L’art moderne et le sacré

Orlan (née en 1947), qui a reçu une éducation catholique très stricte, a beaucoup joué avec le culte de la Vierge en créant sainte Orlan, drapée dans son trousseau, se livrant à un striptease, ou s’envolant dans une assomption improvisée, en référence à l’assomption de la Vierge du Titien église des Frari à Venise.


Orlan sainte Orlan
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Le plus drôle est sans doute l’assomption d’Orlan dans un garage en présence du garagiste.

Avant elle, les surréalistes s’étaient amusés à imaginer la Vierge dans des situations inhabituelles comme Max Ernst, la Vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins André Breton Paul Eluard et le peintre.


Max Ernst, la Vierge corrigeant l’enfant Jésus devant trois témoins 1926 huile sur toile 196 x 130 cm, Musée Ludwig, Cologne
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Lorsqu’il est intervenu à Naples Ernest Pignon-Ernest (né en 1942), a beaucoup dessiné la Vierge si vénérée dans le sud de l’Italie, 15 ans après il s’est intéressé aux grandes mystiques : Marie-Madeleine, Hildegarde de Bingen, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, Marie de l’Incarnation, et Madame Guyon sept femmes de chair qui aspiraient à se désincarner. Il les a dessinées, puis en jouant sur les volumes du papier et sur la mise en scène de ses grands rouleaux de papier sur un support de miroir, il a tenté de restituer ce rêve de lévitation qui amène ces corps en extase. Extase est le titre de cette série.


Ernest Pignon-Ernest extase 2020 église des Célestins Avignon
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La désincarnation de la Vierge, Javier Perez (né en 1968) a tenté de la rendre avec un matériau translucide. Virgo Mater est en résine et boyaux de porcs séchés de 3 m 60 de haut et représente la Vierge enceinte de Jésus, bras ouverts vêtue d’un drapé effet mouillé. Associant charnel et spirituel, impur et sacré.


Javier Perez, Virgo Mater, 2013 Résine polyester et intestins bovins 167 x 270 x 360 cm
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Le 23 septembre 1997, un photographe de presse Hocine Zaourar a photographié à l’hôpital d’Alger cette femme foudroyée par la douleur après le massacre de sa famille et par les membres du GIA à Bentalha à 15 km en pleine guerre civile (qui a fait 200 000 morts).


Hocine Zaourar, la madone de Benthala 1997 photographie
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Pour le regard occidental, cette photo évoque une scène de déploration dans l’iconographie chrétienne. L’impact de cette image été immédiat et mondial, les journaux ont titré : la Madone de Bentalha. Le photographe a reçu le prestigieux prix World Press Photo de l’année. En Algérie par contre, le photographe a été accusé de ternir l’image du pays et les autorités se sont émues de l’ingérence dans leurs affaires politiques. La Madone s’est fait connaître elle s’appelle Oûm Saad, et elle a décidé de porter plainte en justice pour droit à l’image et diffamation pour avoir été appelée “madone” un non-lieu a été délivré 6 ans après en 2003.

Entre-temps entre 2001 et 2003, Pascal Convert, avait réalisé une étrange sculpture à partir de la fameuse photo. Étrange d’abord parce que les drapés baroques en mouvement (comme ceux du Bernin) sont en haut relief alors que les têtes et les bustes (que l’on voit seuls dans la photo) sont en très faible relief. Etranges aussi les visages fantomatiques. L’artiste a fait réaliser une copie en 3D des visages de la photo, puis il en a fait un moulage. Les drapés en mouvement sont complètement imaginaires.


Pascal Convert la madone de Bentalha, 2001-2002 cire polychrome
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Jan Fabre (né en 1958), en 2011 il a réinterprété la Pietà de Michel-Ange dans une grande installation qu’il a présentée dans une église désacralisée de Venise.


Jan Fabre, Pieta 2011 Scuala Santa Maria della Misericordia Venise
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Le sol avait été surélevé avec un plancher doré, et les spectateurs cheminaient d’abord entre deux gros cerveaux de marbre de Carrare surmontés de croix sur lesquelles semblaient avoir poussé des éléments végétaux, la vie naissant ainsi de la mort. Au fond, une copie de la Pietà de Michel-Ange (l’original est à Saint-Pierre de Rome) en marbre, d’une taille identique à l’original mais la Vierge a une tête de mort et le Christ est un portrait de lui-même, Jan Fabre. Là encore comme elle était présente sur les cerveaux, la vie est présente sous la forme de chenille et de papillons. Jan Fabre interroge le rapport au temps, à la mort, et le lien à la nature. Chez lui la quête de spiritualité (il est fasciné par les vanités médiévales, les crucifix, et les reliquaires gothiques) s’entrecroise avec la quête du savoir scientifique : il a rendu hommage à Konrad Lorenz le biologiste zoologiste autrichien et à Elisabeth Crosby connue pour ses découvertes sur le système nerveux, en réalisant leurs gisants de marbre autour desquels s’épanouissait la vie.
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Depuis ces dernières années, Jan Fabre aime investir des lieux sacrés. Ainsi depuis 2018, dans l’église Saint-Augustin d’Anvers, sa ville natale, les trois retables de Rubens, Van Dyck, et Jordaens ont été remplacés par des oeuvres de Jan Fabre en élytres de scarabée. Il utilise abondamment ce matériau qui chez les Égyptiens, accompagnait le passage de la vie à la mort.


Jan Fabre, performance monastique 2018 église Saint-Augustin d’Anvers
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Par exemple à la place de l’extase de Saint-Augustin de Van Dyck qui est allé au musée d’Anvers, Jan Fabre présenté ceci qu’il appelle « performance monastique« ,


Jan Fabre, performance monastique 2018 église Saint-Augustin d’Anvers
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où l’on voit Saint-Augustin un micro à la main, parce que saint Augustin avait écrit un traité de musique et aussi parce que cette église est maintenant un lieu de concerts.

Et à la place du martyre de sainte Apollonia de Jordaens à qui on a arraché les dents et la langue,


Jan Fabre, performance monastique 2018 église Saint-Augustin d’Anvers
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Jan Fabre a montré la sainte tenant elle-même (comme un micro) la pince de son martyre et tirant la langue. Et tout ça scintille des couleurs changeantes des élytres de scarabée. L’artiste se qualifie de « mystique contemporain ».
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8 – L’art, dans la sublimation comme dans la transgression reste une réponse à la question que la mort pose à la signification du monde (André Malraux)

En 1967, Bruce Nauman (né en 1942), a réalisé ce néon en spirale aux couleurs changeantes qui dit : “le véritable artiste aide le monde en révélant les vérités mystiques”.


Bruce Nauman, The True Artist Helps the World by Revealing Mystic Truths 1967 tube néon avec cadre de suspension en tube de verre transparent, 149,9 × 139,7 × 5,1 cm Philadelphia Museum of Art
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Claude Lévêque (né en 1953) a, en 2012 suite au décès de sa mère qui perdait la vue, a réalisé le chemin blanc, une installation composée d’une planche de bois posée sur des lessiveuses et surmontée d’un néon blanc “attends-moi”.
Face à la mort, les artistes convoquent quelque fois une dimension transcendante.

Le rapport à la mort, et à la disparition c’est Christian Boltanski (1944-2021) qui y a consacré toute son œuvre. Ses monuments, dans les années 80 se composent de matériaux très simples, des boîtes de biscuits rouillées, des photos de portraits en noir et blanc, recadrés et floutés, et des ampoules. Les fils électriques apparents font partie de l’œuvre. Les photos d’enfants, au début, étaient anonymes, et on sait que les boîtes de biscuits évoquaient pour l’ artiste les boîtes dans lesquelles, enfant, il gardait ses jouets.


Christian Boltanski monument, 1985 7 photographies noir et blanc et couleur, 9 lampes électriques, variateur et câbles éléctriques, 183 x 238 cm, Nîme, le carré d’art
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Quant à la forme de ces dispositifs, on peut hésiter entre :
– un autel.
– un sapin stylisé avec ses guirlandes,
une pyramide funéraire,

Le titre “monument” suggère une fonction commémorative. Les photos entretiennent des liens étroits entre la mémoire et l’oubli, entre ce qui a été et ce qui n’est plus.

En 1986 il réalise les enfants de Dijon, c’était 142 photographies en noir et blanc, encadrées de fer blanc, d’enfants d’un collège de Dijon qu’il avait collectées 10 ans plus tôt dans le cadre d’un stage.
Le mélange de solennité et de fragilité suscite l’émotion, la pénombre, les lumières, renvoient aux cierges devant des icônes.


Christian Boltanski les enfants de Dijon, 1986 chapelle de la Salpêtrière
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La part d’autobiographie est grande dans la démarche de Boltanski né à Paris, sous l’occupation, alors que son père médecin juif était caché sous le plancher de l’appartement familial. Il a dit : “Je pense que très souvent les vies des artistes sont marquées par une chose originelle. Moi, ma vie a été marquée par ça”.

Autel lycée Chasses par contre, est une série qui exploite les photos d’archives du lycée Chases de Vienne dont tous les enfants juifs ont été déportés. Les ampoules électriques sont remplacées par des lampes de type applique, braquées contre les visages comme pour un interrogatoire.


Christian Boltanski – Autel du Lycée de Chases, (1988) Musée d’art contemporain de Los Angeles
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L’agrandissement et le floutage font de ces visages sans regards, presque des têtes de mort. Dès lors, les boites de biscuits rouillées évoquent autre chose : la passion des nazis pour le classement, le stockage, le tri des effets personnels, les traces.
Monument Odessa (1989) de même, présente les photos d’enfants martyrs de la ville d’Odessa pendant la guerre.

D’autres dispositifs, en 1990, portent le titre de reliquaire, encore un titre que l’artiste emprunte à des dispositifs religieux.


Christian Boltanski reliquaire 1990
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Contrairement aux monuments commémoratifs issus de la commande publique, souvent emphatiques, les monuments de Boltanski isolent le spectateur du moment présent, pour le transporter dans un espace de méditation voir de recueillement.
Voir également:
– D’autres Reliquaire 1990.

L’autre artiste dont toute l’oeuvre poursuit le même objectif, est le vidéaste américain Bill Viola (né en 1951). Après s’être attaché à mettre en mouvement des scènes, fresques ou tableaux illustrant les épisodes bibliques (Montage Bill Viola 1995 & Jacopo da Pontormo (1494-1557), La Visitation, 1528, voir émergence/la résurrection du Christ 1993, the gretting (la Visitation) (1995) avec des ralentis qui renforcent l’émotion, il réalise depuis des installations vidéo monumentales, avec des écrans multiples qui immergent le spectateur. Les images toujours au ralenti sont très belles et proposent une réflexion sur la vie, la mort, la renaissance au moyen d’images métaphoriques de l’eau et du feu.


Bill Viola the crossing 1996

Un cheminement émotionnel et spirituel à travers de grands thèmes métaphysiques que l’artiste puise dans la religion chrétienne, mais aussi dans la pensée soufie et bouddhiste.
Bill Viola dit ne pas croire en Dieu, mais être en quête spirituelle permanente.
On peut sortir de là et se dire qu’on est plus sensible à la quête d’un Cézanne peignant sans cesse saint Victoire, en ayant le sentiment toute sa vie de ne jamais atteindre son but. Chacun de nous peut éprouver une émotion liée à la transcendance, ou à autre chose qui est de l’ordre du sacré, mais par des voies différentes, et on peut s’irriter qu’un artiste comme Bill Viola nous manipule à ce point là afin d’éprouver ces émotions.

On l’a vu, la sécularisation de la société a libéré les artistes de la sujétion aux Eglises, mais n’a pas signifié pour autant la disparition du questionnement métaphysique
Mais par ailleurs, on peut s’interroger sur la manière dont l’art ne devient pas lui-même aujourd’hui, objet de sacralisation et dont nos musées sont devenus, sinon nos églises ou nos temples, le lieu où l’on vient se retirer, se ressourcer, se nourrir, loin de la banalité, de la médiocrité, et de la violence du monde.

1 thoughts on “L’art moderne et le sacré

  1. Bonsoir Madame,
    tout d’abord je vous adresse mes meilleurs voeux à l’occasion de nouvelle année.
    Je suis un lecteur assidu de vos cours, et je tiens à vous remercier pour la richesse et la grande qualité de vos interventions. Passionné par l’art moderne et contemporain, je trouve enfin ce dont je souhaitais.
    Encore merci, et continuez, SVP, à nous enrichir intellectuellement.
    J.Fouré

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