Enfants et adolescents dans l’art moderne et contemporain


Paula Rego La Marafona 2005 Acrylique sur toile, 213.4 × 213.4 cm
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La Marafona (2005) un grand format dans lequel le père de Paula, dépressif est incarné par un mannequin couronné d’épines (mannequin qu’elle a fabriqué elle-même en 3D). Sa femme, la mère de Paula (représentée également par un mannequin), se tient derrière, les mains sur ses épaules, et Paula a sa tête appuyée contre lui, comme pour le soutenir affectueusement. La Marafona c’est aussi Paula. En fait, il s’agit de la façon dont elle s’est identifiée à lui parce qu’elle a également hérité de la dépression. On retrouve son père dans plusieurs tableaux :
Le pêcheur 2005 pastel sur bois 180 x 120 cm (panneau gauche d’un tryptique) Musée de l’Orangerie.
L’homme aux oreillers 3.


Paula Rego Blanche Neige 1995 Acrylique sur toile, 213.4 × 213.4 cm
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Blanche Neige (1995) une marâtre inspecte de façon très humiliante la culotte de Blanche-Neige (pour vérifier sa virginité), elle est une solide de jeune fille au visage presque viril.


Paula Rego Pinocchio et la Fée Bleue 1997 Acrylique sur toile, 213.4 × 213.4 cm
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Pinocchio et la Fée Bleue (1997). Dans le conte, la fée avertit Pinocchio de ne pas lui désobéir la nuit précédant sa transformation en vrai garçon. Ici la fée est une figure menaçante, elle est très ambiguë. Le modèle c’était Victoria Weeling, la fille de Paula Rego, et Paula dit qu’elle est identifiée à Pinocchio, qui a eu une enfance apeurée.

3 – La nostalgie de l’enfance

Toute l’œuvre de Christian Boltanski est hantée par l’enfance, la disparition, la trace du souvenir.
En 1974, à ses tout débuts, dans la série intitulée saynetes comiques, réalisée aux crayons de couleur, il se mime enfant :


Christian Boltanski saynetes comiques 1974 crayons de couleur sur papier
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Il a colorié sur des photos où lui adulte se mime en enfant.
Voir également :
Je suis content c’est mon anniversaire
Mon père me sourit
Je souffle les bougies .
Dans chacune de ces saynetes est il n’est question que de son père et de lui.

Plus tard, dans les années 80, sa série de Monuments prend toujours comme matériaux de départ des photos de classe d’enfants, pour la plupart victimes de l’Holocauste, auxquels il dresse des sortes d’autels invitant à la méditation, au recueillement.


Christian Boltanski monument Odessa 1989 installation 170 x 120 x 25 cm
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Christian Boltanski: Chance Pavilion français, Venise Biennale 2011

En 2011, “Chance”, dans le pavillon français de la Biennale de Venise, faisait défiler à toute vitesse des photographies en noir et blanc de nouveau-nés, et de temps en temps tout s’arrêtait pour sélectionner, en couleur et en plus grand, un enfant pris au hasard, peut-être celui qui, parmi tous les autres, sera appelé à avoir un destin singulier hors du commun ? En même temps, d’un côté et de l’autre du pavillon, défilaient, en temps réel, le nombre de naissances à l’échelle mondiale et le nombre de décès

Bernard Faucon est un philosophe et plasticien né à Apt en 1950. Dans les années 70, il a collectionné des mannequins d’enfants des années 30 à 50. En 1976 sa série d’œuvres intitulée “les grandes vacances” montre des groupes de mannequins d’enfants habillés et installés dans des mises en scène très composées, parfois mêlées à quelques enfants réels.


Bernard Faucon, les grandes vacances (1976-1981)
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Il reconstitue des souvenirs de grandes vacances. Il dit : “Pendant l’été 1976, j’ai rempli la Méhari de mannequins et j’ai envahi les chemins, les dortoirs de la maison d’enfants de mes parents, le cimetière de Lioux, la piscine de Saint-Saturnin, les plages des Saintes-Maries-de-la-Mer. Je fixais en hâte les pauses, après le déclic je remballais le tout et je repartais. Ce sont mes propres souvenirs que je reconstitue« .

4 – Les enfants graves

Marlène Dumas est née en 1953 au Cap en Afrique du Sud, elle a choisi de travailler et de vivre à Amsterdam. Elle utilise la photographie, qu’elle met en peinture en allant au-delà de l’image, pour mettre à jour des émotions complexes. Ainsi, lorsqu’elle peint des enfants, ce n’est jamais conforme à la représentation habituelle des enfants.


Marlène Dumas, Die Baba 1985 huile sur toile 130 x 110,3 cm Collection particulière
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Die Baba (le bébé) en 1985. C’est le portrait du frère de Dumas, Pieter, âgé de 6 ans de plus qu’elle, lorsqu’il était bébé. L’enfant a un regard de défiance tout à fait étonnant, un regard presque provocateur. Adulte, Pieter est devenu pasteur et au sujet de ce portrait, il a dit : “même lorsque je n’étais qu’un bébé, Marlène a pu discerner en moi un aspect saillant de la personne que j’allais devenir, ce regard critique de méfiance à l’égard de la race humaine…


Marlène Dumas, the painter (le peintre) 1994 huile sur toile 200 x 100 cm MoMA New York
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Même surprise lorsqu’on regarde the painter (le peintre) 1994 avec ses mains et son ventre barbouillés et son regard hostile. Marlène Dumas a pris comme modèle une photo de sa fille enfant.
Voir également :
Helena 2001 huile sur toile 200 × 100 cm Musée Stedelijk d’Amsterdam. Sa fille, un peu plus âgée
Eden 2020, huile sur toile 40 x 30 cm. C’est un portrait de son petit-fils, Eden, à l’âge de 2 ans. Là encore le regard est chargé de gravité, presque de défiance.


Marlène Dumas, Le rituel (avec poupée) 1992 huile sur toile 110 x 130 cm
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Le rituel (avec poupée) 1992. Elle a représenté un groupe de fillettes qui toutes ont des expressions de zombie s’apprêtant à exécuter une poupée dans un rituel macabre.


Marlène Dumas, See no Evil (n’y voyez aucun mal) de 1991 Huile sur toile, 200 x 100 cm
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Que les enfants puissent avoir une face claire et une face sombre, c’est aussi ce qui apparaît dans See no Evil (n’y voyez aucun mal) de 1991.

A la fin des années 80, elle s’était représentée deux fois en écolière, parmi ses camarades, figées autour de la maîtresse. The Teacher (sub a), 1987, Huile sur toile, 160 x 200 cm, Collection particulière, The Teacher (sub b), 1987, Huile sur toile 160 x 200 cm

Claire Tabouret (née à Pertuis en 1981) vit et travaille à Los Angeles. Depuis 2013 elle a entrepris de nombreuses peintures sur le monde de l’enfance. Enfants réels ou fantômes d’enfants.


Claire Tabouret, la classe 2013 Acrylique sur toile 260 x 490 cm
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La classe (2013), ambiance crépusculaire, seuls les visages émergent.
Voir également :
L’affront (2013), acrylique sur toile 145 x 200 cm. Encore un espace-temps indéfinissable et les visages des garçons sont tendus, farouches.
Les insoumis (2013) acrylique sur toile 260 x 390 cm. Groupe d’enfants costumés, le titre insiste sur l’idée que par-delà l’uniforme, le déguisement, les individus ont toujours une volonté de singularité et d’opposition.
– Série Les yeux bandés (2013), acrylique sur toile 35 × 27 cm. Ce sont des portraits individuels d’enfants qui jouent à colin-maillard.
– Série Les mangeurs (2013) acrylique sur toile 41 x 33 cm FRAC Auvergne. Des enfants qui se sont barbouillés en mangeant.
Les veilleurs (2014) acrylique sur toile 230 x 400 cm, commandée pour le Palazzo Grassi à Venise.

Série Les masques (2015), contraste entre l’expression du visage et l’idée de fête (le costume et les confettis).


Claire Tabouret, make up 2016 Acrylique sur bois 50,8 x 40,6 cm
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Make-up (2016) c’est une série inspirée par les concours en Californie ou des adolescentes sont maquillées en femmes hypersexuées (le maquillage déborde, le visage reste impassible).
Voir également :
Portrait de groupe en altérité 2018. Ce sont des adolescentes, impassibles.


Claire Tabouret, Swimmers (les nageurs), 2019 acrylique et collage de tissu sur papier 114,3 x 152,4 cm
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Exposition Sibling 2020 galerie Perrotin Séoul. Elle a représenté des enfants et des groupes.

Voir d’autres oeuvres de Claire Tabouret.

Françoise Petrovitch, née en 1964 à Chambéry. Depuis 2015, elle peint des enfants et des adolescents à la peinture à l’huile et au lavis.


Françoise Petrovitch, ans titre, 2015 Huile sur toile – 240 x 160 cm
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Ce sont de grands formats, qui paradoxalement cherchent à traduire l’intimité.
En hiver 2022, une rétrospective de son travail a été exposée à Landerneau au fond Hélène et Édouard Leclerc. Elle représente souvent des personnages qui ne regardent pas le spectateur et qui ne voient pas : les yeux recouverts par leurs mains où les yeux bandés (série les aveugles) ou masqués, alors qu’en tant que spectateur, nous avons l’habitude d’interroger le regard des portraits.

Voir d’autres oeuvres de Françoise Petrovitch

5 – Et dans la sculpture contemporaine

Ron Mueck né en 1958 à Melbourne, est un sculpteur hyperréaliste australien qui travaille en Grande-Bretagne. Surdimensionné ou sous-dimensionné, ses reproductions du corps humain sont minutieusement réalisées grâce au silicone, la résine polyester et la peinture à l’huile, avec une précision clinique impressionnante. Tout commence par une sculpture en argile, qui est ensuite enveloppée dans un moule d’où il coule le matériau synthétique.
Tous les âges, tous les aspects de la vie l’intéressent, et en particulier la traduction des émotions par la sculpture.


Ron Mueck boy 1996 biennale de Venise
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Nous l’avions découvert à la Biennale de Venise 1996 avec son boy accroupi de 6 m de haut, qui nous attendait terrifié, à l’entrée de l’Arsenal.


Ron Mueck – Woman With Shopping – 2013

Puis, en 2013, à la Fondation Cartier, on a vu “woman with shopping”, sous dimensionnée, elle est fragile et triste enveloppant son bébé dans son manteau.
et ce jeune couple, qui semble très préoccupé, soucieux…


Ron Mueck a girl ! 2006
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Il y a aussi “A girl !” (2006), un nouveau-né gigantesque, et son Pinocchio (exploité en peinture par Paula Rego, sa belle-mère), avec son air coquin

Charles Ray né en 1953, est un sculpteur américain qui a fait cet été l’objet d’une grande rétrospective au Centre Pompidou et à la Bourse du commerce (fondation Pinault).


Charles Ray family romance 1993 technique mixte 134,6 x 215,9 x 27,9 cm
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En 1993 “Family romance” est une œuvre qui avait suscité beaucoup de commentaires. Les parents sous-dimensionnés et les enfants surdimensionnés se retrouvent à la même taille, ce qui crée un malaise et incite à toutes sortes de spéculations surréalistes, psychologiques, sociales etc… Ce groupe est en fibre de verre peinte et cheveux.


Charles Ray La nouvelle Coccinelle 2006 acier peint
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“La nouvelle Coccinelle” (2006), est présentée dans la même salle que le tracteur de 18 tonnes, en acier peint, réalisé à partir d’un jouet d’enfant.
L’enfant qui joue par terre avec une petite voiture coccinelle, est un moulage en acier inox peint en blanc. Le modèle est le fils d’un des assistants de l’artiste, que Charles Ray a filmé, puis à partir de ce film a fait faire une image 3D. Il voulait que le gamin soit absorbé dans son jeu. Les visiteurs sont obligés de se baisser à son niveau pour voir l’expression de son visage.


Charles Ray l’enfant à la grenouille 2009 Acier inoxydable coulé avec acrylique polyuréthane 244 × 75 × 105 cm
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L’enfant à la grenouille est en acier peint, il a été réalisé en 2009 pour l’ouverture de la pointe de la douane à Venise (commande de François Pinault). Son iconographie renvoie aux sculptures d’Apollon Sauroctone tendant son bras pour attraper un lézard. Voir un commentaire.
A la suite de polémiques, la sculpture sera remplacée par un traditionnel réverbère vénitien en fonte.

Voir également :
Shoe Tie 2012, en acier inoxydable c’est un adolescent qui rattache un lacet de sa chaussure. Il n’a pas de chaussure, mais il mime le geste.
“School play” de 2014, en acier aussi, prend pour modèle le fils d’un ami de l’artiste (le même que pour la petite voiture). Il est costumé, et avec son épée en plastique, il joue un rôle dans le spectacle de fin d’année de son collège. Voir un détail.


Charles Ray’s « School Play »

“Girl Poney”, montre la filleule de l’artiste chevauchant un poney. C’est un bas-relief en aluminium. La technique du bas-relief et la position de profil rappellent les sarcophages grec, ce qui contraste avec les vêtements et le harnachement contemporains.


Charles Ray at the Art Institute of Chicago

Prune Nourry née en 1985 à Paris vit et travaille à New York depuis 2011 (c’est la compagne de JR). Elle est sculptrice et s’intéresse aux thématiques liées à la bioéthique.
En 2013 ses “Terracotta daughters” interroge la sélection du sexe en Chine. En s’inspirant des célèbres soldats de Xi’an, elle a réalisé 8 sculptures à partir de 8 petites filles chinoises. Elle a ensuite collaboré avec des artisans copistes de Xi’an pour créer 108 combinaisons uniques, issues des 8 moules originaux.


Prune Nourry Terracotta Daughters 2014, au 104 Paris
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Cette œuvre a fait le tour du monde (Shanghai, Paris, Zurich, New York, et Mexico), puis a été enterrée en octobre 2015 en Chine, dans un lieu tenu secret, durant une cérémonie performance. L’excavation de cette armée de petites filles aura lieu en 2030, date identifiée par les démographes chinois, comme l’apogée du déséquilibre homme-femme en Chine.


Prune Nourry: Terracotta Daughters

Geste très fort et très politique, qui rappelle comme questionnement que qu’a développé Zhan Xiaogang dans sa série Bloodline.

Zhan Xiaogang (né en 1958). C’est un questionnement analogue qu’il développe dans sa série “Bloodline” qui dénonce la politique de l’enfant unique (garçon) dans les familles chinoises (2013).


Zhan Xiaogang Bloodline big family 1993
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Le lien du sang avec les parents, se fait soit par un fil rouge qui les relie au niveau du cœur, soit par une tache de lumière identique sur leurs visages.

L’ensemble (peintures = sculptures) s’intitule “My idéal”, et représente 5 enfants nus jusqu’à la ceinture, habillés dans des costumes d’adulte, incarnant les différentes carrières auxquelles les destinent leurs parents.

6 – Enfants de fiction

Enfin, pour finir sur une dystopie qui a marqué les esprits à la Biennale de Venise de 2003 : La « young family” de Patricia Piccinini, artiste australienne née en 1965 destinée à nous faire réfléchir sur la révolution génétique et les questions éthiques qu’elle entraîne.


Patricia Piccinini Young Family 2002 Silicone, fibre de verre, cuir, cheveux humains et contreplaqué 85,1 × 149,9 × 120 cm
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Voir également :
The bond (Le lien) 2016
The Comforter, 2010
Voir d’autres oeuvres de Patricia Piccinini

L’enfance bien sûr est un thème universel, qui renvoie chacun de nous à notre mémoire, à notre rôle de parents, mais aussi, on l’a vu, qui peut-être abordée sous un angle psychologique, social, politique et même éthique.