Cours du 15 mai 2017

La notion de post humain chez les artistes (2)

Sommaire : Orlan, Marion Laval-Jeantet, Stelarc, Eduardo Kac, Charles Ray, Jake et Dinos Chapman, Bernard Lallemand, Aziz & Cucher

Orlan

Orlan est une figure emblématique du corps mutant qui jouit d’une réputation internationale. Elle est née Mireille Suzanne Francette Porte en 1947, à Saint Etienne, elle ne cesse de produire une œuvre dérangeante, questionnante à la fois variée et cohérente parce qu’elle poursuit un seul but : interroger la notion de beauté et revendiquer haut et fort le droit de refuser les normes imposées.
Même si son corps et au centre de sa pratique, elle a longtemps refusé d’être qualifiée d’artiste du body art (art corporel) mais reconnaît être une artiste féministe.
Actuellement elle bénéficie d’une rétrospective à la Maison Européenne de la Photographie dans le Marais.

Elle a commencé en 1964 par des autoportraits photographiques en noir et blanc dont la est emblématique de tous ces travaux ultérieurs Orlan accouche d’elle m’aime.


Orlan accouche d’elle m’aime (1964)
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Elle accouche d’un autre adulte, sorte de mannequin androgyne : dans cette image il y a déjà le refus du naturel, du sens commun, la tentative de conquérir l’identité qui émane du pur désir d’être soi-même en s’autogérant.


Orlan – Corps sculpture (1965)
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Voir corps sculpture 2, et corps sculpture 3.

Après les corps sculpture les tentatives pour sortir du cadre (1965) ne disent que cette revendication de liberté. Dans les corps sculpture, son visage n’est pas apparent (il est souvent masquée par la chevelure) et elle dessine une chorégraphie de son corps qui n’a rien de traditionnel.


Orlan – Tentatives pour sortir du cadre (1965)
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Dans les Tentatives pour sortir du cadre elle annonce simplement en s’échappant d’un cadre de bois doré, son engagement à lutter contre les dispositifs du pouvoir : social culturel … ou masculin.

En 1974, pour protester contre la quasi absence de femmes dans les institutions culturelles, elle entreprend une série de performances : les MesuRages (remarquez le mot « Rage ») mis en évidence..


Orlan – MesuRages (1974)
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Son corps à plat dos ou à quatre pattes sert d’instrument de mesure pour arpenter le Guggenheim de New York, le musée Saint-Pierre à Lyon, où les colonnades du Vatican à Rome. Son corps sert, en quelque sorte, de mètre-étalon.


Orlan – Strip-tease occasionnel avec les draps du trousseau (1975)
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En 1975 Strip-tease occasionnel avec les draps du trousseau est une série de 18 photos dans laquelle on la voit se dépouiller progressivement d’un drapé de style baroque réalisé dans un drap. Plusieurs cibles dans ce travail ironique le formatage des femmes par la religion chrétienne qui demande de choisir entre le bien et le mal, (la femme prude et la prostituée) et la docilité des filles nécessairement calmes et raisonnables dans la tradition de la transmission du trousseau. Et là c’est elle, qui choisit délibérément de se « détrousser ».


Orlan – Le baiser de l’artiste (FIAC 1977, Paris)
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1977 pendant la Première FIAC à Paris le baiser de l’artiste. Elle tient un stand dans les allées de la foire, installée dans un dispositif de style « distributeur automatique » en forme de buste féminin. Ce qu’elle distribue contre 5 francs ce sont des « baisers d’artiste » mais si l’on veut on peut, pour la même somme, acheter et allumer un cierge à Sainte Orlan une image de la Sainte Thérèse du Bernin affublée du visage d’Orlan et redressée à la verticale à côté d’elle.
Là encore apparaissent les deux images de la femme les plus présentes dans l’histoire de l’art : la Vierge (la sainte) ou la prostituée (Marie-Madeleine).

Cette idée est présente la même année dans les montages photos intitulés « bordel et cathédrale ». Et souvent… les deux ensemble. Le modèle de la Vierge à l’Enfant de Jean Fouquet c’est Agnès Sorel la maîtresse de Charles VII. C’est pourquoi dans ses effets de drapé Orlan dévoile un sein.


Orlan – Le drapé le baroque, étude documentaire (1979)
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1979 le drapé le baroque, étude documentaire c’est une série de photos d’elle en drapé baroque avec des gestes mimant ceux des Vierges ou saintes de l’histoire de l’art du 17e siècle.
Le titre étude documentaire renvoie un exercice bien connu d’apprentissage du dessin académique « étude de drapé d’après l’antique » par exemple. De ces photos, Orlan tire des images dramatisées par le fond noir, en grand format, qui renvoient bien sûr aux effets de clair-obscur de la peinture.
Pendant longtemps la beauté a été associée à la sainteté. Les artistes maniéristes ont tenté de subvertir cet idéal.


Orlan – Sainte Orlan (1979)
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Dans de nombreuses mises en scène avec accessoires elle va incarner sainte Orlan avec une gestuelle très théâtralisée et humoristique tant les artifices sont explicites. Elle incarne aussi :
– une Vierge noire satanique
– et une Vierge blanche dans des dispositifs intégrant de courtes images vidéos.
Voir un commentaire.


Orlan – Madone au garage en assomption sur vérin pneumatique (1979)
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Madone au garage en assomption sur vérin pneumatique en 5 images est particulièrement cocasse puisque cette « Assomption mystique » se joue dans un garage, en présence du garagiste. Voir les trois Assomption du Titien de Poussin et de Rubens.


Orlan – L’origine de la guerre (1989)
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1989 l’origine de la guerre. Elle a créé une image jumelle de l’origine du monde de Courbet, en photographiant un torse masculin exposant ses parties génitales, dans un format identique à celui du tableau de Courbet.
Voir un commentaire (TV5).

1990 – 1993 la réincarnation de sainte Orlan nouvelles images. C’est une série de neuf opérations performance de chirurgie « esthétique » par lesquelles Orlan va se réinventer. Tout a commencé par sa lecture en 1989 des textes de la psychanalyse lacanienne d’Eugénie Lemoine Luccioni paru en 1983. Dans « La robe » par exemple « La peau est décevante. Dans la vie on n’a que la peau (…) il y a maldonne dans les rapports humains parce que l’on n’est jamais ce que l’on a (…). J’ai une peau d’ange mais je suis un chacal, une peau de crocodile, mais je suis un toutou, une peau de femme mais je suis un homme, je n’ai jamais la peau que je suis« .

Orlan relie ceci au fait qu’elle se sentait depuis toujours profondément différente des autres filles, alors que le miroir lui envoie l’image d’un visage à la beauté banale.
Orlan va donc convaincre les équipes de chirurgiens de la validité de son projet et faire, avec leur complicité, du bloc opératoire un véritable Studio d’artiste.

L’opération de 1993 est filmée et diffusée en direct dans une galerie de New York, au Centre Pompidou, et à Toronto par satellite à une époque où techniquement c’était assez novateur.

L’artiste est anesthésiée que localement, et elle lit un texte différent à chaque fois (Deleuze, Julia Kristewa, Antonin Artaud) car l’objectif est militant : elle a observé que la chirurgie esthétique est utilisée par les femmes pour se soumettre à des normes esthétiques toujours identiques : nez plus court, bouche plus pulpeuses, etc. Elle va demander autre chose en prenant d’abord ses modèles dans la peinture occidentale : le front de Mona Lisa, la bouche de la Vénus de Botticelli etc.
Elle souhaite « se faire une nouvelle image, pour retirer le masque de l’inné et redéfinir le principe même de l’identité. Elle déjoue le fantasme de perfection partagé par tous.


Orlan – Couture et suture (1990)
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Première opération performance 1990 « couture et suture » avec le livre de D’Eugénie Lemoine (La robe) et son image en Vénus de Botticelli.


Orlan – Opération réussie (1991)
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4eme opération performance dite opération réussie 1991 tout le monde est habillé en Paco Rabanne.


Orlan – Opération opéra (1991)
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5e opération performance 1991 dite opération opéra : elle lit le tiers-instruit de Michel Serres. Michel Serres utilise la figure de l’Arlequin métaphore de l’acceptation de l’autre. Elle porte un chapeau d’Arlequin… et une robe de Franck Sorbier.


Mireille Dumas interviewe l’artiste plasticienne Orlan sur son travail sur son corps (1993)

Orlan sait que son corps est devenu le lieu d’un débat public.
Elle connaît le tabou judéo-chrétien qui consiste à accepter ce que l’on n’est (physiquement) parce que Dieu nous a fait ainsi. Elle se moque des artistes du body art, qui mettent en scène la souffrance dans des actions éphémère.

Elle se remodèle librement en toute lucidité, affirmant que la norme imposée beauté, jeunesse, santé, éclat, est obsolète dépassée et purement liée à nos sociétés modernes, alors que dans d’autres cultures, prévalent d’autres critères.


Orlan – Portrait (1992)
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Deux portraits de 1992 dont l’un s’appelle portrait officiel avec perruque de la fiancée de Frankenstein (très glamour).