisent les danseurs de même pour imago en 1963.


Alwin Nikolais kaleidoscope (1956)
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Dans Sanctum en 1964, il projette des diapositives sur les corps des danseurs.

Ses chorégraphies très visuelles qui sont pour tout public, lui ont valu le Grand Prix du Festival de la danse à Paris en 1968, et sa compagnie s’est produite dans plus de 20 pays. De 1978 à 1981, il a dirigé le Nouveau Centre national de danse contemporaine à Angers, qui a notament formé Philippe Decouflé. Ses idées : affranchir la danse de la narrativité, du réalisme et de l’émotion, il faut que ce soit seulement visuel. Il crée des pièces abstraites pleines d’humour, dont il conçoit lui-même lumières, sons, et costumes, on le surnommait “le magicien”.

Philippe Decouflé né en 1961, est devenu mondialement célèbre grâce à son époustouflante scénographie pour les Jeux Olympiques d’Albertville en 1992. Grande inventivité à la fois dans les effets d’ensemble, comme dans les costumes, l’héritage du ballet triadique n’est pas loin.


Philippe Découflé J.O. Alberville 1992

Nicolas Schöffer (1912-1992) artiste d’origine hongroise, il s’est installé en France en 1936, découvrant les Delaunay et Fernand Léger, et surtout l’essai de Norbert Wiener en 1950 « Cybernétique et société« , qui brouille les frontières entre le vivant et l’artificiel.
Avec ses sculptures cybernétiques, il crée des œuvres-robot qui grâce à leurs capacités d’interagir avec leur environnement, prennent réellement part a des chorégraphies. Il a d’abord créé des œuvres cinétiques intégrant de la lumière qui projette des effets de couleurs sur les écrans. Puis CYSP1, Acronyme de cybernétique et spatiodynamique a été la première sculpture cybernétique de l’histoire de l’art.


Nicolas Schöffer CYSP1 1956

A l’échelle humaine, CYSP1 contient un cerveau électronique que Schöffer a conçu avec des ingénieurs de Philips. Connecté à des capteurs, ce cerveau permet à la sculpture de réagir aux variations des sons, des lumières et des couleurs autour d’elle. Elle se déplace de façon autonome, et seize plaques polychromes pivotent et tournent à des vitesses différentes en réaction aux stimulations externes. Dans le cadre du festival d’avant-garde de Marseille en 1956, elle a été présentée lors d’une performance interactive sur le toit de la Cité Radieuse avec des danseurs du corps de ballet de Maurice Béjart, accompagnée d’une musique concrète composée par Pierre Henry. On avait l’impression que la sculpture dansait avec les ballerines.
Voir un commentaire.

En 1973 Kyldex, est un spectacle cybernétique lumino-dynamique expérimental que Schöffer a créé pour l’opéra de Hambourg, alliant un ballet de sculptures autonomes, une chorégraphie d’Alwin Nicolaïs, des projections d’effets lumineux, la diffusion d’images de films d’actualité et de diapositives, le tout sur fond hyper sonore d’une musique électroacoustique de Pierre Henry. (voir des extraits du film).


Nicolas Schöffer Kyldex (1973)
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Comme la mode était à la participation du public, Schöffer lors de la projection du film, avait confié à chaque spectateur un petit sac contenant cinq panneaux permettant d’exprimer son choix avant chacune des 12 parties : un rond rouge = halte, un triangle vert = plus vite, un losange bleu = plus lent, un triangle jaune = répéter, un carré blanc = expliquer. Le spectacle s’organisait en fonction de la majorité des votes du public, et donc, le spectacle était différent à chaque fois (parmi les danseuses, Carolyn Carlson). Schöffer était à l’époque un homme orchestre qui mèlait sculpture, ingéniérie et science pour créer des ballets de machines et de lumières.

Et, à propos de robots danseurs, William Forsythe danseur et chorégraphe américain né en 1949. Avec Black Flags en 2014, a fait danser des robots équipés de drapeaux peints en noir. Il avait peint en noir des drapeaux de supporters de foot et à un moment, les drapeaux miment le geste de mettre en genou à terre, fait par des sportifs américains en protestation contre le racisme aux Etats-Unis.


William Forsythe Black Flags, 2014

2 – Danses et performances, l’art et la vie, le corps comme événement de Dada à Jérôme Bel

En 1916, au Cabaret Voltaire, Sophie Taeuber-Arp dansait, inventant une forme inédite de performance dansée.


Sophie Taeuber-Arp danse au cabaret Voltaire (1916-17)
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