Une autre allée des marronniers est peinte sur le côté, avec à l’horizon la montagne Sainte-Victoire qui aspire Cézanne.
John Rewald a photographié cette allée.
En comparant les branches des arbres sur la photo et sur le tableau, on constate que Cézanne n’invente pas le mouvement des branches, mais suit fidèlement son motif.
Il peint également le bassin, un tableau qui a disparu en 1940-1941, mais qui réapparaît miraculeusement.

Paul Cézanne bassin du Jas de Bouffan vers 1876 huile sur toile 46,1 × 56,3 cm musée de l’ermitage
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Caché dans une cave à Berlin, il est récupéré par les Russes en 1945. Ceux-ci l’entreposent dans les réserves du musée de l’Ermitage. Ce n’est qu’après la chute du mur de Berlin, en 1990, que l’existence de ce tableau est redécouverte
La société Paul Cézanne a réalisé le catalogue raisonné qui recense, pour chaque œuvre, les propriétaires, les ventes effectuées ainsi que la bibliographie connue. Ce tableau reste propriété russe.
Cézanne va peindre l’Allée des marronniers, le Bassin et la bastide.

Paul Cezanne, Maison et ferme du Jas de Bouffan, 1885-1887. Huile sur toile, 60,8 x 73,8 cm. National Gallery Prague
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Arrêtons-nous sur cette dernière : légèrement inclinée sur la gauche, elle semble inviter au chaos, tout en étant stabilisée par la peinture. La bastide est colorée, entourée de verdure, avec un toit rouge vif, des volets bleus et une ferme évoquant un jeu de construction. On y perçoit une influence du fauvisme, dans le travail des couleurs, et du cubisme, dans le jeu des formes et des constructions, voire une tendance au monochrome. Ce tableau, peint en 1886, correspond à l’année de la mort du père de Cézanne. On peut associer cette œuvre à cet événement. La bastide présente des ouvertures donnant sur des pièces sombres, évocatrices d’une intériorité silencieuse.
Cézanne ne représente jamais de personnages dans ses paysages. Ses paysans, au lieu de travailler, jouent aux cartes ou sont accoudés. Il pratique une sorte d’archéologie du paysage contemporain, où il évite de témoigner de la vie sociale, économique ou industrielle de son époque. Cézanne ne raconte rien, il positionne, il montre, offrant une éternité à ses compositions. Lorsqu’il inclut un viaduc ou une cheminée dans ses tableaux, ces éléments semblent devenir des fragments de monuments antiques, loin de l’approche impressionniste de ses contemporains comme Caillebotte, avec ses rameurs, ou Renoir, avec ses jeunes filles.
Un exemple frappant est un tableau montrant un paysan devant un paravent.

Paul Cézanne paysan à la blouse bleue 1896-97 huile sur toile 81.5 x 64.8 cm Musée d’Art Kimbell Texas
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Ce vieil homme semble masquer un jeune homme peint sur le paravent, peut-être une œuvre antérieure de Cézanne lui-même, où un jeune homme courtisait une jeune fille. Ici, le contraste entre la jeunesse passée et l’âge avancé reflète une méditation sur le passage du temps. La peinture devient statique, l’émotion retenue, exprimée en silence.

Paul Cézanne le fumeur de pipe 1891 huile sur toile 92.5 x 73.5 cm musée de l’Ermitage St Petersbourg
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Dans ce tableau, le paysan est accoudé. Derrière lui, une toile représente un meuble avec une bouteille, probablement une œuvre de jeunesse de Cézanne, non encadrée et punaisée au mur.
Au-dessus du chapeau du paysan, une autre peinture, plus difficile à décrypter, révèle des traces de baigneurs que Cézanne a esquissés. On distingue le bas d’un baigneur assis, ses pieds sur le sable, et, à droite, la silhouette d’un baigneur debout. Ces études aboutiront ultérieurement au tableau des Grandes Baigneuses. Malheureusement, certaines parties du tableau, comme l’angle tout à gauche, restent mystérieuses et inaccessibles.
Cézanne se réfère souvent à ses propres œuvres, qu’il intègre dans ses nouvelles peintures.

Paul Cézanne L’homme aux bras croisés 1899 huile sur toile 92 x 72.7 cm Solomon R. Guggenheim Museum New York
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Voir un commentaire (socièté Paul Cézanne).
Ce tableau, où l’on retrouve un visage difforme et un regard insolite, sera exposé au musée d’Aix. On y voit des éléments typiques de l’univers de Cézanne, comme une palette et un châssis de tableau placés en bas à gauche, dans un espace évoquant un atelier. Cela rappelle l’atelier des Lauves, construit par Cézanne.
Il s’entoure alors de papiers peints, qui deviennent des points de référence visuels, illustrant une peinture parfois perçue comme décorative.

Paul Cézanne Paysan assis 1900-1904 huile sur toile 70 x 60 cm Musée d’Orsay
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Il installe ses personnages avec une approche proche de l’autoportrait, jouant avec des identités multiples à travers ses compositions
Dans cette série, on évoque évidemment le Jas de Bouffan. Il y a notamment la série des Joueurs de cartes. Bruno Ely pense que ces tableaux ont été peints dans le grand salon, mais je penche plutôt pour la ferme. Si cela avait été dans le grand salon, on aurait vu les tableaux que Cézanne avait accrochés aux murs. L’incertitude demeure quant au lieu exact où ces toiles ont été réalisées. Tout ce que l’on sait, c’est qu’elles ont été peintes au Jas de Bouffan.

Paul Cézanne les joueurs de cartes entre 1890 et 1892 Huile sur toile 135,3 x 181,9 cm Philadelphie, Fondation Barnes
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La première version montre trois joueurs. Mais chez Cézanne, on dépasse cette étape pour tendre vers une abstraction, jusqu’à arriver à deux joueurs, qu’il peint trois fois.

Paul Cézanne Les Joueurs de cartes, vers 1890-95, huile sur toile 47.5 x 57 cm musée d’Orsay
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La lumière semble venir du bas, comme sur une scène de théâtre. Bruno Ely y voit une référence aux tableaux du grand salon, mais cela reste incertain. Regardez les morceaux de bois derrière le joueur de cartes à droite : à quoi correspondent-ils ? Une porte de placard, peut-être ? Malgré tout, l’ensemble tient. Les cartes, sans couleur, rappellent déjà le carré blanc sur fond blanc de Malevitch.
Avec Cézanne, il y a une volonté d’atteindre l’absolu. Pour représenter deux joueurs de cartes, il ne faut pas raconter une histoire. Pas de tricheur, comme chez Caravage. Le jeu auquel ils jouent importe peu. L’un est rigide sur sa chaise, l’autre légèrement penché. Une fois cet absolu atteint, Cézanne passe à autre chose et ne revient plus sur ce sujet.
Il adopte une démarche similaire avec les natures mortes. Dans une première nature morte de 1866, il cherche encore la composition.

Paul Cézanne Nature morte, sucrier, poires et tasse bleue, vers 1865 Huile sur toile, 25,8 x 20,8 cm – Musée Granet, Aix-en-Provence
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L’assiette semble prête à basculer, les pommes à tomber. Le vase s’accorde avec la bouteille paillée, tandis que la cruche à gauche est vue de dessus, et le vase paillé, de côté. En haut à droite, un carré blanc frôle déjà la peinture abstraite. Cézanne s’efforce de trouver la forme et la composition optimales.
Ici, il n’a pas encore réussi : la table n’est pas horizontale, la corbeille semble instable. Les éléments sont disparates : une grosse poire rouge, une poire jaune, une petite pomme. Cézanne joue avec des points de vue multiples.

Paul Cézanne nature morte avec des pommes 1895-98 huile sur toile 68.6 x 92.7 cm MoMA New York
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Ses tableaux ressemblent à des pièces de théâtre où chaque objet – cruche, canapé, fruits dans une coupe – est soigneusement disposé.
Cézanne a également peint des baigneuses dans le grand salon du Jas de Bouffan.

Paul Cézanne baigneuses 1890 huile sur toile 29 x 45 cm Musée Granet Aix en Provence
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Le personnage assis n’est pas le même qu’ailleurs, mais on sent qu’il cherche encore une composition, un arrangement. Sans modèles sous les yeux, il s’inspire des dessins de Rubens. Deux groupes se dessinent : deux femmes se font face, un personnage s’avance vers elles. À l’arrière, une femme appuyée contre un arbre montre sa poitrine, tandis qu’une autre place ses bras derrière sa nuque. Il n’y a ni érotisme ni absence de sexualité. La femme à droite dévoile ses formes de manière plus affirmée. Deux femmes se regardent à gauche.
Ce tableau, commencé au Jas de Bouffan et poursuivi à l’atelier des Lauves, marque une transition.

Paul Cézanne les grandes baigneuses 1895-1900 huile sr toile 132.4 x 219.1 cm Fondation Barnes
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Voir un commentaire (Fondation Barnes)

Paul Cézanne baigneuses 1899-1904 huile sur toile 51.3 x 61.7 cm Art Institute of Chicago
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Les baigneuses deviennent transparentes, lumineuses. Leurs corps, définis par un trait bleuté, s’intègrent dans un paysage onirique.

Paul Cézanne devant les grandes baigneuses, atelier des Lauves
en 1904
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Voir une réflexion sur les baigneuses et baigneurs (socièté Paul Cézanne)
Je termine avec quelques images : le bassin du Jas de Bouffan, est accompagné d’une orangerie, ajoutée après l’époque de Cézanne, qui servira de salon de thé une fois ouvert au public.
L’Allée des marronniers, autrefois verdoyante, est aujourd’hui plus sèche.
Le salon nord de la bastide abrite Léda et le cygne, actuellement en cours de restauration.
Voir de plus près.
Cézanne s’en est inspiré pour ce tableau, réalisé entre 1880 et 1882,

Cézanne Léda et le cygne vers 1880 huile sur toile 59,7 × 74,9 cm Fondation Barnes
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En s’inspirant d’une étiquette de bouteille représentant Lèda avec un cygne.

Femme nue et poires (Leda II), 1885-1887 – Von der Heydt-Museum, Wuppertal
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Dans une autre version ici, il n’y même plus le cygne comme si Cézanne souhaitait s’éloigner des anecdotes et même de la mythologie, pour composer une œuvre plus abstraite. Dans ce tableau, on retrouve une nature morte, illustrant l’approche expérimentale de Cézanne, qui ne s’attachait pas toujours à terminer ses œuvres. Ce thème sera réutilisé dans ses séries de baigneuses, notamment Les Grandes Baigneuses.
Avec les Joueurs de cartes, Cézanne atteint l’objectif qu’il s’était fixé, tout comme pour ses natures mortes.

Cézanne Les Grandes Baigneuses 1900-1906 huile sur toile 208 × 249 cm Philadelphia Museum of Art
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Pour les grandes baigneuses, le tableau conservé aujourd’hui au musée de Philadelphie témoigne de cette quête aboutie, bien qu’on perçoive dans l’inachèvement des figures féminines, à droite, que son travail n’était pas totalement finalisé.
Un élément symbolique complète cette histoire : Cézanne a habité la bastide de 1866 à 1899, où son père lui avait fait construire un atelier.
Une photographie datant de 1935 montre cet atelier, considéré alors comme une « verrue » sur la façade de la bastide. Plus tard, les Corsy ont détruit cet atelier. Cependant, grâce à une autorisation des monuments historiques, il a été possible de reconstruire l’atelier tel qu’il existait à l’époque de Cézanne, à partir de cette photographie.
Aujourd’hui, la façade nord de la bastide présente des éléments modernes, comme un balcon en ferronnerie, réalisé par Cyril Rougier, qui n’existait pas du temps de Cézanne. La bastide a été transformée sous les Corsy en une maison noble, accueillant parfois des concerts.
Enfin, l’atelier avec sa verrière, restitué avec soin, est visible sur une photo contemporaine aux côtés de Philippe Cézanne, arrière-petit-fils du peintre.
Voir également : « Cezanne au Jas de Bouffan » – Exposition événement cet été au musée Granet
Expo Cézanne 2025
Résumé de l’intervention
En préambule à l’exposition « Cézanne au Jas de Bouffan » qui se tiendra du 28 juin au 12 octobre 2025 au musée Granet, cet exposé vise à comprendre les liens entre Cézanne et la proprièté familale du Jaz de Bouffan.
Cézanne, aspirant à la reconnaissance à Paris, trouve son lieu pictural à l’Estaque et s’identifie à la Provence. Le Jas de Bouffan, propriété familiale, est son lieu de prédilection pendant quarante ans. Il explore également Gardanne, le Tholonet, Bibémus, l’Estaque et le Château Noir. L’atelier des Lauves, conçu pour la peinture, voit la création des « Grandes Baigneuses ».
Cézanne, perçu comme un ermite en Provence, incarne cette région dans son œuvre. Son lien avec la Provence dépasse la simple géographie, bien qu’il soit profondément attaché à son terroir. L’exposition de 2006, « Cézanne en Provence », a souligné cette connexion. John Rewald a documenté les lieux d’inspiration de Cézanne, comme le Jas de Bouffan et la montagne Sainte-Victoire.
Au Jas de Bouffan, Cézanne peint des panneaux décoratifs, dont « Les Quatre Saisons », et superpose des œuvres, transformant des scènes de jardin en nus provocants. Il peint également des thèmes religieux et des paysages, s’inspirant de gravures et de ses propres expériences.
Cézanne peint des paysages du Jas de Bouffan, comme l’allée des marronniers et le bassin, et une bastide, où il explore les formes et les couleurs. Il ne représente jamais de personnages travaillant, mais des figures statiques, méditant sur le temps.
Cézanne intègre des références à ses œuvres antérieures dans ses nouvelles peintures, créant un espace d’atelier. Il explore des thèmes comme les joueurs de cartes et les natures mortes, cherchant l’absolu dans la forme et la composition.
Il peint également des baigneuses, et crée des paysages oniriques. Le Jas de Bouffan, avec son bassin et son allée de marronniers, est un lieu central de son œuvre.
L’atelier de Cézanne au Jaz de Bouffan, reconstruit, est un symbole de son dévouement à la peinture. La bastide, transformée au fil du temps, conserve l’esprit de l’artiste.