Les artistes et l’écologie

En 1975, Alan Sonfist, à New York, en plein cœur de Manhattan, clôture un périmètre de terrain épargné par la promotion immobilière et le laisse vivre sa vie d’espace s’auto-développant, de quoi permettre la revitalisation de la végétation locale. C’était 30 ans avant l’implantation de la high line en 2006.


Alan Sonfist Time Landscape, 1975
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En 1982 à Kassel, Joseph Beuys a fortement marqué les esprits avec son action 7 000 chênes. Dans le cadre de la Documenta 7, Beuys avait déposé devant le Fridericianum 7 000 blocs de basalte, demandant à des volontaires de planter ou de faire planter 7 000 chênes à l’intérieur et dans les alentours de la ville. Ce chantier de plantation a duré plusieurs années et mobilisa la ville entière. Beuys avait lui-même, en public planté le premier arbre, et chaque arbre acheté et planté ensuite correspondait à un bloc de basalte enlevé de la place. Ce geste avait d’abord d’autant plus servi que les forêts allemandes souffraient de pluies acides liées à l’industrie chimique.


Beuys à kassel en 1982
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En 2006, les artistes britanniques Heather Ackroyd & Dan Harvey découvrent à Kassel les chênes plantés 24 ans plus tôt par Beuys ses amis et militants : à présent, ces chênes sont grands et produisent des glands. Les deux artistes collectent ces glands et lancent l’opération Beuys acorns (glands de Beuys). Dans leur atelier à Londres, il les mettent en pot et ils sont replantés un peu partout au bénéfice de ceux qui en font la demande : au total 17 cercles de 77 chênes à travers le Royaume-Uni.


Ackroyd & Harvey Beuys’ Acorns, 2006
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Depuis, les deux artistes réalisent des portraits photographiques d’un genre particulier, ils sèment du gazon sur une surface placée verticalement dans une chambre noire géante, puis il projettent un négatif pendant plusieurs jours. La photosynthèse remplace le processus chimique de développement argentique. Les brins d’herbe deviennent des pixels naturels que l’on peut toucher du doigt.


Ackroyd & Harvey L’arbre des imaginaires
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Ackroyd & Harvey L’arbre des imaginaires
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En France Fabrice Hyber a semé il y a 30 ans une forêt en Vendée, sa région natale, qui est un exemple de forêt diversifiée, plus résistante face au réchauffement climatique. À l’origine il voulait reconstituer le paysage arboré autour de la ferme de ses parents pour créer une barrière avec l’agriculture industrielle. Il a semé 300 000 graines d’arbres de plusieurs centaines d’essence différentes, qui ont progressivement transformé les terres agricoles en une forêt de plusieurs dizaines d’hectares. Le paysage est devenu œuvre. C’est aussi la matrice du travail de l’artiste, puisqu’il compare sa pratique avec la croissance organique du vivant : « Au fond je fais la même chose avec les œuvres, je sème des graines de pensées visibles, elles font leur chemin et elles poussent« .


Fabrice Hyber Éco-hybride 2
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Ses tableaux sur les arbres portent les traces de démonstrations, avec des flèches, des croquis, des phrases.

Il a créé l’homme de Bessines, symbole de son engagement pour l’environnement.


Fabrice Hyber L’Homme de Bessines
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Voir d’autres oeuvres de Fabrice Hyber.

Mel Chin est un artiste américain, qui se fait connaître par ses sculptures publiques comme « Wake » qui évoque la coque d’un navire croisé avec les restes squelettiques d’une baleine. Des parties de cette épave émerge une sculpture surdimensionnée de Jenny Lind, une star de l’Opéra connue comme “Swedish Nightingale,” qui sert ici de figure de proue.


Mel Chin Wake 2018
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L’ensemble rappelle le clipper nightingale, qui transportait des esclaves africains. A Atlanta, elle est tournée vers la maison natale de Martin Luther King (un dispositif dans son cou lui permet de respirer et de lever la tête).

Par ailleurs, Mel Chin depuis 1990, s’engage dans un combat écologique. Avec l’aide d’un spécialiste de l’éco-agronomie, il a entrepris l’aménagement de plusieurs jardins bien particuliers : au sein de zones sélectionnées pour leur seule richesse en métaux (zinc, cuivre, ou plomb), il sème des plantes de type hyperaccumulatrices, dont le pouvoir est de fixer les métaux et de rendre au sol sa qualité organique première. L’artiste parle de réparation environnementale : dépolluer le sol. Mais c’est en même temps une réalisation plastique, un jardin rond inséré dans une surface carrée et un geste utile mais quel succès public ? Quel impact ?


Mel Chin Revival Field, (depuis 1990) site d’enfouissement à St Paul, Minnesota
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Ali Kazma, artiste turc est né en 1971, diplômé d’une école d’art de New York, il a installé en 2016 un blockhaus sur une île de l’Arctique. Ce lieu claquemuré sert de conservatoire à 100 000 graines patiemment collectées de plants alimentaires vulnérables en cas de catastrophes, de guerre ou de désastre entrainant un manque d’approvisionnement (une vidéo de cette installation a été exposé au musée du Jeu de Paume).


Ali Kazma Safe 2015
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Suzanne Husky artiste française née en 1955 vit et travaille entre la France et San Francisco, elle s’exprime à travers des tapisseries des aquarelles ou des céramiques. « La noble pastorale » 2017 reprend les motifs de la tapisserie de la dame à la licorne, mais remplace la licorne par une tronçonneuse, qu’un homme bras levé essaie de stopper.


Suzanne Husky La noble pastorale 2017 Tapisserie Coton, laine, fibres synthétiques 202 x 243 cm
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Une autre tapisserie en 2020 s’intitule « les oiseaux semant la vie » on aperçoit au fond à droite des éoliennes,


Suzanne Husky Les oiseaux semant la vie, 2020 Tapisserie Coton, laine, fibres synthétiques 178c x 290 cm
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et en 2024 « Bièvre, bâtisseur de mondes » montre un castor à l’oeuvre. En effet l’artiste qui a grandi à la campagne après les Beaux-Arts de Bordeaux s’est formée au paysagisme horticole pour gagner sa vie. Elle a ensuite passé un an en Chine et s’est convaincue de la nécessité d’agir pour la revitalisation des sols. Elle s’est alors formée en permaculture et en agro-écologie. Elle affirme que « le castor construit des ouvrages le long des rivières depuis 8 millions d’années, apporte des solutions avec des résultats plus concluants que les meilleurs hydrologues« .


Suzanne Husky Bièvre, bâtisseur de mondes 2023 tapisserie 275 x 190 cm
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L’artiste Suzanne Husky invite le peuple castor au château.

et une autre qui ne manque pas d’humour s’intitule les planteurs et on reconnaît à gauche Donald Trump et à droite Emmanuel Macron.

Voir d’autres oeuvres de Suzanne Husky.

Stefan Shankland est un plasticien français né en 1967 maître de conférence à Nantes. Au début des années 2000, il monte une organisation de chantiers consacrés à la gestion des ordures, mais sans dimension esthétique. Mais en 2011 il a créé la Société marbre d’ici, qui est un protocole artistique de recyclage des gravats issus de la démolition d’immeubles. Depuis une vingtaine de projets ont été réalisés, dans des espaces publics et privés.


Stefan Shankland Le Marbre de Fulton, sol des halls des bâtiments 7 et 8 de l’ilôt Fulton 2022
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Voir d’autres réalisations de Stefan Shankland.

Evoquons un autre projet d’urbanisme initié tout récemment, à Copenhague par l’artiste Doug Aitken américain né en 1968. Il a fait transformer 3 places publiques en proposant de travailler le béton comme de la pierre et comme si la chute d’un météorite avait fragmenté la surface : du coup de l’eau circule dans les fissures rafraîchissant les usages et permettant à la végétation de reprendre place.


Doug Aitken Transformation de trois places urbaines Copenhague Danemark
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Beaucoup d’artistes maintenant, soucieux de l’environnement ont créé des structures pour offrir au plus grand nombre des formations et des aides concrètes.

Barthélémy Toguo né en 1967 au Cameroun, il fait partie des artistes africains connus sur la scène artistique internationale. Ses peintures, et ses aquarelles, évoquent les liens profond qui unissent l’homme aux autres formes de vie. Il parle aussi de la rareté de l’eau en Afrique par exemple en 2020 dans le cadre de son exposition au musée du quai Branly « Water Matters » (L’eau compte) était une grande installation mettant en scène un homme assoiffé devant un étalage de bouteilles d’eau.


Barthélémy Toguo Water Matters 2020 Musée du quai Branly Paris
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En 2005, il a construit Bandjoun Station sur les hauts plateaux du Cameroun à 300 km de Douala et de Yaoundé. Une architecture dont les façades pleines de fantaisie ont été décorées par lui-même. Elle comporte surtout un projet artistique, agricole et politique de longue haleine qui s’oppose à l’agrobusiness et défend l’accès aux ressources locales, comme le café et le cacao (dont le prix est inaccessible pour la population locale). C’est un lieu qui comprend des ateliers, des salles de rencontres et d’études, auxquels s’ajoute 3 hectares de plantations de café distribués en circuit court.


Barthélémy Toguo Bandjoun Station, hauts plateaux du Cameroun, 2005, un projet artistique, agricole et politique
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Michael Wang, artiste américain né en 1981, cultive dans le cadre de son projet « Extinct in the wild » (éteint à l’état sauvage) un jardin expérimental à 100 km de New York, avec une sélection de plantes qui ont disparu, pour les réintroduire dans les parcs de la ville. Il a ravivé les plantes présentes dans les marais il y a 8 000 ans à Shanghai.


Michael Wang Extinct in the Wild, 2017
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Voir d’autres oeuvres de Michael Wang.

Fernando Garcia-Dory est espagnol né en 1978. Depuis 2009 il développe la structure Inland, en Espagne, dédiée à la production agricole, sociale et culturelle, avec pour manifeste art-agriculture-territoire. Il s’agit de revitalisation rurale et d’encourager des jeunes au pastoralisme, à l’apiculture entre autres, dans des contextes désertés par les agriculteurs.


Fernando Garcia-Dory Inland, structure agro-écologique
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Voir les productions de Inland station.

Luigi Coppola, artiste italien né à Lecce en 1972, et engagé depuis 2013 avec La Casa delle Agriculture à Castiglione d’Otranto près de Lecce en tant qu’activateur d’un processus d’agriculture participative et de récupération de terres polluées impliquant migrants, étudiants, agriculteurs et activistes.


Luigi Coppola La Casa delle Agriculture à Castiglione d’Otranto, 2013
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Yinka Shonibare artiste anglo-nigérien que nous connaissons bien pour son utilisation ironique des tissus wax sur des personnages occidentaux du passé ou d’aujourd’hui (nous avons vu à la dernière biennale de Venise son migrant cosmonaute). Il a créé à Lagos, au Nigéria le Guest Artists Space Fondation (GAS). Une belle architecture contemporaine contenant des ateliers, des chambres pour résidents, une bibliothèque, une salle de conférence et une ferme biologique destinée aux communautés locales. C’est un lieu ouvert à toutes les bonnes volontés et aux projets artistiques.


Yinka Shonibare Guest Artists Space Foudation (G.A.S.) Lagos 2022
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Les artistes semeurs, cultivateurs, jardinier et fédérateurs de relations au vivant (Art Basel).

Yto Barrada, artiste franco-marocaine née en 1971 qui a en charge le pavillon français de la biennale de Venise de 2026, a créé à Tanger « The Mothership », un lieu destiné aux femmes et planté d’espèces tinctoriales. Il y aura là un encouragement à teindre de façon artisanale les textiles


Yto Barrada The Mothership, Tanger
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Félix Guattari, dans un texte paru en 1989 « Les trois écologies » distingue l’écologie pratique : trier nos déchets par exemple, et l’écologie plénière celle-ci, dit-il, doit être engagée collective et régulatrice de nos modes de vie non seulement matériels mais sociaux. Il appelle de ses vœux une écosophie de caractère ethico-politique c’est-à-dire l’âge de la responsabilité partagée.


Félix Guattari Les trois écologies 1989
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En 2025, notre société individualiste et édoniste n’en est pas encore là, mais les artistes que je vous ai présentés à leur échelle locale, s’efforcent d’inventer autre chose pour un avenir meilleur.

Pour conclure, une dernière citation de Francis Ponge : « La seule chose que vous devez faire en tant qu’artiste, c’est ouvrir la porte et réparer le monde. »

Exposé réalisé à partir de l’ouvrage de Paul Ardenne, Un art écologique Création plasticienne et anthropocène 2019.


Paul Ardenne Un art écologique Création plasticienne et anthropocène 2019
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Résumé de l’intervention
Depuis les années 1970, de nombreux artistes se sont engagés dans la lutte contre les enjeux écologiques et sociaux. Après l’élan du Land Art, qui a poussé à créer dans des milieux vierges, la question du rôle de l’art dans le combat écologique s’est posée : que peut-il réellement contre la pollution, le pillage des ressources, la déforestation, ou le réchauffement climatique ? Même symboliquement et localement, des artistes s’impliquent.

Un premier axe a vu naître des performances de communion avec la nature. Kazuo Shiraga au Japon, Ana Mendieta à Cuba, Prune Nourry et Levi Van Veluw ont utilisé leur corps pour incarner l’union avec la Terre. Des performances dénoncent aussi la pollution et l’exploitation, comme celles de Joseph Beuys, Barbara Leisgen ou Sarah Trouche dans des paysages meurtris. Spencer Tunick implique des centaines de volontaires nus pour alerter sur la disparition des mers et des glaciers, tandis qu’Agnès Dénes sème un champ de blé à Manhattan comme geste symbolique qui allie art, écologie et engagement social.

L’action militante s’étend aux photographes et plasticiens : William Eugene Smith documente les effets humains de la pollution au mercure à Minamata, Edward Burtynsky et Daniel Beltra montrent la beauté dramatique de paysages détruits, Gideon Mendel et Mitch Epstein mettent en scène les victimes des inondations ou des catastrophes nucléaires. Hundertwasser, Gloria Friedmann, Nicolas Garcia Uriburu ou Vaughn Bell œuvrent par affiches, sculptures, installations et actions performatives pour éveiller les consciences sur la destruction environnementale.

D’autres artistes proposent des dispositifs critiques ou poétiques sur l’urbanisation et la pollution : Minerva Cuevas, Michael Pinsky, Andrea Polli, Chiu-Chih, Christiane Geoffroy, H.A. Schult, Captain Boomer, Otobong Nkanga ou Brandon Ballanger interrogent le vivant, la mémoire, l’expérience sensorielle ou l’impact du capitalisme à travers leur œuvre.

Enfin, certains artistes s’engagent activement dans la réparation des écosystèmes, la replantation, la revitalisation des sols et la sauvegarde de la biodiversité (Kathryn Miller, Alan Sonfist, Joseph Beuys, Ackroyd & Harvey, Fabrice Hyber, Mel Chin, Ali Kazma, Suzanne Husky, Stefan Shankland, Doug Aitken). Des projets d’agriculture sociale ou de revalorisation rurale voient le jour, portés par Fernando Garcia-Dory, Luigi Coppola, Barthélémy Toguo, Yinka Shonibare ou Yto Barrada. L’écologie devient une dimension collective et éthico-politique, comme le souhaite Félix Guattari : partager la responsabilité et inventer ensemble de nouveaux modes de vie durables.