En 1863, pour une nouvelle édition française de l’Œuvre de Cervantès, Gustave Doré réalise 370 eaux fortes, illustrant chaque épisode de l’épopée, et lui aussi commence par Don Quichotte dans sa bibliothèque.
Ce n’est pas le vieil homme un peu gâteux qu’il a représenté ; c’est un quinquagénaire résolu, digne, fier, qui va s’autoproclamer chevalier. Les gravures de Gustave Doré, illustrateur de romans d’aventures et de contes, s’attachent de très près au texte, dont elles restituent les changements d’ambiance, les moments forts, sans jamais caricaturer ou ridiculiser le personnage.
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En effet, considéré au départ comme un roman comique, il est apprécié différemment au XIXe siècle : on y voit un commentaire social, on apprécie l’éthique de cet homme qui brave seul le monde entier. Gustave Doré fait vivre Don Quichotte, son héros romantique profondément attachant.
Honoré Daumier, à peu près à la même époque, avait une notoriété de caricaturiste, mais c’était aussi un peintre et, indépendamment de toute commande éditoriale, il s’est confronté au personnage de Don Quichotte dans la dernière partie de sa carrière. Il a peint plusieurs toiles très sobres, presque graves.

Honoré Daumier Don Quichotte 1868 huile sur toile 51 × 32 cm musée d’Otterlo, Pays-Bas
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Honoré Daumier Don Quichotte lisant 1866 huile sur toile 82,2 x 65 cm Musée national du pays de Galles
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Lui aussi a montré Don Quichotte lisant, sans aucun accessoire, et très souvent la chevauchée du chevalier errant et de Sancho Panza, variant les lumières dans des paysages dépouillés qui ont un caractère d’universalité.
Daumier, s’il ne raconte pas les épisodes cocasses ou dynamiques, traduit bien le rapport à la nature, très préservé dans le livre : longues descriptions du paysage, plaisir de dormir à la belle étoile, d’être en communion libre avec les éléments.
Voir également :
– Le chevalier du monde moderne : Don Quichotte par Daumier 1
– Le chevalier du monde moderne : Don Quichotte par Daumier 2
– Don Quichotte et la mule morte (Musée d’Orsay).
Des visions dynamiques de Don Quichotte, il y en a beaucoup également. José Guadalupe Posada, un artiste mexicain, en 1903, l’insère dans la tradition de la fête des morts mexicaine, si populaire, et en fait un squelette vivant.
Salvador Dalí aussi met l’accent sur le dynamisme. Bien sûr, il s’est très tôt intéressé au personnage dont il comprend, mieux que tout autre, les épisodes délirants.
En 1935, il fait une série de dessins et de tableaux sur le chevalier, qu’il représente maigre, mais jeune comme lui en 1935.
Dans un dessin à l’encre de Chine, il est courbé parce que, dit Dalí, il lui a été inspiré par la silhouette du rocher mou de Cullero, qui ressemble à un chevalier sur sa monture.
Vingt ans plus tard, en 1957, il est chargé d’illustrer une nouvelle édition du roman pour Joseph Foret. Pour médiatiser ce nouveau projet, il s’est installé à Montmartre, devant le Moulin de la Galette, avec une voiture des quatre saisons sur laquelle il transportait du matériel lithographique, mais aussi du pain et des cornes de rhinocéros. Il a fait venir la presse, bien sûr, et deux sosies de Don Quichotte et de Sancho Panza sur leurs montures qui caracolaient devant les spectateurs.
Voici ce que rapportait un journaliste de l’époque : « Enfin, cette semaine, l’ineffable Salvador Dalí a commencé à Paris l’illustration d’une nouvelle édition du regretté Cervantès. Au Moulin de la Galette, devant les doublures des deux principaux acteurs des mortelles épopées, il a tracé les lignes maîtresses du futur chef-d’œuvre. Qu’on ne s’y trompe pas, la nouvelle de Dalí s’appuie sur tous les concepts cosmiques et répond à toutes les exigences de sa réalité paranoïaque transcendante. » Salvador Dalí d’ailleurs, sans s’en tenir là, a procédé au sacre
d’une « Miss Chair de Poule ».
Dalí en profite pour innover techniquement. Lorsque le corps de Don Quichotte est fait d’une suite de rondelles, il utilise une boule de cire pâteuse à partir de laquelle il crée des spirales et fait couler l’encre lithographique. Dans d’autres lithographies, il pratique le boulottisme ou l’éclaboussure immaculée dont il explique le principe : À Montmartre, devant la foule délirante, j’ai rempli de mie de pain trempée dans l’encre des cornes de rhinocéros évidées, puis je les ai écrasées sur la pierre. Miracle dont il faut remercier Dieu à genoux, les cornes de rhinocéros avaient dessiné les deux ailes éclatées d’un moulin.
Son Don Quichotte est jeune, de dos, les bras levés en V, le crâne rasé sur lequel est posé en équilibre un autre lui-même, une lance surmontée d’un papillon dans la main droite, un plastron pour habit. Il contemple au loin un paysage, tandis que devant lui, sous forme d’images et de taches noires, apparaissent un géant et les ailes brisées d’un moulin à vent, confondus dans
une même vision.
L’originalité, c’est que Don Quichotte n’est plus un vieil hidalgo, mais un jeune héros qui domine le monde.
Dans d’autres lithographies, Don Quichotte, un gland à la main, évoque l’âge d’or.
Dalí est encore revenu sur ce thème en 1956 avec notamment La Tête éclatée de Don Quichotte.
Voir les illustrations de Daumier et Dali.
Roc Riera-Rojas (1913-1992), un illustrateur espagnol, en a donné une version très stylisée, un peu géométrisée.
Voir d’autres oeuvres.
Octavio Ocampo est un peintre mexicain né en 1943, spécialiste des portraits biomorphiques. Il a fourni deux portraits de Don Quichotte qui auraient certainement plu à Dalí.