Les animaux dans l’art contemporain (première partie)
L’animal est présent dans de nombreuses démarches artistiques, mais comment ? Simple motif, alter-ego de l’artiste, métaphore d’un peuple ou de l’humanité tout entière, souvenir des contes de notre enfance, incarnation d’une nostalgie du «sauvage»… Enfin, y a-t-il des oeuvres qui servent véritablement la cause animale ?
Intervenante : Agnès Ghenassia
L’animal a toujours été présent dans l’art comme il l’est dans nos vies : les animaux que l’on mange, les animaux de compagnie, les animaux que l’on chasse et pêche, ceux que l’on utilise pour la recherche scientifique, ou pour se divertir (sport, cirque, rodeo, combat d’animaux).
Les animaux sont donc un sujet de l’art, de tous les arts, et dans tous les pays.
Nous allons voir comment, depuis 50 ans, l’art contemporain développe, une antithèse de la sacralisation de l’animal des temps anciens, peut-être pour exprimer le regret du lien vital perdu, et nous verrons aussi, que l’utilisation transgressive des animaux, (même si c’est pour en dénoncer à l’exploitation, le clonage, le fétichisme, ect.) pose parfois des questions éthiques.
Au tout début du 20e siècle, les animaux apparaissent dans de nombreuses peintures liées à l’idéal primitiviste, au vieux rêve de l’âge d’or.
Paul Gauguin – Rupe rupe, la cueillette des fruits, 1899 Huile sur toile 128 x 188 cm Musée Pouchkine Moscou
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Chez Gauguin, parti fuir la société industrielle, la présence des animaux n’est pas réaliste, elle contribue à l’idée d’une vie de rêve, et une quête spirituelle.
Voir également : Paul Gauguin – Arearea, 1892 huile sur toile Huile sur toile 75 x 94 cm musée d’Orsay
Franz Marc – Chevaux au repos, 1911 Gravure sur bois 16.8 x 23 cm Musée Pouchkine Moscou
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De même, chez les artistes allemands du groupe du Blaue Reiter, le cheval désigne une victoire du spirituel sur le matériel, et par sa noblesse, il devient aussi l’emblème d’une connaissance de soi.
Voir également :
– Franz Marc – Cheval 1912, huile sur toile 58 cm x 73 cm Musée de la Sarre Sarrebruck.
– Franz Marc – Les grands chevaux bleus 1911, huile sur toile 105,73 × 181,13 cm Walker Art Center, Minneapolis.
C’est ainsi que Wassily Kandinsky, qui utilise le cheval, réalise, avec Franz Marc, le Livre Almanach Der Blaue Reiter en 1914 (gravure sur bois), au moment où il élabore ses théories sur le spirituel dans l’art.
Changement d’époque :
Gloria Friedmann, est une artiste allemande, qui vit en France en Bourgogne, depuis quelques années.
L’animal est très présent dans son travail, mais dès les années 80, il est envisagé dans son rapport conflictuel au pouvoir politique et économique.
Gloria Friedmann – Envoyé spécial, 1996 sculpture taxidermie de cerf, balles de journaux 345 x 130 x 200 cm
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Son œuvre la plus célèbre, envoyé spécial, est un cerf (taxidermie de cerf) posé sur un socle de papiers journaux compressés.
Le gardien
Cette autre sculpture, le gardien, est un géant fait de terre, d’acier, et de résine et dont le crâne est couronné par des cerfs vigilants.
Voir également : Les représentants, 1993, installation, cerf, feuilles, voir un commentaire (collection FRAC Lorraine).
Gloria Friedmann – En direct, 1994, crânes, téléviseurs, 70 x 700 x 50 cm
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Elle expose également des ossements d’animaux, des crânes appariés à de petits téléviseurs, qui diffusent des nouvelles du monde.
Dans tous ses travaux, apparaît l’idée que les bêtes (et surtout les cerfs), sont les gardiens d’un ordre du monde, dans lequel nous ne sommes que de passage.
Au début des années 90, elle a organisé des moments surréalistes, qu’elle appelle les représentants, et dont témoignent des photographies : ce sont des tableaux vivants, qui mêlent animaux et hommes, dans des lieux civilisés par exemple :
– Des joueurs d’échecs entourés de dindons devant des cheminées d’usine
– Des bœufs et des caddies devant un supermarché à Dijon 1994
– Des chevaux et des épaves de voitures devant une cité HLM en Allemagne
– Des majorettes et des lapins sur une aire d’autoroute.
Gloria Friedmann – Perroquet 2012, installation, taxidermie, huile sur toile
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Et depuis quelques années elle fixe des perroquets (taxidermie), devant des surfaces peintes qui reprennent, comme par contamination, les incroyables couleurs de leurs plumages.
Voir un commentaire sur l’oeuvre de Gloria Friedmann (Galerie Le Borgne).
Victor Vasarely s’est servi des rayures des zèbres pour élaborer ses premières expériences sur les effets d’optique en 1937-1938.
Aurait-il pu le faire avec un autre animal ? Peut-être avec les rayures d’un tigre, et à la même période on tend également vers l’abstraction.
Lorsqu’en 1965 Gerhard Richter élabore ses premières photos peintures à partir de sa banque d’images en noir et blanc, il expérimente les effets de flou et son tigre n’en n’est que plus vivant.
Carole Benzaken née en 1964, elle recherche en peinture des effets équivalents à ceux du cinéma. Après s’être fait connaître avec des séries sur les tulipes, elle a obtenu en 2004 le Prix Marcel Duchamp avec une série intitulé travelling.
Ce sont des moutons, avec des jeux de cadrage, de mouvement de caméra, jusqu’à devenir des abstractions.
Voir un commentaire sur l’oeuvre de Carole Benzaken.
Chez Gilles Aillaud (1928-2005), l’animal n’est pas qu’un motif à expérience visuelle, après des années d’engagement politique au sein de la figuration narrative, (il est connu pour Vietnam la bataille du riz), il a donné libre cours à sa passion pour les animaux, que ses nombreux voyages au Kenya, en Égypte lui ont permis d’observer et de photographier.
Ses peintures sont hyperréalistes, et le plus souvent il choisit de montrer l’animal en captivité. Visuellement apparaît ainsi le contraste entre la beauté des corps, et la froideur aseptisée de leur environnement.
Gilles Aillaud – Cage aux lions, 1967 Huile sur toile ; 200 x 250 cm
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Voir également :
– Intérieur et hippopotame, 1970, huile sur toile 195 x 250 cm.
Kiki Smith, née en 1954, est une plasticienne américaine, qui s’exprime en sculpture avec des matériaux très variés, mais aussi par le dessin, la gravure, la tapisserie.
Kiki Smith – The rapture, 2001 Bronze, 170.8 x 157.5 x 66.7 cm
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Elle fait surgir une femme du ventre d’un loup en bronze (comme lorsque, dans certaines versions du petit chaperon rouge, on ouvre le ventre du loup pour en retirer la grand-mère et l’enfant). The Rapture est une expression anglaise signifiant «le ravissement» ou l’enlèvement de l’église, il s’agit du transport des croyants vers le paradis avant la grande tribulation. Mais le calme de cette silhouette féminine hiératique, renvoie peut-être davantage à un ancien mythe de la création.
Kiki Smith – Born, 2002 Bronze 99.06 x 256.54 x 60.96 cm Collection Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, New York
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Ici aussi dans Born (né), en 2002 on ne sait si le corps humain est traîné par la biche, ou s’il vient de naître d’elle.
Chez kiki Smith, ce sont les moutons qui veillent sur les bergères endormies.
En porcelaine, elle crée d’étranges accouplements entre des fillettes des bêtes, et c’est empreint de la même poésie étrange qu’Alice au pays des merveilles.
Ses grandes tapisseries sont des merveilles de délicatesse et d’inventivité plastique : on y voit des biches, des oiseaux, des loups. Un monde onirique harmonieux qui affirme le lien secret entre peinture, nature, et animaux.
Voir Kiki Smith à la monnaie de Paris
Paula Rego née en 1935 est portugaise, elle vit en Angleterre depuis 50 ans, elle a été révélée au public français en 2019 par une rétrospective au musée de l’Orangerie qui s’intitulait contes cruels. Il y a en effet un peu moins de douceur en son travail.
Paula Rego – Nursery Rhymes
Elle révèle la perversité des comptines, ses gravures (des eaux-fortes) ressemblent à des illustrations anciennes, mais avec en effet la cruauté des gravures de Goya et de Daumier, qui frisent la caricature.
Paula Rego – War, 2003 Pastel sur papier sur aluminium, 160 x 120 cm Tate Londres
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Dans ses grands pastels (un mètre 60 de haut), ses personnages sont souvent animalisés, pour évoquer la Comédie humaine ou la tragédie. Par exemple War, avec ses lapins s’inspire d’une photo de la guerre en Irak 2003. Voir un commentaire (en anglais).
Voir également, L’épouvantail et le porc 2005, elle a aussi réalisé une série de femmes chiens en 1994 dans lesquelles, précise-t-elle, les femmes ne sont pas opprimées, mais mais au contraire puissantes.
Pour réaliser la plupart de ses œuvres, dans son atelier, elle fabrique des mannequins, des poupées, qu’elle habille avec des costumes de théâtre, des masques qu’elle met en scène dans ses pastels et ses peintures. Paula Rego est également, la belle-mère de Ron Mueck.
C’est une artiste qui bouleverse l’ordre établi avec un humour cruel.
Voir d’autres oeuvres de Paula Rego.