Le taureau dans l’art, de Lascaux à Claude Viallat

La Tauromachie : évolution d’une tradition

L’histoire de la tauromachie en Espagne est riche et complexe. Aux XVIe et XVIIe siècles, les courses de taureaux étaient des événements majeurs, organisés pour célébrer des couronnements, des mariages ou des naissances. Elles se pratiquaient à cheval, avec des lances, et étaient exclusivement réservées à la noblesse. Cependant, lorsque le taureau était blessé à la fin de la journée, la foule, armée de couteaux, se chargeait de l’achever.

La corrida moderne est née dans l’Espagne du XVIIIe siècle. Vers 1760, le public se pressait dans les arènes, où les meilleurs matadors étaient devenus des professionnels.


Francisco Goya, Corrida dans l’arène divisée 1816, huile sur toile 98,4 × 126,4 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Progressivement, les règles se sont précisées : le paseíllo (défilé de tous les participants) est suivi d’un combat en trois parties :
– Les piques, où le taureau est affaibli par le picador à cheval.
– Les banderilles, plantées dans le dos du taureau par les banderilleros.
– La faena, une série de passes effectuées avec la muleta (drapeau rouge) par le matador, avant la mise à mort du taureau. Celle-ci est réalisée par le matador lui-même, qui plante son épée entre la colonne vertébrale et l’omoplate droite de l’animal.
De nombreux artistes ont été fascinés par la tauromachie :

Francisco Goya (1746-1828) a consacré à ce sujet plusieurs peintures, de nombreuses gravures et dessins, y compris lors de son exil à Bordeaux. Voir des dessins de Goya lithographies de Bordeaux 1825.
Voir également de Goya :
la mort du piccador

Gustave Doré, en 1860, s’intéresse aussi aux risques, à l’accident.


Gustave Doré scène de tauromachie 1860 lithographie 39,5 x 55,5 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Édouard Manet, passionné par l’Espagne, a été inspiré par le « toreo ».


Edouard Manet l’homme mort 1864 huile sur toile 76 x 153 cm National Gallery of Art, Washington DC
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Le critique Jean Le Gac a également exploré cette thématique.

Mariano Fortuny en 1867 a capturé le caractère dynamique et parfois chaotique de ces scènes, dont le « fouillis » très plastique a souvent interpellé les peintres.


Mariano Fortuny, El quite 1867 huile sur toile 80,5 x 140,7 cm Museo Carmen Thyssen Málaga
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir d’autres peintures de Mariano Fortuny

Henri de Toulouse-Lautrec, en 1894, a assisté à une corrida à Saint-Sébastien. Il a réalisé une œuvre sur la tauromachie pour rendre hommage à Goya et pour exprimer ses émotions face au spectacle de la corrida.


Henri de Toulouse-Lautrec, la tauromachie, 1894 huile sur carton 90,5 x 59 cm Collection particulière
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir une iconographie de la corrida.

Picasso et la Corrida : Une Passion Enracinée

Pablo Picasso était un aficionado depuis l’enfance. Son père l’emmenait très jeune aux arènes de Malaga, et ses premiers dessins, dès 1892, étaient déjà tauromachiques, comme en témoignent Corrida et six études de colombes. Il a également réalisé de nombreuses peintures de corridas en 1900.


Pablo Picasso la course de taureau et six études de colombes, 1892 dessin au crayon sur papier 13,5 × 20,2 cm Musée Picasso de Barcelone
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

En 1933, le théâtre de la corrida se mêle au drame privé de l’artiste. La Mort du torero (Boisgeloup) (1933) montre le torero renversé sur le dos du taureau, mais c’est la souffrance du cheval qui est mise en valeur dans la composition. Une autre œuvre de cette période est La Mort de la femme torero (Boisgeloup) (1933).


Pablo Picasso La mort de la femme torero 1933 huile et crayon sur bois 21,7 x 27 cm Musée national Picasso-Paris
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Puis, en 1934, alors que sa relation avec Olga s’envenime, la corrida dans ses œuvres devient de plus en plus agressive. Après la guerre, de nombreuses photos montrent Picasso dans les arènes de Nîmes avec Paulo, Françoise Gilot, Jean Cocteau et André Villers en 1951. En 1953, Françoise Gilot a même ouvert le paseo (défilé initial) des arènes de Vallauris à cheval.

Toujours en 1953, dans son atelier de céramique à Vallauris, Picasso a utilisé les formes arrondies des plats et des coupelles pour représenter le spectacle de la corrida et les spectateurs dans les arènes, créant des « coupelles tauromachiques« . En 1970, à la fin de sa vie, il a réalisé plusieurs portraits de toreros pacifiques.


Pablo Picasso Matador 1970 huile sur toile 145,5 x 114 cm Musée national Picasso-Paris
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir d’autres oeuvres de Picasso et les taureaux.

Picasso n’est pas le seul artiste passionné par la corrida d’autres artistes sont aussi captivés par la Corrida :

André Masson (1893-1987) a découvert les corridas entre 1934 et 1936 à Tossa de Mar avec son ami Michel Leiris. Il a peint ce rituel comme une métaphore politique de la cruauté du monde, alors que la guerre civile menaçait. Dans Le Jet de sang (1936), un picador squelette est descendu de sa monture cabrée, dont les organes sont au centre du tableau, image d’un pays impuissant qui sombre dans la violence.


André Masson, corrida mythologique 1936 huile sur toile 99,4 x 99,4 cm Collection particulière
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Une œuvre puissante et perturbante qui dépasse la simple scène de corrida pour devenir une exploration profonde des mythes, de la violence inhérente à la nature humaine et du monde des pulsions inconscientes, caractéristique du génie surréaliste d’André Masson.


André Masson, corrida imaginaire 1937 huile sur toile 84,2 x 90 cm Galerie Louise Leiris à Paris
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir un commentaire.

Voir également :
Le mauvais taureau 1937 huile sur toile 38,4 x 61,7 cm.
Corrida au soleil 1954 gouache et pastel sur carton 65 x 99,5 cm
Tauromachie 1937 dessin à l’encre de Chine sur papier 28,2 x 45,5 cm

Francis Bacon a exploré des thèmes similaires avec ses Corridas imaginaires.


Francis Bacon, Étude pour une corrida n°2 1969, huile sur toile 198,3 x 147,5 cm Musée des beaux-arts de Lyon
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir un commentaire.
Voir également :
Étude pour une corrida n°1 1969 huile sur toile 198 x 147,5 cm MoMA.

Auguste Chabaud (Nîmes 1882 – Graveson 1955) a étudié aux Beaux-Arts de Paris et, à ses débuts, était proche des Fauves. Après la Première Guerre mondiale, il s’est établi à Graveson, où un musée porte désormais son nom. Il a passé beaucoup de temps dans les arènes de la région, allant même jusqu’à devenir un raseteur amateur en participant à des courses de jeunes taureaux. De nombreuses peintures documentent sa passion pour la corrida. Très contrastées, ses œuvres traduisent, avec des cadrages rapprochés, une sensation de chaleur, d’ombre et de lumière.


Auguste Chabaud les arènes, 1927 huile sur toile Musée de Région Auguste Chabaud (MRAC) Graveson
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir d’autres oeuvres d’Auguste Chabaud autour de la corrida.

La corrida, tradition profondément enracinée dans certaines cultures, a inspiré de nombreux artistes tout au long du XXe et du début du XXIe siècle. Leurs œuvres offrent des perspectives variées, allant de la célébration à l’ironie, en passant par l’abstraction.

Figures Majeures et leurs oeuvres tauromachiques

Francis Picabia (1879-1953) : Dès les années 1920, Picabia explore le thème des corridas. Il y revient en 1941-1942 avec « Le Matador dans l’Arène » et, plus tard en 1946, avec une approche plus géométrique dans « Composition Tauromachie ».


Francis Picabia, la corrida, 1926-27 gouache 75,2 × 104,8 cm ollection particulière
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir un commentaire.
Voir également :
Composition (Tauromachie), 1937-1940 huile sur toile 74 x 71 cm (période des transparences)

Antoni Clavé (1913-2005) : Ce peintre barcelonais a abordé la tauromachie dans les années 1950.


Antoni Clavé la corrida (La mort du Torero), 1951 lithographie 49,2 x 65 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Une impression de chaos organisé. Les figures centrales sont le taureau, imposant et aux cornes menaçantes, et les protagonistes de la corrida. Contrairement à une représentation héroïque habituelle, l’accent est ici mis sur la chute et la vulnérabilité.
Voir également :
La corrida lithographie 50 x 66 cm.

Óscar Domínguez (1905-1957) : Originaire de Santa Cruz de Tenerife, Domínguez rend hommage au célèbre matador Manolete avec son œuvre « Hommage à Manolete » (1951).


Oscar Dominguez Hommage à Manolete, 1951 lithographie
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Manolete était une icône en Espagne, et sa mort a eu un retentissement immense, transcendant le simple fait divers pour devenir un symbole de courage, de destinée et de la fatalité.
Voir également :
Corrida II 1951
Tauromaquia
Bataille 3

Antonio Saura (1930-1998) : En 1957, cet artiste de Cuenca réalise des œuvres expressionnistes en noir et blanc sur la corrida. En 1989, il crée une série où il reprend le thème de la tauromachie avec des peintures acryliques et encres de Chine superposées aux photographies de Jean Bescós.


Antonio Saura tauromachie
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir un commentaire.
Voir également :
Tauromachie
Exposition Saura à Toulouse.

Eduardo Arroyo (1934-2018) : Connu pour son ironie, Arroyo, né à Madrid, peint « Le Toréador » en 1965.


Eduardo Arroyo Le Toréador 1965 lithogaphie 65 x 50 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Salvador Dalí (1904-1989) : Le maître surréaliste de Figueras s’intéresse à la corrida en 1968, puis de nouveau en 1972 avec « Tauromachie aux Papillons ».


Salvador Dalí­ Bullfight n° 5 1966 Lithographie 65 x 50 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Salvador Dalí­ Tauromachie aux Papillons 1972 Lithographie 76,9 x 57 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
Tauromachie (Bullfight II) 1968 lithogaphie 76 x 56 cm
Corrida 1968 lithogaphie 76 x 56 cm
Les œuvres tauromachiques de Dalí sont bien plus que de simples scènes de corrida. Elles sont des fenêtres sur son univers mental.

Fernando Botero (1932-2023) : En 1984, Botero aborde le thème avec des œuvres comme « Derechazo » (Derechazo est un terme taurin désignant une passe spécifique de la muleta) et « La Mort de Luis Chalmeta », caractérisées par son style volumineux.


Fernando Botero, Derechazo, 1984 huile sur toile 180,3 x 127 cm collection particulière
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Fernando Botero, La Mort de Luis Chalmeta, 1984 huile sur toile 121,9 × 175 cm collection particulière
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir un commentaire.

Miquel Barceló (né en 1957) : En 1994, Barceló peint son atelier avec six taureaux, en réalité des crânes de taureaux disposés en forme d’arène.


Miquel Barcelo, atelier avec six taureaux, 1994 Technique mixte sur toile 235 x 375 cm Collection Bischofberger Zurich
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

L’atelier avec 6 taureaux. Les taureaux se mêlent aux sculptures de Barceló. Ils se trouvent à la périphérie du tableau. Traité comme une arène de corrida

Il a ensuite peint de nombreuses arènes jusqu’en 2024, comme « L’Arène Jaune »,


Miquel Barcelo, l’Arène Jaune Technique mixte sur toile 235 x 375 cm Collection Bischofberger Zurich
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
La Suerte de matar, 1990, technique mixte sur toile.

ainsi que des scènes de corridas et des taureaux. On peut citer un taureau criblé de banderilles et d’autres appartenant à sa dernière série, « Grisaille ».


Miquel Barceló Grisailles

Voir Le peintre et l’arène – Art et tauromachie, de Goya À Barceló au Musée de Céret.

Gilles Aillaud (1928-2005) : Ce peintre parisien, a illustré de 24 lithographies, un texte de Edouard Arroyo et Carlos Abela « Tauromachie« .


Gilles Aillaud tauromachie 1996 lithographie 38 x 38 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Claude Viallat (né en 1936) : Né à Nîmes et célèbre pour son motif répété, Viallat est un passionné de corridas. Il a réalisé de très nombreuses représentations sur des cartons de récupération. Certaines, très spontanées, d’autres plus stylisées, ont servi d’affiches pour la Feria de Nîmes.


Claude Viallat, La Muleta, 1996, acrylique sur toile
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

À l’instar de Picasso qui utilisait la forme arrondie des coupelles, Viallat utilise des couvercles de pots de peinture, transformant ces objets en œuvres ludiques.


Claude Viallat, Tauromachie acrylique sur couvercle de pot
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
Tauromachie acrylique sur couvercle de pot de peinture.

En hommage à Auguste Chabot, il a créé deux grandes compositions récemment exposées au musée de Graveson.


Claude Viallat, hommage à Auguste Chabaud
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Claude Viallat, hommage à Auguste Chabaud
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

La corrida est une pratique qui suscite de vifs débats et est parfois même interdite. Les arguments de ses détracteurs sont nombreux, dénonçant principalement la cruauté envers l’animal et l’esthétisation de la violence lorsque la mise à mort est érigée en spectacle.
En réponse, les partisans de la corrida avancent qu’il serait plus « glorieux » pour un taureau d’être élevé pour le combat, plutôt que pour l’abattoir et la boucherie.

Pilar Albarracín : Une Critique Artistique des Clichés Andalou
Dans ce contexte de débat, l’artiste espagnole contemporaine Pilar Albarracín, née à Séville en 1968 et diplômée en art et en psychologie, utilise la performance pour dénoncer les clichés associés à l’Andalousie et, par extension, à la corrida.


Interview Pilar Albarracin

Ses œuvres marquantes incluent :

« Verónica » : Dans cette performance, elle embrasse un taureau, créant un parallèle saisissant avec sainte Véronique et le Christ, interrogeant ainsi la sacralisation de l’animal et le rituel.


Pilar Albarracín, Véronica
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

« Ta et la Firme » : Ici, elle affirme sa féminité en tenant une cocotte-minute sous le bras. Cette œuvre fait écho à son installation à la Biennale de Lyon cet automne, où une centaine de cocottes-minutes sifflaient « L’Internationale », une installation intitulée « Les Marmites Enragées« . À travers ces créations, elle suggère que « les femmes sont un cerveau qui mijote« , mettant en lumière une forme de puissance domestique et intellectuelle.


Pilar Albarracín, Ta et la Firme
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

« La Revolera » : Dans cette performance, elle partage paisiblement le lit d’un taureau, offrant une image de coexistence pacifique et subvertissant l’image traditionnelle du danger et de la confrontation.


Pilar Albarracín, la revolera
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Ces œuvres de Pilar Albarracín illustrent comment l’art peut ouvrir de nouvelles perspectives et susciter la réflexion sur des sujets controversés comme la corrida, tout en défiant les stéréotypes culturels.

Résumé de l’intervention

Le taureau a une histoire culturelle profonde et durable en Europe, accompagnant l’art depuis 20 millénaires. Il est un symbole puissant de force, de fertilité et d’énergie créatrice, fascinant les artistes de la Préhistoire à nos jours.

Dès les grottes de Lascaux, les aurochs, ancêtres des taureaux domestiques, étaient déjà représentés, illustrant l’importance de ces animaux pour les chasseurs-cueilleurs. Dans l’Antiquité, le taureau est omniprésent dans les mythes, comme celui de Gilgamesh et du Taureau Céleste en Mésopotamie, symbolisant le pouvoir et la justice. En Égypte ancienne, le culte d’Apis, taureau sacré vénéré pour sa fertilité, témoigne de son statut divin et de son rôle central dans les rituels.

La mythologie grecque est également riche en figures taurines. Zeus se métamorphose en taureau pour enlever Europe, donnant son nom au continent. Le Minotaure, né de l’union de Pasiphaé et d’un taureau, incarne la monstruosité et le labyrinthe. Les travaux d’Héraclès incluent la capture du taureau crétois, et le supplice de Dircé lie la bête à la vengeance divine.

Dans le monde chrétien, le taureau devient l’attribut de Saint Luc, symbolisant le sacrifice du Christ, une interprétation de la vision d’Ézéchiel. Au XXe siècle, Picasso se réapproprie le Minotaure comme un alter ego, explorant sa propre vie et les tourments de l’époque. La revue surréaliste Minotaure témoigne également de la fascination pour cette figure complexe, à la croisée de la conscience et de l’animalité.

Enfin, la tauromachie, qui a évolué des joutes nobles aux corridas modernes, continue d’inspirer les artistes. De Goya à Picasso, en passant par Dalí ou Botero, nombreux sont ceux qui ont exploré cet art controversé, reflet des débats sur la cruauté animale et l’esthétisation de la violence.

Le taureau, qu’il soit sacré, mythique ou combattant, demeure une source inépuisable d’inspiration artistique, traversant les époques et les cultures pour exprimer des thèmes universels tels que le pouvoir, la passion, le sacrifice et la condition humaine.

Laisser un commentaire