Observateurs de la vie moderne, les peintres ont été fascinés par le cirque et ses personnages, qui leur offraient quantité de jeux de cadrages, de mouvements, d’équilibre et de légèreté. Les gens du cirque, en marge de la société bourgeoise, suscitaient l’empathie.
Les artistes contemporains eux, sont nombreux à s’être identifiés à la figure du clown, populaire, fascinante et repoussante, androgyne, solitaire., dont ils déclinent de multiples facettes.
Intervenante : Agnès Ghenassia
Les origines
Si le mot cirque existait dans l’Antiquité (les jeux du cirque à Rome) il avait une autre signification que celle que nous lui donnons aujourd’hui.
Philip Astley (1742-1814), jeune sous-officier britannique de cavalerie, est à l’origine du cirque classique. En 1768 il a eu l’idée de tracer dans la sciure un cercle de 13,50 m de diamètre et des tribunes en bois pour présenter des prouesses équestres.
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En 1774, il s’exporte à Paris, où il installe son « manège anglais ». En 1783, est inauguré rue du Faubourg du Temple, le premier « amphithéâtre anglais », fermé, entièrement construit en bois, qui accueille des prestations équestres, mais aussi un danseur de corde et des chiens savants. Entre les numéros, se produit un clown “Paillasse”, personnage issu des parades foraines populaires.
À Londres, les Astley firent décorer leur amphithéâtre de façon champêtre qui fut baptisé The Royal Grove.
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Au cours de ce 18e siècle, des artistes ont représenté des figures de la commedia dell’arte, qui peu à peu deviendront des figures du cirque. Le plus célèbre est Antoine Watteau, avec son Pierrot (1718), longtemps appelé Gilles. Il a énormément ému lorsque qu’on la retrouvé au XIXéme siècle.

Jean-Antoine Watteau – Pierrot, dit autrefois Gilles 1718 huile sur toile 1,84 m x 1,49 m musée du Louvre
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Pierrot est un valet de comédie créé en 1673 par la troupe de la Comédie italienne, en opposition à Arlequin, autre personnage de valet comique beaucoup plus ancien. La maladresse et la naïveté de Pierrot est un faire-valoir pour la vivacité d’Arlequin.

Jean-Antoine Watteau les comédiens italiens 1720 huile sur toile 63.8 x 75.2 cm National Gallery of Art, Washington DC
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En 1720, Watteau met aussi Pierrot au centre de sa toile « les comédiens italiens ». Ces comédiens se moquent de lui, et il est complètement indifférent.
La posture artistique du Pierrot de Watteau est très grande, nous y reviendrons en dernière partie.
En 1797, Tiepolo montre un spectacle populaire en Italie “Polichinelle et saltimbanques”

Domenico Tiepolo Polichinelle et saltimbanques 1720 fresque 196 x 160 cm
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et “Polichinelle va au cirque”.
L’amphithéâtre anglais de Philip Astley a été racheté par Antonio Franconi, qui prend en 1807 le nom de “Cirque olympique”. Très vite il connaît sous la Restauration et sous le Second Empire un important succès auprès de la noblesse et de la haute bourgeoisie. La programmation change régulièrement, mais pour s’imposer, face à la concurrence des théâtres, elle s’appuyait sur la présence de numéros de chevaux. La vedette était l’écuyer Andrew Ducrow (voir une chronique de Théophile Gautier enthousiaste).
Les cirques construits en dur vont se multiplier.
En 1841, le cirque d’été aux Champs-Élysées devient le Cirque National puis le cirque de l’Impératrice, soulignant l’importance que Napoléon III accordait à cet établissement.

Le Cirque d’Été, aux Champs Élysées, devient Cirque National, puis Cirque de l’Impératrice
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En 1852 le cirque Napoléon, est construit rue des Filles du Calvaire à Paris. Il est dirigé par Adolphe Franconi, c’est là que se sont produits les cinq frères anglais mimes, clowns, acrobates, jongleurs avec des spectacles délirants pétris d’humour noir et d’effets spéciaux qui provoquaient des fous rires inquiets du public (voir Les frères Hanlon-Lees, photo de Nadar). L’un de leur spectacle s’appelait le voyage en Suisse.
… mais aussi une dompteuse, le clown Boswell, le clown Jean-Baptiste Auriol.
À la chute du Second Empire, ce cirque devient Cirque National, puis en 1873, le Cirque d’Hiver, dont les directeurs successifs seront les Fratellini puis les Bouglione.
En 1880 est créé le cirque Molier du nom d’Ernest Molier dans un manège privé près du bois de Boulogne, il réunit des aristocrates amateurs de chevaux et des ballets, avec des intermèdes clownesques.
Ses attractions apparaissent sur un éventail peint par John-Lewis Brown, peintre français d’origine écossaise.
Voir également :
– Affiche nouveau cirque 1886
– Affiche cirque d’été 1887.
– La femme mélinite 1887.
Parmi le public, James Tissot (1836-1902) a peint dans la série “la femme à Paris”, « amoureuse du cirque » 1885

James Tissot la femme à Paris : amoureuse du cirque 1883 huile sur toile 147,2 x 101,6 cm Musée des Beaux-Arts (Boston)
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Le peintre s’attache tout autant au public qu’au spectacle, et aux jeux des regards, en particulier entre hommes et femmes. On voit clairement qu’il ne s’agit pas d’un public populaire.
En 1886, le nouveau cirque est construit rue Saint-Honoré. les stars étaient les clowns Foottit et Chocolat, qui sont les inventeurs du duo de clown blanc Auguste qui deviendra la norme des numéros comiques au 20e siècle.
Chocolat – Le Clown nègre – Films Lumiere
Un sujet inépuisable pour les artistes modernes
Toulouse-Lautrec, qui fréquentait entre autres le nouveau cirque, a immortalisé Chocolat dansant, et Chocolat à cheval, de même que la clownesse Cha-U-Kao, un surnom japonisant composé à partir des môts chahut et chaos, (qui sont des danses du Moulin Rouge).

Henri de Toulouse-Lautrec Clownesse Cha-U-Kao 1895 huile sur carton 58,0 x 43,0 cm Musée d’Orsay Paris
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Voir également :
– Clownesse au Moulin Rouge 1895 huile sur toile 75 x 55 cm.
– La clownesse assise, Mademoiselle Cha-U-Kao 1896 Lithographie couleur 52 x 45 cm
La clownesse Mlle Cha-U-Kao se produisait au cabaret du Moulin Rouge dans son pantalon noir typique et son bandeau jaune et elle était le modèle préféré de Lautrec.
L’importante série de croquis très virtuoses qui montrent différentes attractions, l’artiste les a tous réalisés de mémoire en 1899 alors qu’il était interné dans une clinique de Neuilly.
Voir également :
– Toulouse-Lautrec et sa fascination pour le cirque
– Toulouse Lautrec au cirque
– D’autres dessins
Boulevard Rochechoir, le cirque Fernando va devenir très apprécié des artistes.

Henri de Toulouse-Lautrec l’écuyère du Cirque Fernando, 1888 Pastel et huile égouttée sur panneau 60 x 79.5 cm The Norton Simon Museum
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Henri de Toulouse-Lautrec au cirque, 1889 Aquarelle et pastel sur papier
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Voir également :
– La danseuse de corde
Il rencontre Degas, qui a réalisé au pastel la danse d’Arlequin

Edgar Degas, la danse d’Arlequin 1884 pastel 41 x 41 cm Galerie autrichienne du Belvédère, Vienne
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… et Arlequin et Colombine,

Edgar Degas, Arlequin et Colombine 1879 huile sur bois 32,4 × 23,2 cm Musée d’orsay Paris
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Edgar Degas, numéro de voltige de Miss Lala 1879 huile sur toile 117,2 × 77,5 cm National Gallery, Londres
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Il peint en 1879 un chef-d’œuvre Miss Lala au cirque Fernando, remarquable par son cadrage qui met en valeur le célèbre numéro de voltige de Miss Lala, réalisé à la seule force de sa mâchoire.
Voir un commentaire et les études prépéaratoires de Degas.
Auguste Renoir aussi : jongleuses du cirque Fernando,

Auguste Renoir jongleuses au cirque Fernando 1879 Huile sur toile 131,5 x 99,5 cm the Art Institute of Chicago
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– Le clown
Georges Seurat, y a puisé son inspiration pour trois tableaux comprenant selon son habitude : un format horizontal « parade de cirque » 1888 et 2 formats verticaux « chahut » 1889 il s’agit d’un groupe dansant le french cancan et « le cirque » 1891.

Georges Seurat Parade de cirque, 1888 huile sur toile 99,7 x 149,9 cm MET New York
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L’esprit de géométrie de Seurat rend la première scène très statique avec sa composition orthogonale,
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Georges Seurat le chahut, 1888 huile sur toile 170 × 141 cm Musée Kröller-Müller
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Le mouvement figé est plus surprenant avec la scène du chahut.

Georges Seurat le cirque, 1891 huile sur toile 186,0 x 152,0 cm Musée d’Orsay Paris
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Il restitue davantage la dynamique et la légèreté du spectacle dans le cirque, avec l’écuyère sur son cheval blanc. On sait que la technique pointilliste très minutieuse de Seurat interdisait toute spontanéité du geste : son travail qui passait par plusieurs étapes préparatoires exigeait un temps de réalisation très lent. Quelquefois le peintre a travaillé aussi la bordure bleue qui met en valeur par contraste les tons chauds de l’ensemble. Quelques jours après l’ouverture du Salon où il a présenté cette toile, il était emporté par une angine diphtérique, il est décédé à l’âge de 31 ans.
Voir un commentaire (musée d’Orsay).
En 1897, le cirque Fernando devient le Cirque Medrano. Le goût de l’orientalisme a accru l’introduction des animaux sauvages, on a perfectionné les cages de présentation de ces animaux pour développer des numéros de domptage.
Ainsi à la fin du 19e siècle, ces amphithéâtre restent les lieux majeurs de l’art du cirque, qui voit son public s’élargir. En province, à Reims, et Amiens d’autres cirques sont créés.
En 1902 la venue en France du fameux cirque américain Barnum and Bailey connaît un écho retentissant avec la présentation d’animaux exotiques, un chapiteau à trois pistes, 80 wagons.
L’entrepreneur de spectacle Phineas Taylor Barnum présente aussi des monstres humains, dont l’étrangeté attirait le public. Photos de Barnum et du nain Tom Pouce 1850.
Ainsi peu à peu, au cirque traditionnel équestre et mondain du 19e siècle allait succéder un cirque populaire à la recherche du sensationnel. Le principe d’itinérance commence à voir le jour, avec l’invention et le perfectionnement des chapiteaux.
De grands spectacles se tiennent dans plusieurs hippodromes, avec des numéros de domptage.
La presse de l’époque se fait l’échos des acccidents lors de ces représentations.
James Tissot peint un défilé à l’hippodrome de l’Alma toujours centré sur les silhouettes féminines.

James Tissot un défilé à l’hippodrome de l’Alma 1885 huile sur toile 146,1 x 100,7 cm Rhode Island School of Design Museum
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Parallèlement à ces représentations de spectacles, tout au long du 19e siècle, des peintres se sont attachés aux coulisses, et ont révélé l’envers du décor, c’est-à-dire le dénuement et la souffrance des gens du cirque.
Honoré Daumier la parade foraine,

Honoré Daumier la parade foraine 1865 aquarelle ; encre grise ; lavis gris ; pierre noire ; plume ; rehauts de blanc 26,6 x 36,7 cm Musée d’orsay Paris
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Honoré Daumier la parade des saltimbanques 1865 peinture sur bois 25 x 32 cm Collection particulière
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Honoré Daumier la parade 1865 Fusain, plume et encre, lavis gris, aquarelle, gouache et crayon conté sur papier 43.8 × 33.7 cm MET New York
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Le mot parade désignant ici une manifestation publicitaire pour annoncer un spectacle.
Gustave Doré, les saltimbanques ou l’enfant blessé 1874.

Gustave Doré, les saltimbanques ou l’enfant blessé 1874 Huile sur toile, 224,79 x 184,15 cm Clermont-Ferrand, Musée d’art Roger-Quillot
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Les parents qui sont encore en tenue de scène, entourent l’enfant blessé à la tête.
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Lithographie les saltimbanques, des gens fatigués, grâves et là aussi la présence d’un enfant.
Fernand Pelez (1843-1913) peint de façon très réaliste la dure réalité qui se cache derrière le spectacle populaire.

Fernand Pelez, grimace et misère (les saltimbanques) 1888 huile sur toile 261 x 668 cm Petit Palais, musée des Beaux-arts de la Ville de Paris
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C’est une immense toile qui évoque la situation misérable des forains. Pendant qu’un clown récite son boniment, la lassitude se lit sur tous les visages des jeunes trapézistes et musiciens.
Interdite par mesure de sécurité publique et de santé par Napoléon III en 1860, le rétablissement des fêtes foraines en 1880 par le préfet de police a été accueilli comme une victoire, mais la concurrence est rude. Cette toile a été présentée au salon de 1888 la même année que la parade de cirque de Seurat.
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Le Cirque Medrano (ancien cirque Fernando), dont le clown vedette et le clown Boum Boum, qui se produisait avec sa truie, est une véritable pépinière d’artistes.
Pierre Bonnard au cirque,

Pierre Bonnard, au cirque 1897 huile sur toile 52.1 x 62.9 cm Collection privée
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l’écuyère, 1897

Pierre Bonnard, l’écuyère 1899 huile sur toile 52.1 x 62.9 cm musée Faure, Aix-les-Bains
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Comme si la vitesse du motif pouvait engendrer le flou.
Voir un commentaire (Musée d’Aix les bains)