Un art pour tout le monde

Un art pour tout le monde

Sommaire : Victor Vasarely, Le rôle des pouvoirs publics, …

Cours d’Agnès Ghenassia


Il existe depuis toujours un besoin d’art, mais beaucoup de gens l’ignorent, et ne pensent pas en quoi l’art puisse les aider à vivre.
Un collectif de médecins québécois s’est engagé à prescrire à leurs patients des activités artistiques à travers l’art-thérapie.
L’idée de mettre l’art à la portée de tout le monde n’est pas nouvelle, et elle peut provenir à la fois : des politiques publiques, de grandes institutions privées, et des artistes.

Victor Vasarely a été un promoteur de l’art pour tous lorsqu’il a conçu en 1959 ses premières propositions en grille réalisées à partir de son alphabet plastique. Il a également développé l’idée de folklore planétaire, idée d’un art pour tous, accessible à tous. Il dit « C’est la quête d’une forme, capable de surmonter les antagonismes sociaux, religieux et politiques. » Il visait un art universel sans aucun prérequis. Comme il a rapidement envisagé que ses oeuvres puissent être rapidement fabriquées à grande échelle avec des procédés industriels, il a répondu à de nombreuses commandes dans le monde.


Victor Vasarely – Hommage à Malevitch (1954) et place couverte, Université centrale du Venezuela
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C’est sa première « intégration architecturale », réalisée en collaboration avec l’architecte Carlos Villanueva, c’est un mur de céramique.
Il en réalisera beaucoup d’autres. Comme à Jussieu, Para Vista, réalisée en 1967, dont le prototype de départ est cette peinture Para Vista (1965).


Victor Vasarely – Para Vista (1967) 34 x 22 m Université de Jussieu Paris
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Para Vista est constituée de 286 rangs de lames en aluminium laquées au four qui donnent un effet strié et géométrique. C’est la monumentalisation d’une peinture.
L’oeuvre a été restaurée en 2011.

Voir également :
– Le portail de l’université Paul Valéry à Montpellier en 1966.
Université de Bonn (1967) 7 x 22 m dont le prototype départ était Ríu-Kíu-C (1956) peinture à l’huile.
– Jeux olympiques de Grenoble en 1968 il décore les tribunes de l’anneau vitesse, grand mur d’Op Art.
Terrasse du palais des congrès à Monaco (1979).


Victor Vasarely – Hommage à Georges Pompidou (1970) Centre Pompidou Paris
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Portrait de Georges Pompidou. Relief de 5 m de haut composé de 38 profilés d’aluminium disposés verticalement et échancrés.

Une partie de ces oeuvres a été réalisée dans la cadre du 1% artistique (décret de 1951).

Le rôle de la puissance publique

Le 1% artistique en France. C’est un décret de 1951 qui fixe l’obligation aux pouvoirs publics de consacrer 1 % du montant du budget de construction d’un équipement public à une oeuvre d’art.
L’objectif est de confier à des artistes la décoration des bâtiments afin de soutenir les créateurs et sensibiliser les usagers à l’art moderne. Il s’inscrit également dans la continuité historique du rôle de l’Etat mécène des artistes.

La construction de la faculté de Jussieu a servi de laboratoire à cette idée. Sous l’impulsion d’André Malraux, alors ministre des Affaires culturelles, Picasso, Matisse, Miro, Braque, Calder, Dubuffet, Giacometti, Léger, Vasarely, Arp ont notamment été pressentis.
14 artistes ont été invités à présenter des projets avec l’obligation de s’intégrer au projet architectural avec une intention de décoration.

Pour en savoir plus, voir l’article : « Le 1 %, de la faculté des sciences de Paris à l’Université Pierre et Marie Curie »

De nombreux artistes se sont retirés car ils ont refusé de s’associer avec un projet déjà fait, et ils ne veulent a pas être considéré comme des décorateurs.
Pour les oeuvres achetées par l’Etat, celui-ci a l’obligation de les rendre pérenne (assurer leur entretient et leur restauration), même si elles ne correspondent plus au goût du moment.

Quelques oeuvres de Jussieu :


François Stahly – Forêt pétrifiée (1968) Sculpture, bois teck, 30 x 10 x 5 m Faculté Jussieu Paris
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François Stahly : Le Labyrinthe, ou la forêt pétrifiée. Voir un commentaire.

Jean Arp : Petit théâter Sculpture, acier Indaten, 500 x 280 x 35 cm
Jean Souverbie : L’Étude devant l’Univers Peinture, huile sur toile marouflée, 500 x 354 cm
Jacques Lagrange : Sans titre Dallage décoratif, calcaires marbriers, 24 000 m2
Raymond Subes : Sans titre Ferronnerie d’art, inox, fer, bronze, cuivre

Ces oeuvres nécessitent de gros travaux d’entretien réguliers pour les remettre en état.

D’autres bâtiments universitaires ont bénéficié de cette procédure.


Alexander Calder – La cornue (1974) Université de Grenoble
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Alexander Calder – La cornue (1974) Université de Grenoble. L’oeuvre ici, n’est pas en lien avec le bâtiment ni avec son environnement.

On va voir que peu à peu les artistes qui acceptent ce type de contrat vont infléchir leur travail en fonction du lieu de destination.


Philippe Favier – Muttum (1995) Lettres en laiton recouvertes de résine et d’une couche de ciment. Faculté des sciences de Saint Etienne
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Philippe Favier – Muttum (1995). Extraits de La Peste d’Albert Camus : les lettres en laiton sont recouvertes d’une couche de ciment se délitant au cours du temps et laissant peu à peu apparaître le texte. Il n’y a plus seulement ici une volonté décorative.
Voir un commentaire.

Le décret du 1% artistique a été légèrement modifié en remplaçant le mot décoration par le respect de la démarche de l’artiste et l’idée de l’intérêt général.


Isabelle Plat – Cloporium (2002) IUT de Nancy
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Isabelle Plat réalise dans le cadre du 1% culturel Cloporium ou fumoir paradoxal. Cendriers en forme de poumons.


Pierre Ardouvin – Il me faut comme à toi l’air et la lumière (2014) Collège Louise Michel de la ville de Clichy sous bois
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Pierre Ardouvin Collège Louise Michel Clichy sous bois « Il me faut comme à toi l’air et la lumière » (dernier vers du poème Hirondelle de Louise Michel). Voir un commentaire.


Le gentil garçon – Société des Voyageurs Immobiles (2012) Lycée Jacques Prévert à Saint-Christol les Alès
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Panneau d’affichage mécanique installé dans le réfectoire du lycée. Il fait défiler au moment des repas, les horaires de départ de vols pour des destinations fictives issues de l’imaginaire culturel mondial. Sur chaque ligne du panneau est affiché un départ pour une destination fictive à laquelle s’ajoute à la manière des indications courantes de vol, le logo de la compagnie du vol, le nom du pilote, le numéro du vol.
Un guide de voyage de la SVI est disponible à la consultation au CDI du lycée. Il présente une sélection de destinations parmi les 1409 que peuvent afficher le panneau au moment de son installation. Une interface informatique a été mise en place pour permettre aux élèves de compléter la base de données du tableau.
Voir d’autres images de Société des Voyageurs Immobiles.

Voir un commentaire de l’artiste.

Les oeuvres dans l’espace public urbain,
des réussites, des échecs et des polémiques

D’une manière générale, leur durée de vie est liée à l’adhésion du public. Il y a une étape de validation par les usagers qui confère aux oeuvres leur pleine légitimité. Dans le cas contraire, il y a censure.

Le David de Michel-Ange incarnait les valeurs de la République de Florence. La société avait adhéré à un projet artistique partagé par tous. Mais aujourd’hui c’est plus difficile.

Aux Etats-Unis on a commencé à commander des oeuvres monumentales à des artistes reconnus :

– Picasso Chicago Picasso (1967). Picasso lui-même proposa d’offrir la somme de 100 000 dollars mais la ville de Chicago refusa, estimant que l’artiste n’avait pas à payer pour son œuvre.

– Alexander Calder à Chicago Flamingo (1974).

Jean Dubuffet à New York, groupe de quatre arbres Chase Manhattan Plaza New York (1972).

Ces oeuvres ne sont pas pensées en fonction de l’architecture, ni en fonction de l’intérêt du public. Elles n’ont pas été conçues au départ comme des monuments, c’est l’agrandissement d’une oeuvre conçue dans d’autres circonstances. Elles ne sont pas contestées car elles portent des noms d’artistes qui sont des valeurs sûres et elles contribuent au prestige de la ville.

Les circonstances sont différentes si l’artiste est peu connu du public. C’est le cas de Barnett Newman.


Barnett Newman – Obélisque brisée (1967)
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Barnett Newman – Obélisque brisée (1967)
La sculpture mesure environ 7,5 m de haut ; elle repose sur un carré d’environ 3,2 m de côté. Elle est réalisée en acier Corten.
Elle représente un obélisque renversé, dont le sommet repose sur un piédestal pyramidal et dont le pied, pointé vers le haut, est brisé. Installé tout d’abord à Washington, elle a suscité une polémique car elle été perçue comme une insulte aux valeurs américaines en portant atteinte à l’obélisque dédiée à Georges Washington, premier président des États-Unis. L’oeuvre a été enlevée.

C’est la polémique autour de l’oeuvre de Richard Serra qui a changé la perception de l’art dans l’espace public aux Etats-Unis.


Richard Serra – Tilted Arc (1981) 3.6 m x 36.6 m Federal Plaza New York
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Richard Serra Tilted arc (l’arc incliné) Manhattan (1981). C’est une plaque d’acier Corten posée sur le sol sans fixations. L’artiste ne voulait pas transformer le matériau industriel (acier Corten) en intervenant le moins possible. L’oeuvre de Serra ne pouvait être compris qu’en référence aux enjeux intellectuels du minimalisme, qui ne sont pas compréhensible par tout le monde. Pour les usagers, la plaque barre la vue, gène la circulation et ils ont pétitionné pour l’enlever. Elle a été supprimée en 1989 à la suite d’un procès notoire.
Voir un commentaire (le procès et les intentions de Richard Serra au départ).

La notion d’utilité sociale est complexe, en effet :
– Faut-il faire de la rencontre entre l’art et le public un rapport de force ?
– Les citadins sont-ils compétents pour juger de la valeur d’une oeuvre d’art ?
– Les politiques culturelles peuvent-elles imposer au public des oeuvres impopulaires au nom de la liberté d’expression des artistes ?
– D’autre part, les artistes doivent-ils nécessairement concevoir un art public consensuel ?

Il y a danger, car les gouvernements totalitaires qui avaient commandité un art officiel consensuel ont produit un art qui n’a aucune valeur.

Autre oeuvre controversée :


George Segal – Abraham et Issac en souvenir du 4 mai 1970 (1978) Bronze
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George Segal Abraham et Issac en souvenir du 4 mai 1970.
L’artiste dépeint des versions contemporaines d’Abraham et Isaac dans une allégorie de la tragédie du 4 mai 1970 à la Kent State University, où la Garde nationale avait tiré sur des opposants à la guerre du Vietnam. Représentation poignante de la lutte de l’humanité entre idéologie et amour paternel. Bien qu’Abraham semble sur le point de frapper son fils, l’artiste a souligné que cela se termine sans tragédie, car Isaac est épargné.
L’oeuvre fut mal reçue, qualifiée d’antipatriotique. Mais elle provoqua aussi la colère de plusieurs associations gay car la représentation d’Abraham, couteau à la main, s’apprêtant à sacrifier Isaac qui le supplie à genoux, avait des connotations sexuelles très explicites.

Voir un article de Philippe Simay (philosophe) sur La sculpture controversée. Réflexions sur l’avenir d’un art public.

On arrive alors à des oeuvres plus neutres :


Claes Oldenburg – Pince à linge (1976) « Center Square » Philadelphie
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Claes Oldenburg réalise cette pince à linge géante appelée Clothespin pour la Centre Square Plaza face à la mairie de Philadelphie.

Voir également :
L’ours de Urs Fischer.
La Danseuse assise de Jeff Koons.
Œuvres kitsch qualifiées d’infantilisantes, qui ne renvoient à rien.

Steward Johnson a réalisé Forever Marilyn à Chicago en 2011. Les habitants de Chicago se sont indignés, parce que la statue était « chargée de sens politique, de sens provocateur et de sens sexuel« . Elle a finalement été déplacée.

A travers ces exemples, on se rend compte que l’on prend de plus en plus conscience que la ville appartient à ceux qui l’habitent et non à ceux qui la conçoivent comme un site d’exaltation du pouvoir et de l’argent.


Jaume Plensa – Crown Fontain (2004) Chicago
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Jaume Plensa – Crown Fontain (2004) Chicago
En 2004 il réalise la Crown fontaine à Chicago. Il affiche sur de gigantesques murs d’images 1 000 clichés numériques des habitants de la ville qui crachent de l’eau. Cette oeuvre a beaucoup contribué à sa notoriété. Il apporte de l’humanité à ce contexte architectural.
« Cette grande sculpture était un hybride de sculpture, d’architecture, de vidéo, et des techniques de l’eau. Elle marque le fin de beaucoup d’expériences précédentes. Pour moi, l’idée d’associer la photo, qui a la propriété de capture l’éphémère et la sculpture qui dialogue avec les choses éternelles, cette fusion des contraires venait possible« . (Jaume Plensa)
Voir un commentaire.

Les nombreuses oeuvres commandées pour le nouveau quartier de la défense à Paris, avaient pour objectif d’humaniser ce quartier et d’apporter un contre point à la rigueur affichée des bâtiments.


Joan Miro – Deux personnages fantastiques (1976) Quartier de la défense Paris
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Voir un commentaire.


Alexander Calder – L’araignée rouge (1976) Quartier de la défense Paris
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Voir également
Bernar VernetDouble Ligne Indéterminée (1976). Graphisme abstrait.
AgamLa fontaine (1982).
TakisLe bassin (1988).
François Morellet la defonce (1990) impression de s’enfoncer dans le sol contraste avec les angles droits des bâtiments.
Voir également les 69 oeuvres d’art du quartier de la défense.