En face d’elle, on trouve une confrontation intéressante avec Giulia Andreani née à Venise en 1985 qui vit à Paris. Elle est motivée par ce dialogue avec Madge Gill, et elle a réalisé 5 peintures inspirées de documents d’archives, mettant en lumière les femmes en Grande-Bretagne au début du 20e siècle, et le mouvement pour le suffrage des femmes à cette époque. Peintures de grands formats toujours avec ce gris bleu qui caractérise sa pratique et qui montre immédiatement qu’il s’agit de documents d’archive.
Elle a retrouvé une photo d’école au début du siècle.
Ici un atelier de couture (même coupe de cheveux pour toutes) tout le monde est très concentré sur son ouvrage.
Ici des travailleuses dans leur atelier.
Giulia Andreani Pretty Nacant 2014 huile sur toile 130 x 97.5 cm
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Deux figures de pionnières, pour le droit de vote des anglaises. Elle a reproduit le portrait de cette femme en ajoutant sur le côté une rangée de moines qui portent les masques de la peste à côté d’elle.
Giulia Andreani Pretty Nacant 2014 huile sur toile 130 x 97.5 cm
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Portrait d’Emmeline Pankhurst, féministe anglaise, elle lui a mis dans bouche une espèce d’ectoplasme. Pour le dessiner, elle s’est inspirée d’une sculpture de Menardo Rosso.
Joyce Joumaa libanaise née en 1998, elle vit à Montréal et présente une émouvante installation vidéo « Memory Contours » qui évoque le mouvement eugéniste aux États-Unis et ses effets sur les migrants arrivés dans les années 1900. On faisait passer des tests aux immigrants à Ellis Island pour identifier leurs déficiences mentales éventuelles.
Sur un test, les participants devaient de mémoire redessiner des formes, qu’on leur avait montré très rapidement, ce qui conduisait à l’expulsion de ceux qui n’avaient pas réussi le test.
On change de monde avec Andrés Curruchich (1891-1969) peintre autodidacte né au Guatemala, qui avec la « procession de la Saint-Jean« , montre les fidèles pieds nus portant des autels colorés agrémentés de plumes et de drapeaux.
Il rappelle que l’adoption du christianisme par les populations autochtones des Amériques a été un parcours complexe et conflictuel, avec des conversions forcées par privation des terres.
Paula Nicho Cumez, née en 1955 au Guatemala, est une peintre Maya qui exprime l’équilibre entre les mondes naturels et spirituels.
Elle peint des femmes qui sont des déesses de la fertilité, de la guérison ou du tissage, elle les montre nues, le corps peint de motifs géométriques indigènes, en réponse à l’interdiction qui lui était faite, quand elle était jeune, de porter des vêtements traditionnels.
Kay WalkingStick américaine née en 1935 de mère écossaise et de père Cherokee. Sur ses paysages montrant des sites touristiques qui autrefois appartenaient aux Indiens, elle réveille le souvenir de ces communautés déplacées et réinstallées dans les réserves en superposant des motifs traditionnels indiens en frise.
Abel Rodriguez colombien né en 1944. Il s’est fait une spécialité de peindre méticuleusement les arbres de la forêt amazonienne.
Il peint les arbres feuille par feuille.
Aycoobo (Wilson Rodriguez) son fils né en 1967 présente une femme âgée dans un état de conscience élargie provoquée par l’utilisation de plantes médicinales.
Il a réalisé un beau mandala qu’il appelle calendario où il associe le passage du temps aux conditions des forêts amazoniennes chaque mois de l’année, au processus agricole, et au monde sous-marin.
Voir un détail.
Joseca Mokahesi Yanomami est un brésilien né en 1971, en territoire autonome Yanomani, sur les terres indigènes. Ses travaux représentent les mythes et les chants chamaniques et des moments de vie quotidienne.
Il y a à foi des vivants, des chamanes et des esprits qui se mêlent dans ses peintures.
Et on termine avec l’installation vidéo de Gabrielle Goliath née en 1983 en Afrique du Sud. Elle a interrogé des individus noirs, bruns, autochtones, femmes, queer etc. qui tous ont subi du racisme et de la violence et ils ont fait le récit de leur traumatismes. Mais, avec leur raccord, elle a effacé leur voix, il ne reste que les expressions de visage et des gestes qui font partager leurs émotions.
Gabrielle Goliath Personal Accounts, 2024
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Avec leurs mains, avec leur visage ils expriment beaucoup de choses.
2 – Dans les Gardini
Quittons le pavillon central pour nous promener dans les Gardini. J’ai sélectionné quelques pavillons nationaux car l’ensemble serait trop indigeste. Là aussi, alors que les pays ne sont pas obligés de souscrire au projet d’Adriano Pedrosa, on constate que le sujet dominant est celui des exils et de leur migration.
La France a choisi Julien Creuzet né en 1987 au Blanc-Mesnil et il a passé son enfance en Martinique. Plasticien, poète, musicien, son installation est sans doute la plus poétique de la biennale. Le titre de son exposition à Venise est « Attila cataracte ta source au pied des pitons verts finira dans la grande mer gouffre bleu nous nous noyâmes dans les larmes marées de la lune« .
La façade néoclassique du pavillon disparaît derrière un écran qui offre une vision onirique de corps dans l’eau. A l’intérieur on s’est immergé dans un enchevêtrement de matériaux fragiles, de sculptures, de vidéos, mais aussi de musique, de sons qui semblent s’inviter à une expérience sensorielle en lien avec l’imaginaire martiniquais de l’artiste.
Voir d’autres images de l’installation de Julien Creuzet.
Les Pays-Bas donnent à voir des choses très précises. L’artiste choisit, Renzo Martens, a conçu l’ensemble avec une association installée à Lusanga en République démocratique du Congo, qui s’appelle « le Cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise » CATPC.
En 1911 Léopold II, roi des Belges et propriétaire du Congo, a accordé à la société anglo-néerlandaise Levers Brothers des centaines de milliers d’hectares pour s’y livrer, après la destruction des forêts natives, à l’exploitation de l’huile de palme. Pour les autochtones, cela s’est traduit par le travail forcé proche de l’esclavage, qui a duré jusqu’à l’indépendance. Lever Brothers est devenu Unilever, groupe industriel mondial. Le CATPC s’efforce de récupérer les terres épuisées par la culture des palmiers pour réintroduire une agriculture de subsistance. Que montrent ces sculptures ?
En 1931, le viol d’une femme par un agent territorial belge avait suscité une révolte populaire. L’agent colonial, Maximilien Balot, violeur a été décapité et démembré, ce qui a provoqué une répression féroce. Les scènes présentées évoquent cet épisode. une sculpture a été exécutée à l’effigie de Balot.
Pavillon des Pays Bas
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Le viol réalisé par Balot (disposé derrière un paravent).
… mais aussi les travaux agricoles, les animaux protecteurs, la fertilité… on dirait du bronze, mais non ! Elles ont d’abord été modelées en argile puis converties en impression 3D et moulées dans un mélange dense et sombre de cacao, d’huile de palme et de sucre.
L’Espagne a confié son pavillon à une artiste péruvienne, Sandra Gamarra Heshiki née en 1972 et qui interroge les récits coloniaux en s’inspirant de peintures et de gravures des 17e et 18e siècle. Elle revisite la présence des corps colonisés dans les tableaux exposés dans les grands musées espagnols.
Son exposition s’intitule « Pinacothèque migrante » car elle reconstitue l’ambiance d’un musée, pour mettre en valeur ceux qui dans l’Espagne des lumières, étaient réduits au silence. Ce sont des peintures à l’huile ocre rouge accompagnées de tissus.
Infante voir le détail de l’enfant noir à côté mains peintes en noir et fils d’or sur son visage.
Peinture accompagnée d’un tissu qui fait penser à une couverture de survie.
Les personnages sont quelque fois complètement recouverts de tissus.
Sur les côtés on trouve des photos de migrations contemporaines.
Elle montre aussi que dans les natures mortes de l’époque figuraient des poteries importées d’Amérique latine, ainsi que des fruits qui ne poussaient pas en Espagne.
Les États-Unis sont représentés par Jeffrey Gibson, un artiste américain d’origine Cherokee né en 1972, lui aussi il a métamorphosé la façade du pavillon avec des rouges saturés des aplats et des volumes.
À l’intérieur, des sculptures et des tableaux (couleurs vives et perles) où, sur fond de décor géométrique Amérindiens, se lisent des appels à la liberté, allusion à l’extermination des Indiens par les colons venus d’Europe.
Aux murs des décors géométriques amérindiens dans lesquels on peut lire des appels à la liberté.
L’Autriche : Rien de spectaculaire mais une évocation émouvante d’Anna Jermolaewa née en Russie a fui son pays en 1963 et vit à Vienne. Dans la salle principale du pavillon, des danseuses classiques répètent inlassablement le Lac des cygnes. L’artiste se souvient que, en URSS, chaque fois qu’il y avait des ,changements dans le pouvoir, le gouvernement interrompait tous les programmes d’information, qui étaient remplacés par la musique du Lac des cygnes de Tchaïkovski
Elle dit qu’aujourd’hui, que pour beaucoup de Russes, cette musique signifie : “Chassons Poutine !”.
Dans une autre salle, des disques de musique étrangère censurés, et qui étaient clandestinement gravés sur des radios médicales (on aperçoit des poumons, un fémur etc.)
L’Australie a reçu le Lion d’Or du meilleur pavillon. Archie Moore, né en 1970 est un artiste aborigène. Le pavillon, noir et blanc, frappe par son austérité et sa radicalité.
Sur les murs noirs, il a dessiné à la craie blanche, un immense arbre généalogique, avec des centaines de milliers de noms.
Au centre, semblant flotter au-dessus d’un plan d’eau, des piles de documents d’archives, longuement récoltés par l’artiste, qui témoignent de l’éradication systématique des familles aborigènes pendant de très nombreuses années. C’est impressionnant !
Venise a son propre pavillon que se partagent deux artistes :
Pietro Ruffo, né à Rome en 1978 a réalisé deux grands globes :
Le globe des constellations, peuplé de personnages mythologiques qui ont donné leur nom aux planètes et le globe des migrations.
qui montre les déplacements de populations avec des personnages de différentes époques.
Les murs sont couverts d’une immense bibliothèque, remplie non pas de livres, mais de rouleaux de papier millimétré, sérigraphié de motifs qui constituent un inventaire de plantes originaires de tous les pays.
Ils sont rangés comme des livres dans une bibliothèque.
L’ensemble est très beau, très original, le titre générique du pavillon était la notion de chez-soi.
Safet Zec est né en 1943 en Bosnie-Herzégovine et il vit à Venise depuis 1972. Il peint des scènes douloureuses évoquant les drames qui ont déchiré son pays.
C’est une peinture de facture assez classique avec d’assez grands formats.
Il y a quelques années, en 2017, il a réalisé une déposition du corps du Christ qui a été installée à Rome dans l’église du Jésus et qui fut inaugurée en présence du pape François.