Art et nature (saison 2)

Art et nature (saison 2)

Parmi le foisonnement des postures et des pratiques artistiques contemporaines, les peintres revisitent la tradition du paysage, et le regard sur le jardin. Des sculpteurs imaginent des hybridations poétiques, homme/nature et des artistes écologiquement engagés, tentent de mobiliser public ou réagissent à nos inquiétudes collectives.

Intervenante : Agnès Ghenassia

1) Le retour de la peinture, la tradition revisitée
On, pensait que les pratiques du Land art avaient dévalorisé les peintures de paysage, qui avaient disparues des galeries et des musées. En fait, il n’en était rien cependant, des peintres continuaient à regarder le paysage, mais leurs travaux n’étaient pas « tendance » à l’époque. On redécouvre ces artistes aujourd’hui.

J’ai classé ces artistes par famille de sensibilité par rapport à leurs prédécesseurs.

– Dans la famille Pierre Bonnard à la manière de L’atelier au mimosa (1939)

Vincent Bioulès, né en 1938 à Montpellier, a été un des incitateurs du mouvement « support surface » en 1970, au cœur de l’avant garde artistique radicale engagée, de l’époque (post soixante-huitarde)… tout en continuant de façon intime et discrète, à peindre « sur le motif ». Ainsi de retour chez lui à Montpellier, il peint le marronnier en fleurs depuis la fenêtre de son bureau.


Vincent Bioulès – Le marronnier en fleurs, 1965 Huile sur toile huile sur toile, 146 x 114 cm,Collection de l’artiste
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Cette peinture n’était pas exposée à son époque. Le marronnier est très stylisé, les fleurs sont ramenées à quelques signes.
Voir également :
Dans mon bureau (avril 1965). On y retrouve le marronnier à travers la fenêtre.

Certes ces peintures flirtent avec l’abstraction, mais elles sont bien nées de l’observation de l’arbre « sur le motif ».
Le marronnier en fleurs 2 (1967)
Bioulès cherche des formes simples en conciliant abstraction et figuration, et en ramenant le motif des fleurs à quelques signes.

Mais très vite en 1972, il rompt avec le groupe support surface, et s’empresse de retrouver une peinture figurative pour dit-il « reconquérir les territoires perdus de la peinture. »
… par exemple avec le thème des intérieurs avec fenêtre ouverte sur le jardin (thème cher à Matisse et à Bonnard).


Vincent Bioulès – Le Viallat dans la maison ou Les trois as, 1981, Huile sur toile, 190 x 250 cm.. Bordeaux, collection CAPC Bordeaux
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Vue depuis l’intérieur avec une toile de Viallat au mur, le marronnier lui fait pendant.

Il écrase la perspective comme le faisaient Matisse et Bonnard.

Voir également :
Le marronnier en fleurs, 1981
La fenêtre en automne, 1981
L’été indien à Montpellier, 1982, traitement des marronniers presque médiéval avec beaucoup de minutie.

L’automne dans mon jardin, 2016


Vincent Bioulès, la grande peinture contemporaine – Musée Fabre Montpellier

Voir d’autres oeuvres de Vincent Bioulès (exposition les chemins de traverse musée Fabre, Montpellier). .

Autre famille d’artistes qui s’apparentent aux derniers Monet des nymphéas.

Cy Twombly, (1928-2011), américain, il a choisi dès la fin des années 50, de vivre à Rome. Depuis toujours il est à la recherche d’une écriture de type archaïque, d’une écriture des origines, en laissant aller son crayon, ou son pinceau, dans une sorte de rêverie raffinée, sensuelle et brouillonne.

C’est à Rome, en 1985, qu’il peint cette série intitulée « Analyse de la rose comme désespoir sentimental« , après avoir lu le poème « Les roses » de Rilke. C’est à la fois fluide, ruisselant même et très « matiériste ».


Cy Twombly – Rose, 1985, huile sur toile 244 x 160 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Au dessus du tableau, des fragments du poème de Rilke.
Voir d’autres oeuvres de cette série.
Il y a à la fois fluidité, et écrasement de la matière sur la toile.

Au tout début des années 90, il est à Gaete, sur la côte entre Rome et Naples, et sa passion pour les fleurs est de plus en plus évidente. Il photographie des pivoines, des roses, des tulipes, des cédrats. Il réalise de grandes séries de fleurs.


Cy Twombly – Série sur les fleurs, 1991
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
Série sur les fleurs.

En 2010, il réalise une série sur la rose.


Cy Twombly – Série sur la rose, 2010 huile sur toile 252 X 740 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
Série sur la rose, 2010
Série sur la rose, 2010
Série sur la rose, 2010
Il devient presque décoratif.
Voir d’autres oeuvres de Cy Twomby.

Dans la famille Albrecht Dürer, à la manière de la grande touffe herbe réalisée en 1503. On retrouve le goût de la minutie, et du détail.

Henri Cueco, (1929-2017)

Comme Bioulès, Cueco a connu des années d’engagement dans la figuration narrative, puis dans la coopérative des Malassis, avant de tourner radicalement la page, et de rentrer en Corrèze « bien décidé, disait-il, à tout recommencer« . Et à partir de 1977 il peint et dessine ce qu’il a sous ses pieds : des herbes, des feuilles mortes, avec une infinie passion.


Henri Cueco – Autoportrait
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Voir également :
Dessins d’herbes
Séries de petits paysages (à partir de trouées sur la toile vierge)
Dessins d’herbes
Feux de feuilles mortes
Dessins et peintures d’une grande minutie et en grands formats.

Il écrit : Dialogue avec mon jardinier un échange de compétences entre lui, et son jardinier.

Bioulès, Twomby et Cueco ont en commun, d’avoir tourné le dos aux dictates des avant-gardes de leur temps, pour se consacrer à leur vérité, plus proche des beautés de la nature.

Dans la famille Jean Dubuffet, à la manière de Messe de terre 1959-60, on peut établir un parallèle avec Anselm Kiefer.

Anselm Kiefer, né en 1945
Il est bien connu pour ses paysages hivernaux, terreux. Le paysage, chez Kiefer, c’est le sol allemand, le land, à la fois pétri de légendes, et chargé de l’histoire si lourde du nazisme.


Anselm Kiefer – Seraphim (1983-1984) huile, paille, émulsion schellac sur toile 320 x 331 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il a mêlé à la peinture à l’huile, de la paille et du schellac, (une gomme laque associée à une résine) pour créer un sol lourd, dans lequel se glisse un serpent (symbolisant les forces obscures) et, par contraste, une échelle (le désir d’élévation). Comme Dubuffet avec ses matériologies, mais avec une dimension symbolique en plus. C’est un grand format.

Voir également
Siegfried vergisst Brunhilde effet de terre réalisé à la peinture à l’huile. Titre sur le paysage, vieille légende allemande.


Anselm Kiefer – Le difficile chemin de Siegfried à Brunhilde, 1977 huile, paille, émulsion schellac sur toile 320 x 331 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Une photo de voie de chemin de fer désaffectée a été recouverte de feuilles de plomb. Au loin des flammes, car après bien des difficultés Brunhilde sera incinérée avec lui sur un bûcher. Mais sans le titre, l’image seule évoque les voies de chemin de fer qui conduisaient les déportés vers les camps de la mort.

En 1992, Kiefer quitte l’Allemagne pour s’installer en France, dans les Cévennes, et il se découvre une passion pour les tournesols, qu’il fait venir du Japon. Car il s’intéresse alors aux théories de Robert Fludd, (un humaniste anglais de la Renaissance) qui cherchait des correspondances entre le microcosme (l’homme), et le macrocosme (le monde), entre les planètes et le corps humain.


Anselm Kiefer – Robert Fludd 1992
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Il se représente sous des tournesols géants, avec son plexus solaire bien apparent, les tournesols noirs sont, comme des planètes, qui peuvent fertiliser le sol dans un éternel recommencement.

En 2006 avec Aperiatur terra et germinat salvatorem, c’est la prophétie d’Isaïe : « Que la terre s’ouvre et produise un Sauveur, et laisse la justice naître en même temps« . Toujours une grande matérialité, qui donne à voir des morceaux de sol.

En 2010 l’artiste occupe au collège de France, la chaire de création artistique et son cycle de cours s’intitule : « L’art survivra à ses ruines« .
Il va travailler sur une terre desséchée, aride d’où parviennent à surgir à nouveau des fleurs.

Et dans la série intitulé le plan Morgenthau, il revient à son amour pour les fleurs à travers cette fois un épisode de la fin de la deuxième guerre mondiale. Le secrétaire au Trésor américain Henri Morgenthau, avait suggéré de transformer l’Allemagne en une nation agricole, pour l’empêcher de développer son industrie lourde.


Anselm Kiefer – Plan Morgenthau, 2012 huile, acrylique, Shellac, plâtre sur toile 180 x 380 cm
(cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Donc Kieffer imagine des tapis de fleurs couvrant des décombres Si on regarde de près on voit peinture à l’huile Shellac plâtre parfois des feuilles d’or. Chez lui se sont souvent les matériaux qui sont symboliques.