Plages et baigneurs dans l’art moderne et contemporain

Depuis la mode des bains de mer, qui s’est développée au milieu du XIX°, nombre de peintres ont traité le thème de la plage, privilégiant tantôt ses atmosphères lumineuses, tantôt sa dimension sociale.
Énigmatiques, les baigneuses de Cézanne se situent hors du temps, troublantes, celles de Picasso, accompagnent chacune de ses ruptures stylistiques.

Intervenante : Agnès Ghenassia

La pratique des bains de mer, lancée en Angleterre dès le 18e siècle, est arrivée en France au milieu du XIXéme siècle. Elle était préconisée au début pour des raisons thérapeutiques, on espérait ainsi se préserver de la rage, de la folie, des maladies de peau. “13 minutes c’est le temps prescrit par la Faculté« , lit-on dans le Figaro en 1884.

C’est à Dieppe que tout commence, où dès 1824 s’installe un établissement de bains où la duchesse de Berry lance la vogue des bains de mer. Comme elle y séjourne chaque été de façon régulière, ce sont des fêtes, des bals, des concerts, des spectacles et l’aristocratie parisienne se rend à Dieppe. Avec l’arrivée du train en 1848, le phénomène s’accentue et le figaro écrit en 1897 : « La terrasse du casino de Dieppe semble le prolongement du boulevard des Italiens« .

Voir La vogue des bains de mer (Le Figaro)

Eugène Boudin (1824-1898), né à Honfleur, a peint de nombreuses fois les plages normandes, et notamment celles de Dieppe.


Eugène Boudin, Sur la plage, Dieppe, coucher de soleil, 1864 Huile sur bois, 38,1 × 58,4, Metropolitan Museum of Art, New York
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Eugène Boudin, Sur la plage à Dieppe
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Il porte toute son attention à traduire les ciels changeants et c’est ce qui fait de lui un précurseur de l’impressionnisme. C’est auprès de lui que le jeune Monet a appris à peindre en plein air. Sur ses toiles, on voit des groupes de personnages vêtus en citadins contempler la mer.

Eugène Le Poittevin (1806-1870) était parisien, mais il s’était fait construire une villa à Étretat, avec un atelier sur le front de mer dans lequel il venait régulièrement travailler. Il a peint la mer, les pêcheurs et leurs familles.

À l’Exposition universelle de 1867 à Paris, son tableau Bains de Mer, plage d’Étretat, est acquis par Napoléon III pour le palais de l’Élysée.


Eugène Le Poittevin, La Baignade à Étretat, vers 1860, huile sur toile 21 x 48.5 cm Association Peindre en Normandie Caen
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On voit des hommes et des femmes qui se baignent très habillés sur la plage, on reconnaît Charles Landelle coiffé d’un calot, Guy de Maupassant qui se prépare à plonger et Eugénie Doche en crinoline, qui fut la créatrice de La Dame aux camélias.


Eugène Le Poittevin, L’art de hâler un bateau sur la plage 1832, huile sur toile 21 x 48.5 cm musée maritime de l’Île Tatihou
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Retour de pêche aux pieds des falaises Huile sur panneau 38,5 x 47 cm musée de Fécamp.

Voir d’autres oeuvres d’Eugène Le Poittevin.

Gustave Courbet (1819-1877) a utilisé l’atelier de Le Poittevin à partir de 1867, et il est venu y peindre sa fameuse falaise après la pluie.


Gustave Courbet, Falaise après la pluie 1870, Huile sur toile 133 x 162 cm Musée d’Orsay
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et surtout sa série de vagues qui faisait l’admiration de Cézanne, qui disait : “Sa marée vient du fond des âges”.


Gustave Courbet, La vague (1870), Huile sur toile 72.5 x 92.5 cm Musée national de l’Art occidental Tokyo
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Voir également :
La vague, (1869) huile sur toile 66 x 90 cm Musée des beaux arts de Lyon.
La mer orageuse dit aussi la Vague, (1870) huile sur toile 117 x 160.5 cm musée d’Orsay.

Félix Vallotton a loué, en 1899 le château d’Étretat où il a peint en en un été, 19 toiles (des cartons plus précisément). C’était en guise de voyage de noces, puisque il venait d’épouser Gabrielle Bernheim (déjà mère de 3 enfants). Vallotton prenait des photos sur le motif, puis composait ses peintures entièrement en atelier.


Félix Vallotton, Sur la plage de Dieppe, (1899), Huile sur carton 42 x 48 cm Collection particulière
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Voir également :
La plage d’Etretat, 1899, huile sur carton.
Sur la plage à Étretat, 1899, huile sur carton.
La promenade de la mer à Étretat, 1899, huile sur carton.
Laveuses à Etretat, 1899, huile sur carton
Baignade à Étretat 1899, huile sur carton, 49,5 x 65 cm – collection privée

On y retrouve son goût pour la simplification des surfaces, son sens de la composition, mais aussi son humour à la limite de la caricature, surtout lorsqu’il épingle la petite bourgeoisie qui essaye de jouer à la haute société, et à l’heure du bain, se couvre de ridicule.


Félix Vallotton – Le bain à Etretat, 1899, Collection particulière
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On distingue sur la droite le plongeoir improvisé de Le Poittevin.

Étretat était un charmant village de pêcheurs, puis est devenu le rendez-vous d’une colonie restreinte de peintres et d’écrivains, et finalement une succursale de Dieppe. En 1895, est inauguré une nouvelle ligne de chemin de fer, et le village s’est transformé avec les froufrous des dames, les bals, les dîners….

Raoul Dufy (1877-1953), natif du Havre, a peint aussi la plage d’Étretat


Raoul Dufy, la plage d’Etretat, 1899, Collection particulière
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… et on y voit également le plongeoir sur roues de Le Poittevin.

Puis c’est Trouville qui est devenue la reine des plages. Station balnéaire fondée en 1842, la liaison ferroviaire Paris-Trouville inaugurée en 1863, lui a apporté son lot de touristes et a l’heure du bain, vers 11h le matin, il y a plus de spectateurs que de baigneurs. Les hôtels et les villas se multiplient.
Eugène Bourdin a peint à Trouville, voir la plage de Trouville, 1884 huile sur bois 13,7 x 23,4 cm Galeries nationales d’Écosse, Édimbourg.


Eugène Boudin, La plage de Trouville, 1865 Huile sur bois, 26 x 48 cm Musée d’Orsay
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Voir un commentaire (musée d’Orsay)

Voir également des scènes de plage (musée du Havre)

… mais aussi Claude Monet,


Claude Monet, La Plage de Sainte-Adresse, 1867, huile sur toile 75,8 × 102,5 cm Art Institute of Chicago
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Il a peint également Camille sur la plage, abritée sous son ombrelle.

Ernest Ange Duez (1843-1896), dans un style plus classique, c’est un peintre parisien admirateur de Manet, il a peint des scènes de genre au bord de la mer à Villerville.


Ernest Ange Duez, Mère et sa fille sur la plage, 1885 huile sur toile, 46.3 x 55.8 cm Musée national Thyssen-Bornemisza, Madrid
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Voir également :
L’heure du bain au bord de la mer (Villerville), huile sur toile.
La visite à la plage, aquarelle 33 x 48 cm.

René François-Xavier Prinet (1861-1946), originaire de Franche-Comté, il possède une résidence à Cabourg, la ville de Proust, dont le grand hôtel avec 150 m de façade sur la mer et un casino. C’est là en 1907, que Proust avait été envoyé en raison de sa santé fragile. Ses tableaux, montrant la bonne société en villégiature, illustrent parfaitement son roman, « A la recherche du temps perdu« . Les impressionnistes sont nombreux, après Monet, à séjourner et à peindre sur les plages normandes.


René François Xavier Pinet, La plage de Cabourg, 1910 (Huile sur toile, 94,3 x 150,5 cm) Musée d’Orsay
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Pour cette peinture, il évite les tons sombres, et utilise des couleurs fraîches et vives pour capturer Cabourg avec sensibilité, avec d’élégantes figures représentées contre un ciel nuageux, parasols décoratifs, ombrelles, les plaisanciers et les chaises de plage.
Voir également :
Plage à Cabour 1908, huile sur toile 60 x 93 cm.

Voir d’autres oeuvres de René François Xavier Pinet.

Auguste Renoir (1841-1919) son cas est amusant. Renoir avait acquis une grande notoriété avec ses baigneuses, des nues qu’il faisait poser chez lui, et recomposées dans un contexte pseudo naturel, qui satisfaisait sa clientèle. Aussi, lorsque en 1892 les médecins lui recommandent un séjour sur une plage normande, il s’inquiète de n’avoir rien à peindre, loin de ses modèles préférés, lui qui, dit-il, est un peintre de figure. Mais il obéit et passe un été à Pornic avec l’idée que son fils en profitera pour apprendre à nager. Il en sortira deux toiles


Auguste Renoir, La plage à Pornic, 1892 (Huile sur toile, 94,3 x 150,5 cm) Musée d’Orsay
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Les personnages sont à la fois très flous et très bien observés.
Voir :
– La plage à Pornic détail 1
– La plage à Pornic détail 2


Auguste Renoir, La plage à Pornic, 1892 (Huile sur toile, 94,3 x 150,5 cm) Musée d’Orsay
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Voir :
– La plage à Pornic détail 3
– La plage à Pornic détail 4


Renoir à Pornic

Dans toutes ces peintures de plage en Normandie, on l’a vu, on ne se baigne pas nu, on est même très habillé et on se protège du soleil.

Aussi, quand Degas imagine une ronde de jeunes filles nues et bronzées sur une plage, il appelle cela : « Petites paysannes se baignant dans la mer vers le soir ».


Edgar Degas, Petites paysannes se baignant dans la mer vers le soir, 1875-1876 Huile sur toile 65 x 81 cm Collection particulière
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Leurs positions très suggestives inspireront en tout cas Gauguin, qui a peint lui aussi de nombreuses déesses marines à la peau cuivrée.

Voir également, La plage, une histoire balnéaire en peinture (Jacqueline Duroc).

Qu’en est-il ailleurs à la même époque ?

Edward Henry Potthast (1857-1927) est américain, il est considéré comme un impressionniste. Il s’est d’ailleurs longuement formé à Anvers, Munich et Paris. Mais ce qui a fait sa célébrité, à son retour aux États-Unis, ce sont ses scènes de plage, le long de la côte de Long Island, qui semblent saisies sur le vif : des jeux d’enfants, des gestes maternels. Là encore, le costume de bain est de rigueur mais sans les froufrous guindés de la côte normande.


Edward Henry Potthast, Happy Days, vers 1910-1920, huile sur toile, 21,4 x 16,7 cm Taubman Museum of Art Roanoke, États-Unis
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Voir d’autres scènes de plage de Edward Henry Potthast.