Cours du 3 décembre 2012

Le suprématisme

Sommaire : Kasimir Malévitch, Vladimir Tatlin


Kasimir Malevitch est la figure centrale de l’avant-garde russe du début du XXème siècle.

Contexte : Depuis 1890 l’art russe était largement ouvert aux courants européens : impressionnisme, symbolisme, fauvisme, cubisme, futurisme… parce que des colonies de peintres russes installés à Paris et à Munich ont diffusé les idées nouvelles, et parce qu’à Moscou de grands collectionneurs ouvraient leurs collections une fois par semaine au public. Ainsi Serguei Chtchoukine possédait des Gauguin, 13 Monet, des Cézanne, 40 Matisse et 51 Picasso ! A partir de 1910, les expositions se succèdent sans discontinuer, accompagnées d’une intense activité théorique. Celui qui se distingue par la qualité de son travail et de sa réflexion, c’est Malevitch, locomotive d’une évolution fulgurante qui, en 10 ans, va changer l’orientation des arts plastiques en Occident.


Kasimir Malevitch – Autoportrait, (1907)
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Autoportrait , 1907 (étude pour une fresque, détrempe sur carton)

Jean-Claude Marcadé, traducteur et historien spécialiste de l’art russe, dit de lui que c’est un «samorodok», une «pépite» hors norme que rien ne prédestinait à un tel destin. Malévitch est né à Kiev, en Ukraine, de parents polonais. Son père travaillait comme ouvrier dans une usine de betteraves à sucre. Pendant toute sa jeunesse, c’est cependant le monde paysan qui lui plait, avec ses traditions décoratives lors des fêtes, ses icônes… Pour aller se former en art, il s’installe à Moscou, où il est d’abord fasciné par une exposition d’œuvres de Monet.

Puis il découvre les Fauves, Matisse, Rouault :


Kasimir Malevitch – Femme au Chapeau jaune, (1908)
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Femme au Chapeau jaune, 1908

Puis le cubisme cézannien :

Paysage aux Maisons rouges, 1910

Et dès 1911, il met au point un style plus personnel, sorte de synthèse entre le cubisme et le primitivisme, avec un thème exclusif : celui du monde paysan.
Le Bucheron, 1911 De la synthèse de ces deux tendances, Malévitch fera naître un art très particulier, ni tout à fait primitiviste, ni tout à fait cubiste. La thématique est essentiellement paysanne, mais les personnages et l’environnement sont tellement réduits à des formes géométriques qu’ils évoquent certaines peintures de Fernand Léger, que le peintre russe ne connaissait pas alors.
Paysanne avec Seaux et Enfant, 1912 (visages/masques, mais empathie évidente)
La Moisson du Seigle, 1912
Faucheur sur fond rouge, 1912 Voir un commentaire.

En 1912-1913, le futurisme est très vogue chez les artistes russes :


Kasimir Malevitch -Le Rémouleur, (1908)
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Le Rémouleur, décomposition scintillante, lumière et mouvement.
Au premier abord, l’on remarque seulement une multitude de formes géométriques se fondant entre elles, dont les couleurs sont sobres mais néanmoins nombreuses. Tantôt froides (sur la partie droite du tableau, du blanc, du bleu électrique) tantôt chaudes (sur la partie gauche du tableau du rouge-orangé, du vert-forêt et du gris-noir), les couleurs sont les seuls motifs de profondeur. C’est seulement en s’éloignant du tableau que l’on distingue des formes plutôt concrètes, bien que géométriques. Ainsi le titre du tableau prend son sens : Au premier plan, l’on peut apercevoir un homme quelque peu courbé aiguisant un couteau sur une roue d’usage.

En 1913, la tendance est à l’alogisme, une esthétique spécifiquement russe qui est liée au travail poétique de Matiouchine : le «zaoum» , une langue libérée de la logique (cf les futuristes italiens, et plus tard les spectacles du cabaret Voltaire ou les poèmes de Schwitters)
Malevitch réinterprète avec humour le style du cubisme synthétique ( faux- bois, collages, fragmentation géométrique ) en introduisant des rencontres irrationnelles :


Kasimir Malevitch – Vache et Violon, (1913)
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Vache et Violon, 1913
La Soldat de 1ère Division 1914, huile et collage sur toile (un vrai timbre et un vrai thermomètre).
C’est l’une des premières tentatives de Malevitch de transmettre la guerre dans son style Suprematic. Bien que cette image soit abstraite, on peut facilement déduire le symbolisme. Un thermomètre est le principal composant dans la peinture. « Il introduit immédiatement l’idée, non seulement de la température mais aussi de la maladie: fièvre de la guerre pourrait facilement conduire à une mentalité de surchauffe … ». Les yeux du soldat et sa bouche ont été remplacés par une croix de guerre et le nombre huit.

Eclipse partielle de Mona Lisa, 1914, huile et collage : une reproduction de la Joconde biffée de deux croix rouges, des fragments d’annonces collés proposant «appartement libre» et «à Moscou»…le titre fait allusion au livret de Victoire sur le Soleil, un opéra futuriste dont Malevitch a fait les décors et les costumes. La Joconde est raturée parce que, dit-il, «un visage peint sur un tableau donne une parodie pitoyable de la vie».
Un Anglais à Moscou, 1914 : un personnage à moitié caché par des objets hétéroclites : c’est un futuriste (haut de forme + cuiller , celle qu’il portait en guise de pochette sur son veston), et c’est sans doute Kroutchenykh, dit «l’Anglais». Les mots disent «société hippique» et « éclipse partielle».
En 1915, rupture totale ! A Petrograd, (ex Saint-Pétersbourg et Leningrad) , en décembre, l’exposition s’intitule «0,10, dernière Exposition futuriste» et une salle entière est consacrée aux dernières œuvres de Malevitch , qui fonde là le suprématisme.