Qualifié « d’art primitif », puis « d’art premier » au début du XX° siècle, l’art africain a été une source d’inspiration esthétique pour les artistes européens, cubistes et surréalistes.
Aujourd’hui, après plusieurs décennies de quasi invisibilité, le continent africain est bien représenté dans nos musées, par les artistes qui y vivent, et par ceux de la diaspora, et de récentes expositions dans des lieux prestigieux nous les ont fait découvrir.
En peinture, sculpture, photographie, installation, performance, tous s’attachent à exprimer leur identité, pour certains en évoquant les difficultés et les conflits dont ils ont été victimes, pour d’autres en mettant leurs traditions au service de créations contemporaines. L’humour et l’auto-dérision sont souvent au rendez-vous, ainsi que les citations parodiques de l’art occidental.
Les femmes sont très nombreuses, et parmi elles, certaines excellent dans des pratiques textiles qui méritent leur place au musée.
Intervenante : Agnès Ghenassia
Après bien des hésitations, j’ai choisi de vous présenter des artistes africains dans l’ordre chronologique où nous les avons découverts au travers de grandes expositions. J’ai exclu de cette présentation les artistes originaires du Maghreb (qui pourront faire l’objet d’une autre présentation) pour se concentrer sur l’Afrique subsaharienne.
En préambule, il n’est pas inutile de rappeler ceci,
Photo de l’exposition universelle de 1900 à Paris groupe d’indigènes
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En 1900, pendant l’exposition universelle, on a exhibé un groupe d’indigènes. Les Africains avaient alors pour destin d’être asservis par les Blancs. L’Afrique est sous l’autorité du Royaume Uni, de l’Empire allemand, de la France, de la Belgique, de l’Espagne, de l’Italie, et du Portugal. En 1900, seuls l’Éthiopie et le Libéria sont des États indépendants. Les artistes occidentaux ont commencé à s’intéresser aux masques (que l’on appelait alors des fétiches) que la colonisation faisait parvenir en Europe. Des ethnologues les étudiaient, et ils aboutissaient dans des musées ethnographiques (musée du Trocadéro à Paris), mais aussi aux puces, puis dans des galeries. Tous les artistes d’avant-garde achètaient ces “fétiches” qui les aidaient à casser les codes de la peinture et de la sculpture.
En 1984, William S. Rubin est l’auteur d’une exposition restée célèbre au MoMA de New York intitulée : “primitivism in twentieth-century art”. Mais cet art primitif, qui avait inspiré notamment Matisse et Picasso, était déja ancien il y avait en 1984, des artistes vivants actifs en Afrique !
Exposition les magiciens de la terre (1989) Centre Pompidou et la Grande Halle de la Villette
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C’est pourquoi que cinq ans plus tard, en 1989, Jean Hubert Martin prend conscience du problème. Il est l’auteur de l’exposition très célèbre : “Magiciens de la terre”, qui confronte, entre le Centre Pompidou et la Grande Halle de la Villette, 101 artistes pour moitié occidentaux et pour moitié venus du reste du monde (dont 15 d’Afrique). Événement majeur et très controversé, car à l’époque, on ne parlait pas de mondialisation, et la notion d’art contemporain était purement occidentale. En Afrique, expliquait Jean Hubert Martin, “je cherchais des œuvres qui ont un impact visuel et des artistes qui n’avaient rien à voir avec le système de l’art occidental”.
Parmi eux Seyni Awa Camara, est née au Sénégal en 1945. Elle est autodidacte, et n’a jamais quitté son pays, où traditionnellement les femmes réalisent des poteries utilitaires. Elle crée des milliers de personnages en terre cuite, qu’elle appelle “ses monstres” et qu’elle vend sur les marchés.
Tous ces personnages évoquent la maternité (elle a eu 4 enfants). Depuis les magiciens de la terre, son travail est exposé en Europe et aux États-Unis, mais elle reste étrangère au milieu de l’art (ses fils se chargent de la relation avec les acheteurs). Louise Bourgeois lui a rendu visite dans son village de Bignona en 1996.
Seyni Awa Camara
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Esther Mahlangu née en 1935 en Afrique du Sud, elle vit toujours à Johannesburg. Une tradition de sa culture Ndébélé veut que les femmes préparent des pigments pour peindre l’extérieur des maisons, à l’occasion du rite de passage des garçons entre 18 et 20 ans. Elle est l’aînée de 9 enfants, elle a tout appris de sa mère et de sa grand-mère, et se fait une réputation locale pour ses talents en peinture murale, qui lui ont valu d’être employée entre 1980 et 1991 dans le musée en plein air consacré à la culture Ndébélé.
Maison de Esther Mahlangu Exposition Magiciens de la terre 1989
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Pour les magiciens de la terre, on a reconstitué sa maison africaine. Elle peint à main levée, sans dessin préalable, en s’inspirant des motifs des vêtements et des bijoux de son peuple.
En 1991, BMW lui a commandé une art car qui a été exposée à Washington, et en 1997 British Airways des dérives de ses avions et en 2020 elle a peint le tableau de bord d’une Rolls Royce !
Voir d’autres oeuvres de Esther Mahlangu
Frédéric Bruly Bouabré (1923-2014) né en Côte d’Ivoire originaire de la tribu Bété. Il raconte qu’à la suite d’un rêve, il a inventé un alphabet qui est inspiré de figures géométriques découvertes sur les pierres d’un village Bété cet alphabet unique est composé de centaines de signes désignant chacun une syllabe pour sauver dit-il la culture Bété qui est son ethnie.
Par ailleurs, il retranscrit des contes des poèmes et ses théories sur des petites cartes en carton (voir également). Il est le philosophe autoproclamé d’une nouvelle spiritualité africaine, une sorte de griot.
Lui aussi, après les magiciens de la terre, a été exposé à Genève, à Venise, à la Tate moderne, au Centre Pompidou.
Présentation de l’œuvre de Frédéric Bruly Bouabré Musée Fabre Montpellier
Bodys Iseck Kingelez (1948-2015) est né au Congo, depuis les années 80, il a construit des architectures en carton, papier, plastique et mélange tous les styles à la fois.
Voir d’autres oeuvres de Bodys Isek Kingelez
Il a dit : “J’ai créé ces villes pour qu’il y ait une paix durable, une justice et une liberté universelle. Elles fonctionneront comme de petits états laïques, avec leurs propres structures politiques, et n’auront pas besoin de policiers ni d’armée« .
En 1997 la Fondation Cartier, qui avait exposé son travail, a acheté son œuvre la plus complexe : “Projet pour Kinshasa du 3e millénaire” Bois, carton plume, papier, métal, matériaux divers 100 x 332 x 332 cm.
Cyprien Tokoudagba (1939-1912) est un peintre et sculpteur béninois autodidacte. Son art est inspiré par la représentation des symboles religieux du vaudou. Ses sculptures sont anthropomorphiques. Il a créé chez lui son propre musée.
Il réalise également des dessins voir dessin1et dessin2
L’exposition des magiciens de la terre l’a fait connaître internationalement.
Atelier Kane Kwei est un atelier de sculpture menuiserie basé au Ghana, dont l’activité est centrée sur la production de cercueils de fantaisie. Le fondateur Seit Kane Kwei (1922-1992) fabriquait ces cercueils depuis 1950. Ce sont ses fils qui ont pris la relève. A l’origine ils s’étaient inspirés des palanquins figuratifs utilisés autrefois par les rois du peuple Ga.
L’utilisation de ces cercueils lors de funérailles en pays Ga se généralise dès le début des années soixante, et l’exposition de 1989 leur a donné une reconnaissance en tant qu’œuvre d’art éphémère. Depuis 2013, certaines agences de voyages inscrivent à leur programme la visite de l’atelier Kane Kwei.
En savoir plus sur l’atelier Kane Kwei
Ces artistes, révélés par l’exposition des magiciens de la Terre étaient tous autodidactes et n’avaient auparavant aucun lien avec l’art occidental. Nous verrons le chemin parcouru en 30 ans !
En 1994 la Fondation Cartier a exposé Seydou Keita (1921-2001), un photographe malien découvert par André Magnin, l’un des dénicheurs qui avait sillonné l’Afrique pour l’exposition de Jean Hubert Martin. Dans son studio de Bamako, il avait photographié des milliers de clients entre 1948 et 1962. Lorsque ses négatifs ont attiré la convoitise des collectionneurs, il était à la retraite et bricolait des mobylettes. Le succès est fulgurant, l’exposition de la Fondation Cartier circule dans une vingtaine de pays. Lorsque Seydou Keita, qui ne vendait en Afrique que des petits formats, a vue explosées ses images en grand tirage il a pleuré d’émotion (aujourd’hui un grand format vaut 70 000 €).
Keita, pour des raisons économiques, faisait une seule prise de vue par séance, et toujours à la lumière du jour. Il prêtait à ses modèles son scooter ou sa voiture. Il faisait des tirages au format carte postale, en deux ou trois exemplaires, qui étaient encadrés et envoyés à la famille ou aux prétendants.
On dit de lui qu’il est le père de la photographie africaine, parce que ses images sont en rupture avec les photos coloniales. Elles offrent un aperçu vivvant de la haute société malienne de l’époque, entre tradition et modernité.
Voir l’exposition Seydou Keita au grand palais en 2016
Le photographe s’était fait construire 16 maisons, au Mali, depuis son succès international.
En 1997, la Fondation Cartier a consacré une exposition à son confrère Malick Sidibé (1936-2016) lui aussi Malien. D’abord berger, bouvier, cultivateur, il avait ouvert son premier studio photographique en 1958 à Bamako, puis dans le quartier populaire de Bagdadjé où il est resté jusqu’à sa mort. Il est le reporter des soirées dansantes au temps des yéyés, traduisant l’ambiance joyeuse du pays qui vient d’accéder à l’indépendance.
Puis dans les années 70 il a fait en studio des portraits pleins de malice : modèles vus de dos, ou encore des mises en scène de groupe etc. Exposé dans le monde entier, il restait simple. Il a utilisé son argent pour faire construire une mosquée pour son village et il a aussi financé des outils agricoles, un bus etc.
Voir d’autres photographies de Malik Sidibé.
En 1999, plus de 3 millions de visiteurs à Paris ont découvert Ousmane Sow sculpteur sénégalais (1935-2016) dont 68 œuvres monumentales (lutteurs, guerriers massaïs, pasteurs Peuls) étaient exposées sur le pont des Arts. Son travail avait déjà été montré à Kassel et à la Biennale de Venise. Kinésithérapeute, il s’est consacré à la sculpture à l’âge de 50 ans. Il sculptait ses personnages sans modèle.
Il inventait sa matière en faisant macérer pendant des années un certain nombre de produits d’origine organique, qu’il appliquait sur une ossature de fer, de paille et de jute. Il a fait ainsi découvrir les Massaïs, les Zoulous, les Peuls, les indiens et les chevaux de Little Big Horn partout dans le monde.
Ousmane Sow, le maître et ses modèles
En 2000, la Biennale d’Art Contemporain de Lyon s’intitulait “partage d’exotismes”, et son commissaire d’exposition était encore Jean Hubert Martin. Il s’agissait là de croiser, de faire dialoguer les cultures du monde, autour de catégories d’habitude utilisées en ethnologie : habiter, aimer, mourir, masquer, combattre, incarner, vêtir, transporter, manger, prier. Parmi les artistes africains découverts à cette occasion :
Yinka Shonibare né à Londres en 1962, d’origine nigériane, l’artiste a grandi à Lagos au Nigeria, avant de revenir à Londres avec ses parents. Famille aisée (père avocat, frères et sœur chirurgien et dentiste) il a, après le bac, étudié l’art au Saint Martin college of art. Une myélite transverse qui affecte sa moelle épinière depuis l’âge de 17 ans le laisse handicapé à vie.
À partir des années 90, il utilise le tissu Wax dans l’univers victorien, dont il habille ses mannequins sans tête. Ces tissus multicolores imprimés, considérés comme authentiquement africains ont été créés au 19e siècle par les Hollandais et les Anglais pour le marché indonésien. Et comme le succès n’était pas au rendez-vous, ils ont écoulé les stocks en Afrique de l’Ouest, où depuis ils ont un énorme succès. Le travail de l’artiste rappelle ainsi, que la bourgeoisie anglaise s’est construite sur une réalité coloniale. Avec humour et distance, il met en lumière ainsi le rapport tragique entre les deux cultures, celle des nobles et celle des esclaves.
Ses premières mises en scène sont inspirées des personnages de la peinture anglaise victorienne. La dernière montre autour d’une table les signataires de la conférence de Berlin, qui s’est tenue durant l’hiver 1884-1885, et qui se partagent l’Afrique.
Voir d’autres oeuvres de Yinga Shonibare.
Pascale Marthine Tayou né en 1966 au Cameroun. Il avait entrepris des études de droit avant de choisir l’art, et de décider de féminiser son prénom, en hommage à sa mère et à toutes les femmes dit-il. Autodidacte, il a vécu à Paris, où il a été chef d’atelier aux Beaux-Arts pendant quelques années et depuis 2003 il vit à Gand en Belgique.
Son travail est très varié dans ses modes d’expression, et joue sur le mélange des cultures. On a vu à L’Isle-sur-la-Sorgue avec « Africonda » (2014) un énorme serpent de tissu coloré lové sur des pics de bois avec un masque d’anaconda. Ses poupées Marthine transposent dans le verre de Murano les formes des anciens fétiches.
Reverse City 2009 Ce portique de crayons de couleur géants avec sur chacun d’eux le nom d’un pays;
Voir également :
– Kid mascarade cette photo montrant des enfants africains affublés de masques de Walt Disney.
– Plansone duty free où ces objets jetés et récupérés au Cameroun.
En 2020 avec l’installation Escka, il évoque une catastrophe ferroviaire au centre du Cameroun en 2016 à Escka, suite à la découverte de gisements d’orpaillage. Sous une charpente de bambou, ses poupées de verre colorées sommeillent sous des feuilles mortes avec des clignotements qui les menacent.
Barthélémy Toguo, né en 1967 au Cameroun vit entre le Cameroun, Düsseldorf et Paris. Il est sculpteur, peintre, graveur. Après des études aux Beaux-Arts d’Abidjan en Côte d’Ivoire, il a poursuivi à l’école supérieure d’art de Grenoble, puis à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf. Il a connu le succès à partir de la Biennale de Lyon de 2000.
Climbing down est fait de lits empilés et de cabas à carreaux qui pendent. Au pied du lit d’en bas des valises. Evocation de l’exil, du départ et de l’habitat précaire.
– Road To exil (2008) est une barque en bois, transportant des ballots de tissu multicolores, qui est posée sur un lit de bouteilles, qui évoquent l’eau ainsi que la fragilité.
C’est aussi l’exil qu’il évoque dans ses aquarelles, ainsi que les drames des migrants.
Urban requiem (2015), ce sont d’énormes tampons en bois, de type de ceux utilisés par l’administration des douanes et des préfectures portant les inscriptions : “sans-papiers”, “réfugiés”, “sinistrés”, “sans état”, “clandestin”, “refoulé”, “expulsé” ; huit échelles d’acier supportent 64 tampons en bois.
Water mater 2020, thème de la difficulté à s’approvisionner en eau en Afrique. Une silhouette, bouche ouverte vers le ciel, d’où s’échappent des filets d’eau qui partent rejoindre des récipients placés de part et d’autre. L’homme a six bras, il remplit généreusement les récipients.
Autre thème récurrent de son travail, le rapport entre l’homme et la nature, la terre et les plantes.
Barthélémy Toguo Human Nature 2 (2019) acrylique et aquarelle sur toile 56 x 41 cm.
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Voir également :
– Déluge VI (2016), Encre sur papier marouflé sur toile, 200 x 200 cm
– Homo Planta, (2018), acrylique et aquarelle sur toile 56 x 41 cm
Voir d’autres oeuvres de Barthélémy Toguo
En 2017 il a réalisé une fresque géante de 200 carreaux de grès intitulée « célébration« , pour la station de métro Château-Rouge à Paris dans le 18e ligne 4, le quartier où il a vécu entre 1988 et 2002.
En 2008 il a ouvert dans son pays natal un espace (Bandjoun station) dédié à explorer les solutions pour que l’Afrique se réapproprie sa contribution à l’art contemporain international, ainsi qu’un volet agricole commerce équitable, qui produit des haricots rouges, du maïs, des bananes et du café.
Voir d’autres oeuvres de Barthelemy Toguo.