Les animaux dans l’art moderne et contemporain (première partie)

Katharina Fritsch est née en 1956, elle est allemande. Elle est connue pour de nombreuses sculptures figuratives, en résine et polyester, auxquelles une couche de peinture mate très uniforme, donne une dimension presque abstraite.


Katharina Fritsch – Roi des rats, 1993 Résine polyester et peinture, 280 x 1300 cm
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Les rats forment un cercle et on aperçoit qu’au centre, ils sont bloqués parce que leur queues ont été nouées ensemble en une grosse pelote. (On appelle ainsi, un groupe de rats réellement attachés ensemble, mais cela fait aussi référence à une vieille légende allemande du 15e siècle, la guerre du royaume d’en bas.)

Parfois les artistes se choisissent un animal totem, qui devient leur alter ego

Max Ernst, dès ses années de Dada en Allemagne a évoqué sa naissance comme celle d’un oiseau sorti du ventre de sa mère et dans de nombreux dessins et collages le corps est associé à l’oiseau.

Lorsqu’il a inventé les premiers frottages “à partir des veines dans un vieux plancher”, il fait surgir des oiseaux, et dans ses romans collages comme la femme cent têtes, les hommes ont des têtes d’oiseaux, et assouvissent leurs fantasmes. Le surréalisme s’étant fixé comme objectif la création en dehors du contrôle de la raison, chez Max Ernst, comme chez André Masson ou Dali, les animaux surgissent parmi les images de l’inconscient.


Max Ernst – Loplop Introduces Loplop, 1930 Collage, huile, bois 100 x 180 cm Collection privée
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Max Ernst imagine le personnage de Loplop, le supérieur des oiseaux, et c’est lui. Ce sont dans Œdipe Rex 1922, des oiseaux qui forment l’attelage des parents (voir un commentaire).

Dans ces années surréalistes, il s’agit de retrouver l’animal qui est en nous, pour arriver à la compréhension de soi.

Chez Picasso, c’est Le Minotaure qui souvent se substitue à lui-même et particulièrement à partir de 1928 quand commence sa liaison avec Marie-Thérèse Walter.
– Le Minotaure viole une femme, en 1933.
– Il est guidé par Marie-Thérèse au pigeon par une nuit étoilée, en 1936.
– Il est dans une barque sauvant une femme, en 1937.


Pablo Picasso – Dora et le Minotaure, 1936 Crayons de couleur et encre de Chine 40,5 x 72 cm Musée national Picasso, Paris
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Le Minotaure est à la fois monstre, et homme, donc entre animalité, incontrôlable, et conscience.

Voir Picasso et le Minotaure.

Plus près de nous, Gérard Garouste, né en 1946, a peint de nombreux ânes parce que, s’inspirant des grands textes et souvent de la Bible et de la Torah, les ânes loin d’être, associés à l’idée de bêtises, y sont chargés de sagesse donc très valorisés.


Gérard Garouste – Les libraires aveugles, 2005 Huile sur toile 270 x 320 cm Collection privée
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Les libraires aveugles (série les contes ineffables) sont guidés par un âne chargé de textes sur son dos, et qui prend tout son temps, évoquant l’idée qu’il faudra de longues années pour déchiffrer les Écritures.

Et peu à peu l’âne devient l’alter ego de Garouste, qui se vit comme un éternel étudiant, dans sa compréhension de la Torah.


Gérard Garouste – Épaule fils d’âne (autoportrait), 2005 Huile sur toile 146 x 114 cm.
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Épaule fils d’Âne, autoportrait 2005. Le nom du personnage, “Épaule fils d’âne”, est un anagramme, en hébreu, un des résultats possibles de combinaisons entre différentes racines lexicales. Il permet de créer cette image, où s’associent l’esprit et la matière, un visage blanc mélancolique, et un âne terrien. Le serpent bariolé, tenu d’une main, représente le danger.


Gérard Garouste – L’étudiant et l’autre lui même, 2007 Huile sur toile 195 x 160 cm
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L’étudiant et l’autre lui-même en 2007, c’est la coexistence de deux moi. L’un avec son âne sur le dos (et toujours un livre à la main), rencontre l’autre lui-même, qui est le Garouste désorienté (ses pieds vont à contresens et sa main est comme une aile d’oiseau). Garouste souffre de symptômes psychotiques intermittents, dont il ne cesse d’évoquer les effets dans ses peintures. L’âne sur le dos est également présent dans une gravure de Goya.

Voir également Autoportrait en âne.

En 2018, invité au Musée de la Chasse et de la Nature, Garouste aborde le mythe de Diane et Actéon. Actéon dans les métamorphoses d’Ovide, est un chasseur qui a eu le malheur de voir Diane nue prenant un bain. Elle l’a transformé en cerf, et il a été dévoré par ses propres chiens.


Gérard Garouste – Diane et Actéon, 2005 Huile sur toile, 160 x 200 cm
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Actéon est à gauche, et Diane, (qui a les traits d’Élisabeth Garouste) est à droite, avec une légère anamorphose. Elle a le temps de cacher sa nudité, pendant qu’Actéon, en cours de métamorphose, et qui est déjà cerné par les chiens, a la tête de Garouste.

C’est sa vie psychique, et sa quête de sens que peint Garouste, et les figures animales peuplent sa vie psychotique si complexe.


Entretien avec Gérard Garouste – Sur les animaux, Goethe et la peinture…

De façon très différente, Maurizio Cattelan à lui aussi parfois utilisé un animal comme alter ego. Et notamment l’âne quand en 1994, lors de sa première exposition dans une galerie de New York, faute d’avoir réussi à s’entendre (financièrement et techniquement) avec le galeriste, il décide le soir du vernissage, de présenter un âne vivant et de le remplacer le lendemain par un chapelet de saucisses disant que l’âne est une métaphore de l’artiste dans cette situation : impuissant.


Maurizio Cattelan – Sans titre, 1997 Taxidermie d’autruche 130 x 160 x 70 cm
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Et en 1997 son autoportrait en autruche, la tête enfoncée dans le parquet, était dans l’exposition made in Italy présentée à Londres pour exprimer son complexe d’infériorité à l’époque, face aux Young British Artists. Le cartel précisait “Autruche mâle”.

Les animaux utilisés comme symbole et allégorie

Pendant la montée du fascisme et pendant la deuxième guerre mondiale, on pourrait multiplier les exemples d’animaux symbolisant la violence, la menace, la cruauté.


Max Ernst – L’ange du foyer, 1937 Huile sur toile 130 x 160 cm Pinakothek de München
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Max Ernst l’ange au foyer 1937 c’est Loplop devenu monstrueux, un prédateur qui traverse le paysage à grandes enjambées.

Picasso chat saisissant un oiseau, 1939.

Vladimir Velickovic (1935-2019) décédé récemment, est né à Belgrade, sa jeunesse a été profondément marquée par la guerre et les violences. Installé à Paris à partir de 1966, il n’a cessé de dessiner et de peindre des situations dramatiques, voir terrorisantes, dans lesquelles des chiens, des rats ou des corbeaux sont confrontés à des hommes en détresse.


Vladimir Velickovic – Le chien, 1974, Huile sur toile 195 x 365 cm
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S’inspirant au début des chronophotographies de Muybridge, il ajoute à ses chiens, une dimension de cruauté.

Voir le site de Vladimir Velickovic

Serwan Baran né en 1968 à Bagdad, c’est l’artiste du dernier repas dans le pavillon de l’Irak à Venise en 2019 (des soldats tués alors qu’ils étaient occupé à manger).
D’origine kurde, il a été enrolé dans l’armée de Saddam Hussein contre l’Iran, puis contre la coalition occidentale, après l’invasion du Koweït, il a connu la guerre civile. Tout son travail de peintre évoque la guerre, et lorsque ce n’est pas en montrant des soldats, c’est métaphoriquement la violence avec des chiens.


Serwan Baran – Chiens, 2017 Huile sur toile
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Voir d’autres oeuvres de Serwan Baran

Les artistes chinois, exploitent également beaucoup, le potentiel métaphorique des animaux.

Cai Guo Quiang, né en Chine en 1957, fils d’un peintre historien érudit, il a étudié la pyrotechnique au Japon. Il utilise la poudre à canon à des fins artistiques, ce qui lui a donné une réputation internationale.


Cai Guo Quiang – Head on, 2006 Installation
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En 2006 il a exposé à Berlin au Guggenheim, une meute de loups (99 loups en taille réelle) venant se heurter violemment contre un mur de verre. Les loups sont faits d’une structure de métal, et de peaux de mouton peintes, et remplies de foin. Dans le contexte de Berlin, l’oeuvre a été réinterprétée comme figurant Hitler et ses troupes, d’autant plus qu’elle s’achevait par une vidéo d’une maison, soufflée par un feu d’artifice. Elle a été installée en 2008 au Guggenheim de New York, où elle a eu un succès considérable. Parmi les interprétations proposées, c’était l’élan de l’humanité toute entière qui se heurte à un mur.


Cai Guo-Qiang – Saraab (2011)
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Cai Guo Quiang a l’art de s’adapter aux lieux dans lesquels il est invité. En 2011, invité au Qatar, il a entre autres réalisé une immense peinture à la poudre explosive 18 m de long 6 m de haut qui s’intitule Saraab, avec 99 chevaux. (Le chiffre 99 pour les Chinois évoque l’infini et pour les Arabes il renvoie aux 99 noms de Dieu). L’artiste a réalisé une horde de chevaux au galop, en relief, en résine doré à la feuille, chacun mesurant 24 cm de long.


Cai Guo-Qiang – Héritage (2013)
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Héritage (2013) se sont 99 répliques grandeur nature d’animaux sauvages, autour d’un bassin entouré de sable et avec un mécanisme de goutte à goutte.
« En apparence un rassemblement pacifique de prédateurs et de proies, la ménagerie véhicule une solennité presque révérencieuse, dans une vision utopique chargée d’incertitudes » dit le commissaire chargé de l’exposition (dans une galerie de Brisbane). La scène fait référence aux Laos des îles de la baie de Moreton.
Les animaux sont en polystyrène recouverts de peaux. Le travail lui a été inspiré en voyageant en 2011, au large de la côte de Brisbane. Un environnement vierge qui évoquait une sorte de « dernier paradis », où les malheurs qui affligent les mondes humains et naturels sont encore à venir. Ici les tensions sont imperceptibles : le seul mouvement est celui d’une seule goutte d’eau qui tombe régulièrement du plafond dans le lac en créant une légère perturbation à sa surface. L’idée est que cette convivialité ne durera pas : que se passera-t-il si chacun lève la tête ?

Huang Yong Ping (1954 – 2019). Né en Chine, il a vécu en France depuis 1989 où il a obtenu la nationalité française. Ce qui l’intéresse ce sont des correspondances entre, la vie et la politique, et il s’exprime en s’inspirant de récits mythiques.

Pour la Biennale de Venise de 1999, il avait occupé le pavillon français avec un homme, neuf animaux. De grands fûts de bois supportaient des animaux légendaires empruntés au plus ancien guide de voyage chinois vieux de 2300 ans, et un homme en bronze, posé sur un chariot reproduisant une boussole mécanique inventée par les chinois au IIIème siècle. L’ensemble était une métaphore du voyage.


Huang Yong Ping – Americo Vespucci, 2002, Aluminium 73,9 x 130 x 80 cm
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En 2002 Américo au Vespucci est un bouledogue en aluminium, qui urine en forme d’Amérique du Nord.


Huang Yong Ping – Trois ailes (2003)
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« Trois ailes » (2003). L’artiste évoque la collision entre un chasseur chinois et un avion-espion américain, un Lockheed EP3, en 2001. Les débris de l’appareil furent transportés aux Etats-Unis par un avion chinois. La chauve-souris est à la fois le logo à l’arrière de l’avion-espion et le symbole d’une vie nocturne et secrète, donc de l’espionnage.


Huang Yong Ping – Arche 2009

En 2009 arche (exposée à la Chapelle des petits Augustins). Il récupère des taxidermies d’animaux brûlés de la maison Deyrolles à Paris et crée une arche de Noé en face d’une copie du jugement dernier de Michel-Ange. L’idée d’un désastre inévitable.

En 2009 ombre blanche dans la galerie Kamel Mennour, c’est une mue d’éléphant (armature en métal, fibre de verre, et peau de buffle) symbole de l’idée que le temps est venu de se débarrasser des anciennes croyances. L’ensemble de l’installation, était liée à la destruction des Bouddhas de Bâmiyan par les talibans.

De l’humour aussi. Lorsqu’en en 2002, s’était propagée la rumeur de la fin du monde sauf à Bugarach ce village perché des Pyrénées qui est un lieu de pèlerinage pour les adeptes de l’ésotérisme.


HUANG YONG PING – Bugarach Galerie Kamel Mennour.

L’installation comportait une sirène d’alerte, 16 animaux tous décapités, un carton rouge à la place du cou, qui continuent à marcher, et un énorme faux rocher de 9 m de long (la montagne de Bugarach) avec une soucoupe blanche de 4 m de diamètre, sur laquelle reposent les têtes des animaux sacrifiés. Au-dessus un hélicoptère survole le lieu du sinistre.

Et pour Monumenta, en 2016, il avait rempli l’espace avec un immense squelette symbolisant le monde économique d’aujourd’hui, et des centaines de containers.

Maurizio Cattelan a de nombreuses fois réalisé des installations spectaculaires avec des animaux, dont la symbolique est souvent polysémique. Il dit d’ailleurs : “mon but est d’être aussi ouvert et incompréhensible que possible.”


Maurizio Cattelan – La ballade de Trotski (1996) Cheval empaillé suspendu par un harnais, corde et poulie 270 x 200 x 75 cm
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En 1996 la ballade de Trotsky est un cheval empaillé et suspendu par des harnais au plafond du château de Rivoli. Le catalogue dit “Un monument à la paralysie d’une utopie universelle”. Mais même si on ignore que ce cheval est une allégorie de la défaite des illusions communistes, un cheval suspendu, humilié, provoque spontanément un sentiment d’empathie, tant on est habitué à voir le cheval glorifié par les arts.
Voir un commentaire.


Maurizio Cattelan – Kaputt (2013) Cheval naturalisé, Grandeur nature
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Kaputt (2003). Dans le même ordre d’idée, Maurizio Cattelan expose une série de 5 chevaux empaillés suspendus à un mur, de dos, les pattes pendantes, et la tête encastrée dans le mur, comme si ces chevaux fuyaient notre monde réel pour se mettre à l’abri.
Image saisissante d’une fuite pour ne pas voir le monde réel (?) C’est le contraire d’un trophée (?) Il fait référence au roman de Malaparte, « Kaputt », et particulièrement à l’épisode relatif aux chevaux pris dans les glaces du lac Lagoda en Russie.
« Lorsque j’ai une idée c’est l’image de l’idée qui me vient et pas le sens. » (Maurizio Cattelan). Il exposera cette oeuvre pour la première fois en 2007. La réunion des 5 chevaux n’est pas facile, car chaque cheval appartient aujourd’hui à un propriétaire différent.
Les chevaux de Cattelan susciteront une vive réaction et donneront lieu à une pétition, pour lui demander de dépendre les chevaux.