Les fleurs dans l’art moderne et contemporain

Pourquoi ce sujet aujourd’hui ? Parce qu’à quelques jours de la Saint-Valentin, l’amour peut se dire avec des fleurs, mais aussi parce que ces derniers temps, on constate une “floraison” de peintures de fleurs chez les artistes contemporains, alors que longtemps, ce sujet a été considéré comme un genre mineur de la peinture, et laissé aux peintres du dimanche. Les fleurs ont une histoire mythologique, religieuse, symbolique, sociale, et même politique parfois, et certaines ont particulièrement inspiré les artistes….
Intervenante : Agnès Ghenassia

Le tournesol un mythe grec raconte que Clytia, amoureuse d’Apollon, le dieu du Soleil, chaque jour elle levait les yeux vers le ciel pour voir le char de feu qui allumait et éteignait la lumière du jour. Mais celui-ci c’était détournée d’elle pour l’amour de Leucothoé, fille du roi babylonien Orchamos. Vexée Clythia a dénoncé à Orchamos, la liaison de sa fille. Saisie de fureur, le roi l’a fait ensevelir vivante ! Depuis Clythia, honteuse et désespérée, passe son temps à suivre du regard la course du char de son Dieu bien-aimé, et peu à peu se transforme en fleur, en tournesol.


Charles de La Fosse Clytie changée en tournesol par Apollon 1688 huile sur toile 159 × 131 cm château de Versailles
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On voit à l’arrière le char du soleil.

Évelyne de Morgan Clytia, 1886-87 huile sur toile 106 × 44,5 cm
Voir d’autres représentations du mythe de Clythia.

Van Gogh n’avait pas attendu son séjour en Provence pour peindre des tournesols. Et en 1887, il a peint des tournesols coupés, fanés :


Vincent Van Gogh, Quatre tournesols coupés 1887, huile sur toile 100 × 60 cm, Kröller-Müller Museum, Otterlo
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Nature morte avec quatre tournesols coupés et deux Tournesol coupés.
En 1888 à Arles, c’est pour décorer dans la “maison jaune” la chambre qu’il préparait pour accueillir Gauguin, qu’il a peint ses 4 premiers célèbres tournesols en bouquets.


Vincent Van Gogh, tournesols en bouquets 1888, huile sur toile 92 × 73 cm, Neue Pinakothek, Munich
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Voir les tournesols de Van Gogh

Il y en a eu 7 en tout entre août 1888 et janvier 1889 et l’un d’eux a été détruit en 1945 dans un bombardement. Les titres : vase avec deux tournesols, vase avec trois tournesols, vase avec 12 tournesols, vase avec 5 tournesols, vase avec 14 tournesols
Il y en a eu 7 en tout, entre août 1888 et janvier 1889, et l’un d’eux a été détruit en 1945 dans un bombardement.
Van Gogh adorait le jaune de chrome. Certains disent aussi que l’absorption de digitale avec laquelle on soignait son épilepsie avait pour effets secondaires, une vision teintée en jaune …


Paul Gauguin – Vincent van Gogh peignant des tournesols 1888, huile sur toile 73 × 91 cm, Musée Van Gogh Amsterdam
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Paul Gauguin van Gogh peignant des tournesols.
Lorsque après le drame de cette cohabitation, Gauguin s’est retrouvé à Tahiti, puis dans les îles Marquises, il fait planter des tournesols qui sont présents dans plusieurs de ses toiles, toutes réalisées en hommage à Van Gogh.
Tournesols sur un fauteuil 1901
Femmes et tournesol 1890
nature morte avec espérance 1901

En 1996 Anselm Kiefer (né en 1945), installé à Barjac dans les Cévennes, s’est pris de passion pour les tournesols (il en a fait venir d’énormes du Japon).


Anselm Kiefer – Robert Fludd 1992
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Les tournesols de Kiefer sont noirs et ont pour l’artiste une fonction bien précise, celle d’incarner la philosophie de Robert Fludd, un humaniste anglais de la Renaissance, médecin, astrologue qui s’est attaché à chercher des correspondances entre les planètes et le corps humain. Fludd pensait que chaque plante de l’univers avait son étoile correspondante dans le firmament, établissant une connexion entre le monde microscopique de la terre, et le monde macrocosmique du ciel. Ses oeuvres sont de grands formats.


Anselm Kiefer – Les ordres de la nuit, (1997) Acrylique et émulsion sur toile 514 x 503 x 8 cm Musée Guggenheim Bilbao
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L’artiste se représente, un corps couché sous des tournesols, comme sous les étoiles. Kiefer investit Le tournesol du pouvoir de transmission de la vie, avec ses graines noires qui vont féconder le sol et faire renaitre la vie. C’est en ce sens qu’il les associe à de nombreuses sculptures, de livres de plomb ou autres, avec l’idée de la vie sera toujours recommencée grâce à ces graines de tournesol.
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Anselm Kiefer – Danaé (2008) Plomb, tournesols en aluminium,
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Danaé (2008) Plomb association de divers matériaux.
Voir Athanor, réalisé pour le musée du Louvre.


Anselm Kiefer – Que mille fleurs s’épanouissent
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Que mille fleurs s’épanouissent (2002) immense fresque de 7m. L’artiste fait référence ici à la campagne des « cent fleurs » lancée par Mao en 1956 : « Que cent fleurs s’épanouissent, que cent écoles rivalisent !  » on voit la figure de Mao qui sème des tournesols.


« Kiefer & Rembrandt » Rijksmuseum 2011
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En 2011, invité à intervenir au Rijksmuseum d’Amsterdam, il a choisi d’installer devant la ronde de nuit de Rembrandt (1642), des tournesols géants, desséchés, réalisés en résine sur un sol craquelé. Leurs tiges se dressent en écho aux hallebardes de la milice dans le tableau de Rembrandt et au centre, il a placé une chaise de jardin, en hommage à Van Gogh dit-il.

En 2018, dans le cadre de l’exposition “au-delà des limites”, à la Villette, les spectateurs pouvaient évoluer parmi des tournesols géants entièrement virtuels.


Anselm Kiefer au delà des limites La Villette 2018
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En 2019, Philippe Cognée (né en 1957), bien connu pour sa technique particulière (une peinture figurative à la cire, qu’il chauffe ensuite à la pattemouille pour obtenir des déformations et des effets de flou), a entrepris une série de grandes peintures de fleurs fanées, à la limite de la décomposition. Il appelle cette série “Carne dei Fiori ». Elles mesurent entre un mètre 50 et un mètre 80 de hauteur et prennent une dimension presque inquiétante et très charnelle. Deux de ces peintures sont consacrées à des tournesols.


Philippe Cognée – Carne dei Fiori

Ces oeuvres prennent une dimension charnelle assez mystérieuse.

L’iris en grec signifie arc-en-ciel d’où le mot d’irisé. Il est lié à la messagère des dieux entre le ciel et la terre, Iris, souvent représentée avec un arc en ciel.


Michel Corneille la jeune iris et Jupiter 1701 huile sur toile 110 x 100.6 cm Grand Trianon Paris
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Michel Corneille le jeune iris et Jupiter

Sir Laurence Alma-Tadema Iris parmi les ruines 1904 huile sur toile 24 x 39 cm

Sous Clovis, c’est d’abord l’iris qui symbolisait la monarchie française, car lors d’une bataille contre les Wisigoths, des iris jaunes stabilisant un endroit des berges de la Vienne en crue, ont indiqué le passage pouvant être franchi par les armées franques. Au 15e siècle, les peintres flamands associaient parfois l’iris à la Vierge exemple :


Hugo van der Goes le retable Montfort 1470 peinture à l’huile sur chêne 147 × 242 cm Gemäldegalerie, Berlin
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Hugo van der Goes le retable Montfort 1470 voir un détail (en bas à gauche)
l’iris a été très à la mode dans l’art nouveau autour de 1900.
Voir également :
Elisabeth Sonrel Iris
Alphonse Mucha Iris.

Il apparaît sur des vitraux Tiffany de 1908, sur des vases de Gallé en pâte de verre.
Le Japon célèbre cette fleur depuis le 6e siècle, et tous les 5 mai, on suspend des Rameaux d’iris à l’entrée des maisons pour les protéger. Aujourd’hui les Sentos (bains publics) proposent ce jour-là à leurs clients de se baigner nus avec une couronne d’iris.
Les impressionnistes connaissaient le paravent d’Ogata Korin (1701) avec ses Iris sur fond de feuilles d’or, ainsi que les estampes japonaises largement diffusées à Paris à la fin du 19e siècle.


Vincent van Gogh, iris, 1889 Huile sur toile, 74,3 × 94,3 cm, J. Paul Getty Museum, Los Angeles
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C’est ainsi qu’en 1889, Van Gogh, cette fois en traitement à Saint-Rémy, à peint ses célèbres iris. Voir un commentaire.


Iris, de Vincent van Gogh

En 1894 Paul Signac, iris traités avec une grande liberté de geste pour l’époque.

Et à partir de 1900, Monet à Giverny, où il était installé depuis 1883 (jusqu’à sa mort en 1917) a installé pendant 40 ans, ce que Marcel Proust appelait son “jardin coloriste”, faisant venir des plantes de France, d’Angleterre, et même du Japon.


Claude Monet, les iris dans le jardin de Giverny, 1900 huile sur toile 81,6 × 92,6 cm musée d’Oray
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Les iris y sont nombreux et figurent dans de nombreuses toiles. Voir également :
Le chemin à travers les Iris 1914 huile sur toile
Iris jaune avec nuage rose 1918 huile sur toile
Iris jaunes 1928 huile sur toile 130 x 152 Musée Marmottant.

Son complice en jardinage, c’était Gustave Caillebotte qui à partir de 1887, avait créé lui aussi son petit paradis. Les deux peintres s’échangeaient des bulbes et des adresses de pépiniéristes. Malheureusement, Caillebotte est mort en 1894 à 45 ans, et n’a pu voir les nymphéas de son ami.


Gustave Caillebotte, iris bleus du jardin de Gennevilliers 1892 huile sur toile 55,2 × 46,3 cm Musée des beaux arts de l’Ontario
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Matisse à dessiné et peint d’innombrables bouquets qu’il savait mettre en scène, tout en privant les fleurs de leur volume, pour mieux les fondre dans le décor.


Henri Matisse Vase d’iris 1912 Huile sur toile. 117.6 x 100 cm musée de l’Ermitage St Petersbourg
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Georgia O’Keeffe (1887-1986) à peint près de 200 fleurs entre 1920 et 1950 (dont trois sont consacrées aux Iris). Elle les peignait comme si elle zoomait avec un appareil photo, en très gros plan, occupant tout l’espace de la toile, et beaucoup y ont vu des représentations du sexe féminin, ce qu’elle a toujours réfuté. Voici comment elle explique l’origine de cette série florale : “Dans les années 20, d’immenses immeubles poussaient en l’espace d’une nuit à New York. C’est à ce moment-là que je vis un tableau de Fantin Latour, une nature morte avec des fleurs, que j’ai trouvé très belle, mais je sentais que si je peignais ces mêmes fleurs si petites, personne ne les regarderait, car personne ne me connaissait. Alors j’ai pensé que je les peindrais comme ces immeubles, immenses. Les gens seraient surpris, ils seraient obligés de les regarder, et c’est ce qui arriva« .
A l’occasion d’une autre interview elle a déclaré : « Je déteste les fleurs, mais se sont des modèles qui ne bougent pas et qui reviennent moins chers que les modèles vivants« .


Georgia O’Keeffe Lavender iris 1951 Huile sur toile 61 x 50.8cm
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Des fleurs donc, vues à hauteur d’un insecte pollinisateur qui se jetterait dedans avec volupté.
Voir également :
Iris blanc 1930
Black iris 1926.

Patrick Neu est un sculpteur français né en 1963. Il travaille le verre, le cristal et toutes sortes de matériaux.
En parallèle, depuis 1990, chaque année pendant 15 jours du mois de mai, il réalise à l’aquarelle des iris dont il s’efforce de traduire la transparence et la fragilité.


Patrick Neu Iris 2012, aquarelle sur papier, 38 x 29 cm
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Voir l’iris dans la peinture.

Le lys et l’amaryllis. Selon une légende grecque, Héra en allaitant Eracles, (Hercule enfant, le fils de Zeus) a laissé tomber de son sein deux gouttes de lait, l’une dans le ciel donna naissance à la Voie Lactée, l’autre au sol à un lys blanc, d’une grande pureté. Aphrodite, jalouse, y ajouta un pistil jaune à connotation sexuelle.


Rubens Héra allaitant Héraclès et formant la Voie Lactée 1636 huile sur toile 181 × 244 cm Musée du Prado Madrid
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Le lys est associé à la royauté en France depuis le 12e siècle jusqu’à la Révolution.
Enluminure Louis VII lors de la deuxième croisade XIVéme siècle BNF.
Le couronnement de Philippe Auguste vers 1180
et dans la religion catholique, le lys est associé au culte de la Vierge, comme symbole de pureté et de chasteté.


Sandro Botticelli Marie avec l’enfant et les anges chanteurs vers 1477 huile sur bois Diamètre : 136,5 cm Gemäldegalerie (Berlin)
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On voit les lys blancs de part et d’autre de la Vierge.

Dans toutes les Annonciations, c’est tantôt l’ange Gabriel qui tient le branche de lys (>Filippo Lippi 1435), tantôt c’est un bouquet de lys qui est posé au pied de la Vierge (Martin Schongauer 1472)

Cette symbolique de la pureté (associée à l’image d’enfants, et de jeunes filles) domine jusqu’au 19e siècle et beaucoup plus chez certains.