Comment expliquer l’immense succès international d’un roman espagnol paru en 1605 et 1615, traduit en 140 langues, qui a inspiré des musiciens, des chorégraphes et d’innombrables peintres et illustrateurs ?
Don Quichotte, personnage individualiste, tragi-comique, est en quête d’un monde qui n’existe plus : la réalité prosaïque fait obstacle à la force de ses utopies. Mais cet anti-héros transcende son époque car il est porteur de valeurs universelles de générosité, de courtoisie, de hardiesse: il incarne la vie sous forme d’une lutte entre le réel et l’idéal.
De Gustave Doré à Gérard Garouste, et jusqu’à la dernière performance d’Abraham Poincheval, les artistes ont interprété toutes les facettes de cette figure mythique, que nous découvrirons ensemble… avant que le MUCEM, d’octobre 2025 à mars 2026, ne lui consacre une exposition intitulée « histoire de fou, histoire d’en rire« .
Intervenante : Agnes Ghenassia
Le roman Don Quichotte
Dans un village de la Manche, dont l’auteur ne veut pas dire le nom, un vieux garçon frisant la cinquantaine, vivant seul, entouré de sa nièce et d’une gouvernante, Alonso Quijana, à l’instar du héros de chevalerie dont il est un lecteur éperdu, décide de devenir chevalier errant sous le nom de Don Quichotte de la Mancha. Il fourbit ses armes et baptise son vieux cheval du nom de Rossinante. Mais un chevalier errant sans amour est un arbre sans feuilles et sans fruit. Il choisit une fille de laboureur dans un village voisin, Aldonsa Lorenzo, qu’il rebaptise Dulcinée de Toboso, son village. Première sortie, armé de pied en cap. Il se propose de se faire nommer chevalier par le premier qu’il rencontrerait. Après une chaude journée de juillet, il arrive à une taverne qu’il prend pour un château. Les deux filles de joie qui s’y trouvent et le tavernier se prêtent au jeu et, au matin, le sacrent chevalier en lui donnant l’accolade et un coup du plat de son épée.
Don Quichotte et les arts plastiques
Dans l’incroyable richesse de ce roman, les peintres n’occupent que trois petits paragraphes et sont ridiculisés. Ce sont des barbouilleurs ou des paresseux. Pourtant, le personnage de Don Quichotte et ses aventures n’ont cessé d’inspirer les artistes, au point que sa silhouette sur son cheval Rossinante et celle de son écuyer Sancho Panza sur un âne sont immédiatement reconnaissables dans le monde entier.
Ainsi, en quelques tracés d’encre de Chine, Picasso,
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puis Antonio Saura, en 1987, a réalisé 125 dessins à l’encre de Chine sur ce sujet pour une édition publiée à Barcelone.
John Vanderbank, un peintre anglais, a réalisé au XVIIIe siècle des gravures pour une édition anglaise en 1738.
Ici, on voit Don Quichotte méditant dans sa bibliothèque. En effet, Don Quichotte n’est pas seulement cet illuminé partant à l’assaut des moulins et autres aventures que chacun connaît ; c’est un lettré, un érudit même, qui a passé de longues années plongé dans ses livres de chevalerie et de poésie antique. Il est donc souvent montré comme Faust au milieu de ses livres.
Adolph Schroedter, en 1834, a peint Don Quichotte lisant dans un fauteuil.

Adolph Schroedter Don Quichotte 1834 huile sur toile 54,5 x 46 cm Alte Nationalgalerie Berlin
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Goya également le présente ainsi, dans un dessin de petit format (24 x 18 cm) réalisé en 1860, assis à une table en train de lire, assailli par ses visions.

Goya Don Quichotte 1860 illustration de Don Quichotte The Elisha Whittelsey Collection
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Don Quichotte, en effet, finit par ne plus faire de différence entre le réel et l’imaginaire. Ce dessin de Goya est très proche, dans l’idée, de sa célèbre gravure Le sommeil de la raison engendre des monstres. Et visiblement, ce dessin a fait école :
En mai 1905, un illustrateur anonyme du Petit Journal présente en couverture Le rêve de Don Quichotte, un livre dans la main, une épée dans l’autre.
En 1933, Enric Christopher Risart, graveur et peintre catalan qui illustre une édition anglaise du roman, sature l’espace de visions de chevaux, de personnages ailés, etc.

Enric Christopher Risart Don QuichotteEnric Christopher Risart
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Et plus près de nous, Albert Dubout, dans une vision plus caricaturale, met l’accent sur le fait que ce sont de vieux livres, ceux d’un temps révolu dont Don Quichotte voudrait justement réincarner les héros.
Charles-Antoine Coypel, au début du XVIIIe siècle, a illustré en peinture les principaux épisodes de l’histoire de Don Quichotte, qui ont été traduits en tapisserie par la Manufacture Royale des Gobelins, réalisant 175 pièces. Ce travail a fait l’objet d’une exposition récente.

Charles-Antoine Coypel Don Quichotte au bal chez don Antonio Moreno 1731 carton de tapisserie 164 x 266 cm Le Louvre Paris
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