La deuxième légende chrétienne est plus connue, c’est celle du voile de Véronique. Selon l’Évangile apocryphe de Nicomède, sans doute écrit au 5e siècle, au cours de la montée au Calvaire, une femme compatissante aurait essuyé la sueur du visage du Christ avec son voile. L’empreinte de sa Sainte Face est restée sur le tissu. Ce n’était pas le Christ triomphant du Mandylion mais le Christ de douleur, couronné d’épines. Le voile de Véronique fut conservé à Saint-Pierre de Rome dès le 8e siècle. Il a mainte fois été représenté par les peintres du passé : Véronique par le Greco, la Sainte Face par Zurbaran.
Jasper Johns, Study for skin 1 (1962), Fusain sur papier à dessin 55.9 x 86.4 cm
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Mais cette idée du portrait réalisé par contact sans intervention de la main, a resurgi en 1962, chez Jasper Johns, dans la série intitulé Study for skin. L’artiste s’est enduit le visage et les mains d’huile, et a appliqué une feuille de papier sur lui, qu’ensuite il a soupoudré de poudre de mine de plomb, comme si l’image de Jasper Johns était emprisonné dans le papier, comme derrière une vitre. Mémoire fragile d’une image prête à s’évanouir et c’est bien un portrait acheiropoïète.
En ce même début des années 60, Yves Klein avec ses anthropométries, avait aussi obtenu des empreintes de corps féminin sans intervention de la main.
Quant à Pascal Convert il a fait en 1991 des autoportraits en argent repoussé et en cristal, réalisés par empreintes d’autoportraits en peinture.
Pascal Convert, autoportrait (1991), empreinte d’autoportrait peint (1963) Mine de plomb sur plâtre, 35 x 35 x 2 cm
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Vous allez dire ce ne sont pas de vrais autoportraits, et bien en effet, il y a une quantité de portraits contemporains, qui ont été conçus contre le portrait traditionnel, comme si le besoin de portraits est toujours présent en même temps que le refus de la tradition attachée à ce genre.
3 – Abîmer le portrait voiler la face
L’autoportrait comme automutilation symbolique
Arnulf Rainer né en 1929 est un peu le père des actionnistes viennois qui ont violemment exprimé la culpabilité de l’Autriche pendant le Troisième Reich.
Arnulf Rainer, autoportrait série face-farces (1969), photographie repeinte 43 x 60 cm
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Rainer macule ses photographies en noir et blanc de traces de peinture de couleurs chaudes émanant de gestes violents, pulsionnels. Il s’agit d’une agression symbolique de sa propre image dans une série intitulé Face-Farces en 1969-70.
Puis dans les années 80 avec les Übermalungen (les surpeintures) il s’est attaqué à des portraits de Rembrandt, de Goya, de Goya, de Van Gogh et même à des photographies de masques mortuaires. Voir d’autres portraits.
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Gunter Brus, (allemand né en 1938) a recouvert sa tête de peinture blanche zébrée d’une fissure noire dans une série intitulée Selbotmalerei (auto peinture) mimant ainsi la souillure du corps infligée par les nazis pendant la deuxième guerre mondiale.
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Dieter Appelt (photographe-plasticien allemand né en 1935) réalise lui aussi des autoportraits photographiques spectaculaires, relevant d’une sorte de performance, avec l’obsession de recouvrir, d’enfouir son visage dans la terre, de fusionner de façon très primitive avec le sol.
S’en prendre au support pour perturber le portrait
Christian Jaccard (né en 1939) appartient à la génération support surface (comme Viallat et Bioulès au début).
Son geste, dans une série intitulée Anonymous calcinés (début des années 80) consistait à brûler la surface en laissant des traces géométriques sur des portraits achetés aux puces. Voir la flagellation. Voir un entretien avec Christian Jaccard.
Julian Schnabel américain né en 1951, au cours des années 80 et 90, il peignait des portraits de célébrités sur des supports préalablement recouverts d’assiettes cassées.
Portraits de Elton Jones, Azzedine Alaïa. Il s’agissait pour lui, simplement, de rejouer l’esthétique de la fragmentation cubiste d’une façon spectaculaire.
Eugène Leroy (1910-2000) peintre français. Il recouvre sa toile d’une très épaisse couche de couleurs, en épais relief, et faisait surgir de cette masse indistincte, des autoportraits enfouis dans la matière. Ici la peinture, à la fois révèle et dissimule.
voir d’autres portraits d’Eugène Leroy.
Miquel Barcelo né en 1957 à Majorque a réalisé entre 2009 et 2013 une très virtuose série de portraits à l’eau de Javel sur toile noire. Là il n’y a aucun ajout de couleur ou de matière, mais seulement une série de giclées bien contrôlées, qui décolorent le support pour révéler des visages.
Voir d’autres portraits à l’eau de Javel de Miguel Barcelo.
Douglas Gordon artiste écossais né en 1966. Dans les années 90, prenant comme support son propre visage, il s’est donné une apparence monstrueuse en déformant sa peau avec du scotch avec monster reborn.
Voir d’autres visages scotchés.
Dans les années 2007-2010, il réalise une série intitulée self-portrait of you + me consiste en des portraits de célébrités, en noir et blanc, grand format collés sur une surface de miroir, puis partiellement arrachés, ce qui permet au spectateur de voir son visage côtoyant celui de ses idoles
Humphrey Bogart, BO Derek, Jean-Paul Belmondo.
Jouer sur la surface
Huang Yang artiste chinois né en 1966 il peint des paysages chinois sur des visages.
Voir d’autres oeuvres.
Philippe Cognée, né en 1957, il a inventé une procédure infaillible pour transformer une peinture classique en peinture contemporaine : il peint à la cire (pigment encaustique) sur toile, technique déjà utilisée par Jasper Johns, puis il applique un fer à repasser qui chauffe la cire pour la liquéfier, étalant et déformant les formes, ce qui a pour effet de créer un enfouissement trouble du sujet dans la matière. Le film plastique lorsqu’il est décollé produit à certains endroits des manques dus à l’arrachage de la couche picturale. L’image semble alors piégée sous une surface glacée.
Il peint des paysages, des personnages, des architectures, des portraits de façon classique. Ce dispositif permet de faire intervenir le hasard pour obtenir un effet de flou. Les critiques saluent dans son travail le tremblement du temps, l’idée de fragilité de toute chose, plus évident avec les images des villes.
Voir d’autres oeuvres de Philippe Cognée.
Chuck Close peintre américain né en 1940. Il s’est d’abord fait connaître par ses grands portraits hyperréalistes peints à l’acrylique.
Chuck Close, Big Self-Portrait « Autoportrait blanc sur noir » (1978) Acrylique sur toile – 273.1 x 212.1 cm
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Voir également les grands autoportraits de : Linda 1975, Mark 1979 Franck 1960, il prend modèle sur des photographies. Voir un commentaire.
Depuis 1989 ses grands portraits sont comme pixelisés, composés de carrés multicolores, comme du Vasarely, dont chacun renferme une forme souple. Vue de près, c’est comme devant un tableau de Seurat, on ne voit que des pixels. À distance, le portrait apparaît très nettement, puissamment modelé.
L’artiste a été atteint en 1988 d’une lésion de la moelle épinière, et il doit désormais travailler en fauteuil roulant, et son atelier est équipé de telle sorte que, assis, il peut faire pivoter sa toile et travailler de près, même sur le très grand format et dit-il dans une interview, « ça permet de s’arrêter et de reprendre comme si on faisait du tricot ».
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En 2017 il a reçu la commande de 12 portraits à grande échelle, pour le métro de New York, réalisés sur mosaïque de verre et céramique. L’objectif était de représenter la variété des individus qui passent par le métro. L’effet obtenu est assez comparable à celui de portraits en mosaïque de la Rome antique.
Qu’est devenue l’expression des émotions ?
Toutes ces pratiques, qu’elles interviennent sur le support ou sur la surface, relèvent bien de portraits, mais ce sont des portraits qui ne disent rien sur la psychologie de leurs modèles, comme si au 20e siècle les artistes avaient renoncé à saisir une intériorité (tâche qui incombe désormais au cinéma, plus qu’à la peinture). Parallèlement, le portrait photographique devient lui aussi inexpressif, sous l’influence de l’école de Düsseldorf
Par exemple, Thomas Ruff né en 1958 cadrage photo portrait neutre qui constitue une sorte d’inventaire
Voir d’autres oeuvres de Thomas Ruff.
Revenons en arrière dans le temps
Franz Xavier Messerschmidt (1700-1783) né en Bavière, fut un sculpteur à succès, qui recevait ses commandes de la famille royale. Mais en 1770, une maladie fait basculer sa santé mentale … et jusqu’à sa mort, il a réalisé 69 autoportraits qui sont ses « têtes de caractère« , lorsqu’il avait trouvé refuge à Bratislava alors capitale de la Hongrie.
Franz Xavier Messerschmidt, Têtes de caractère entre 1770 et 1783
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On peut voir cet ensemble au musée des Beaux-Arts de Budapest. Un véritable inventaire des mimiques et des grimaces. Voir un commentaire.
Des grimaces contemporaines, il y en a peu, sinon celle de Bruce Nauman, artiste américain né en 1941. En 1970 avec « studies for hologrammes » il inventorie la plasticité de sa bouche.
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