L’Atelier d’artiste

Il y installe ses paravents, ses tissus, rideaux courtepointes, coussins … et y reçoit ses modèles. Chaque élément de décor dans ses peintures est à mettre en relation avec un tissu, un tapis ramené de ses voyages.


Henri Matisse l’écran mauresque 1921 huile sur toile 91 x 74 cm
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Par exemple, la toile intitulée « l’écran mauresque » 1921 montre sa fille avec une raquette de tennis devant un tissu percé d’un décor de trous brodés évoquant les moucharabiehs.
Voir également : Intérieur à Nice, la sieste (avec les volets caractéristiques).

Matisse achète aussi sur les marchés des accessoires, parfois des vêtements (il en avait des malles entières) et lorsque ses modèles prennent la pose, elles sont vêtues à l’oriental, dans un environnement de fleurs imprimées et réelles. Ce sont ses fameuses odalisques.
Voir :
Odalisque bleue ou l’Esclave blanche 1922
Odalisque à la culotte rouge 1925
Odalisque en harmonie rouge 1926

En 1930 il a fait trois voyages aux États-Unis pour la commande du docteur Barns à Merion. Pour mettre en œuvre la danse, il doit s’installer dans un ancien garage, 8 rue Désiré Niel. Il engage une assistante Lydia Délectorskaya. Matisse n’a plus envie de quitter la lumière du Sud, et en 1938, sa femme Amélie le quitte.

Matisse achète en octobre 1938 un appartement dans l’ancien hôtel Regina 77 boulevard de Cimiez, hôtel qui avait été construit pour recevoir la reine Victoria à la fin du 19e siècle.


Henri Matisse avec son modèle par Brassai 1939
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En 1940 Matisse est gravement malade, il subit une importante opération intestinale en 1941 et continue de travailler depuis son lit.

En 1943, obligation d’évacuer Nice. Matisse loue une villa à Vence la villa le rêve où il va venir jusqu’en 1948.

Il y recrée aussitôt un décor familier.


La villa Le Rêve à Vence, 1943-1948
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Voir également :


Henri Matisse avec son modèle (Lydia Délectorskaya) 1946
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Il couvre les murs d’une chambre de tissus Kuba qui sont faits à l’origine de raphia, et tissés de motifs géométriques complexes. Ces tissus sont produits dans le royaume de Kuba d’Afrique centrale (au sud-est de l’actuelle République démocratique du Congo) et les familles se les transmettaient comme la clé pour être reconnu par les ancêtres du clan. Lorsque les Européens sont arrivés à la fin du 19e siècle, ils ont rapporté en Europe ces pièces dont beaucoup se sont retrouvées au marché aux puces, l’un des repères préférés de Matisse.


Matisse par Henri Cartier-Bresson 1944
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Henri Cartier-Bresson, le photographie parmi ses oiseaux, toujours en train de dessiner.


Henri Matisse modèle dans son atelier 1948 dessin MoMA New York
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Lorsqu’il peint un modèle féminin, il organise son petit théâtre d’objets et de tissus. On trouve ainsi sur plusieurs toiles cette table basse marocaine, où ce fameux fauteuil “rocaille” pour lequel il a eu un coup de foudre chez un antiquaire, au point d’en faire plusieurs fois “le portrait”.


L’atelier de Matisse 1954
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On retrouve dans l’intérieur jaune et bleu le guéridon de fer forgé et le fauteuil rocaille, dont les courbes contrastent avec l’organisation géométrique des plans colorés.

Retour au Régina en 1948 pour les papiers découpés. L’espace du Régina se prête mieux aux grandes compositions de papiers découpés. Matisse est en fauteuil ou depuis son lit, et il désigne à son assistante la disposition des éléments sur le mur.


L’atelier de Matisse 1949 (Robert Capa)
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Robert Capa le photographie en 1949 avec son chat entre ses jambes, sur le mur une tenture qui est un tissu ottoman brodé du 19e siècle. Il a 80 ans. Matisse était convaincu que l’expansion décorative dans l’art islamique en particulier, ouvrait « >à un espace de l’ordre du sacré.


Matisse à la chapelle de Vence 1951
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En 1951, souffrant d’asthme et d’angine de poitrine, il trouve l’énergie de travailler à la chapelle de Vence et il verra l’inauguration du musée Matisse à Nice avant de mourir en 1954.
Matisse était donc très peu inspiré par son lieu de vie, une chambre d’hôtel ou une villa, peu importe, parce qu’il lui importait était de transporter partout ses malles et ses objets pour recréer comme au théâtre, le décor de sa peinture.

Les lieux de vie, atelier de Miguel Barcelo, artiste nomade

Miguel Marcelo, né à Majorque, a une passion pour la nature. Après ses études d’art à Paris, il a voyagé à Naples, à Rome, au Portugal, à New York…


Miguel Marcelo à Paris en 1985
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Voir également :
– Son atelier le peintre sur le tableau (1983). Acrylique sur cartons marouflés sur toile.

… et en 1988 a fait de longs séjours en Afrique, au Sahara, en Algérie, au Burkina Faso, au Sénégal ; il a fait le tour de l’Afrique en pirogue pour remonter le fleuve Niger avec des pêcheurs maliens, et il s’est installé un atelier à Gao, en pays Dogon dans la falaise de Bandiagara. Là, il a expérimenté quantité de gestes en lien avec la terre, et notamment le vieillissement des supports
… ainsi en 1992, il habitait en alternance à Paris, à Majorque, et au Mali et pendant toutes les années 90 il a poursuivi ses voyages en Égypte, en Sicile, aux Canaries.
Depuis que Daesh a pris le contrôle du Mali, il a dû renoncer à cet atelier africain.

A Majorque, il a acheté une vieille demeure flanquée d’une tour, dans laquelle il vit en famille avec femme et enfants, et donc une partie est aménagée en atelier de peinture, une autre en atelier de gravure.


Miguel Marcelo à Majorque
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Pour son travail de céramique, au centre de l’ile, il a investi un atelier à Vilafranca de Bonany.

A Paris il a un atelier dans le Marais, dans une ancienne manufacture textile dont il a investi les trois étages.


Miguel Marcelo son atelier à Paris, dans le Marais
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Une salle pour la gravure, une pour la bibliothèque et les carnets de voyages, une salle atelier qui ressemble à l’arrière boutique d’un taxidermiste avec des animaux empaillés, et quantité d’outils qu’il détourne de leur fonction : outils de dentiste, de cordonnier, de boucher, d’alpiniste… Un crâne de singe, des statuettes Dogon, une oreille d’éléphant …. C’est un univers très incarné qui garde la mémoire de ses voyages, et en particulier de l’Afrique.

5 – Les ateliers-arènes de l’action painting

L’expression “la toile est devenue une arène” est de Harold Rosenberg, l’historien d’art qui a développé une réflexion sur la peinture de Pollock à la fin des années 50. Le geste du dripping par projection de peintures sur un support horizontal, implique de la part de l’artiste un mouvement constant, une rapidité d’exécution et une énergie très spectaculaire qu’il était indispensable de voir dans son processus pour en apprécier le résultat : une fois au mur le dripping est avant tout la trace d’une action très physique, dont témoignent photos et films.


Jackson Pollock Action Painting

Cela nécessite de grands espaces vides au sol et la présence d’un témoin, photographe ou cinéaste.


Jackson Pollock convergences 1952 huile sur toile 237.5 x 393.7 cm Albright-Knox Art Gallery, Buffalo, NY
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De même Sam Francis, dans son atelier de Santa Monica, verse de la peinture à distance et contrôle la répartition des blancs et de la couleur en tournant autour de son support.


Sam Francis en action

Sam Francis
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Voir d’autres oeuvres de Sam Francis

À la même époque, Helen Frankenthaler, elle aussi, déverse la couleur sur de très grands supports au sol.
Voir d’autres oeuvres de Helen Frankenthaler

Ces pratiques exigent des surfaces d’atelier très grandes, tout comme les travaux relevant du pliage de Simon Hantaï dans son atelier de Maisons-Alfort.
On le voit en train de faire sécher ses toiles.


Simon Hantai Tabula 1973 acrylique sur toile 230 x 196 cm
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Voir d’autres oeuvres de Simon Hantai.

Chez les contemporains, Fabienne Verdier, depuis son retour de Chine, a fait construire un atelier dans le Val-d’Oise, dans un coin de nature paisible, un lieu « mi-atelier mi-chapelle » dont le cœur est son pinceau monumental, suspendu à 10 mètres de hauteur, qui lui permet de peindre verticalement des toiles de grand format.


Fabienne Verdier

Là encore, ce qui est donné à voir, c’est de l’énergie en mouvement. Lorsqu’elle est invitée en résidence dans un autre lieu, elle transporte son dispositif qu’elle qualifie “d’atelier nomade”. Par exemple à Aix devant Saine Victoire.

Katharina Grosse, artiste allemande née en 1961, vit et travaille à Berlin dans une maison cube de béton,


Katharina Grosse sa maison à Berlin
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… dont toutes les pièces communiquent (de manière à voir la peinture sous tous les angles) et tous les murs sont équipés pour recevoir la peinture qu’elle projette avec un pulvérisateur. C’est là qu’elle crée les volumes qui s’intégreront dans ses installations très colorées.
Exemple en 2014 à Brooklyn, puis en 2020 à la Hamburger Bahnhof à Berlin et en 2021 chez Vuitton à Paris pour l’exposition “la couleur en fugue”.


Katharina Grosse Splinter (éclats) 2022, acrylique sur contreplaqué, mur et sol, 1750 x 1000 x 2200 cm Fondation Vuitton Paris 2023
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6 – L’atelier monde d’Anselm Kiefer à Barjac

Lorsqu’il a quitté l’Allemagne en 1992 Kiefer a vécu et travaillé à Barjac, dans les Cévennes, à quelques kilomètres de Nîmes. à partir d’une ancienne magnanerie “la Ribaude” datant du 18e siècle.


La Ribaute, vue à distance
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Il a construit des bâtiments, tracé des enceintes, creusé des tunnels, planté des arbres, semé des plantes. On y entre, par un paysage, puis on est invité d’abord à une promenade dans les ruines, avec ses tours faites de vieux containers empilés. Le tout, sur 35 ha, constitue un réseau complexe qu’on ne peut pas appréhender d’un seul coup d’œil. L’atelier est le lieu où il engrange les outils, les matériaux et les motifs de l’œuvre, il a rapporté de ses voyages des briques de l’Inde, du plomb de la cathédrale de Cologne, Kiefer a transformé et inventé cet espace, qui est une véritable extension physique de son œuvre.

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Anselm Kiefer verrière pour exposer ses travaux à Barjac
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Lorsqu’il a investi le Grand Palais en 2007 dans le cadre de “Monumenta”, il a recréé pour les visiteurs un parcours composé d’une tour de containers et de différentes maisons, un peu à l’image de Barjac,


Anselm Kiefer Monumenta 2007 Grand palais Paris
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et lorsqu’on 2021 il a exposé dans ”le Grand Palais éphémère”, la fin du parcours présentait ses réserves de matériaux, de vêtements plâtrés, de graminées … comme si l’artiste se refusait à séparer la présentation des œuvres achevées et l’exposition de leur germination en atelier.


Anselm Kiefer, l’incroyable exposition au Grand Palais Ephémère, Paris

En 2007, lorsqu’il quitte Barjac, Kiefer s’est installé à Croissy où il a entreposé le contenu de ses ateliers de Barjac. C’est un ancien entrepôt de la Samaritaine, en grande banlieue parisienne. Là il y a des assistants, notamment pour la menuiserie, l’électrolyse, la ferronnerie … Ici, il a coulé du plomb fondu sur d’anciennes toiles.
Il a donné en 2020 l’atelier de Barjac à une fondation la Fondation Eschation Anselm Kiefer qui l’ouvre au public depuis mai 2022, l’été, par groupes de 18 personnes seulement.


À Barjac, Anselm Kiefer ouvre son atelier-monde

7 – L’atelier entreprise de production>

Le modèle historique, c’est la Factory d’Andy Warhol à New York, dont le nom même évoque la production à la chaîne. Cette usine, ouverte en 1963 sur la 47e Avenue de New York, dont les murs étaient recouverts de papier d’aluminium argenté, faisait office d’atelier de production des sérigraphies, mais aussi de studio d’enregistrement où étaient tournés des films expérimentaux, et c’était le centre de la vie underground new-yorkaise, un passage obligé, disait on, pour être une star.


La Factory d’Andy Warhol à New-York
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Invention, improvisation, fêtes, excès en tout genre, Warhol était un visionnaire de notre civilisation de l’image et du culte des VIP puisque la Factory produisait à la fois sa propre image et celle de son travail.


Andy Warhol’s Factory people – Bienvenue à la Silver Factory

L’atelier de Jeff Koons à Broadway est une entreprise qui emploie 128 personnes, (64 pour les tableaux, 44 pour les sculptures, 10 pour le numérique, 10 dans l’administration).
Jeff Koons conçoit ses œuvres en manipulant des images sur Photoshop. Ensuite ce sont ses assistants qui réalisent, lui contrôle et vérifie. Certaines sculptures nécessitent des technologies très spécialisées et complexes que seuls des ingénieurs peuvent mettre au point. Quant aux toiles, elles ne laissent aucune place à la subjectivité des assistants, qui réalisent l’exact projet que Koons a conçu. Voir la salle de musculation de l’atelier.


L’atelier de Jeff Koons à Broadway
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D’autres artistes ont ce type d’atelier, comme Murakami, ou Olafur Eliasson.

Ainsi, avec des moyens contemporains, ces ateliers avec collaborateurs renouent avec celui de Raphaël qui, au sommet de sa gloire, s’était constitué une petite entreprise de production pour répondre à toutes ses commandes, ou celui de Rubens, qui employait des dizaines de collaborateurs pour l’exécution de ses toiles.

Voir également :
Le monde secret des ateliers d’artistes

Il y a un monde entre l’atelier-cocon de Giacometti et ces ateliers PME dont le patron est un artiste, mais cet inventaire permet de constater que toujours l’artiste conçoit son lieu de travail à l’image de sa démarche. C’est pour cela que voir l’atelier, c’est un peu entrer dans la psychologie de la création.

1 thoughts on “L’Atelier d’artiste

  1. Merci infiniment pour cet article absolument passionnant !
    J’ai appris plein de choses et je me suis régalée à découvrir tous ces ateliers.
    Mais quel boulot de fou pour reconstituer tout cela !

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