Hundertwasser, l’art au service de la cause environnementale


Friedensreich Hundertwasser, Automobile avec gouttes de pluie rouges II 1953, Aquarelle sur papier d’emballage apprêté blanc 85 x 65 cm
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Automobile avec gouttes de pluie rouges, 1953,

Les gouttes de pluie révèlent sa réinterprétation du tachisme des peintres abstraits.

Le jardin des morts heureux, a la forme d’un jeu de l’oie. C’est une peinture à l’huile sur contreplaqué, (47 x 58.5 cm) entourée d’un liseré doré. De nombreuses œuvres désormais, vont pouvoir être vues d’un côté ou de l’autre (horizontal ou vertical).
C’est l’idée d’un cimetière où les morts revivraient en quelque sorte, parce que sur chaque tombe, pousserait un arbre. La spirale c’est le circuit de la mort et de la Renaissance.

Il travaille à plat souvent au sol, à genoux, ou sur une table, et il n’utile pas les peintures du commerce, il prépare ses supports avec du gesso, puis mélange des pigments purs avec de l’eau, de l’œuf, ajoutant parfois de la brique pilée, de la cire, de la feuille d’or…

Cette année-là, en 1955, apparaissent les premières spirales. La spirale, motif très ancien dans l’histoire, est pour lui la parabole de la vie et de la mort, l’origine de tout, la sève de la vie. “Je suis convaincu que la création s’est faite sous forme de spirale”.


Friedensreich Hundertwasser, Le grand chemin 1955, 162 x 160 cm Techniques mixtes sur deux pièces de toile cousues ensemble Musée du Belvédère Vienne
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Une goutte de pluie qui tombe dans une ville, 1955 Aquarelle et crayon indélébile sur papier cadeau froissé 42 x 41 cm (sur papier plié en quatre, “Chaque goutte de pluie est un baiser des dieux”).
Le soleil lourd, 1955 Aquarelle et crayon indélébile sur papier cadeau froissé 44 x 29 cm.
Le scarabée du début, 1956.

Désormais, la spirale sera son talisman, sa signature. On sait qu’elle était déjà très présente chez Klimt (voir Gustav Klimt, l’arbre de vie 1905-1909). Pour Hundertwasser, elle est surtout l’anti ligne droite car dit-il, “La ligne droite est devenue tyrannie absolue. Elle est la base pourrie de notre civilisation vouée à l’échec. La ligne droite est athée et immorale, elle est l’unique ligne non créatrice”. (glissement de l’esthétique à l’éthique).

Après une exposition à la galerie de Paul Facchetti à Paris en 1954, et une autre à Milan, il a assez d’argent, en 1957, pour acheter une vieille maison isolée en Normandie : la Picaudière, dans laquelle il reviendra régulièrement peindre et s’isoler dans un lieu sans confort, qu’il ne cherchera jamais à rénover. D’ailleurs il se nourrit essentiellement de blé et d’eau. Il s’est fabriqué lui-même des sandales d’hiver et d’été.

Bientôt, il fera aussi ses vêtements avec des pièces de tissu de récupération, qui vont rapidement, à Paris ou à Vienne, lui donner l’allure d’un clochard illuminé. Il s’en moque, car il veut vivre en totale cohérence avec ses convictions. Il se vit comme un lanceur d’alerte partout où l’on l’insulte. Ainsi en 1958, il lit en Autriche, à Munich et à Wuppertal, son : “Manifeste de la moisissure contre le rationalisme en architecture”.
« Il est temps que les gens se révoltent contre le fait qu’on les installe dans des constructions-boîtes, comme des poules et des lapins dans des cages« . Notons que les films de Jacques Tati Les vacances de Monsieur Hulot en 1953 et Mon oncle en 1958, montraient que la source d’ennuis, c’est la géométrisation du monde, le joug de la ligne droite.
« Quand la mousse pousse dans le coin d’une pièce, et que l’angle commence à s’arrondir, lorsqu’un mur commence à se couvrir de champignons, on devrait se réjouir qu’avec les microbes, la vie rentre dans les maisons. Pour sauver l’architecture fonctionnelle de la ruine morale, il faudra répandre sur les parois de verre propres et les surfaces lisses en béton, un produit de décomposition, afin que le champignon de la moisissure puisse s’y fixer » (Friedensreich Hundertwasser).

En 1958, il épouse Herta Leitner à Gibraltar. Ils divorceront deux ans plus tard.

En 1959, à Hambourg il est nommé comme chargé de cours à la Kunsthochschule (l’école des Beaux-Arts). Il prévient le directeur que son enseignement ne sera pas classique (il a le feu vert, tant qu’il s’agira de peinture). En effet il s’est construit lui-même un trône sous un baldaquin, et encourage ses étudiants à rentrer chez eux, pour avoir une chance de trouver leur propre voie.
Entrent alors en scène deux poètes, Herbert Schult et Bazon Brock, qui lui proposent de peindre dans l’école une ligne sans fin, qui se développera, en spirale, jusque dans l’espace public. L’action se définit comme une protestation contre la droite. Commencé le 18 décembre, il était prévu de la poursuivre sans interruption jusqu’à la nuit de Noël, comme une course de relais de 8 jours, aux sons de musiques indiennes, africaines ou japonaises, (en se relayant toutes les 4h). La direction coupa l’électricité pour les faire arrêter, mais ils ont continué avec des chandelles jusqu’au 20 décembre. Les étudiants s’enfuirent, apeurés, et plus tard nieront être ses élèves. Hundertwasser démissionne. Les lignes peintes à l’encre ont été détruites.


Friedensreich Hundertwasser, Hambourg 1959
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Voir le récit de Hunderstwasser (en anglais)

Il fonde à Vienne le Pintorarium, une académie à laquelle se rallient Arnulf Rainer et Ernest Fuchs, et dont le programme est affiché partout dans Vienne. Elle se veut une école de la pensée et de la création, mais surtout un centre de recherche pour un nouvel art de vivre. “Ayez conscience que la radio, les journaux, le cinéma, la télévision sont des outils d’assujettissement”.

En 1960 invité par Alain jouffroy et Jean-Jacques Lebel à une manifestation contre la guerre d’Algérie et la torture, (L’anti-procès réponse à la condamnation à mort de Francis Jeanson pour son soutien aux Algériens) dans une galerie parisienne où étaient présents Matta, Michaux, Prévert, César, Tinquely, Brauner, Lam. Hundertwasser prépare une soupe populaire d’orties qu’il fait cuire dans une lessiveuse … et qu’il fut le seul à consommer.

Certaines de ses peintures montrent sa capacité d’indignation aux événements du monde. Par exemple lorsque la Hongrie a été envahie par l’armée soviétique, en 1957 il a peint ceci.


Friedensreich Hundertwasser, Ungarische Grube-Grab 1957, 40,2 x 50,6 cm Aquarelle et tache de couleur noix sur papier Fondation Kiki Kogelnik, Vienne
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Ungarische Grube-Grab (tombe hongroise)

… et lorsque l’armée chinoise a envahi le Tibet, il a été ému par la fuite du dalaï-lama.


Friedensreich Hundertwasser, La fuite du dalaï-lama 1959, 56.8 × 61.3 cm Lithographie
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Le nuage de la fuite du dalaï-lama, 1959 lithographie 47,4 x 60 cm, 2 images même titre.

En 1961 il passe 7 mois au Japon, où il reçoit un prix et expose dans une galerie de Tokyo. C’est Yves Klein, qui lui avait donné l’envie du Japon.

Photos à Tokyo, il promène ses tableaux dans les rues pour se faire connaître. Il y rencontre une jeune étudiante en art Yuko Ikewada qu’il épousera à Vienne l’année suivante. C’est son second mariage, le précédent avait duré 2 ans, celui-ci prendra fin en 1966 (4 ans).

Au Japon, il a rencontré des graveurs d’estampes au talent extraordinaire. C’est de la gravure sur bois, beaucoup plus minutieuse que celle pratiquée traditionnellement chez nous. Hundertwasser est le premier artiste occidental à avoir collaboré avec des graveurs japonais. Ses gravures de très belle qualité, lui permettent de réaliser plusieurs tirages.


Friedensreich Hundertwasser, Deux nuages pleuvant sept couleurs 1972, Gravure japonaise sur bois, 56.8 × 61.3 cm
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Deux nuages pleuvant 7 couleurs
Le garçon aux cheveux verts, 1967 gravure sur bois 52,1 x 37,1 cm
Maison dans la neige avec pluie d’argent et chemin rouge, 1962, gravure sur bois 68 x 51 cm.
Maison sous une pluie de sang, 1961, gravure japonaise 67 x 52 cm
Ce sont des gravures sur bois imprimées au Japon.

En 1962, Hundertwasser est l’artiste autrichien le plus connu, il représente l’Autriche à la Biennale de Venise. Certaines de ses images renvoient au souvenir tragique du 3e Reich, tout en restant décoratives. Hundertwasser est convaincu que l’art doit rester beau, car les gens en ont besoin.


Friedensreich Hundertwasser, Les flammes du gaz ensemble avec les flammes de l’esprit 1957, Technique mixte: huile, tempera à l’œuf, aquarelle, feuille d’or sur papier, apprêtée à la craie, au blanc de zinc et à la colle de poisson; monté sur toile 63 x 98 cm Albertina Vienne
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Voir également :
La ville en feu en flamme et en fumée, 1957
Jardin de sang avec fumée jaune, 1963 Technique mixte 81 x 65 cm.


Friedensreich Hundertwasser, La route des survivants 1969 Technique mixte 56,5 x 41cm
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Maison juive en Autriche, 1962, technique mixte, 92 x 73 cm KunstHausWien, Vienne
La fin des Grecs des Goths et des Wisigoths, 1964 Technique mixte : aquarelle sur papier à dessin, monté sur chanvre, peint en partie à l’aquarelle, huile, bronze or et argent 49 x 68 cm.


Friedensreich Hundertwasser, Crématorium 1973, Tapisserie en laine 170 x 215 cm
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Au cours des années 60 d’autres œuvres renvoient à des chagrins d’amour qui l’ont profondément affectés ; il a dit pratiquer le nomadisme amoureux, mais n’acceptait pas de changer sa façon de vivre.

Maison née à Stockholm morte à Paris et je me pleure moi-même, 1966, Technique mixte : aquarelle sur papier à dessin, apprêtée à la craie, montée sur chanvre avec de la cellulose de vinyle 81 x 60 cm.
Le chemin sans fin vers toi, 1967 lithographie 44 x 53.5 cm. Il a précisé qu’il ne s’agissait pas de Dieu mais d’une femme.
Il fait mal d’attendre avec l’amour lorsque l’amour est ailleurs, 1971, Écran en soie en 29 couleurs 50 x 67 cm.

… et le très célèbre Irinaland sur les Balkans.


Friedensreich Hundertwasser, Irinaland sur les Balkans 1969, Tapisserie en laine 170 x 215 cm
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Irma est une actrice bulgare Irina Maleeva.
Hundertwasser raconte ses aventures avec Irina (en anglais).

Hundertwasser installe son atelier, un de plus, dans l’île de la Giudecca à Venise (en face du Dorsoduro). Au début, il occupe un très modeste deux pièces, puis quelques années après il achètera, à côté, le vieux Palacio, le jardin d’Eden (où avait séjourné Proust) et son jardin qu’il va laisser complètement à l’abandon.

Il voyage en Grèce, en Suède où il expose. En 1967 il est en Ouganda et au Soudan


Friedensreich Hundertwasser, Adieu l’Afrique 1967, lithographie
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Une exposition itinérante de ses œuvres circule à Paris, Londres, Genève, Berlin …

Mais il ne perd pas de vue sa croisade, la même année, invité dans une galerie de Munich, il prononce un discours à nu (Nacktrede).


Friedensreich Hundertwasser, discours nu 1967
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Derrière lui, Ernest Fuchs casquette et barbe, et Arnuft Rainer, s’apprêtent à peindre sur les corps des jeunes filles, mais lui, avait refusé. Il veut reprendre sa théorie des trois peaux, et après s’être débarrassé de la deuxième, ses vêtements, il réclame pour tous, le droit d’intervenir sur la 3e. Pour les maisons, il fait appel à la créativité individuelle (on verra après le droit à la fenêtre).
En 1968 il persévère à Vienne, à l’inauguration d’un nouveau foyer d’étudiants. Il jette contre les murs deux œufs remplis l’un d’encre noire, l’autre d’encre rouge. L’œuf noir touche le mur et éclate, le rouge explose au plafond sur un puits de lumière au-dessus de lui, et le rouge éclabousse son front. Il se rhabille très vite et disparaît sous les applaudissements.

Son texte « Séparons-nous de Loos » sera publié par la suite. Il accuse Adolf Loos, l’auteur en 1908 de « L’ornement est un crime« , d’avoir initié le rationalisme en architecture, qui rend les gens dépressifs, et fait le bonheur des psychiatres. Adolphe Loos n’avait certainement pas de mauvaises intentions, Adolf Hitler non plus, dit-il, et il affirme que c’est le devoir de l’Etat, de soutenir financièrement chaque citoyen qui veut entreprendre des modifications individuelles sur son logement (intérieur ou extérieur).

Il achète en Sicile un vieux bateau en bois, le San Giuseppe, qu’il ramène à Venise, et le rebaptise en Regentag (jour de pluie). Ce bateau transformé, puis plus tard agrandi, sera un autre lieu de vie et de travail pour lui, et il lui fera sillonner le monde entier. De nombreuses peintures ont été réalisées à bord du Regentag.


Hundertwasser, le Regentag

Bateau de pêche par temps de pluie, 1949 Aquarelle sur papier d’emballage brun grisâtre 25 x 33 cm.


Friedensreich Hundertwasser, Columbus jour de pluie aux Indes 1967, Sérigraphie en 17 couleurs, 45.5 x 59 cm
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Deux arbres à bord du Regentag, 1982, Peinture sur bois 37 x 51 cm.
Jour de pluie au Siam, 1976 Aquarelle, craie, huile et laque sur papier contrecollé sur toile 43 x 53 cm.
Pluie sur le Regentag, 1971 Sérigraphie en 16 couleurs 47,5 x 67 cm.
Regentag sur vague d’amour, 1970, Technique mixte 38 x 55 cm.

En 1970-72, il coopère avec Peter Schamoni pour le film Hundertwasser jour de pluie, voir l’affiche du film.


Friedensreich Hundertwasser, Affiche J.O. de Munich 1971
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En 1971 il réalise l’affiche pour les Jeux Olympiques de Munich. Voir un détail.

En 1972 une émission télévisée diffusée en Eurovision intitulée « Wünsch dir was » (faites un vœux), lui offre l’opportunité de s’adresser à un très large public. Il va illustrer publiquement ce qu’il appelle le droit à la fenêtre pour chacun. Trois familles ont été choisies, l’une en Autriche, une autre en Allemagne, et une troisième en Suisse, réunies et isolées, sans radio ni journaux, pendant une journée entière à Düsseldorf. Pendant ce temps commençait pour Hundertwasser un marathon contre-la-montre, les modifications successives des façades et des fenêtres des trois maisons, de l’aube jusqu’à la fin de la journée, avec une équipe de maçons travaillant sous ses ordres, … et sous les feux des caméras. Le soir, les films des trois actions, étaient présentés aux trois familles, qui n’en croyaient pas leurs yeux. Voir le résultat : famille 1 (Allemagne), famille 2 (Suisse), famille 3 (Autriche).
Nous n’avons pas le droit de faire ça si vous l’avez pris, c’est que vous êtes un artiste et que vous avez tous les droits”..

Les habitants refusaient leur “droit à la fenêtre”. Hundertwasser le définissait ainsi :
L’habitant d’un immeuble doit avoir la possibilité de se pencher par la fenêtre, et aussi loin que porte ses bras, de gratter et de transformer ses murs extérieurs. Il doit avoir le droit de peindre avec un long pinceau, le tout en rose, de sorte qu’on puisse voir de loin, depuis la rue, qu’habite ici à un homme qui se distingue de ses voisins, ce bétail privé de droit, et affecté à ces lieux”.