Le classicisme et le modernisme, pluralisme esthétique en Italie (1922-1931)

1ier point – placer l’homme au centre de toute création artitique
Le premier point consiste à placer l’homme au centre de toute création artistique ; Margherita Sarfatti écrit : « l’homme, la mesure classique par excellence ».


Achille Funi, Maternità 1921 huile sur toile 29,8 x 22,9 cm Collection particulière
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Voici d’Achille Funi, Maternità. Selon M. Sarfatti, « c’est le tableau le plus beau et le plus complet de Funi ». Funi adpopte « la ligne d’un classicisme moderne. » Le renvoi à la Renaissance est évident, actualisé par la présence d’un paysage moderne.


Piero Marussig, L’Autunno 1924 huile sur toile 98,5 x 149 cm Museo di arte moderna e contemporanea di Trento e Rovereto
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Piero Marussig (1879 1937), Autumno. M. Sarfatti apprécie « la ronde consistance corporelle et la sensibilité des plans et pénombres, traits typiquement italiens ».
Cette remise de l’homme au centre de l’univers s’accompagne d’un rejet du paysage, assimilé à l’impressionnisme. M. Sarfatti et M. Bontempelli partagent cette aversion. Ce dernier met dans le même sac impressionnisme et démocratie. L’impressionnisme et toutes les avant-gardes qui en découlent réduisent « l’idéal artistique à un jeu [ ] d’impressions [ ] fugitives. L’esprit démocratique autorise une liberté imaginaire » qui permet à tout artiste de s’abstraire « d’une quelconque construction impérative et d’une quelconque loi supérieure ». L’art italien s’exprime dans « la construction ferme et claire d’une beauté idéale ».


Mario Sironi Paysage urbain avec camion 1920 huile sur toile 44 x 60 cm Collection particulière
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Il existe bien sûr des exceptions, les Périphéries de Mario Sironi, qui est un ami de M. Sarfatti depuis 1912. Mais tous deux partagent l’idée que l’art est au service du fascisme. Paesaggio urbano con camion, un paysage marqué par l’absence de végétaux. M. Sarfatti apprécie la structure géométrique du tableau ; elle y voit « les éléments et le style d’une beauté et d’une grandeur nouvelle ». Ces banlieues isolées, mélancoliques et ordonnées montrent que l’ancien futuriste ne partage plus le mythe du progrès technique. En cela, il prend la suite de la Metafisica.
Dès 1926, Novecento invite des paysagistes à ses expositions.

2éme point – Reconstruction de la forme
Avec le fascisme, le moment est venu « d’œuvrer à la reconstruction ». Il faut bâtir et dominer un monde extérieur à l’homme. « Or, l’art de dominer la nature, c’est la magie » écrit Bontempelli.
Massimo Bontempelli reconnait comme seul mérite au futurisme est « d’avoir coupé les ponts entre le XIXème et le XXème siècle ». Avec le fascisme, le moment est venu « d’œuvrer à la reconstruction » du monde. Il faut bâtir et dominer un monde extérieur à l’homme. Or, « l’art de dominer la nature, c’est la magie », affirme Bontempelli. Pour Margherita Sarfatti, la peinture c’est l’art magique par excellence. Le geste magique de l’artiste est l’acte fondateur des nouveaux mythes de l’ère fasciste. Voilà le 2ème point.


Antonio Donghi Cirque 1927 huile sur toile Collection privée
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Parmi ceux qui adhèrent à cette esthétique appelée « Réalisme magique », Antonio Donghi, avec ses scènes de la vie bourgeoise troublantes, réalisent un équilibre entre rêve et réalité.


Mario Sironi L’architecte 1922 huile sur toile 44 x 60 cm Collection particulière
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De tous les artistes, l’architecte est celui qui incarne le mieux le rôle de magicien-constructeur ; il est représenté avec ses instruments comme le compas. L’architecte a appris « l’art de bâtir pour inventer les mythes tout nouveaux, capables d’enfanter la nouvelle atmosphère qui nous est nécessaire pour respirer ». (comme l’écrit Massimo Bontempelli en français dans le 1er numéro de 900). L’architetto de Mario Sironi exprime parfaitement la dialectique fasciste d’une modernité écrite dans le passé romain.


Achille Funi L’architetto Chiattone 1924 huile sur toile 103,5 x 103 cm Museo d’arte della Svizzera italiana à Lugano
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L’architetto Chiattone d’Achille Funi. Ce tableau correspond aux recommandations de Bontempelli : « Précision réaliste des contours, solidité de la matière bien posée sur le sol, et tout autour comme une atmosphère de magie ».

En 1924, André Breton s’exprime sur la dimension magique du surréalisme, qu’il décèle en particulier dans les collages de Max Ernst.
En 1925 à l’occasion de l’exposition qualifiée de post-expressionniste, qui se tient à la Kunsthalle de Mannheim en 1925, Franz Roh, consacre le vocable et théorise le « réalisme magique » dans « Post-expressionnisme, réalisme magique (Nach-Expressionismus, Magischer Realismus), problèmes de la peinture européenne la plus récente ». Franz Roh entend promouvoir « l’être en ordre » et la nécessité « d’objectiver la réalité du réalisme magique » face au « vertige mystique » généré par l’expressionnisme. L’exposition lancée par Friedrich Hartlaub consacre le terme « die neue Sachlichkeit ».

3ième point un art italien universel
Margherita Sarfatti affirme la continuité d’un art spécifiquement italien, reliant le Quattrocento avec Masaccio jusqu’au Novecento.
Massimo Bontempelli écrit dans sa revue « 900 » : « L’art italien du Novecento a des lignes dures, particulièrement dans sa confrontation avec l’impressionnisme, qui était la représentation analytique, fluctuante, de l’incertitude atmosphérique. C’est le retour au concept de la ligne définie, précise, synthétique, et de la couleur harmonieuse et nette. [ ] C’est un art riche de nouveaux germes avec des tendances et des aspirations désormais universelles ».
Tous deux s’entendent sur un 3ème point fondamental : promouvoir un art italien, universel, destiné aux peuples du pourtour méditerranéen, marqués par la romanité, donc accessibles à l’italianité.


Exposition en Argentine 1930
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Margherita Sarfatti organise des expositions dans toute l’Europe et jusqu’en Argentine. Ces expositions ont pour but de diffuser l’art italien.
[Cette notion d’universalisme est contestée par une autre revue « AntiEuropa ». Massimo Bontempelli prend soin de préciser que l’universalisme romain n’est pas l’internationalisme, propre au régime bolchévique. La revue de Bontempelli est initialement rédigée en français « pour des raisons de propagande et de diffusion ». Il doit en 1927 la publier en italien et la revue disparait en 1929, faute d’un lectorat suffisant dans la péninsule.
Les deux protagonistes de Stracittà sont sincères. Ils croient à une forme d’universalisme propre à l’art d’Italie. Les expositions organisées par Margherita Sarfatti en Europe et en Argentine reprennent les œuvres [de Dudreville, Funi, Sironi, Bucci, Malerba, Marussig et Oppi,] qu’elle expose à la galerie Pesaro de Milan en 1923 ; elles ne sont pas destinées à tromper le public européen sur la nature du régime.

Mais Novecento n’a rien d’un art officiel, encore moins d’un art de propagande.


Mario Sironi Paysage urbain
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Parmi les artistes qui exposent à la galerie Pesaro sous l’égide de Margherita Sarfatti, Mario Sironi continue de peindre des paysages urbains, qui n’ont rien de commun avec l’urbanisme que le Duce tente de promouvoir et qui trouve des réalisations dans la 2ème décennie du régime.


Leonardo Dudreville Amore: discorso primo 1924 huile sur toile 266 x 364 cm Collezioni d’arte della Fondazione Cariplo, Milano
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Leonardo Dudreville adhère lui aussi à Novecento. Sa peinture, Amore: discorso primo, proche de la « Neue Sachlichkeit », la nouvelle réalité allemande, n’a rien de conforme à la politique familiale du fascisme.

Felice Casorati, un peintre invité aux expositions de Novecento


Felice Casorati Autoportrait 1908
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Felice Casorati a commencé à peindre vers l’âge de 18 ans. Il est invité aux expositions de Margherita Sarfatti


Felice Casorati: Le signorine 1922, huile sur carton, 187,5 × 195 cm ; Venise, Fondazione Musei Civici di Venezia
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Avec «  les demoiselles », il cherche à exprimer le quotidien dans un langage mystérieux, proche du symbolisme, qui annonce sa participation au réalisme magique. Voir un commentaire.
Il s’inspire de l’art de Piero della Francesca pour produire une peinture néo-Renaissance dont les protagonistes sont des personnages immobiles, représentés dans des poses frontales, dans des compositions froides et rigoureusement géométriques : Portrait de Silvana Cenni . A l’arrière-plan, derrière la figure apparaît un dessin d’architecture qui rappelle une vue de la ville idéale conservée à Urbino. Le réalisme de la représentation, va au-delà de la réalité elle-même, offrant un espace immobile et hors du temps.


Felice Casorati Beethoven 1928 huile sur toile Musée des Arts Décoratifs Turin
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Felice Casorati n’appartient pas au groupe des 7 fondateurs de Novecento. Margherita Sarfatti l’invite aux expositions du Novecento Italiano entre 1926 et 1929. Il appartient alors pleinement au réalisme magique. Beethoven est présenté pour la première fois à la Biennale de Venise en 1928. Le reflet de la petite fille donne au tableau une dimension irréelle soulignée par un point de vue placé très haut sans rapport avec le point de fuite de la perspective donné par le parquet.

En 1922, il se lance dans un mouvement artistique « Rivoluz »

Voir d’autres oeuvres de Felice Casorati

Les meubles de Felice Casorati et Mario Sironi


Felice Casorati
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En 1918, Felice Casorati vient de s’installer à Turin. L’industriel Riccardo Gualino, collectionneur et mécène, lui confie en 1924 l’aménagement de sa maison, qui comprend un théâtre privé.


Felice Casorati Mobilier 1926
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En 1926, Felice Casorati conçoit dans le même style pour sa propre maison un mobilier simple et massif, aux lignes épurées et dépourvues de toute ornementation. [Il confie leur fabrication à l’ébéniste Giacomo Cometti, qui les réalise en bois poli noir.] Par la simplification des formes, ils contribuent à créer l’atmosphère figée et atemporelle que l’on retrouve dans les tableaux du « réalisme magique ». Il participe à la naissance du design italien.


Felice Casorati Mobilier 1926
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Le peintre Mario Sironi conçoit lui aussi des meubles, qui sont aujourd’hui exposés dans la Casa Boschi di Stefano, construite entre 1929 et 1931. Dans les meubles du style Novecento qui se constitue, la massivité des contours est allégée par les contrastes entre bois clairs et foncés. Ces meubles trouvent toute leur place dans immeubles que construisent les architectes proches du Novecento, ce qui me fournit une excellente transition.

Les arhitectes proches de Novecento
Les architectes proches de Novecento, ou les « architectes néoclassiques de Milan », par leur sens de l’équilibre, leur sobriété, leur volonté de se rattacher à un passé méditerranéen les rend proches des toiles exposées en 1923 à la galerie Pesaro. Ces architectes apparaissent comme une avant-garde modérée.


Giovanni Muzio Immeuble Ca’ Brutta 1921 Milan
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Entre 1919 et 1921, l’architecte Giovanni Muzio réalise sa 1ère œuvre. Il est à cette époque en lien avec la Metafisica et proche du « retour à l’ordre ». Il exprime son intérêt pour une architecture renouvelée en rupture avec l’Art nouveau, les façades de pacotille du style Liberty. Ce retour à l’ordre s’accompagne d’un refus de l’éclectisme.


Giovanni Muzio Immeuble Ca’ Brutta 1922 Milan
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Le bâtiment en forme de U se compose de deux ailes, séparées par une rue privée qui relie l’ensemble au contexte urbain.


Giovanni Muzio Immeuble Ca’ Brutta 1921 Milan
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La façade est divisée en bandes horizontales ; la plus basse est formée par des assises de travertin, la seconde est couverte d’un enduit gris et la troisième est recouverte de marbre blanc, rose et noir.
Giovanni Muzio fait appel à un certain classicisme italien, avec l’utilisation de frontons palladiens. Cette récupération dans ce bâtiment néo-classique peut apparaitre comme le manifeste architectural de Novecento.
Muzio doit s’adapter à l’organisation d’un bien immobilier en copropriété ; c’est le premier bâtiment milanais à avoir un garage commun. Par la suite, il est proche du Novecento. Il réalise ses autres œuvres architecturales après 1930, souvent en coopération avec Mario Sironi. A noter que le consulat de France est installé dans cette maison.


Piero Portaluppi Casa Boschi Di Stefano 1931 Milan
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Piero Portaluppi conçoit de 1929 à 1931 cet autre « palazzo » destiné à la haute bourgeoisie : Casa Boschi di Stefano, dont il dessine également le mobilier. Les meubles de Mario Sironi, que je vous ai présentés, ont été acquis par la fondation en charge du musée abrité dans cette maison. L’architecte a su tirer parti de l’emplacement à la croisée de deux rues. Il souligne cette structure angulaire par de grandes fenêtres et d’élégantes balustrades proches du style art déco. L’Italie a en effet participé à l’exposition internationale des arts décoratifs.


Piazza del Duomo à Milan en 1938 : Palazzo dell’Arengario
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Giovanni Muzio et Piero Portaluppi participent à l’aménagement de la Piazza del Duomo à Milan en 1938 : Palazzo dell’Arengario.

2.2 – Strapaese

Deux peronnalités et une revue
Strapaese, Super-bien-de-chez-nous s’attache aux paysages traditionnels de l’Italie rurale. « Super » est à comprendre comme dans « c’est super », ou « c’est extra ». Strapaese est dirigé par deux personnalités et publie une revue.


Ottone Rosai, portrait de Mino Maccari, vers 1955, Milan Novecento
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Mino Maccari devient rédacteur en chef du journal il Selvaggio (le sauvage) en 1925; la ligne politique relève alors du fascisme révolutionnaire et du régionalisme toscan. En 1926, le journal se transforme en revue artistique. Le journal encourage un art militant, apte à mettre en valeur la nature spirituelle du fascisme.


Ottone Rosai, portrait d’Ardengo Soffici, 1948, Milan Novecento
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En 1927, l’ancien futuriste et critique d’art, Ardengo Soffici est nommé directeur artistique du journal. Il définit le réalisme comme style de l’Italie fasciste. Les deux portraits sont peints après la période que je décris.
Ardengo Soffici proclame : « L’artiste doit être enraciné dans sa terre ».

Ardengo Soffici
A. Soffici considère le fascisme comme une idéologie totale, où art et politique se confondent. Il adopte une conception géométrique de l’art. Dans son réalisme synthétique, le peintre « sauvage » ne doit que traduire les qualités propres à la terre italienne.
Comme Novecento, il oppose un art du Nord aux fondements démocratiques et individualistes à un art méditerranéen, fasciste, qui a su adopter le classicisme gréco-romain. Il entre en désaccord avec le réalisme magique du Novecento, où l’artiste se doit de dominer la nature et d’engendrer les fondements mythiques du fascisme. Au contraire, dans le réalisme synthétique de Soffici, le peintre « sauvage » ne doit que traduire les qualités propres à la terre italienne.


Ardengo Soffici, Campi e coline, 1925
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Ardengo Soffici souligne la valeur politique de « la peinture de paysage [qui peut] exhorter à l’amour des champs et dissuader le peuple de l’urbanisme, cause de tant de maux ».

Ottone Rosai, Giorgio Morandi


Ottone Rosai, Via Toscanella, 1922
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Le paysage est conçu comme la manifestation culturelle de l’identité régionale. Ottone Rosai peint des hommes et des femmes du pays, garants de cette identité régionale. On est loin de l’homme nouveau, l’architecte dont Mario Sironi et Achille Funi ont dressé le portrait.


Giorgio Morandi Autoportrait, 1924, Brera
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Giorgio Morandi est le plus célèbre des artistes de Strapaese.


Il Selvaggio
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Il publie dans il Selvaggio et c’est par ce journal qu’il se fait connaitre. Ses natures mortes apparaissent dans le N° 9 de 1932, avec la reproduction d’une eau-forte en première page.
Depuis la 1ère biennale de Venise de l’Après-guerre en 1948, il est de bon ton d’affirmer que les natures mortes de Giorgio Morandi ont su maintenir une distance critique entre lui et l’iconographie fasciste. En 1928, Giorgio Morandi déclare : « J’ai beaucoup de foi dans le fascisme depuis ses débuts ». La peintre et critique d’art Achille Lega fait de ses natures mortes l’expression d’une « physionomie familière », lui conférant une valeur politique propre au fascisme régionaliste.


Il Selvaggio
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La polémique
On aboutit à deux principes artistiques opposés dans une Italie où le régime mussolinien doit encore renforcer son autorité. Les deux groupes s’affrontent dans leurs journaux par des caricatures féroces et des articles polémiques. Bontempelli est ici allongé, tandis que Malaparte lui ôte un ténia, symbole du « bontempellisme ». Mino Maccari, directeur du journal, fait les poches de Curzio Malaparte pour renflouer son journal. Cette rivalité entre les deux mouvements artistiques dure de 1922 à 1929.


Achille Funi, La Terra, 1921, Coll. Part.
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Massimo Bontempelli avance deux arguments. Le premier, c’est la « valeur historique du fascisme », qui clôt la domination des avant-gardes artistiques. Le second argument est la « nécessité géographique » qu’apporte l’Italie fasciste, puisqu’une « fatalité mystérieuse ordonne [ ] que les résurgences civilisatrices du monde proviennent du bassin méditerranéen ». Il en déduit que les objectifs artistiques du réalisme magique doivent aboutir à la reconstruction de la forme, à être capable d’exprimer un mythe, la stupeur, l’imagination.


Ardengo Soffici, Coucher de soleil sur la campagne toscane, 1923, Coll. Part.
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Le réalisme synthétique, propre à Strapaese, rejette la représentation vériste d’une réalité appréhendée par les sens et opère une synthèse entre l’idée propre à l’artiste et la nature, d’où le nom de réalisme synthétique qu’emploie Ardengo Soffici. Cette synthèse ne serait opérante que sur la terre italienne


Exposition de Milan en 1926
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Exposition de Milan en 1926
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Margherita Sarfatti organise une exposition officielle à Milan en 1926, inaugurée par Mussolini. Son mouvement reçoit désormais le qualificatif « d’italiano ». Le réalisme magique est bien sûr représenté.


Fortunato Depero. Portrait psychologique de l’aviateur Azari (1922, MART)
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Margherita Sarfatti invite au sein de son exposition des futuristes comme Fortunato Depero. Elle présente des paysages naturalistes, en contradiction avec l’appel au retour à l’homme. Giorgio Morandi est lui aussi présent. Mussolini semble favoriser Stracittà et Margherita Sarfatti. Mais dans son discours de Pérouse en cette même année 1926, le Duce lie la civilisation fasciste à la création d’un art nouveau, « traditionaliste et moderne ». Cet oxymore écarte donc le futurisme, mais ne mentionne pas pour autant Novecento. En 1927, dans la salle d’exposition d’Il Selvaggio à Florence, le ministre des corporations, Giuseppe Bottai, laisse entendre que Strapaese est la référence artistique du fascisme, « l’organe effectif de la révolution fasciste ».
Mussolini n’honore pas de sa présence la seconde exposition de Novecento italiano de 1929. Dans une lettre sévère adressée à Margherita Sarfatti, il réfute même l’idée que Novecento soit la position artistique du fascisme. Mussolini se garde cependant d’intervenir directement. Il demande à Giuseppe Bottai, le ministre des corporations, d’arbitrer cette querelle artistique.
Giuseppe Bottai, publie « les résultats de l’enquête sur l’art fasciste ». Il aboutit à l’intégration de toutes les tendances artistiques et à l’encadrement corporatiste des artistes. Dans sa méthode de travail, Bottai procède par une série de compromis, pour éviter les « conflits qui auraient pu donner un second souffle aux opposants au fascisme ». Dans ses conclusions, Giuseppe Bottai affirme qu’il n’est pas dans ses intentions « d’arrêter les caractères du pur art fasciste », ni d’en donner une « définition [ ] officielle ».


« Horibles engins speudo artistiques »
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Dans son rapport, Bottai s’en prend aussi aux « horribles engins pseudo-artistiques » qui décorent les bâtiments officiels du régime. Il évite ainsi à l’Italie de sombrer totalement dans un art de propagande.

La réunion de toutes les tendances au cours de la 1iere quadriennale


« Première quadriennale de Rome 1931 »
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La 1ère quadriennale dure de janvier à août 1931. Dans son discours d’inauguration, le Duce rend hommage à l’absence d’un modèle artistique unique, Novecento, réaliste, futuriste, abstrait.. Rien ne signale l’appartenance à un groupe. Le régime reste attaché à une certaine indépendance des artistes.


1ère quadriennale août 1931

Première quadriennale de Rome 1931, le triomphe du paysage


« Arturo Tosi, La Mese, 1926, huile sur toile 70 x 90 cm Florence Palais Pitti »
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La critique proclame le triomphe du paysage. Le peintre lombard Arturo Tosi, le Cézanne italien selon Margheritta Sarfatti, obtient le 1er prix. Elle voit dans « la Mese ( la moisson) « le symbole de la terre nourricière, s’opposant à l’atmosphère délétère de la vie urbaine ».


« Ardengo Soffici, Il Cancello,1930, GNAM Rome « 
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Ardengo Soffici offre au public romain des paysages incarnant selon la critique « une nature éternelle », apte à faire face à la civilisation urbaine. Cet immobilisme se révèle dans « il Cancello » pour lequel il obtient le 2ème prix.
Ce triomphe du paysage en peinture coïncide avec la triple orientation politique du Duce : endiguer l’exode rural lié au capitalisme industriel, une démographie croissante et une politique impérialiste.
Giuseppe Bottai affirme dans Critica Fascista de 1931 que « l’antithèse entre Strapaese et Stracittà a été très utile, mais elle est maintenant apaisée, recomposée dans une synthèse qui rassemble les deux parties ». Pour le régime fasciste désormais institutionnalisé, les deux mouvements appartiennent au passé.

2.3 – Stracielo


« Thayaht, la victoire de l’air Quadriennale de Rome 1931 »
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Cette année 1931 marque le retour sur la scène artistique du futurisme qui a su se tenir à l’écart des polémiques. Contrairement aux autres mouvements, Marinetti et les siens disposent d’une salle dans la 1ère quadriennale de Rome sous l’appellation futuriste. Il traite avec ironie les « polémiques entre Strapaese et Stracittà en y apposant le cri de Stracielo (super-ciel) »,


« Louigi Filia paysage avec église et arbre 1931 »
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et offre au public l’Aéropeinture ; voici un « paesaggio italiano » de Filia (Luigi Colombo) est proche de celui qu’il peint pour l’exposition.


« Gerardo Dottori Projet pour la base d’hydravions d’Ostie 1928 »
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La vue du ciel permet de dépasser la perspective terrestre et d’atteindre une nouvelle réalité. Voici le projet de peintures murales pour un aéroport d’Ostie destiné aux hydravions. Il donne une idée des toiles présentées par Dottori à l’exposition de 1931. La salle d’attente a été détruite pendant la guerre ; Dottori a réalisé la première œuvre murale futuriste.
L’Aéropeinture va devenir pour quelques années un style au service du régime, sans pour autant recevoir de nombreuses commandes de l’état.

3 – Le retour du futurisme

Le futurisme a le mérite de servir le régime en soulignant son idéologie révolutionnaire et antihistorique.
Les historiens spécialistes de la période ne disposent que de photographies des salles en noir et blanc pour identifier les œuvres ; de plus, nombreuses sont celles qui sont cachées chez des collectionneurs ou perdues

La peinture futuriste n’avait pas disparu, avec l’art mécanique, une sorte de futurisme de gauche, donc bien éloigné des recommandations du régime fasciste.
L’Aéropeinture, qui appartient à l’art moderne, est bien liée au régime et à son chef ….. tandis que les arts décoratifs futuristes vivent une existence plus paisible.

3.1 – L’art mécanique futuriste

Deux futuristes de gauche : Vinicio Paladini et Ivo Pannaggi
Pour vous présenter l’art futuriste quand il est éloigné des cimaises officielles, je fais un retour en arrière dans le temps.


« Portrait de Vinicio Paladini par Ivo Pannaggi, 1922 »
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Vinicio Paladini et Ivo Pannaggi publient en 1922 et 1923 les manifestes futuristes de l’art mécanique. Ils mettent en valeur la ligne droite, ferme, contre le flou artistique des impressionnistes. Voici un portrait de Vinicio Paladini, peint par son ami Ivo Pannaggi en 1922. Vinicio Paladini, né à Moscou, est sympathisant de la révolution bolchévique.


« L’art de la Russie des Soviets 1925 »
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Il est l’un des rares à établir des contacts entre l’Italie et l’avant-garde soviétique. Dans cet ouvrage publié en 1925, il présente des artistes soviétiques, dont Alexandra Exter, qui avait fréquenté avant-guerre l’atelier d’Ardengo Soffici et introduit le cubo-futurisme en Russie, et bien plus connu, Tatline, que je ne présente pas.


« Manisfeste de l’art mécanique futuriste 1922 »
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Le manifeste futuriste de l’art mécanique se veut un témoignage des luttes sociales. Il fait du « prolétaire d’acier et de coke » l’homme du futur. Vinicio Paladini affirme :  « J’ai abandonné les anciennes recherches de mouvement, qui avaient donné naissance au système technique de la compénétration des plans (1), pour d’autres recherches constructives et architecturales. J’ai essayé de projeter des données qui appartiennent au domaine spirituel de [l’homme] ». Dans le manifeste de 1922, Paladini représente un prolétaire, une fusion du futurisme et du constructivisme russe.


« Ivo Pannaggi, Personnages 1925, passé en vente publique en 2010 « 
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Dans « Personnages » Ivo Pannaggi représente des hommes au travail, qui n’apparaissaient pas dans le dynamisme pictural d’avant-guerre.


« Enrico Prampolini Portrait de Marinetti 1925, Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea, Turin. « 
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L’attitude de Marinetti, dont voici un portrait futuriste par Enrico Prampolini, à l’égard du fascisme est loin d’être cohérente. En 1918, Marinetti crée le parti futuriste. En 1919, il se joint aux Fasci et Arditi pour fonder les Faisceaux italiens de combat regroupant d’anciens socialistes interventionnistes, des syndicalistes révolutionnaires, des républicains anticléricaux. Ce mouvement, qui n’est pas encore un parti politique, mais entrent en compétition les socialistes du PSI. Cette gauche interventionniste échoue aux élections. Mussolini dépité décide de s’allier en 1920 avec la droite conservatrice effrayée par le péril révolutionnaire. Les petits-propriétaires affluent vers faisceaux italiens de combat. Marinetti, resté républicain et anticlérical quitte les faisceaux. Il délaisse un temps la politique, pour rejoindre ou plutôt se soumettre en 1924 au parti fasciste nouvellement créé. Le congrès futuriste de Milan apporte son soutien à Mussolini fragilisé par l’assassinat de Matteotti.


« Luigi Rapuzzi Johannis : La révolution d’octobre 1924, Coll. Part. « 
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Alors que le fascisme s’installe, certains futuristes radicalisent leurs positions politiques en affirmant leur soutien au jeune régime soviétique : Luigi Rapuzzi Johannis : La révolution d’octobre.
Les futuristes sont autorisés à organiser leurs propres expositions, mais ne reçoivent pas de commandes officielles significatives. Les réalités sociales que l’Art Mécanique véhicule ne peuvent que susciter la méfiance de ce régime réactionnaire.
Vinicio Paladini et Ivo Pannaggi et tous les futuristes de gauche ont alors le choix entre l’exil ou le silence. Le futurisme n’est donc pas uniformément fasciste. Il illustre les contradictions et les tensions de l’Italie de la 1ère moitié du XXème siècle.
Vers 1930, Ivo Pannaggi s’installe en Allemagne où il fréquente le Bauhaus, jusqu’à sa fermeture. En 1933, il retourne à Macerata, où il est né. Il y vit retiré jusqu’à la fin de la guerre.

Fortunato Depero


« Fortunato Depero La Rixe, carton de tapisserie non réalisée, 1926, Collection Particulière »
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L’automobile, métaphore de puissance et de vitesse célébrée avant-guerre par Marinetti, doit partager l’espace futuriste avec la machine industrielle, outil de production (L’outil de production prend toute son importance dans un pays qui sort de la guerre et doit reconvertir son industrie). Fortunato Depero annonce cet art des machines avec sa mécanique des danseurs, mais la dimension sociale est alors totalement absente. En 1923, il réalise les couvertures de « la rivista illustrata del popolo d’Italia », le supplément illustré de journal officiel du régime. Il évite de sombrer dans l’art de propagande.


« Fortunato Depero La Rixe, carton de tapisserie non réalisée, 1926, CP »
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Sa principale participation à l’art mécanique est la Rissa (la rixe), exposée par le Novecento Italiano en 1926.


« Nicolay Diulgheroff « Le due sorelle » 1922, GNAM Rome »
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« Le due sorelle » peintes par Nicolay Diulgheroff en 1922 est un bon exemple de déformation en accordéon des engrenages d’une machine pour figurer 2 sœurs inséparables. La ligne est droite, ferme. Les rythmes mécaniques sont répétés. L’imagination de peintre est libérée.

3.2 – L’aéropeinture futuriste

Les début de l’aéropeinture


« Fedele Azari Perspectives de vol1926, Coll. Part. »
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Dès 1909, Marinetti fait de l’aéroplane « le symbole même du futurisme. Le premier tableau de l’Aéropeinture futuriste est celui de l’aviateur professionnel Fedele Azari : Perspectives de vol. Le tableau est éclairé par la lumière du jour et celle du crépuscule. Les éléments urbains, comme le paysage de campagne sont des schématisés par des formes élémentaires. Cette combinaison tend vers l’abstraction
En 1929, Marinetti cosigne le manifeste de l’aéropeinture futuriste avec Fillia, Balla, Fortunato Depero, Enrico Prampolini, Dottori, et d’autres. Le manifeste définit un esthétique reposant « sur les perspectives changeantes du vol » et sur la possibilité de transfigurer la réalité au nom « d’une spiritualité plastique extraterrestre », à comprendre comme une mise en image de la conquête de l’air, symbolique et spirituelle. Dans la peinture du dynamisme pictural, l’œil du peintre est immobile et retranscrit les éléments dynamiques qui traversent sa vision. Dans l’Aéropeinture, la vision aérienne et mobile du peintre reconstruit la ville vue d’en-haut.

L’aéronautique au service du fascisme


« Prima Mostra di Aeropittura dei Futuristi »
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En février 1931 est organisée la « Prima Mostra di Aeropittura dei Futuristi ». C’est une manifestation en hommage aux aviateurs transatlantiques.


« Nicolay Diulgheroff « Le due sorelle » 1922, GNAM Rome »
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Italo Balbo effectue en 1929 et 1930 deux traversées de l’Atlantique en escadrille. Il devient un héros du régime.


« Giacomo Balla Celeste metallico aeroplano, 1931, musée de l’aéronautique »
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L’Aéropeinture n’a rien d’apolitique. Celeste metallico aeroplano de Giacomo Balla illustre la relation entre le fascisme et l’Aéropeinture. L’aviation devient une « arme spirituelle ».
Les peintres futuristes que je vais maintenant vous présenter un par un ont participé d’abord à l’art mécanique, puis à l’Aéropeinture.