Malentendus, polémiques et scandales dans l’art contemporain

Après Manet, des nus contestés

Bien sûr, la présentation des Demoiselles d’Avignon de Picasso en 1907 a effaré et choqué ses amis et collègues, car “de quel droit infliger ça au corps des femmes”. Rappelons que le titre d’alors était « le bordel d’Avignon » et que cette œuvre est aujourd’hui au MoMA de New York, ce que la Joconde est au musée du Louvre.


Pablo Picasso, les demoiselles d’Avignon 1907 huile sur toile 243,9 × 233,7 cm MoMA New York
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Mais qu’a-t on trouvé de scandaleux en 1917 au nu allongé de Modigliani pourtant si séduisant ?


Amedeo Modigliani, nu allongé, 1917 huile sur toile 60,6 × 92,7 cm Musée Long Shanghai
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En 1917, l’artiste a 33 ans, italien venu s’installer à Paris, il peint toute une série de nus somptueux qui sont exposés dans la galerie Berthe Weill. Le soir du vernissage, seule dans la rue, la galerie est éclairée et attire les passants. Peu à peu la foule s’amasse “Ces nus ont des poils !”. La police intervient et ordre est aussitôt donné de décrocher les toiles. Modigliani ne vendit que 2 dessins. Il n’y avait rien de subversif, mais dans le contexte de la guerre, la séduction érotique suggérée n’était pas acceptée, car elle heurtait l’opinion. Aujourd’hui, autres temps autres mœurs, alors que ce nu fait l’actualité car il s’est vendu 170 millions de dollars chez Christie’s en 2015, son image a été floutée dans plusieurs médias anglo-saxons car il est jugé trop provoquant pour l’Amérique puritaine.

Les nus de Egon Schiele, des corps fatigués, nerveux, et imparfaits, dans les dernières heures de l’Empire austro-hongrois, étaient déjà considérés comme une provocation et l’artiste en 1912, a payé son audace d’un séjour en prison pour outrage à la morale publique.


Egon Schiele, nu masculin assis (auto-portrait) 1910 huile et gouache sur toile 152,5 × 150 cm, musée Leopold Vienne
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Voir également : Nu debout aux bas rouges, 1914, crayon, aquarelle et gouache sur papier, 48 × 32 cm, musée Leopold

Mais aujourd’hui, alors que la publicité utilise les codes de la pornographie pour mieux vendre, des peinture des corps nus dans l’espace public sont-elles scandaleuses ?

En 2018, Vienne organise une importante rétrospective sur les 100 ans du modernisme viennois ; elle a choisi pour sa campagne de communication de mettre en avant des oeuvres d’Egon Schiele, dont une exposition anniversaire doit se tenir au musée Léopold … sans imaginer les réactions. À Hambourg et Cologne, les sociétés privées d’affichage public mandatées par le musée viennois ont refusé de diffuser ces affiches. À Londres mêmes réticences pour l’affichage dans le métro, derrière les bus … Aussi l’office du tourisme de Vienne à répliqué en appliquant un bandeau blanc sur les zones jugées et licencieuses, accompagné de ces mots “Désolé mais toujours aussi scandaleux aujourd’hui”.

Constantin Brancusi a réalisé en 1915-1917, princesse x. Cette sculpture qui se situe dans la mouvance du mouvement Dada, a une forme phallique malgré son titre.


Constantin Brancusi princesse x (1915-1917) Bronze poli, pierre (calcaire) 61,7 x 40,5 x 22,2 cm Centre Pompidou Paris
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Elle a été refusée au Salon des Indépendants de 1920 parce qu’elle joue sur la frontière des genres. Aujourd’hui exposée dans l’atelier Brancusi, elle figurait en 1995 et 1996 dans l’exposition du Centre Pompidou ”Féminin- Masculin le sexe de l’art” une exposition plus difficile à imaginer aujourd’hui.

Robert Mapplethorpe est un photographe américain reconnu pour sa recherche de la perfection. Perfection des corps qui lui servaient de modèle, perfection technique de l’image, même lorsque le modèle est une fleur, jusqu’à ce dernier autoportrait dans lequel, alors qu’il se sait atteint du sida, il brave la mort en la regardant en face.


Robert Mapplethorpe Self-portrait (Autoportrait), 1988, 61×50,8 cm
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Chez lui, point de mise en scène du corps spectacle, décharné, mais une sublimation très maîtrisée du mal qui le ronge.

Pourtant, en 1978 autoportrait aussi, mais en tenue sadomasochiste un lasso planté dans l’anus à la manière d’une queue de diable. Il ne s’agissait pas d’une recherche gratuite du scandale mais d’un message à teneur socio-politique envers un gouvernement qui refuse de financer les soins et la recherche sur le VIH, de peur d’encourager les pratiques homosexuelles. À la fin des années 80, alors qu’une rétrospective de son travail est présentée quelques semaines après sa mort, successivement à Philadelphie, Chicago et Washington, une galerie de Washington qui devait l’accueillir, effrayée par la campagne lancée par les sénateurs de droite, renonça à assumer ses engagements. Le front conservateur avait en effet été alerté par des associations religieuses sur l’immoralité sexuelle. Des artistes militants de la cause gay décidèrent de répliquer en projetant sur les façades à l’extérieur des diapositives de ses œuvres. Un an plus tard, le musée de Cincinnati affirma qu’il renonçait à ses subventions pour l’exposer. Pourtant, le 7 avril la police fit évacuer le site et inculpa le conservateur. Pour le défendre, il fallait prouver la valeur esthétique des images, ce qui fut difficile, car sur 8 jurés, deux seulement avaient déjà visité un musée !

Les musées accueillent aussi des performances, souvent à l’occasion d’un vernissage et devant un public trié sur le volet. Il y a des exceptions amusantes. En 1994 l’artiste Alberto Sorbelli, sous les traits d’un travesti, a posé publiquement au Louvre devant la Joconde, sans perturber le calme des lieux.


Alberto Sorbelli, Louvre 1994
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Repéré par le gardien, il a été discrètement encerclé par le service d’ordre et tabassé dans une salle à l’écart (un document vidéo atteste de cette brutalité). Trois ans plus tard, il obtient l’autorisation officielle de Pierre Rosenberg (président du Louvre) pour conduire une séance photo un jour de fermeture du musée. Il fut alors admonesté par la personne chargée des relations extérieures qui fit rageusement interrompre les prises de vue. Voir d’autres performances d’Alberto Sorbelli.

Beaucoup plus innocent. En 2013, la fondation Pinault a installé, sur la pointe de la douane, à la sortie du musée et face du Grand Canal, “L’enfant avec une grenouille” de Charles Ray, qui fut très apprécié de tous, à en croire le nombre de gens qui ont photographié, sous toutes les coutures, cette sculpture blanche représentant un enfant nu tenant une grenouille.


Charles Ray, L’enfant avec une grenouille h 2.4 m 2012
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Là c’est la ville de Venise, qui s’est mobilisée à la suite d’une pétition et lui a préféré l’ancien réverbère du 19e siècle !

Les avant-gardes censurées

Les courants d’avant-garde imposèrent l’idée que la société, et la vie, pouvaient être réinventées par l’art. Cette implication de l’art dans le cours politique du monde a toujours alerté les autorités, surtout lorsqu’elles prétendaient elles-mêmes construire un nouvel idéal. D’où des tensions très fortes des pouvoirs totalitaires, vis -à -vis des nouvelles formes de création.

Kasimir Malevitch a, en 1915 avec l’exposition 0,10, proposé, deux ans avant la Révolution, une démarche esthétique radicale et complexe: il s’agissait du meurtre symbolique des pratiques picturales du passé, au profit d’un idéal suprématiste qu’il voit comme le catalyseur de l’affranchissement social, philosophique, mystique de son pays. Il avait confié à son ami Pevsner, “nous serons tous crucifiés, ma croix je l’ai déjà préparée !” Ce sera la censure.


0,10, dernière Exposition futuriste, (1915)
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Dans les premiers temps, les instances révolutionnaires l’appréciaient puis, dès 1919, l’idéologie communiste s’est écartée de l’abstraction pour incompatibilité avec un programme politique tourné dans la production matérielle. Menacé, Malevitch trouve refuge à Vitebsk, où il suscite un formidable climat d’émulation chez les étudiants. Mais à Moscou, un critique influent s’acharne : “dégénérescence pathologique maniaque !” … En 1921, premier interrogatoire policier, brimades. En 1924, ses trois formes fondamentales, quadrilatère, cercle et croix, sont censurées par les organisateurs russes de la Biennale de Venise.

Pour respirer un peu, il se rend à Berlin en 1927 où il est chaleureusement accueilli, mais dans un entretien accordé à un journal, il a le malheur d’évoquer les difficultés culturelles de l’Union soviétique. Sommé de rentrer, il a droit à deux peines de prison pour “activités idéologiques« . En 1930 ses archives sont saisies, son atelier saccagé. Il a un cancer de la prostate mais on lui refuse l’autorisation d’aller se faire soigner en France. Puis après sa mort, son œuvre a été totalement occultée sous Staline et sous Khrouchtchev, ainsi que celles de Tatline, Rodtchenko, Topova etc. Lors du retour de l’URSS à la Biennale de Venise en 1956, aucune avant-garde artistique n’est sélectionnée. Cette méconnaissance de Malevitch a joué un rôle considérable dans la suprématie de la toute-puissance, de l’avant-garde américaine.
Voir ce que sont devenues les oeuvres de Malevitch laissées à Berlin.

Fontaine de Marcel Duchamp a durablement bouleversé la création du 20e siècle, et continue cependant à choquer le spectateur non averti.


Marcel Duchamp Fontaine 1917
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À New York en 1917 est organisée une exposition de la Société des artistes indépendants sans prix ni jury, elle a pour but de faire découvrir aux Américains des pratiques d’avant-garde, pour la plupart européennes. Marcel Duchamp qui est membre du comité organisateur, veut tester l’ouverture d’esprit de l’événement et par jeu, il envoie cet urinoir retourné signée R Mutt, accompagné d’un titre au féminin « fontaine« . L’objet a été exclu de l’accrochage, ce qui a permis à Duchamp de publier dans la presse un article célèbre le cas Richard, accompagné de la photo de la Fontaine prise par Alfred Stieglitz. Cet article signe la naissance de ready-made. En 1993 l’artiste Pierre Pinoncelli a dégradé l’œuvre en urinant dedans puis en lui portant un coup de couteau. Devant la justice à la suite de la plainte du centre Pompidou, il mit en avant la dimension dadaïste de son geste mais écopa de 3 mois de prison avec sursis, de 2 ans de mise à l’épreuve, et de 14 352 € d’amende pour couvrir les frais de restauration.

En octobre 1927 s’ouvrit à New York un procès opposant le sculpteur roumain Constantin Brancusi à l’Etat américain. Procès célèbre, car ce qui était en jeu, c’était la définition d’une œuvre d’art. Il s’agissait de prouver que l’oiseau dans l’espace, qui avait été lourdement taxé à l’importation par les douanes américaines comme objet utilitaire, était véritablement une œuvre d’art, donc comme telle exonérée de droits de douane.


Constantin Brancusi, l’oiseau dans l’espace 1923 marbre, bronze 15 x 140 cm MoMA New York
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Une loi de 1913 aux États-Unis exonère de droits de douane les objets d’art, en précisant que les sculptures “devaient être taillées ou modelées à la main à l’imitation de modèles naturels.” Le problème était de s’accorder sur la ressemblance de l’oeuvre avec un oiseau, et d’admettre le « fait main » de cette pièce de bronze jaune de 1 m 35 polie comme un miroir. En réalité, c’était tout un chargement d’une vingtaine de sculptures de Brancusi destinées à une exposition personnelle à New York qui avait été saisi par la douane et pour les professionnels (galeristes conservateurs…), le litige portait sur la libre circulation des œuvres.

En novembre 1928, le juge a rendu son verdict, reconnaissant l’existence d’une école d’art « dite moderne » que les tribunaux doivent prendre en compte. Le lendemain des photos paraissent dans la presse avec le titre : “C’est un oiseau !

Les nazis ont exercé des censures cruelles et humiliantes envers les artistes d’avant-garde, en mettant à l’index l’absence d’idéalisation. Certaines œuvres de Picasso ont fait partie des 16 000 pièces arrachées aux cimaises des musées du Reich. Plus d’un millier ont brûlé dans un grand bûcher le 20 mars 1939. D’autres dont “Acrobate et jeune arlequin” sont restées dans le château de Schönhausen avant d’être bradées.


Pablo Picasso, acrobate et jeune arlequin 1905, Gouache 105 x 75cm collection particulière
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Mais Picasso ne fit pas partie de la tristement célèbre exposition d’art dégénéré inaugurée à Munich en juillet 1937, organisée par Goebbels, qui accueillit trois millions de visiteurs (au cours d’une itinérance de quatre années en Allemagne et en Autriche), venus se moquer des œuvres expressionnistes et dadaïstes, comme celle de Kokoschka, de Beckman ou d’Oscar Schlemmer.


L’exposition d’art dégénéré en 1937
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Pour les nostalgiques de la beauté standardisée, en contrepoint, et à la demande d’Hitler, une grande exposition de l’art allemand présentait par exemple des œuvres d’Adolf Ziegler président de la Chambre des Beaux-Arts du Reich les 4 éléments, l’eau, la terre, le feu, le vent.

La musique moderne, elle aussi, était “dégénérée”, les artistes Juifs étaient bien sûr des cibles privilégiées comme Marc Chagall “la Prise ou le rabbin jaune” 1923. Celui-ci qui s’obstinait à peindre des sujets en relation avec la culture hébraïque, a subi des autodafés de ses œuvres conservées au musée de Mannheim. Il a pris la nationalité française en 1937.
Paul Klee fut sommé de prouver ses origines aryennes, et fut stigmatisé lui aussi. “Rayé de la liste 1933”, interdit d’exposer, interdit d’enseigner.
Pendant l’occupation en France, l’autocensure règne dans les musées, l’avant-garde est réduite au mutisme.

Seule force de résistance, la galerie Jeanne Bucher programme en 1942 une exposition Kandinsky qui fut aussitôt interdite, car le peintre est proscrit par la censure allemande. Courageusement, elle s’entête à exposer, en veillant à ne pas envoyer de cartons d’invitation. Elle fit de même pour Fernand Léger, Paul Klee, et Nicolas de Staël.

Mais le 27 juillet 1943, des toiles modernes sont brûlées (Picasso, Picabia, Masson, Miro Ernst, Valadon, Léger) acte perpétré par le service des spoliations des collections juives, installé depuis novembre 1940, au Jeu de Paume (voir le témoignage de Rose Valland).

L’art en conflit avec son contexte sociopolitique

Dans l’Amérique des années 30, l’hommage au labeur ouvrier et la critique du libéralisme n’étaient pas bienvenus, puisqu’ils étaient la norme dans le bloc rival. Pourtant un artiste a pris le risque dans un lieu symbolique, le Rockefeller Center, complexe de bâtiments au cœur de New York construit avec les dollars de la famille Rockefeller. On commanda des décorations murales à Picasso et à Matisse qui déclinèrent l’offre. C’est le mexicain Diego Rivera connu pour ses fresques qui accepta.


Diego Rivera, l’homme à la croisée des chemins, Rockefeller Center 1934
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Mais au fil de la réalisation, il s’éloigne du projet initial pour imposer sa vision : à droite au lieu de l’ouvrier anonyme prévu, il représente Lénine autour d’un noir américain, un paysan d’Amérique latine et un soldat russe. Nelson Rockefeller exige une modification que l’artiste refusa. Les fresques furent détruites et remplacées par celles plus consensuelles de José-Maria Sert.


José-Maria Sert, le progrès américain, Rockefeller Center,1935
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Voir un commentaire sur l’oeuvre de Sert.

Tous les régimes despotiques cherchent la construction d’une effigie inattaquable pour leur propagande visuelle. À la mort de Staline en 1953, partant des hommages de la Presse communiste exaltant “Le petit père des peuples”. Quand Aragon demande à Picasso un dessin pour le numéro spécial des lettres françaises (Picasso à l’époque était un célèbre membre du Parti communiste) il réalise un portrait dépouillé, montrant de façon quelque peu caustique Staline jeune,


Pablo Picasso, portrait de Staline 1953
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… portrait où certains ont cru reconnaître l’acteur burlesque Ben Turpin dit Dudule. Le scandale fut énorme. Le Parti communiste fit connaître sa réprobation dans l’humanité puis dans les lettres françaises. André Breton écrivit : “Je suis de ceux à qui la découverte du portrait de Staline en première page des lettres françaises a fait passé un bon moment”.

Après la deuxième guerre mondiale l’Autriche s’est posée en victime principale du national-socialisme, alors qu’une part très importante de sa population a été complice en votant l’Anschluss (l’annexion), et en humiliant publiquement les juifs. Il faudra attendre 1991, pour que l’Autriche reconnaisse officiellement sa responsabilité morale dans le crime nazi.
Les actionnistes viennois se sont trouvés seuls, dans la sphère publique, dépositaires d’un devoir de mémoire, et ce que leurs actions expriment, c’est le trauma (en grec trauma = blessure). Leur mouvement émerge dans une Autriche d’après-guerre, post-fasciste, bourgeoise, policée, et ultra-catholique, dont ils dénoncent l’atmosphère irrespirable d’hypocrisie.

Voir l’actionnisme viennois, radical depuis 50 ans

Ainsi par exemple l’œuvre de Günter Brus est sociale et politique. Lorsqu’il peint sur son visage et sur son crâne une grande blessure noire et lorsqu’il déambule dans Vienne sur les lieux clés du nazisme autrichien (“balade viennoise”).


Günter Brus, Selbstmahlung, 1964
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Ce dont il témoigne c’est du présent schizophrène de la crise d’identité, individuelle et collective, dans tout le pays. Bien sûr, la police a rapidement mis fin à cette promenade en public.

L’œuvre de Hermann Nitsch a pris naissance en 1957, et longtemps elle a été interdite, puis dans les années 90, elle a été médiatisée, mais elle a suscité des réactions violentes. En 1998 par exemple, une action de 6 jours fut plus relatée par la presse que le Festival de Salzbourg avec des titres : “Une boucherie pour une affligeante parodie d’art !” et “Comment font ces charlatans pour s’en tirer sans être puni ?”. Même Brigitte Bardot s’en est mêlée et Nitsch a dû expliquer qu’il utilisait que des animaux morts, ou destinés à la boucherie, mais que dans ses actions, des oies, des poules, des paons circulaient librement.


Hermann Nitsch, Théâtre des orgies et des mystères 1984 action de 24 heures dans son château de Prinzendorf
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Ces actions, (163 réalisées dans le cadre du projet global du “Théâtre des orgies et des mystères”) mêlent des références chrétiennes (dont beaucoup sont liées au retable d’Issenheim) avec des simulacres de crucifixion, de lavement des pieds, de sang, de sacrifices, et des références à des rites païens ancestraux, notamment aux fêtes de Dionysos (le vin, la danse, la musique, le banquet) à Osiris à Mithra. Au carrefour entre l’histoire de l’art, la psychanalyse, et l’anthropologie, son travail se nourrit de la naissance de la tragédie de Nietzsche, de la peinture de Francis Bacon, et il est aussi très proche du Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud (“Sans élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible”). “Dans l’état de dégénérescence où nous sommes, c’est par la peau qu’on fera rentrer la métaphysique dans les esprits !”.

En France on a vu les actionnistes viennois pour la première fois au Centre Pompidou en 1994 dans l’exposition “hors limites”, puis à Marseille au MAC en 1996 avec “l’art au corps” et au Louvre en 2001 avec “la peinture comme crime”. En Autriche le mouvement est maintenant reconnu, ainsi qu’en Italie et en 2009, il a créé sa fondation. La critique d’art qui, au début, ne voyait que sa tendance blasphématoire, et qui lui a valu plusieurs d’emprisonnements, dépôts de plaintes, et censure, lui reproche aujourd’hui d’être devenu un artiste officiel.

Partons en Russie, ou pendant des années les œuvres de propagande seules (figuratives, héroïques et réalistes), avaient le droit de cité. Là s’est développé de façon souterraine un art non conformiste qui très vite a adopté une position critique, ironique. C’est ce qu’on appelle le Sots Art. En 1986, avec la perestroïka, l’art s’est ouvert au champ international, mais dès 1993 les guerres avec la Tchétchénie provoquant des réactions de plus en plus radicales, la censure est réapparue pour faire taire les activistes. Andrei Erofeev qui depuis des années encourage et collectionne les artistes non conformistes est limogé en 2008 de son poste de responsable des nouvelles tendances à la galerie Tretiakov. Il est poursuivi par la justice pour une exposition de 2006 intitulée “L’art interdit” qu’il avait montrée au musée Sakharov. L’exposition avait dû fermer sous les protestations les groupes de pression extrémistes, religieux et nationalistes. Peu après, l’exposition “Sots Art”, qu’il a organisé à la Maison Rouge à Paris, a fait scandale à Moscou. Voir son exposition à Montpellier en 2020.

Komar et Melamid (nés en 1943 et 1945) sont considérés comme les premiers initiateurs du Sots Art. Leurs interventions visent à corrompre l’image du pouvoir, l’ensemble des symboles de l’Etat et les textes de propagande.


Komar & Melamid, dévorer la Pravda pour savourer la nourriture spirituelle 1974
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Dans un appartement et devant un public d’amis, ils ont mouliné la Pravda (principal journal de propagande) en 1974 pour préparer des boulettes qu’ils ont ingérées. Toutes les personnes présentes ont été arrêtées.

Plus tard, ils ont réalisé en 1982 un ensemble de toiles intitulées conférence de Yalta, ils ont présenté Lénine avec un drapeau McDo à l’arrière-plan et finalement, ils ont quitté l’URSS pour Israël puis New York où leur cible est devenue le marché de l’art.

Léonid Sokov a fabriqué avec les moyens du bord de grosses lunettes pour chaque homme soviétique en 1976


Leonid Sokov, lunettes pour chaque homme soviétique, 1976 Bois peint, métal 35,6 x 99,1 x 99,1 cm Poids : 25 kg
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Lui aussi a quitté l’URSS pour les États-Unis Marilyn et l’ours date de 1989-90.