Depuis les années 1970 de nombreux artistes se montrent sensibles aux enjeux sociaux et environnementaux. Mais après l’élan néo-romantique du Land Art qui les a poussés à œuvrer dans des territoires vierges, la question de l’utilité s’est posée : quel rôle l’art peut-il jouer dans le combat écologique?
Intervenante : Agnès Ghenassia
Que peut l’art face à la réalité écologique, à la pollution atmosphérique, au pillage des ressources naturelles, à la déforestation à grande échelle, au réchauffement climatique ? Pourtant, des artistes s’impliquent dans ce combat – même symboliquement, même localement, même indirectement.
1 – Des performances naturistes pour célébrer notre appartenance à la terre
Dès les années 1960, des artistes ont exploré la question du lien entre l’humain et la nature. J’ai d’abord réuni des œuvres qui impliquent directement le corps, sous forme de performances.
Kazuo Shiraga, japonais, a réalisé une performance célèbre intitulée « lutter dans la boue » en 1965. Il a d’abord gorgé d’eau un périmètre circulaire de terre de 2 m de diamètre, et une fois la terre ramollie, il s’est jeté au sol pour combattre la boue. La matière englue ses mouvements. Dans le contexte du mouvement artistique Gutaï (incarnation) Shiraga a matérialisé une forme d’union avec la terre.
La Cubaine Ana Mendieta, offrait son corps nu à la nature avec l’idée d’en devenir une composante. Lors de sa performance intitulée « Grass Breathing » en 1974 elle s’est allongée dans une zone herbeuse, sous de grandes dalles souples de forme carrée, recouvertes de la même herbe. L’artiste s’est mise en mouvement comme un poumon qui se gonfle et se dégonfle donnant l’impression que c’est le sol qui respire.
Ana Mendieta Grass breathing 1974
De même qu’elle est devenue herbe, elle deviendra écorce en 1977 avec « arbre de vie », réalisé dans l’Iowa pour rappeler que « l’humain, c’est la nature aussi, la sève ancestrale » » disait-elle.
Ana Mendieta arbre de vie 1977
Voir également Ana Mendieta Silueta series 1973-1978
Elle est décédée à 36 ans après le probable meurtre par son mari Carl Andre.
Dans le même esprit, Prune Nourry a réalisé Mère-terre à Château La Coste, en 2024
C’est un peu la même idée qui anime, en 2008, le jeune artiste néerlandais Levi Van Veluw qui devient paysage en se couvrant d’éléments végétaux et de mousse. Ceci s’intitule en effet « Landscape ».
Levi Van Veluw Landscape
Dans les années 1970, la prise de conscience environnementale s’accentue : pollution industrielle, marées noires, invasion du plastique, risques nucléaires…
Joseph Beuys, le 16 août 1971 réalise « Aktion im Moor » dans un marais du Zuiderzee au Pays-Bas, pour protester contre la dégradation environnementale qui affecte les marais du fait de l’expansion des cultures et la poldérisation. Beuys, maculé de boue, réaffirme le pouvoir vital et mémoriel des marais, qu’il décrit comme « les lieux les plus vivants d’un paysage ».
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De même Barbara Leisgen, artiste allemande, avec « Pink dépression eau mourante » en 1982 s’est laissée couler, tout habillée, dans le lit d’une rivière, restant ainsi en apnée, comme une épave dans un geste de protestation contre la pollution des fleuves et des rivières de son pays avec, métaphoriquement, l’idée que l’humain se noie dans ses propres déchets.
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En 2013, Sarah Trouche, artiste française née en 1983, que son militantisme écologique conduit à voyager à travers le monde, a réalisé une performance spectaculaire dans le lieu désertique de l’ancienne mer d’Aral, où autrefois il y avait de l’eau, des pêcheurs, des bateaux, alors qu’à perte de vue il ne reste aujourd’hui que du sable et des épaves. La surexploitation agricole du coton, et l’irrigation mal maîtrisée ont asséché cette mer intérieure où une épaisse couche de sodium recouvre le sable.

Sarah Trouche Aral Revival -performance au Kazakhstan sur la mer d’Aral 2013
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Sarah Trouche s’est hissée sur la carcasse d’un bateau abandonné, nue, le corps peint en bleu, tenant à bout de bras le drapeau de la République du Kazakhstan.
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Ce n’est pas son propre corps mais celui de performeurs volontaires qu’utilise le photographe Spencer Tunick. En 2011 sous sa direction, 1 200 personnes nues se sont couchées sur la mer Morte pour dénoncer la disparition de la nappe phréatique. L’artiste, juché sur un échafaudage, les photographia d’en haut et leur donna des consignes.

Spencer Tunick 1200 personnes nues sur le mer morte pour dénoncer la disparition de la nappe phréatique, 2011
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En 2021, pour dénoncer l’assèchement de la Mer Morte qui perd un mètre de hauteur par an, 200 personnes nues peintes en blanc se sont disposées sur les collines rocheuses qui surplombent la mer à Arad. Elles apparaissent comme des colonnes de sel en référence aux formations minérales que l’on observe le long de la mer, mais aussi à l’image de la femme de Lot qui, dans la Genèse, a été transformée en statue de sel pour avoir regardé vers Sodome détruite, la colère divine.
200 personnes posent nues près de la mer Morte pour l’artiste Spencer Tunick
L’assèchement de la Mer Morte a commencé dans les années 60 avec l’exploitation des eaux du Jourdain.
En 2007 Spencer Tunick avait répondu à un appel d’offres lancé par Greenpeace sur Internet. Les glaciers des Alpes fondent à une vitesse vertigineuse, celui d’Aletsch en Suisse a perdu 150 m en 2 ans.
Il a mobilisé 600 personnes au pied du glacier.
Voir d’autres performances de Spencer Tunich.
D’une toute autre manière, c’est toute seule que Ágnes Dénes, américaine, avait en 1982 réalisé son Wheatfield (champ de blé) à l’extrémité de Manhattan, à Battery Park, dans l’une des zones les plus densément urbanisées du monde. Sur une surface de 8 000 m2 non occupée.

Ágnes Dénes Weatfield, a confrontation 1983 quartier de Battery Park, New-York
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L’artiste a fait livrer par camion plusieurs tonnes de terre qu’elle a enrichi par un compost fait de déchets urbains récupérés ; elle a creusé elle-même 300 sillons et semé du blé. En août 1982, cinq quintaux de blé ont été récoltés, et distribués dans le cadre de la lutte contre la faim dans le monde. Acte symbolique mais exemplaire l’image du blé ondoyant au pied des gratte-ciel est réjouissante et l’engagement politico-social a suscité l’engouement des médias.
Khvay Samnang, artiste cambodgien, il s’est rendu dans les hautes terres du nord-est du Cambodge pour constater l’altération de l’environnement. Il a déversé sur son corps du latex frais puis, comme un fantôme égaré, il a traversé les zones de cultures forestières intensives, là où la forêt disparaît. Il pose la question : « Où vivront alors les esprits ? » Ici il s’agit du legs colonial, en 1884, les terres de la monarchie Khmer sont privatisées par l’Indochine française. Des graines d’hévéa sont importées du Brésil, et les Français introduisent une vision économique de l’exploitation de l’hévéa. La première concession foncière cambodgienne accordée en 1922 pour une plantation d’hévéa en fait la plus vaste du monde jusqu’en 1875, au prix de la déforestation et de la confiscation de terres où vivent une vingtaine de groupes ethniques, et pour lesquels les esprits de la forêt et ceux des ancêtres jouent un rôle essentiel..
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Pour terminer avec humour ce paragraphe sur les performances naturistes, incomplet bien sûr, évoquons les performances réalisées par Abraham Poincheval et Laurent Tixador. L’une en 2002 s’intitulait « Total Symbiose ». Pendant une semaine ils ont fait le pari de vivre de la nature sur les îles du Frioul au large de Marseille, selon un mode paléolithique strict. Leur volonté était de s’insérer dans ce biotope inconnu avec pour tout bagage une connaissance théorique de la nature. De l’aveu des artistes, ils ont dormi dehors entourés de moustiques et de rats, inventé des armes de chasse et de pêche avec les moyens trouvés sur place, ils se sont échinés à faire du feu pour dresser le constat que nous ne sommes pas faits pour ce retour aux origines.
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Mais en 2008, ils ont tenté avec « Horizon moins 20 » une autre expérience. Ils décident de créer une cellule d’habitat troglodyte nomade, un cocon sous roche. A environ un mètre 50 de profondeur et en se déplaçant de 1 m par jour, ils ont creusé sous terre, 20 m rebouchant la partie arrière du tunnel derrière eux au fur et à mesure de leur avancée. 20 jours sous terre, en avançant comme des taupes. Le projet avait été refusé en France du fait de sa possible dangerosité (si la voûte s’effondrait, ils seraient morts étouffés). Le projet a donc été mis en œuvre à Murcia en Espagne en janvier février 2008.

Abraham Poincheval et Laurent Tixador Horizon moins vingt, 2008
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2 – Témoigner, sensibiliser, dénoncer : des photographes et des plasticiens
L’art, lorsqu’il n’agit pas de façon symbolique, s’exprime plus efficacement lorsqu’il témoigne, sensibilise, dénonce. Ce sont d’abord les photographes.
Ainsi William Eugène Smith, en 1972 fait date avec un reportage pour Life sur les dégâts humains d’une pollution au mercure, à Minamata au Japon petite ville littorale. De 1932 à 1968, l’usine pétrochimique Chisso de Minamata a rejeté directement et sans discontinuier dans la baie des déchets hautement toxiques contenant du méthyle mercure qui a pollué la chaîne alimentaire des pêcheurs et rendu gravement malade des milliers de personnes. Le photojournaliste a séjourné là-bas de 1971 à 1974.
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Edward Burtynsky Canadien, né en 1955, fils d’un père réfugié ukrainien, documente depuis 30 ans les espaces terrestres profondément perturbés par l’intrusion humaine : eaux polluées des rivières aux États-Unis, extraction des sables bitumineux en Alaska, forêts dévastées par l’industrie de l’uranium. Paradoxalement ses photos accrochent le regard par leur beauté.

Edward Burtynsky Forêt dévastée pour l’extraction de l’uranium, Ontario, 1996
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Voir d’autres paysages de Edward Burtynsky : Pollutions dues au pétrole, pollution de l’eau, pollution due aux mines etc.
De même le photographe espagnol Daniel Beltra sillonne le monde pour dénoncer les dégâts en mer comme à terre.
Voir en artique, en Ukraine, en forêts etc.
Gideon Mendel, africain du Sud installé à Londres, choisit de ne pas montrer les inondations en elles-mêmes mais de faire poser, sur place, les victimes de ces inondations (série portraits submergés 2011). De même avec la série portraits incendiés 2020-2022 il fait poser les victimes qui ont tout perdu stoïques au milieu des décombres.
Voir également : Freedom or death, Fire and flood.
Mitch Epstein, photographe américain, révèle par ses images l’inquiétude quant à la sécurité nucléaire.

Mitch Epstein Série American Power, centrale thermique d’Amos, Virginie, 2004
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Voir d’autres photographies.
3 – Les artistes plasticiens, comment témoigne t-ils ?
Hundertwasser, dont on connaît l’engagement total dans la cause écologique a souvent utilisé ses peintures pour des campagnes d’affichage,
Voir également, pour la reforestation la nature libre est notre liberté contre la pollution des villes pour sauver sauver les baleines..
D’autres affiches de Hundertwasser.
Nicolas Garcia Uriburu (1937 2016), artiste argentin, s’était d’abord fait connaître dans les années 60 comme peintre pop, lorsqu’en 1968 il a été invité à la Biennale de Venise, il a, à la surprise générale, lancé dans le grand canal de la fluoricelline, une substance inoffensive qui a pour effet au contact des bactéries de colorer l’eau en vert. Dans les années qui ont suivi, son geste a été renouvelé dans la Seine, dans la Tamise à Londres etc. révélant que dans toutes les grandes villes l’eau des rivières était polluée.

Nicolas Garcia Uriburu Les trois Grâces, 1967, huile sur toile 130 x 160 cm Museo Nacional de las Bellas Artes, Buenos Aires, Argentine.
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Voir d’autres oeuvres de Nicolas Garcia Uriburu




























